Métrique en Ligne
HUG_12/HUG964
Victor HUGO
l'Art d'être grand-père
1877
XVIII
QUE LES PETITS LIRONT
QUAND ILS SERONT GRANDS
I
PATRIE
Ô France, ton malheur m'indigne et m'est sacré. 6+6 a
Je l'ai dit, et jamais je ne me lasserai 6+6 a
De le redire, et c'est le grand cri de mon âme, 6+6 b
Quiconque fait du mal à ma mère est infâme. 6+6 b
5 En quelque lieu qu'il soit caché, tous mes souhaits 6+6 a
Le menacent ; sur terre ou là-haut, je le hais. 6+6 a
César, je le flétris ; destin, je le secoue. 6+6 b
Je questionne l'ombre et je fouille la boue ; 6+6 b
L'empereur, ce brigand, le hasard, ce bandit, 6+6 a
10 Éveillent ma colère ; et ma strophe maudit 6+6 a
Avec des pleurs sanglants, avec des cris funèbres, 6+6 b
Le sort, ce mauvais drôle errant dans les ténèbres ; 6+6 b
Je rappelle la nuit, le gouffre, le ciel noir, 6+6 a
Et les événements farouches, au devoir. 6+6 a
15 Je n'admets pas qu'il soit permis aux sombres causes 6+6 b
Qui mêlent aux droits vrais l'aveuglement des choses 6+6 b
De faire rebrousser chemin à la raison ; 6+6 a
Je dénonce un revers qui vient par trahison ; 6+6 a
Quand la gloire et l'honneur tombent dans une embûche, 6+6 b
20 J'affirme que c'est Dieu lui-même qui trébuche ; 6+6 b
J'interpelle les faits tortueux et rampants, 6+6 a
La victoire, l'hiver, l'ombre et ses guet-apens ; 6+6 a
Je dis à ces passants quelconques de l'abîme 6+6 b
Que je les vois, qu'ils sont en train de faire un crime, 6+6 b
25 Que nous ne sommes point des femmes à genoux, 6+6 a
Que nous réfléchissons, qu'ils prennent garde à nous, 6+6 a
Que ce n'est pas ainsi qu'on doit traiter la France, 6+6 b
Et que, même tombée au fond de la souffrance, 6+6 b
Même dans le sépulcre, elle a l'étoile au front. 6+6 a
30 Je voudrais bien savoir ce qu'ils me répondront. 6+6 a
Je suis un curieux, et je gênerai, certe, 6+6 b
Le destin qu'un regard sévère déconcerte, 6+6 b
Car on est responsable au ciel plus qu'on ne croit. 6+6 a
Quand le progrès devient boiteux, quand Dieu décroît 6+6 a
35 En apparence, ayant sur lui la nuit barbare, 6+6 b
Quand l'homme est un esquif dont Satan prend la barre, 6+6 b
Il est certain que l'âme humaine est au cachot, 6+6 a
Et qu'on a dérangé quelque chose là-haut. 6+6 a
C'est pourquoi je demande à l'ombre la parole. 6+6 b
40 Je ne suis pas de ceux dont la fierté s'envole, 6+6 b
Et qui, pour avoir vu régner des ruffians 6+6 a
Et des gueux, cessent d'être à leur droit confiants ; 6+6 a
Je lave ma sandale et je poursuis ma route ; 6+6 b
Personne n'a jamais vu mon âme en déroute ; 6+6 b
45 Je ne me trouble point parce qu'en ses reflux 6+6 a
Le vil destin sur nous jette un Rosbach de plus ; 6+6 a
La défaite me fait songer à la victoire ; 6+6 b
J'ai l'obstination de l'altière mémoire ; 6+6 b
Notre linceul toujours eut la vie en ses plis ; 6+6 a
50 Quand je lis Waterloo, je prononce Austerlitz. 6+6 a
Le deuil donne un peu plus de hauteur à ma tête. 6+6 b
Mais ce n'est pas assez, je veux qu'on soit honnête 6+6 b
Là-haut, et je veux voir ce que les destins font 6+6 a
Chez eux, dans la forêt du mystère profond, 6+6 a
55 Car ce qu'ils font chez eux, c'est chez nous qu'on le souffre. 6+6 b
Je prétends regarder face à face le gouffre. 6+6 b
Je sais que l'ombre doit rendre compte aux esprits. 6+6 a
Je désire savoir pourquoi l'on nous a pris 6+6 a
Nos villes, notre armée, et notre force utile ; 6+6 b
60 Et pourquoi l'on filoute et pourquoi l'on mutile 6+6 b
L'immense peuple aimant d'où sortent les clartés ; 6+6 a
Je veux savoir le fond de nos calamités, 6+6 a
Voir le dedans du sort misérable, et connaître 6+6 b
Ces recoins où trop peu de lumière pénètre ; 6+6 b
65 Pourquoi l'assassinat du Midi par le Nord, 6+6 a
Pourquoi Paris vivant vaincu par Berlin mort, 6+6 a
Pourquoi le bagne à l'ange et le trône au squelette ; 6+6 b
Ô France, je prétends mettre sur la sellette 6+6 b
La guerre, les combats, nos affronts, nos malheurs, 6+6 a
70 Et je ferai vider leur poche à ces voleurs, 6+6 a
Car juger le hasard, c'est le droit du prophète. 6+6 b
J'affirme que la loi morale n'est pas faite 6+6 b
Pour qu'on souffle dessus là-haut, dans la hauteur, 6+6 a
Et qu'un événement peut être un malfaiteur. 6+6 a
75 J'avertis l'inconnu que je perds patience ; 6+6 b
Et c'est là la grandeur de notre conscience 6+6 b
Que, seule et triste, ayant pour appui le berceau, 6+6 a
L'innocence, le droit des faibles, le roseau, 6+6 a
Elle est terrible ; elle a, par ce seul mot : Justice, 6+6 b
80 Entrée au ciel ; et, si la comète au solstice 6+6 b
S'égare, elle pourrait lui montrer son chemin ; 6+6 a
Elle requiert Dieu même au nom du genre humain ; 6+6 a
Elle est la vérité, blanche, pâle, immortelle ; 6+6 b
Pas une force n'est la force devant elle ; 6+6 b
85 Les lois qu'on ne voit pas penchent de son côté ; 6+6 a
Oui, c'est là la puissance et c'est là la beauté 6+6 a
De notre conscience, — écoute ceci, prêtre, — 6+6 b
Qu'elle ne comprend pas qu'un attentat puisse être 6+6 b
Par quelqu'un qui serait juste, prémédité ; 6+6 a
90 Oui, sans armes, n'ayant que cette nudité, 6+6 a
Le vrai, quand un éclair tombe mal sur la terre, 6+6 b
Quand un des coups obscurs qui sortent du mystère 6+6 b
Frappe à tâtons, et met les peuples en danger, 6+6 a
S'il lui plaisait d'aller là-haut l'interroger 6+6 a
95 Au milieu de cette ombre énorme qu'on vénère, 6+6 b
Tranquille, elle ferait bégayer le tonnerre. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite de distiques
schéma : 48((aa))
logo du CRISCO logo de l'université