Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
HUG_13/HUG1084
Victor HUGO
La Fin de Satan
1886
LIVRE PREMIER
LE GLAIVE
STROPHE PREMIÈRE
NEMROD
I
De nouveaux jours brillaient ;la terre était vivante ; 6+6 a
Mais tout, comme autrefois,était plein d'épouvante. 6+6 a
L'ombre était sur Babelet l'horreur sur Endor. 6+6 b
On voyait le matin,quand l'aube au carquois d'or 6+6 b
5 Lance aux astres fuyantsses blanches javelines, 6+6 a
Des hommes monstrueuxassis sur les collines ; 6+6 a
On entendait parlerde formidables voix, 6+6 b
Et les géants allaientet venaient dans les bois. 6+6 b
II
Nemrod, comme le chêneest plus haut que les ormes, 6+6 a
10 Était le plus grand frontparmi ces fronts énormes ; 6+6 a
Il était fils de Chus,fils de Cham, qui vivait 6+6 b
En Judée et prenaitle Sina pour chevet. 6+6 b
Son aïeul était Cham,le fils au rire infâme, 6+6 a
Dont Noë dans la nuitavait rejeté l'âme. 6+6 a
15 Cham, depuis lors, grondaitcomme un vase qui bout. 6+6 b
Cham assis dépassaitles colosses debout, 6+6 b
Et debout il faisaitprosterner les colosses. 6+6 a
Il avait deux lionsd'Afrique pour molosses. 6+6 a
Atlas et le Libanlugubre au sommet noir 6+6 b
20 Tremblaient quand il jouaitde la flûte le soir ; 6+6 b
Parfois Cham, dans l'orageouvrant ses mains fatales, 6+6 a
Tâchait de prendre au voll'éclair aux angles pâles ; 6+6 a
Arrachant la nuée,affreux, blême, ébloui, 6+6 b
Il bondissait de rocheen roche, et devant lui, 6+6 b
25 Le tonnerre fuyaitcomme une sauterelle. 6+6 a
Si l'ouragan passait,Cham lui cherchait querelle. 6+6 a
Quand il fut vieux, Nemrodle laissa mourir seul. 6+6 b
Ayant ri comme fils,il pleura comme aïeul. 6+6 b
Donc Nemrod était filsde ces deux hommes sombres. 6+6 a
30 La terre était encorcouverte de décombres 6+6 a
Quand était né, sous l'œilfixe d'Adonaï, 6+6 b
Ce Nemrod qui portaittant de ruine en lui. 6+6 b
Étant jeune, et, chassantles lynx dans leur refuge, 6+6 a
Il avait, en fouillantles fanges du déluge, 6+6 a
35 Trouvé dans cette vaseun clou d'airain, tordu, 6+6 b
Colossal, noir débrisde l'univers perdu, 6+6 b
Et qu'on t dit forgépar les géants du rêve ; 6+6 a
Et de ce clou sinistreil avait fait son glaive. 6+6 a
Nemrod était profondcomme l'eau Nagaïn ; 6+6 b
40 Son arc avait étéfait par Tubalcaïn 6+6 b
Et douze jougs de bœufl'eussent pu tendre à peine ; 6+6 a
Il entendait marcherla fourmi dans la plaine ; 6+6 a
Chacune de ses mains,affreux poignets de fer, 6+6 b
Avait six doigts pareilsà des gonds de l'enfer ; 6+6 b
45 Ses cheveux se mêlaientaux nuages sublimes ; 6+6 a
Son cor prodigieuxqui sonnait sur les cimes 6+6 a
Était fait d'une dentdes antiques mammons, 6+6 b
Et ses flèches peaientde part en part les monts. 6+6 b
III
Un jour, il vit un tigreet le saisit ; la bête 6+6 a
50 Sauta, bondit, dressason effroyable tête, 6+6 a
Et se mit à rugirdans les rocs effrayés 6+6 b
Comme la mer immense,et lui lécha les pieds ; 6+6 b
Et quand il eut domptéle tigre, il dompta l'homme ; 6+6 a
Et quand il eut pris l'homme,il prit Dan, Tyr, Sodome, 6+6 a
55 Suze, et tout l'universdu Caucase au delta, 6+6 b
Et quand il eut conquisle monde, il s'arrêta. 6+6 b
Alors il devint tristeet dit : Que vais-je faire ? 6+6 a
IV
Son glaive nu donnaitle frisson à la terre. 6+6 a
Derrière ce glaive âpre,affreux, hideux, rouillé, 6+6 b
60 La Guerre, se dressantcomme un pâtre éveillé, 6+6 b
Levait à l'horizonsa face de fantôme. 6+6 a
Et, tout tremblants, au fonddes cités, sous le chaume, 6+6 a
Les hommes éperdusdistinguaient dans la nuit, 6+6 b
Et regardait passerdans l'ombre et dans le bruit, 6+6 b
65 Fronde en main, et soufflantdans des trompes épiques, 6+6 a
Cet effrayant bergerdu noir troupeau des piques. 6+6 a
Ce spectre était deboutà droite de Nemrod. 6+6 b
Nemrod, foulant aux piedsla tiare et l'éphod, 6+6 b
Avait atteint, bénidu scribe et de l'augure, 6+6 a
70 Le sommet sombre l'hommeen dieu se transfigure. 6+6 a
Il avait pour ministreun eunuque nommé 6+6 b
Zaïm, et vivait seul,dans sa tour enfermé. 6+6 b
L'eunuque lui montraitdu doigt le mal à faire. 6+6 a
Et Nemrod regardaitcomme l'aigle en son aire ; 6+6 a
75 Ses yeux fixes faisaienthurler le léopard. 6+6 b
Quand on disait son nomsur terre quelque part, 6+6 b
La momie ouvrait l'œildans la grande syringe, 6+6 a
Et les peuples velusà la face de singe 6+6 a
Qui vivent dans des trousà la source du Nil 6+6 b
80 Tremblaient comme des chiensqui rentrent au chenil. 6+6 b
Les bêtes ne savaients'il était homme ou bête. 6+6 a
Les hommes sous Nemrodcomme sous la tempête 6+6 a
Se courbaient ; il étaitl'effroi, la mort, l'affront ; 6+6 b
Il avait le baiserde l'horreur sur le front ; 6+6 b
85 Les prêtres lui disaient :O Roi, Dieu vous admire ! 6+6 a
Ur lui brûlait l'encens,Tyr lui portait la myrrhe. 6+6 a
Autour du conquérantle jour était obscur. 6+6 b
Il en avait noircides deux côtés l'azur ; 6+6 b
A l'orient montaitune sombre fumée 6+6 a
90 De cent villes brûlantdans la plaine enflammée ; 6+6 a
Au couchant, plein de mort,d'ossements, de tombeaux, 6+6 b
S'abattait un essaimimmense de corbeaux ; 6+6 b
Et Nemrod contemplait,roi de l'horreur profonde, 6+6 a
Ces deux nuages noirsqu'il faisait sur le monde, 6+6 a
95 Et les montrait, disant :Nations, venez voir 6+6 b
Mon ombre en même tempssur l'aube et sur le soir. 6+6 b
STROPHE DEUXIÈME
CEUX QUI PARLAIENT DANS LE BOIS
I
Pendant qu'on l'adorait,l'eunuque son ministre 6+6 a
Chantait d'une voix douceau fond du bois sinistre : 6+6 a
Mourez, vivants ! Croulez,murs ! Séchez-vous, sillons ! 6+6 b
100 Tombez, mouches du soir,peuples, vains tourbillons ! 6+6 b
Blanchissez, ossements !Pleurs, coulez ! Incendies 6+6 a
Étendez sur les montsvos pourpres agrandies ! 6+6 a
Cités, brûlez au vent !Cadavres, pourrissez ! 6+6 b
Jamais l'eunuque noirne dira : C'est assez ! 6+6 b
105 Car ce banni rugitsur l'éden plein de flamme ; 6+6 a
Car ce veuf de l'amourest en deuil de son âme ; 6+6 a
Car il ne sera pasle père au front joyeux ; 6+6 b
Car il ne verra pointune femme aux doux yeux 6+6 b
Emplir, assise au seuilde la maison morose, 6+6 a
110 La bouche d'un enfantdu bout de son sein rose ! 6+6 a
Je suis du paradisle témoin torturé. 6+6 b
O vivants, je me venge,et le mtre exécré, 6+6 b
C'est moi qui l'ai lâchésur la terre nous sommes ; 6+6 a
J'ai vu Nemrod errantdans la forêt des hommes ; 6+6 a
115 J'ai fait un tigre avecce lion qui passait. 6+6 b
Je jette ma pensée,invisible lacet, 6+6 b
Et je sens tressaillirdans ce filet le monde. 6+6 a
L'arbre est vert ; j'applaudisla hache qui l'émonde ; 6+6 a
Des hommes dévorésj'écoute les abois ; 6+6 b
120 Chasse, ô Nemrod ! — C'est moiqui dis au glaive : bois ! 6+6 b
Et j'attise à genouxla guerre, moi l'envie. 6+6 a
Les autres êtres sontles vases de la vie, 6+6 a
Moi je suis l'urne horribleet vide duant. 6+6 b
Je verse l'ombre. Nain,j'habite leant ; 6+6 b
125 Toutes ses actionscomposent ma victoire ; 6+6 a
Il est le bras faroucheet je suis l'âme noire. 6+6 a
La guerre est. Désormais,dans mille ans, ou demain, 6+6 b
Toute guerre seraparmi le genre humain 6+6 b
Une flèche de l'arcde Nemrod échappée. 6+6 a
130 O Nemrod, premier roidu règne de l'épée, 6+6 a
Va ! c'est fait. L'âme humaineest allumée, et rien 6+6 b
Ne l'éteindra. L'indou,l'osque, l'assyrien, 6+6 b
Ont mordu dans la chaircomme Ève dans la pomme. 6+6 a
La guerre maintenantne peut s'arrêter, l'homme 6+6 a
135 Ayant bu du sang d'hommeet l'ayant trouvé bon. 6+6 b
L'embrasement sans finntra du vil charbon. 6+6 b
Mort ! l'homme va croulersur l'homme en avalanche. 6+6 a
Mort ! l'humanité noireet l'humanité blanche, 6+6 a
Les grands et les petits,les tours et les fossés 6+6 b
140 Vont se heurter ainsique des flots insensés. 6+6 b
Temps futurs ! lutte, horreur,tas sanglants, foules viles ! 6+6 a
Chnes autour des camps,chnes autour des villes, 6+6 a
Marches nocturnes, pasténébreux, voix dans l'air ; 6+6 b
Les tentes sur les monts,les voiles sur la mer ! 6+6 b
145 O vision ! chevauxaux croupes pommelées ! 6+6 a
O tempêtes de charset d'escadron ! mêlées ! 6+6 a
Nuages d'hommes, chocs,panaches, éperons ! 6+6 b
Bouches ivres de bruitsoufflant dans des clairons ! 6+6 b
Les casques d'or ; les tourssonnant des funérailles ; 6+6 a
150 Des murailles sans fin ;d' sortez-vous, murailles ? 6+6 a
Des champs dorés changésen gueules de l'enfer ; 6+6 b
Les hydres légionsaux écailles de fer ; 6+6 b
Des glaives et des yeuxtourbillonnant en trombes ; 6+6 a
La semence des osfaisant lever des tombes ; 6+6 a
155 L'orgueil aveugle aux chantsjoyeux, chaque troupeau 6+6 b
Promenant son linceulqu'il appelle drapeau ; 6+6 b
Des vaisseaux se mordantavec des becs difformes, 6+6 a
Si bien que la mer glauqueet l'onde aux plis énormes, 6+6 a
Les gouffres, les écueils,verront l'homme hideux, 6+6 b
160 Et que Léviathandira : Nous sommes deux ! 6+6 b
O tumulte profonddes siècles dans la haine ! 6+6 a
Abrutissement fauveet fou ! terreur ! géhenne ! 6+6 a
Obscurité ! furieà toute heure, en tout lieu ! 6+6 b
Sinistre cliquetisde l'homme contre Dieu ! 6+6 b
165 Combattants ! combattants !sortez des nuits profondes. 6+6 a
Les uns viendront avecdes haches et des frondes ; 6+6 a
Des bêtes de la mortfaites par l'homme horrible. 6+6 b
Des couleuvres de bronzeau cou long et terrible 6+6 b
Souffleront et feronts'envoler à grand bruit 6+6 a
170 Le cheval, la fanfareet l'homme dans la nuit. 6+6 a
On meurt ! on meurt ! hiboux,corbeaux, noires volées ! 6+6 b
Villes prises d'assaut !ô femmes violées ! 6+6 b
O vengeance ! — tuez !pourquoi ? pour rien. Allez. 6+6 a
Ils tueront. Ils tueront,de massacre essoufflés, 6+6 a
175 Le riche en son palais,les pauvres dans les bouges, 6+6 b
Et se proposeront,portant des urnes rouges, 6+6 b
D'emplir avec du sangle sépulcre sans fond. 6+6 a
Tuez. Ce que Dieu fit,les hommes le défont. 6+6 a
Bien. O guerre ! ô dragonqui dans l'ombre me lèches ! 6+6 b
180 Le grand ciel est rayéd'un ouragan de flèches ! 6+6 b
Bien. Guerre, roule-toisur les peuples agneaux ; 6+6 a
Noue à l'humanitétes lugubres anneaux ; 6+6 a
Guerre ! L'homme contentveux que tu l'extermines. 6+6 b
Détruis ! fais fourmillerles légions vermines. 6+6 b
185 Mange ! Mange les camps,les murs, les chars mouvants, 6+6 a
Mange les tours de pierreet les ventres vivants ; 6+6 a
Mange les dieux et mangeaussi les rois ; travaille ; 6+6 b
Mange le laboureur,le soc, l'épi, la paille, 6+6 b
Le champ ; mange l'abeilleet mange l'alcyon ; 6+6 a
190 Sois le ver monstrueuxdu fruit création. 6+6 a
Dieu ! Pourquoi créas-tula mort ? l'homme l'invente ; 6+6 b
L'eunuque bat des mains,ébloui d'épouvante. 6+6 b
Tuez, tuez ! — Au nord,au couchant, au midi, 6+6 a
Partout, cercle effroyableet sans cesse agrandi, 6+6 a
195 La bataille reptmes yeux visionnaires. 6+6 b
Oh ! le sombre avenirroule plein de tonnerres ! 6+6 b
Oh ! dans l'air à jamaisje vois la mort sifflant ! 6+6 a
Oh ! je vois à jamaissaigner la guerre au flanc 6+6 a
De l'humanité triste,affreuse et criminelle ; 6+6 b
200 Et le mutilé rità la plaie éternelle ! 6+6 b
Les races sécherontcomme un torrent d'été ; 6+6 a
La vierge sera veuveavant d'avoir été ; 6+6 a
La mère pleurerad'avoir été féconde, 6+6 b
O joie ! — En ce momentNemrod est seul au monde ; 6+6 b
205 La terre est encor faibleet n'en peut porter qu'un ; 6+6 a
Mais le ciel germerasous le ciel importun, 6+6 a
Mais vous pullulerez,ô glaive, ô cimeterre ; 6+6 b
Quel spectacle quand toutse mordra sur la terre, 6+6 b
Et quand tous les Nemrodsse mangeront entr'eux ! 6+6 a
210 Parfois je vais, au bordd'un fleuve ténébreux, 6+6 a
Regarder, sur le sableou dans les joncs d'une île, 6+6 b
Le vautour disputersa proie au crocodile ; 6+6 b
Chacun veut être seul,chacun veut être roi, 6+6 a
Chacun veut tout ; et moi,je ris des cris d'effroi 6+6 a
215 Que poussent les roseauxde l'Euphrate ou du Tigre 6+6 b
Quand le lézard brigandlutte avec l'oiseau tigre. 6+6 b
Ainsi, peuples, de loin,je savoure vos deuils. 6+6 a
Vous avez les berceaux,vivants ! J'ai les cercueils. 6+6 a
J'aspire le parfumdes corps sans sépulture. 6+6 b
220 Ah ! pourquoi m'a-t-on prisma part de la nature ! 6+6 b
Vous m'avez arrachédu sein qui m'échauffait, 6+6 a
Quand j'étais tout petit,moi qui n'avais rien fait ! 6+6 a
Vous avez tué l'hommeet laissé l'enfant vivre ! 6+6 b
Soyez maudits ! Je hais.Ma propre horreur m'enivre. 6+6 b
225 Malheur à ce qui vit !Malheur à ce qui luit ! 6+6 a
Je suis le mal, je suisle deuil, je suis la nuit. 6+6 a
Malheur ! Pendant qu'au boisle loup étreint la louve, 6+6 b
Pendant que l'ours émucherche l'ourse et la trouve, 6+6 b
Que la femme est à l'homme,et le nid à l'oiseau, 6+6 a
230 Que l'air féconde l'eautremblante, le ruisseau 6+6 a
L'herbe, et que le ramiers'accouple à la colombe, 6+6 b
Moi l'eunuque, j'ai prispour épouse une tombe ! 6+6 b
II
Et dans le même boiset de l'autre côté 6+6 a
Un lépreux s'écriait :
Nature ! immensité ! 6+6 a
235 Étoiles ! profondeurs !fleurs qu'en tremblant je nomme, 6+6 b
Ne maudissez que moi !soyez bonnes pour l'homme ! 6+6 b
O Dieu, quand je suis né,vous ne regardiez pas. 6+6 a
La lèpre, rat hideuxde la cave trépas, 6+6 a
Me ronge, et j'ai la chairtoute déchiquetée. 6+6 b
240 Je suis la créatureimmonde et redoutée. 6+6 b
La terre ne m'a prisque pour me rejeter. 6+6 a
Les buissons ont pitiéde me voir végéter ; 6+6 a
Ce qu'ils ont en bourgeonssur moi crt en pustules. 6+6 b
Ma peau, quand je suis nu,fait peur aux tarentules. 6+6 b
245 De loin, au chevrier,au pâtre, au laboureur, 6+6 a
J'apparais, spectre, avecle masque de l'horreur. 6+6 a
La lèpre erre sur moicomme un lierre sur l'orme. 6+6 b
La sève qui, gonflanttout de son flot énorme, 6+6 b
Emplit de lionceauxles antres, les doux nids 6+6 a
250 De soupirs, de rameauxles arbres rajeunis, 6+6 a
La rose de parfumset l'espace de mondes, 6+6 b
Me fait manger vivantpar des bêtes immondes ! 6+6 b
Je suis le souffle pesteet le toucher poison ; 6+6 a
Je suis dans une plaieun esprit en prison, 6+6 a
255 Âme qui pleure au fondd'une fange qui saigne, 6+6 b
Je suis ce que le piedfoule, écrase et dédaigne, 6+6 b
L'ordure, le rebut,le crapaud du chemin, 6+6 a
Le crachat de la vieau front du genre humain. 6+6 a
Je me tords, enviantla beauté des chenilles. 6+6 b
260 Mon reflet rend la sourcehorrible ; mes guenilles 6+6 b
Montrent ma chair, ma chairmontre mes os ; je suis 6+6 a
L'abjection du jour,l'infection des nuits. 6+6 a
Ainsi qu'un fruit pourri,la vie est dans ma bouche. 6+6 b
J'ai beau me retournersur la cendre je couche, 6+6 b
265 Je ressemble au remordsqui ne peut pas dormir. 6+6 a
Quand je sors, ma maisona l'air de me vomir ; 6+6 a
Quand je rentre, je sensme résister ma porte. 6+6 b
Seigneur ! Seigneur ! je suisimportun au cloporte, 6+6 b
Le chien me fuit, l'oiseaucraint mon front qui pâlit, 6+6 a
270 Et le porc monstrueuxregarde mal mon lit. 6+6 a
Sous votre ciel profondet bleu, mon âme est seule. 6+6 b
Ma bouche n'ose pasmême baiser la gueule. 6+6 b
L'antre en me voyant grondeet devient soucieux. 6+6 a
Chaque jour rayonnantqui passe sous les cieux 6+6 a
275 Est un bourreau qui vientme trner dans la claie. 6+6 b
Le tesson du bourbier,dont j'ai raclé ma plaie, 6+6 b
Va s'en plaindre à la fangeet dit : il m'a sali. 6+6 a
Tout est votre penséeet je suis votre oubli, 6+6 a
Seigneur ; le mal me tientsous sa griffe cruelle. 6+6 b
280 Des enfants en riantm'ont cassé mon écuelle ; 6+6 b
Je n'ai plus que ma mainlépreuse pour puiser 6+6 a
L'eau dans le creux du roc l'air vient la verser, 6+6 a
De sorte qu'à présentje bois dans mon ulcère. 6+6 b
Seigneur ! Seigneur ! je suisdans le cachot misère. 6+6 b
285 La création voitma face et dit : dehors ! 6+6 a
La ville des vivantsme repousse, et les morts 6+6 a
Ne veulent pas de moi,dégt des catacombes. 6+6 b
Le ver des lèpres faithorreur au ver des tombes. 6+6 b
Dieu ! je ne suis pas mortet ne suis pas vivant. 6+6 a
290 Je suis l'ombre qui souffre,et les hommes trouvant 6+6 a
Que pour l'être qui pleureet qui rampe et se trne, 6+6 b
C'était trop peu du chancre,ont ajouté la haine. 6+6 b
Leur foule, ô Dieu, qui ritet qui chante, en passant 6+6 a
Me lapide saignant,expirant, innocent ; 6+6 a
295 Ils vont marchant sur moicomme sur de la terre ; 6+6 b
Je n'ai pas une plaie ne tombe une pierre. 6+6 b
Eh bien ! je suis content,Dieu, si je souffre seul ! 6+6 a
Eh bien ! je tire à moitous les plis du linceul 6+6 a
Pour qu'il n'en flotte riensur la tête des autres ! 6+6 b
300 Eh bien ! je ne sais pasquelles lois sont les vôtres, 6+6 b
Mais, dans mon anathèmeet mon accablement, 6+6 a
Je le dis, puisse, ô Dieudu profond firmament, 6+6 a
Du fond de ma nuit noire,en ce monde nous sommes, 6+6 b
Mon malheur rayonneren bonheur sur les hommes ! 6+6 b
305 Qu'ils vivent dans la joieet l'oubli, jamais las ! 6+6 a
Ce qu'il vous doit, ô Dieu,l'homme l'ignore hélas ! 6+6 a
Oh ! que je sois celuiqui pleure et qui rachète ! 6+6 b
Laissez-moi vous payerleur rançon en cachette, 6+6 b
Dieu bon, par qui Noëconnut le raisin mûr ! 6+6 a
310 Femmes qui, si ma têteose passer mon mur, 6+6 a
Si je tâche en passantde voir votre lumière, 6+6 b
Frémissantes, crachezsur ma pauvre chaumière, 6+6 b
Et qui vous enfuyezavec des cris d'effroi, 6+6 a
Que Dieu vous donne, hélas !L'amour qu'il m'ôte à moi ! 6+6 a
315 Je vous bénis. Chantezdans cette vie amère. 6+6 b
Petit enfant qui tiensla robe de ta mère, 6+6 b
Et qui, si tu me voissongeant sous l'infini, 6+6 a
Dis : Mère, quel est doncce monstre ? sois béni. 6+6 a
Vous hommes, qui riezdes pleurs de mes paupières, 6+6 b
320 O mes frères lointainsqui me jetez des pierres, 6+6 b
Soyez bénis ! bénissur terre et dans les cieux ! 6+6 a
Pères, dans vos enfants,et, fils, dans vos aïeux ! 6+6 a
Car, puisque l'eau veut bienque ma lèvre la touche, 6+6 b
La bénédictiondoit sortir de ma bouche, 6+6 b
325 Puisque mon bras peut prendreun fruit dans le chemin, 6+6 a
La bénédictiondoit tomber de ma main, 6+6 a
Et, Ciel, puisque mon œilvoit ta face éternelle, 6+6 b
La bénédictiondoit emplir ma prunelle ! 6+6 b
Oui, j'ai le droit d'aimer !J'ai le droit de pencher 6+6 a
330 Mon cœur sur l'homme, l'arbreet l'onde et le rocher ; 6+6 a
J'ai le droit de sacrerla terre vénérable 6+6 b
Étant le plus abjectet le plus misérable ! 6+6 b
Je dois bénir le plusétant le plus maudit. 6+6 a
Donc, terre, monts sacrésdont Adam descendit, 6+6 a
335 Fleuves, je vous bénis,et je vous bénis, plaines ; 6+6 b
Vous tous, êtres ! oiseaux,moutons aux blondes laines, 6+6 b
Fourmis des bois, pasteursdans vos tentes de crin, 6+6 a
Toi, mer, qui resplendiscomme un liquide airain, 6+6 a
Bêtes qui ressemblezà des branches horribles, 6+6 b
340 Fleurs dont les parfums sontdes rayons invisibles, 6+6 b
Ciel qui nous dis tout basdans l'ombre : je suis près ; 6+6 a
Nocturnes profondeursdes muettes forêts, 6+6 a
Sources qui répandezvos murmures dans l'herbe, 6+6 b
Joncs frémissants qu'émeutle souffle, né du verbe, 6+6 b
345 Bœuf qui mugis, lionqui vas, chevreau qui pais, 6+6 a
Soyez dans la lumièreet soyez dans la paix ! 6+6 a
Moi je dois me cacher,l'homme n'est pas mon hôte ; 6+6 b
J'ai la nuit. Pourquoi suis-jehorrible ? C'est ma faute. 6+6 b
Pardonnez-moi ! pardon,ô femme ! pardon, fleur ! 6+6 a
350 Pardon, jour ! — entrouvrantses lèvres de douleur, 6+6 a
Mon ulcère, ô vivants,tâche de vous sourire. 6+6 b
Oui, vous avez bien fait,frères, de me proscrire 6+6 b
Puisque je souffrais tantque je vous faisais peur. 6+6 a
C'est de l'amour qui sortquand vous broyez mon cœur. 6+6 a
355 Le lépreux y consent,vivez, homme et nature ! 6+6 b
Dans le ciel radieuxje jette ma torture, 6+6 b
Ma nuit, ma soif, ma fièvreet mes os chassieux, 6+6 a
Et le pus de ma plaieet les pleurs de mes yeux, 6+6 a
Je les sème au sillondes splendeurs infinies, 6+6 b
360 Et sortez de mes maux,biens, vertus, harmonies ! 6+6 b
Répands-toi sur la vieet la création, 6+6 a
Sur l'homme et sur l'enfant,lèpre ! et deviens rayon ! 6+6 a
Sur mes frères que l'ombreaveugle de ses voiles, 6+6 b
Pustules, ouvrez-vouset semez les étoiles ! 6+6 b
365 O Dieu ! dont ici-bastout n'est que la vapeur, 6+6 a
O Dieu, rayonnementqu'adore ma stupeur, 6+6 a
O Dieu, qui portez l'astreet tenez le tonnerre, 6+6 b
Clarté que l'aigle montreaux aiglons dans son aire, 6+6 b
Âme ! abîme ! écoutezla prière du ver ! 6+6 a
370 Faites devant l'étédécrtre l'âpre hiver, 6+6 a
La triste nuit devantl'aurore, les misères 6+6 b
Devant l'homme, les mauxdevant le bien, les serres 6+6 b
Devant le doux oiseau,les loups devant le daim ! 6+6 a
Ramenez par la mainle couple dans Éden. 6+6 a
375 Réconciliez l'être,ô père, avec les choses. 6+6 b
Arrachez doucementles épines des roses. 6+6 b
Faites que la brebisadmire le lion. 6+6 a
Supprimez le combat,le choc, le talion ; 6+6 a
Soufflez sur les fureurset les horreurs humaines, 6+6 b
380 Et faites une fleuravec toutes ces haines ! 6+6 b
Versez sur tous leurs frontsla sereine beauté. 6+6 a
O songeur de l'obscureet calme éternité, 6+6 a
Être mystérieuxdont les sphères débordent, 6+6 b
Dieu ! faites se baiserles bouches qui se mordent ; 6+6 b
385 Emplissez de bonheurles rameaux verts, mettez 6+6 a
La femme dans la grâceet l'homme à ses côtés ; 6+6 a
Faites mûrir le fruit ;faites lâcher la proie ; 6+6 b
Faites des berceaux blancssortir un bruit de joie, 6+6 b
Crtre le lys, fleurirl'arbre, rire le jour, 6+6 a
390 Et sous l'immense azurchanter l'immense amour ! 6+6 a
Et les astres voyaientdans les splendeurs profondes, 6+6 b
Pendant que, bénissantl'homme, les plaines blondes, 6+6 b
Les grands fleuves, les bois,les monts silencieux, 6+6 a
S'ouvrait et se dressaitlentement vers les cieux, 6+6 a
395 La main du lépreux, noire,affreuse, triste et frêle, 6+6 b
La main de Jéhovahse lever derrière elle. 6+6 b
STROPHE TROISIÈME
SELON ORPHÉE ET SELON MELCHISÉDECH
I
Dans son désœuvrementNemrod, d'ombre chargé, 6+6 a
Ravagea de nouveaule monde ravagé, 6+6 a
Recommença, brûladeux fois les mêmes villes, 6+6 b
400 Rougit la vaste merdu flamboiement des îles, 6+6 b
Brûla Ségor, brûlaGergesus, brûla Tyr. 6+6 a
Puis, ayant tout détruit,il se mit à bâtir. 6+6 a
Il construisit Achad,il créa Babylone, 6+6 b
Il bâtit Gour dans l'ombre le vent tourbillonne, 6+6 b
405 Resen dans les palmiers,Chalanné sur les monts ; 6+6 a
Lieux qu'on ne nommait pascomme nous les nommons. 6+6 a
Il fit, pour abriterPytiunte et Dioscure, 6+6 b
Un mur énorme au fondde la Tauride obscure ; 6+6 b
Il habilla d'acierses soldats triomphants ; 6+6 a
410 Il fit trembler des toursau dos des éléphants ; 6+6 a
Il troua le Caucaseébranlé sur son axe ; 6+6 b
Il versa dans la merle Cyrus et l'Araxe ; 6+6 b
Mais rien n'emplit son âme ;il disait : J'ai vécu. 6+6 a
Que faire ? et, chaque jour,plus las et plus vaincu, 6+6 a
415 Morne, il sentait monterdans son cœur solitaire 6+6 b
L'immense ennui d'avoirconquis toute la terre. 6+6 b
II
L'an deux mille, Nemrod,passant les flots émus, 6+6 a
Vint jusqu'à Dodanimque nous nommons l'Hémus. 6+6 a
Là, dans un noir désertdont le lion est l'hôte, 6+6 b
420 Il entendit quelqu'unqui parlait à voix haute. 6+6 b
C'était Orphée. Orphéeau front calme, écouté 6+6 a
Par la sombre natureémue à sa clarté, 6+6 a
Homme à qui se frottaitle dos des bêtes fauves, 6+6 b
Racontait aux forêts,aux vents, aux vieux monts chauves, 6+6 b
425 La bataille les dieuxvainquirent les typhons. 6+6 a
Voici ce que disaitOrphée aux bois profonds : 6+6 a
« Les géants n'avaient plusde montagnes. Leur fuite 6+6 b
« Commençait, et l'Europeétait presque détruite. 6+6 b
« Ils avaient entasséPinde, Ossa, Pélion, 6+6 a
430 « Rhodope, et ces monts noirsd' fuyait le lion, 6+6 a
« Nus, renversés, fumaientd'éclairs et de brûlures, 6+6 b
« Et leurs torrents pendaientcomme des chevelures. 6+6 b
« Et les géant s couraientvers les mers fut Tyr. 6+6 a
« Ils voyaient les dieux vaincre,et Neptune engloutir 6+6 a
435 « Oromédon sous Cos,Polybe sous Nisyre. 6+6 b
« Thryx embrasé fondaitcomme un flambeau de cire. 6+6 b
« Porphyrion, levantses mains vides, criait 6+6 a
« A la terre, rôdantau loin, spectre inquiet : 6+6 a
« Mais apporte-nous doncune montagne, mère ! 6+6 b
440 « Crès, par la foudre étreint,lui jetait l'onde amère. 6+6 b
« Andès, frère d'Astréeet père de Thallo, 6+6 a
« S'en allait à grands pasau plus profond de l'eau, 6+6 a
« Et jusqu'à la ceintureavait la mer Égée ; 6+6 b
« Zéus Jupiter vint,la main d'éclairs chargée, 6+6 b
445 « Et lui cria : Sois pierre,ô monstre ! Et leant 6+6 a
« Vit Zéus, devint rocheet s'arrêtaant. 6+6 a
« Et Titan dit : Merci !tu nous donnes des armes ! 6+6 b
« Et, pendant que tremblaitla terre, aïeule en larmes, 6+6 b
« Il courut, et, prenantAndès par le milieu, 6+6 a
450 « Il jeta le géantà la tête du dieu 6+6 a
Et Nemrod rêveur dit :Titan est mon ancêtre. 6+6 b
Il revint vers les monts l'on voit l'aube ntre ; 6+6 b
Il rentra dans Assurque la splendeur revêt. 6+6 a
Son glaive, d' la guerreétait sortie, avait 6+6 a
455 Une tache inconnue,empreinte indélébile, 6+6 b
Que Nemrod par momentscontemplait immobile. 6+6 b
Un soir, dans un lieu sombre marchait ce bandit, 6+6 a
Une voix qui parlaitdans un rocher, lui dit : 6+6 a
— Passe, Dieu reste. — Et lui,cria : J'ai pour royaume 6+6 b
460 Le monde ; toi, qu'es-tu ?— La voix reprit : — Fantôme, 6+6 b
Je suis Melchisédech,je vivrai dans mille ans. — 6+6 a
Nemrod dit : — Qu'as-tu vudepuis que dans ses flancs 6+6 a
Ce roc t'enferme ? — Et l'êtreenfoui sous la pierre 6+6 b
Dit : « — Je suis âme, et l'âmeest un œil sans paupière. 6+6 b
465 « Le monde a commencépar être horrible. Avant 6+6 a
« Que le front se dressâtplein de l'esprit vivant, 6+6 a
« Avant que, dominantl'animal et la plante, 6+6 b
« La pensée habitâtla prunelle parlante, 6+6 b
« Et qu'Adam, par la maintenant Ève, apparût, 6+6 a
470 « L'ébauche fourmillaitdans la nature en rut, 6+6 a
« Le poulpe auxbras touffus,la torpille étoilée, 6+6 b
« D'immenses vers volants,dont l'aile était onglée, 6+6 b
« De hauts mammons velus,nés dans les noirs limons, 6+6 a
« Troublaient l'onde, ou levaientleurs trompes sur les monts. 6+6 a
475 « Sous l'enchevêtrementdes forêts inondées 6+6 b
« Glissaient des mille-pieds,long de cinq cent coudées, 6+6 b
« Et de grands vibrions,des volvoces géants 6+6 a
« Se tordaient à traversles glauques oans. 6+6 a
« L'être était effrayant.La vie était difforme. 6+6 b
480 « Partout rampait l'impur,l'affreux, l'obscur, l'énorme. 6+6 b
« La vermine habitaitle globe chevelu. 6+6 a
« Et l'homme était absent ;Dieu n'ayant pas voulu 6+6 a
« Donner ce noir spectacleà voir à l'âme humaine. 6+6 b
« Satan, dans ce lugubreet féroce domaine, 6+6 b
485 « Passait, comme un chasseurqui souffle dans son cor ; 6+6 a
« Mais, avant ce temps-là,c'était plus sombre encor. 6+6 a
« Tout l'univers n'étaitqu'une morne fumée. 6+6 b
« Ainsi que des oiseauxdans une main fermée, 6+6 b
« L'horreur tenait captifsle germe et l'élément. 6+6 a
490 « Un tout, qui n'était rien,vivait confusément. 6+6 a
« Des apparitionsflottaient sur l'insondable. 6+6 b
« Au fond de cette brumeétrange et formidable, 6+6 b
« Comme si, quoique rienne fût encor puni, 6+6 a
« Le gouffre t essayéd'engloutir l'infini, 6+6 a
495 « On voyait, aux lueurdes visions funèbres, 6+6 b
« S'ouvrir et se fermerla gueule des ténèbres. 6+6 b
« Partout apparaissait,à l'œil épouvanté, 6+6 a
« La face du néant,faite d'obscurité. 6+6 a
« A chaque instant, le fondredevenait la cîme ; 6+6 b
500 « Et, comme une nuéeau-dessus d'un abîme, 6+6 b
« Dans cette ombre rampaientles larves des fléaux, 6+6 a
« Le monstre Nuit planaitsur la bête Chaos. 6+6 a
« C'était ainsi quand Dieuse levant, dit à l'ombre : 6+6 b
« Je suis. Ce mot créales étoiles sans nombre, 6+6 b
505 « Et Satan dit à Dieu :Tu ne seras pas seul. » 6+6 a
Nemrod pensif cria :— Satan est mon aïeul. 6+6 a
III
Il resta trente joursau fond des solitudes 6+6 b
Rêvant parmi les rocsaux sombres attitudes ; 6+6 b
Quand il revint son œilbrillait comme un flambeau. 6+6 a
510 Son eunuque Zaïm,plus noir que le tombeau, 6+6 a
Se prosternant, lui dit :— Roi, vous avez la terre. 6+6 b
Vous êtes roi d'Assur,dont Tyr est tributaire. 6+6 b
Il a suffi qu'Assurvînt pour qu'il triomphât 6+6 a
Aux sources de Cadèsqu'on nomme aussi Misphat. 6+6 a
515 Dieu règne moins que vous.Votre face est sacrée. 6+6 b
Et vous faites couler,sur la terre qu'il crée, 6+6 b
Des rivières de sangprès de ses fleuves d'eau. 6+6 a
L'homme porte Nemrod,et l'âne son fardeau. 6+6 a
A qui sont les palmiersd'Édom, l'herbe fleurie 6+6 b
520 D'Hébron, les trois cents toursqui gardent Samarie ? 6+6 b
A vous. A qui les fronts,les yeux et les genoux 6+6 a
Des vieillards, des enfantset des femmes ? A vous. 6+6 a
A qui l'Ibère brunqui parle avec emphase ? 6+6 b
A vous. Sarapanis,citadelle de Phase ? 6+6 b
525 A vous. Vous avez pris,sous les dattiers lointains, 6+6 a
Sa ville à Phetrusim,père des philistins. 6+6 a
Le Nil est votre chien,Thèbe est votre captive. 6+6 b
Trois chars passent de frontsur les murs de Ninive ; 6+6 b
Et Ninive est à vous.Gour veut vous obéir. 6+6 a
530 Sidon, les horréensdans les monts de Seïr, 6+6 a
Ophir, les bijoutiersqui sculptent les ivoires 6+6 b
Dans Cariathaïm,la ville aux portes noires, 6+6 b
Tout est à vous ; Sichem,Chanaan, Hazerod. 6+6 a
Il ne reste plus rien.
— Que le ciel, dit Nemrod. 6+6 a
STROPHE QUATRIÈME
L'EXODE DE NEMROD
I
535 Il s'en retourna seulau désert ; et cet homme, 6+6 b
Ce chasseur, c'est ainsique la terre le nomme, 6+6 b
Avait un projet sombre ;et les vagues démons 6+6 a
Se le montraient du doigt.Il prit sur de grands monts 6+6 a
Que battaient la nuéeet l'éclair et la grêle, 6+6 b
540 Quatre aigles qui passaientdans l'air, et sous leur aile 6+6 b
Il mit tout ce qu'il putde la foudre et des vents. 6+6 a
Puis il écartela,hurlant, mordant, vivants, 6+6 a
Entre ses poings de fer,quatre lions lybiques, 6+6 b
Et suspendit leurs chairsau bout de quatre piques. 6+6 b
545 Puis le géant rentradans Suze aux larges tours, 6+6 a
Et songea trente jours ;au bout des trente jours, 6+6 a
Nemrod prit dans sa mainles aigles, sur sa nuque 6+6 b
Chargea les lions morts,et, suivi de l'eunuque, 6+6 b
S'en alla vers le montArarat, grand témoin. 6+6 a
550 Il monta vers la cime les peuples de loin 6+6 a
Voyaient trembler au ventle squelette de l'arche. 6+6 b
Il atteignit le fteen deux heures de marche. 6+6 b
L'arche en voyant Nemrodtrembla. Le dur chasseur 6+6 a
Prit ces débris, verdisdans leur lourde épaisseur 6+6 a
555 Par la terre mouillée,antique marécage, 6+6 b
Et de ces madriersconstruisit une cage, 6+6 b
Chevillée en airain,carrée, à quatre pans, 6+6 a
Et sur les trous du boismit des peaux de serpents ; 6+6 a
Et cette cage, vasteet sinistre tanière, 6+6 b
560 Pour toute porte avaitdeux trappes à charnière, 6+6 b
L'une dans le plafond,l'autre dans le plancher. 6+6 a
Et l'eunuque tremblaitet n'osait approcher. 6+6 a
Nemrod debout foulaitle pic inabordable. 6+6 b
Il allait et venait,charpentier formidable ; 6+6 b
565 La terre l'écoutaitremuer sur le mont ; 6+6 a
Le bruit de son marteau,troublant l'éther profond, 6+6 a
Faisait au loin leverla tête aux monts Carpathes ; 6+6 b
Accroupis, devant Thèbeallongeant leurs deux pattes, 6+6 b
De leur œil fixe l'ombrea l'air de rayonner, 6+6 a
570 Les sphynx le regardaient,cherchant à deviner. 6+6 a
Et la mer Caspienneen bas rongeait la grève. 6+6 b
Au bout d'un long sapinil attacha son glaive, 6+6 b
Puis pesa dans sa maince vaste javelot, 6+6 a
Et dit : c'est bien. Le montqu'avait couvert le flot 6+6 a
575 Et qui connaissait Dieu,frémit sous sa pensée. 6+6 b
II
Par une corde au solla cage était fixée. 6+6 b
Il mit aux quatre coinsles quatre aigles béants. 6+6 a
Il leur noua la serreavec ses doigts géants 6+6 a
Et les monts entendaientles durs oiseaux se plaindre. 6+6 b
580 Puis il lia, si hautqu'ils n'y pouvaient atteindre, 6+6 b
Au-dessus de leurs frontsinondés de rayons 6+6 a
Les piques pendaientla viande des lions ; 6+6 a
Nemrod dans ce char, noircomme l'antique Érèbe, 6+6 b
Mit un siège pareilà son trône de Thèbe, 6+6 b
585 Et cent pains de maïset cent outres de vin. 6+6 a
Zaïm n'essayait pasmême un murmure vain ; 6+6 a
Et dans la cage, auprèsde sa chaise thébaine, 6+6 b
Le roi fit accroupirl'eunuque au front d'ébène ; 6+6 b
Et les cèdres disaient :Que va-t-il se passer ? 6+6 a
590 Sur la cage inquièteet prête à traverser 6+6 a
Des horizons nouveauxet d'étranges tropiques, 6+6 b
Les quatre aigles criaientau pied des quatre piques. 6+6 b
Alors, une tiareau front comme Mithra, 6+6 a
Nemrod, son arc au dos,sa flèche au poing, entra 6+6 a
595 Dans la cage, et le roctressaillit sur sa base ; 6+6 b
Et lui, sans prendre gardeaux frissons du Caucase, 6+6 b
Vieux mont qui songe à Dieusous les soirs étoilés, 6+6 a
Coupa la corde, et ditaux quatre aigles : Allez. 6+6 a
Et d'un bond les oiseauxeffrayants s'envolèrent. 6+6 b
III
600 Et dans l'immensitéque les astres éclairent, 6+6 b
La cage s'éleva,liée à leurs pieds noirs. 6+6 a
Alors, tandis qu'en basles lacs, vastes miroirs, 6+6 a
Les palmiers verts, les champsrayés par les cultures, 6+6 b
Horeb et Sinaï,sombres architectures, 6+6 b
605 Et les bois et les toursrampaient, et qu'emportés 6+6 a
Dans l'air, battant de l'aileau milieu des clartés, 6+6 a
Les quatre aigles cherchaientdu bec la chair sanglante, 6+6 b
Il sortit presque horsde la cage volante, 6+6 b
Farouche, et regardales montagnes d'Assur 6+6 a
610 Qui, s'enfonçant avecleurs forêts dans l'azur, 6+6 a
Semblaient tomber, dans l'ombreau loin diminuées, 6+6 b
Et s'écria, penchésur le gouffre :
O nuées, 6+6 b
Nemrod, le conquérantde la terre, s'en va ! 6+6 a
Je t'avertis là-haut,Jéhovah ! Jéhovah ! 6+6 a
615 C'est moi. C'est moi qui passe,ô monts aux cimes blanches, 6+6 b
Bois, regardez monterl'homme à qui sont vos branches, 6+6 b
Mer, regarde monterl'homme à qui sont tes flots, 6+6 a
Morts, regardez monterl'homme à qui sont vos os ! 6+6 a
Terre, herbes que les ventscourbent sous leurs haleines, 6+6 b
620 O déserts, noirs vallons,lacs, rochers, grandes plaines, 6+6 b
Levez vos fronts sans nombreet vos millions d'yeux, 6+6 a
Je m'en vais conquérirle ciel mystérieux ! 6+6 a
IV
Et l'esquif monstrueuxse ruait dans l'espace. 6+6 b
Les noirs oiseaux volaient,ouvrant leur bec rapace. 6+6 b
625 Les invisibles yeuxqui sont dans l'ombre épars 6+6 a
Et dans le vague azurs'ouvrent de toutes parts, 6+6 a
Stupéfaits, regardaientla sinistre figure 6+6 b
De ces brigands ailésà l'immense envergure, 6+6 b
Et le char vision,tout baigné de vapeur, 6+6 a
630 Montait ; les quatre ventsn'osaient souffler de peur 6+6 a
De voir se hérisserle poitrail des quatre aigles. 6+6 b
Plus sans frein, sans repos,sans relâche et sans règles, 6+6 b
Les aigles s'élançaientvers les lambeaux hideux, 6+6 a
Plus le but reculantmontait au-dessus d'eux, 6+6 a
635 Et, criant comme un bœufqui réclame l'étable, 6+6 b
Les grands oiseaux, trnantla cage redoutable, 6+6 b
Le poursuivaient toujourssans l'atteindre jamais. 6+6 a
Et pendant qu'ils montaient,gouffres noirs, clairs sommets, 6+6 a
Tout s'effarait ; l'étrusque,et l'osque, et le pélasge 6+6 b
640 Disaient : — Qu'est-ce que c'estque ce sombre attelage ? 6+6 b
Est-ce le char sontles orages grondants ? 6+6 a
Est-ce un tombeau qui monteavec l'âme dedans ? — 6+6 a
Pharan, Nachor, Séphar,solitudes maudites, 6+6 b
Les colosses gardiensdes cryptes troglodytes, 6+6 b
645 Les faucons de la mer,les mouettes, les plongeons, 6+6 a
L'homme du bord des eauxdans sa hutte de joncs, 6+6 a
Chalanné, devant quiThèbes semblait petite, 6+6 b
Gomorrhe, fiancéeau noir lac asphaltite, 6+6 b
Sardes, Ninive, Tyr,maintenant sombre amas, 6+6 a
650 Hoba, ville qu'on voità gauche de Damas, 6+6 a
Édom sous le figuier,Saba sous le lentisque, 6+6 b
Avaient peur ; Ur tremblait ;et les joueurs de disque 6+6 b
S'interrompaient, levantla tête et regardant ; 6+6 a
Les chameaux, dont le coudort sur le sable ardent, 6+6 a
655 Ouvraient l'œil ; le lézardse dressait sous le lierre, 6+6 b
Et la ruche disait :vois ! à la fourmilière. 6+6 b
Le nuage hésitaitet rentrait son éclair ; 6+6 a
La cigogne lâchaitla couleuvre dans l'air ; 6+6 a
Et la machine ailéeen l'azur solitaire 6+6 b
660 Fuyait, et pour la voirvint de dessous la terre 6+6 b
Un oiseau qu'aujourd'huinous nommons le condor. 6+6 a
Et la mer d'Ionie,aux grandes îles d'or, 6+6 a
Ce gouffre bleu d' sortl'odeur des violettes, 6+6 b
Frissonnait ; dans les champsde meurtre, les squelettes 6+6 b
665 Se parlaient ; le sépulcreau fronton nubien, 6+6 a
Le chêne qui salueet dit à Dieu : c'est bien ! 6+6 a
Et l'antre les lionssongent près des prophètes, 6+6 b
Tremblaient de voir courircette ombre sur leurs têtes 6+6 b
Et regardaient passercet étrange astre noir. 6+6 a
670 Et Babel s'étonnait.Calme comme le soir 6+6 a
Nemrod rêvait au fondde la cage fermée. 6+6 b
Et les puissants oiseaux,la prunelle enflammée, 6+6 b
Montaient, montaient sans cesse,et volant, furieux, 6+6 a
Vers la chair, le faisaientenvoler vers les cieux. 6+6 a
675 Symbole de nos senslorsqu'allant vers la femme, 6+6 b
Éperdus, dans l'amourils précipitent l'âme. 6+6 b
Mais l'amour n'était pasau cœur du dur chasseur. 6+6 a
Isis montrait ce charà Cybèle sa sœur. 6+6 a
Dans les temples profondsde Crète et de Tyrrhène 6+6 b
680 Les dieux olympiensà la face sereine 6+6 b
Écoutaient l'affreux voldes quatre alérions. 6+6 a
Même aujourd'hui, l'arabe,à l'heure nous prions, 6+6 a
Cherche s'il ne va pasvoir encor dans l'espace 6+6 b
La constellationdes quatre aigles qui passe ; 6+6 b
685 Et, dans l'Afrique ardente meurt le doux gazon, 6+6 a
Morne terre qui voittoujours à l'horizon 6+6 a
Nemrod, l'homme effrayant,debout, spectre de gloire, 6+6 b
Le pâtre, si son œiltrouve une tâche noire 6+6 b
Sur le sable vivaientSidon et Sarepta, 6+6 a
690 Devient pensif et dit :C'est l'ombre qu'il jeta. 6+6 a
V
Et les aigles montaient.
Leurs ailes éperdues 6+6 b
Faisaient, troublant au loinles calmes étendues, 6+6 b
Un vaste tremblementdans l'immobilité ; 6+6 a
Autour du char vibraitl'éther illimité, 6+6 a
695 Mer que Dieu jusque-làseul avait remuée. 6+6 b
Comme ils allaient franchirla dernière nuée, 6+6 b
Les monts noirs qui gisaientsur terre, soucieux, 6+6 a
Virent le premier aigleescaladant les cieux 6+6 a
Comme s'il ne devaitjamais en redescendre, 6+6 b
700 Se tourner vers l'auroreet crier : Alexandre ! 6+6 b
Le deuxième criadu côté du midi : 6+6 a
Annibal ! Le troisième,à l'œil fixe et hardi, 6+6 a
Sur le rouge occidentjeta ce cri sonore : 6+6 b
César ! Le dernier, vasteet plus terrible encore, 6+6 b
705 Fit dans le sombre azursigne au septentrion 6+6 a
Ouvrit son bec de flammeet dit : Napoléon ! 6+6 a
STROPHE CINQUIÈME
LA TRAPPE D'EN BAS ET LA TRAPPE D'EN HAUT
I
L'infini se laissaitpousser comme une porte ; 6+6 b
Et tout le premier jourse passa de la sorte ; 6+6 b
Et les aigles montaient.
Or Nemrod, sans le voir, 6+6 a
710 Sentit, au souffle obscurqui se répand le soir, 6+6 a
Que la nuit folle allaitcouvrir sa pâle crypte ; 6+6 b
Les mains sur les genouxcomme l'Hermès d'Égypte, 6+6 b
Il dit au noir : — Hibouque ma droite soutient, 6+6 a
Vois comment est la terreet ce qu'elle devient. — 6+6 a
715 L'eunuque ouvrit la trappeen bas, et dit : — La terre, 6+6 b
Tachée et jaune ainsiqu'une peau de panthère, 6+6 b
Emplit l'immensité ;dans l'espace changeant 6+6 a
Les fleuves sont éparscomme des fils d'argent ; 6+6 a
Notre ombre noire courtsur les collines vertes ; 6+6 b
720 De vos ennemis mortsles plaines sont couvertes 6+6 b
Comme d'épis fauchésau temps de la moisson ; 6+6 a
Les villes sont en flammeautour de l'horizon ; 6+6 a
O Roi, vous êtes grand.Malheur à qui vous brave ! 6+6 b
Approchons-nous du ciel,dit Nemrod ? — et l'esclave 6+6 b
725 Ouvrit la trappe hauteet dit : — Le ciel est bleu. 6+6 a
II
Et les aigles montaient.
L'espace sans milieu 6+6 a
Ne leur résistait paset cédait à leurs ailes ; 6+6 b
L'ombre, les soleils sontcomme des étincelles, 6+6 b
Laissait passer ce charplein d'un sombre projet. 6+6 a
730 Lorsque l'eunuque avaitfaim ou soif, il mangeait ; 6+6 a
Et Nemrod regardait,muet, cette chair noire 6+6 b
Prendre un pain et manger,percer une outre et boire ; 6+6 b
Le chasseur infernalqui se croyait divin 6+6 a
Songeait, et, dédaignantle maïs et le vin, 6+6 a
735 Il buvait et mangeait,cet homme de désastres, 6+6 b
L'orgueil d'être trnépar les aigles aux astres. 6+6 b
Sans dire un mot, sans faireun geste, il attendit, 6+6 a
Rêveur une semaineentière, puis il dit : 6+6 a
— Vois comment est la terre.Et l'eunuque difforme 6+6 b
740 Dit : — La terre appartcomme une sphère énorme 6+6 b
Et pâle, et les vapeurs,à travers leurs réseaux, 6+6 a
Laissent voir par momentsles plaines et les eaux. — 6+6 a
Nemrod dit : — Et le ciel ?— Zaïm reprit : — Roi sombre, 6+6 b
Le ciel est bleu. —
III
Le ventsoufflait en bas dans l'ombre. 6+6 b
Et les aigles montaient.
745 Et Nemrod attendit 6+6 a
Un moi ; montant toujours ;puis il cria : — Maudit, 6+6 a
Regarde en bas et voisce que devient la terre. — 6+6 b
Zaïm dit : — Roi, sous quila foudre doit se taire, 6+6 b
La terre est un point noiret semble un grain de mil. — 6+6 a
750 Et Nemrod fut joyeux.— Nous approchons, dit-il. 6+6 a
Vois ! regarde le cielmaintenant. Il doit être 6+6 b
Plus près. — Zaïm levala trappe et dit : — O mtre, 6+6 b
Le ciel est bleu. —
IV
Le venttriste soufflait en bas ; 6+6 a
Et les aigles montaient.
L'archer des noirs combats 6+6 a
755 Attendit, sans qu'un souffleéchappât à son âme, 6+6 b
Un an, montant toujours,puis : — Chien que hait la femme, 6+6 b
Cria-t-il ! Vois ! La terrea-t-elle encor décru ? 6+6 a
L'eunuque répondit :— La terre a disparu ? 6+6 a
Roi, l'on ne voit plus riendans la profondeur sombre. 6+6 b
760 Nemrod dit : — Que m'importeune terre qui sombre ! 6+6 b
Vois comment est le ciel.Approchons-nous un peu ? 6+6 a
Regarde. — Et Zaïm dit :O roi, le ciel est bleu. 6+6 a
V
Le vent soufflait en bas.
Tournant son cou rapide, 6+6 b
Un aigle alors cria :— J'ai faim, homme stupide ! — 6+6 b
765 Et Nemrod leur donnal'eunuque à dévorer. 6+6 a
Les aigles montaient.
Rienne venait murmurer 6+6 a
Autour de la machineen sa course effrénée. 6+6 b
Nemrod, montant toujours,attendit une année, 6+6 b
Dans l'ombre, et le géant,durant ce noir chemin, 6+6 a
770 Compta les douze moissur les doigts de sa main ; 6+6 a
Quand l'an fut révolu,le sinistre satrape 6+6 b
Resté seul, n'ayant plusl'eunuque, ouvrit la trappe 6+6 b
Que le soleil dorad'une lueur de feu ; 6+6 a
Et regarda le ciel,et le ciel était bleu. 6+6 a
VI
775 Alors, son arc en main,tranquille l'homme énorme 6+6 b
Sortit hors de la cageet sur la plate-forme 6+6 b
Se dressa tout deboutet cria : Me voilà. 6+6 a
Il ne regarda rienen bas ; il contempla, 6+6 a
Pensif, les bras croisés,le ciel toujours le même ; 6+6 b
780 Puis, calme et sans qu'un plitremblât sur son front blême, 6+6 b
Il ajusta la flècheà son arc redouté. 6+6 a
Les aigles frissonnantsregardaient de côté. 6+6 a
Nemrod éleva l'arcau dessus de sa tête, 6+6 b
Le câble lâché fitle bruit d'une tempête, 6+6 b
785 Et, comme un éclair meurtquand on ferme les yeux, 6+6 a
L'effrayant javelotdisparut dans les cieux. 6+6 a
Et la terre entenditun long coup de tonnerre. 6+6 b
VII
Un mois après, la nuit,un pâtre centenaire 6+6 b
Qui rêvait dans la plaine Caïn prit Abel, 6+6 a
790 Champ hideux d' l'on voitle front noir de Babel, 6+6 a
Vit tout à coup tomberdes cieux, dans l'ombre étrange, 6+6 b
Quelqu'un de monstrueuxqu'il prit pour un archange ; 6+6 b
C'était Nemrod.
VIII
Couchésur le dos, mort, puni, 6+6 a
Le noir chasseur tournaitencor vers l'infini 6+6 a
795 Sa tête aux yeux profondsque rien n'avait courbée. 6+6 b
Auprès de lui gisaitsa flèche retombée. 6+6 b
La pointe, qui s'étaitenfoncée au ciel bleu, 6+6 a
Était teinte de sang.Avait-il blessé Dieu ? 6+6 a
STROPHE SIXIÈME
LES MAGES ATTENTIFS
Et Nemrod disparun'emporta pas la Guerre. 6+6 b
800 Elle resta, parlantplus haut que le tonnerre ; 6+6 b
Son regard au sillonfaisait rentrer l'épi ; 6+6 a
Et ce spectre, mille ans,sur le monde accroupi, 6+6 a
Lugubre, et comme un chienmâche un os, rongeant l'homme, 6+6 b
Couva l'œuf monstrueuxd' sortit l'aigle Rome. 6+6 b
805 Et pendant ce temps-là,comme parfois aux yeux 6+6 a
Une vapeur trahitun feu mystérieux, 6+6 a
Il sortait par endroitsde la terre nous sommes 6+6 b
D'affreux brouillards vivantsqui devenaient des hommes, 6+6 b
Puis des dieux, qu'on nommaitTeutatès, Mars, Baal, 6+6 a
810 Et qui semblaient avoiren eux l'âme du mal. 6+6 a
L'horreur, le sang, le deuilcouvraient la race humaine ; 6+6 b
Et les mages, que Dieudans le désert amène, 6+6 b
Collaient l'oreille au sable,et, de terreur ployés, 6+6 a
Frémissants, sous la terre,au-dessous de leurs pieds, 6+6 a
815 Ils entendaient quelqu'undans les nuits éternelles 6+6 b
Qui volait, et frappaitla vte de ses ailes. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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