Métrique en Ligne
HUG_12/HUG960
Victor HUGO
l'Art d'être grand-père
1877
XV
LAUS PUERO
IX
Que voulez-vous ? L'enfant me tient en sa puissance ; 6+6 a
Je finis par ne plus aimer que l'innocence ; 6+6 a
Tous les hommes sont cuivre et plomb, l'enfance est or. 6+6 b
J'adore Astyanax et je gourmande Hector. 6+6 b
5 Es-tu sûr d'avoir fait ton devoir envers Troie ? 6+6 a
Mon ciel est un azur, qui, par instants, foudroie. 6+6 a
Bonté, fureur, c'est là mon flux et mon reflux, 6+6 b
Et je ne suis borné d'aucun côté, pas plus 6+6 b
Quand ma bouche sourit que lorsque ma voix gronde ; 6+6 a
10 Je me sens plein d'une âme étoilée et profonde ; 6+6 a
Mon cœur est sans frontière, et je n'ai pas d'endroit 6+6 b
Où finisse l'amour des petits, et le droit 6+6 b
Des faibles, et l'appui qu'on doit aux misérables ; 6+6 a
Si c'est un mal, il faut me mettre aux Incurables. 6+6 a
15 Je ne vois pas qu'allant du ciel au genre humain, 6+6 b
Un rayon de soleil s'arrête à mi-chemin ; 6+6 b
La modération du vrai m'est inconnue ; 6+6 a
Je veux le rire franc, je veux l'étoile nue. 6+6 a
Je suis vieux, vous passez, et moi, triste ou content, 6+6 b
20 J'ai la paternité du siècle sur l'instant. 6+6 b
Trouvez-moi quelque chose, et quoi que ce puisse être 6+6 a
D'extrême, appartenant à mon emploi d'ancêtre, 6+6 a
Blâme aux uns ou secours aux autres, je le fais. 6+6 b
Un jour, je fus parmi les vainqueurs, j'étouffais ; 6+6 b
25 Je sentais à quel point vaincre est impitoyable ; 6+6 a
Je pris la fuite. Un roc, une plage de sable 6+6 a
M'accueillirent. La Mort vint me parler. « Proscrit, 6+6 b
Me dit-elle, salut ! » Et quelqu'un me sourit, 6+6 b
Quelqu'un de grand qui rêve en moi, ma conscience. 6+6 a
30 Et j'aimai les enfants, ne voyant que l'enfance, 6+6 a
Ô ciel mystérieux, qui valût mieux que moi. 6+6 b
L'enfant, c'est de l'amour et de la bonne foi. 6+6 b
Le seul être qui soit dans cette sombre vie 6+6 a
Petit avec grandeur puisqu'il l'est sans envie, 6+6 a
C'est l'enfant.
35 C'est pourquoi j'aime ces passereaux. 6+6 b
Pourtant, ces myrmidons je les rêve héros. 6+6 b
France, j'attends qu'ils soient au devoir saisissables. 6+6 a
Dès que nos fils sont grands, je les sens responsables ; 6+6 a
Je cesse de sourire ; et je me dis qu'il faut 6+6 b
40 Livrer une bataille immense à l'échafaud, 6+6 b
Au trône, au sceptre, au glaive, aux Louvres, aux repaires. 6+6 a
Je suis tendre aux petits, mais rude pour les pères. 6+6 a
C'est ma façon d'aimer les hommes faits ; je veux 6+6 b
Qu'on pense à la patrie, empoignée aux cheveux 6+6 b
45 Et par les pieds traînée autour du camp vandale ; 6+6 a
Lorsqu'à Rome, à Berlin, la bête féodale 6+6 a
Renaît et rouvre, affront pour le soleil levant, 6+6 b
Deux gueules qui d'ailleurs s'entremordent souvent, 6+6 b
Je m'indigne. Je sens, ô suprême souffrance, 6+6 a
50 La diminution tragique de la France, 6+6 a
Et j'accuse quiconque a la barbe au menton ; 6+6 b
Quoi ! ce grand imbécile a l'âge de Danton ! 6+6 b
Quoi ! ce drôle est Jocrisse et pourrait être Hoche ! 6+6 a
Alors l'aube à mes yeux surgit comme un reproche, 6+6 a
55 Tout s'éclipse, et je suis de la tombe envieux. 6+6 b
Morne, je me souviens de ce qu'ont fait les vieux ; 6+6 b
Je songe à l'océan assiégeant les falaises, 6+6 a
Au vaste écroulement qui suit les Marseillaises, 6+6 a
Aux portes de la nuit, aux Hydres, aux dragons, 6+6 b
60 A tout ce que ces preux ont jeté hors des gonds ! 6+6 b
Je les revois mêlant aux éclairs leur bannière ; 6+6 a
Je songe à la joyeuse et farouche manière 6+6 a
Dont ils tordaient l'Europe entre leurs poings d'airain ; 6+6 b
Oh ! ces soldats du Nil, de l'Argonne et du Rhin, 6+6 b
65 Ces lutteurs, ces vengeurs, je veux qu'on les imite ! 6+6 a
Je vous le dis, je suis un aïeul sans limite ; 6+6 a
Après l'ange je veux l'archange au firmament ; 6+6 b
Moi grand-père indulgent, mais ancêtre inclément, 6+6 b
Aussi doux d'un côté que sévère de l'autre, 6+6 a
70 J'aime la gloire énorme et je veux qu'on s'y vautre 6+6 a
Quand cette gloire est sainte et sauve mon pays ! 6+6 b
Dans les Herculanums et dans les Pompéïs 6+6 b
Je ne veux pas qu'on puisse un jour compter nos villes ; 6+6 a
Je ne vois pas pourquoi les âmes seraient viles ; 6+6 a
75 Je ne vois pas pourquoi l'on n'égalerait pas 6+6 b
Dans l'audace, l'effort, l'espoir, dans le trépas, 6+6 b
Les hommes d'Iéna, d'Ulm et des Pyramides ; 6+6 a
Les vaillants ont-ils donc engendré les timides ? 6+6 a
Non, vous avez du sang aux veines, jeunes gens ! 6+6 b
80 Nos aïeux ont été des héros outrageants 6+6 b
Pour le vieux monde infâme ; il reste de la place 6+6 a
Dans l'avenir ; soyez peuple et non populace ; 6+6 a
Soyez comme eux géants ! Je n'ai pas de raisons 6+6 b
Pour ne point souhaiter les mêmes horizons, 6+6 b
85 Les mêmes nations en chantant délivrées, 6+6 a
Le même arrachement des fers et des livrées, 6+6 a
Et la même grandeur sans tache et sans remords 6+6 b
À nos enfants vivants qu'à nos ancêtres morts ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite de distiques
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