Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
HUG_12/HUG950
Victor HUGO
l'Art d'être grand-père
1877
XIII
L'ÉPOPÉE DU LION
I
LE PALADIN
Un lion avait pris | un enfant dans sa gueule, 6+6 a
Et, sans lui faire mal, | dans la forêt, aïeule 6+6 a
Des sources et des nids, | il l'avait emporté. 6+6 b
Il l'avait, comme on cueille | une fleur en été, 6+6 b
5 Saisi sans trop savoir | pourquoi, n'ayant pas même 6+6 a
Mordu dedans, mépris | fier ou pardon suprême ; 6+6 a
Les lions sont ainsi, | sombres et généreux. 6+6 b
Le pauvre petit prince | était fort malheureux ; 6+6 b
Dans l'antre, qu'emplissait | la grande voix bourrue, 6+6 a
10 Blotti, tremblant, nourri | d'herbe et de viande crue. 6+6 a
Il vivait, presque mort | et d'horreur hébété. 6+6 b
C'était un frais garçon, | fils du roi d'à côté ; 6+6 b
Tout jeune, ayant dix ans, | âge tendre où l'œil brille ; 6+6 a
Et le roi n'avait plus | qu'une petite fille 6+6 a
15 Nouvelle-née, ayant | deux ans à peine ; aussi 6+6 b
Le roi qui vieillissait | n'avait-il qu'un souci, 6+6 b
Son héritier en proie | au monstre ; et la province 6+6 a
Qui craignait le lion | plus encor que le prince 6+6 a
Était fort effarée. |
Un héros qui passait 6+6 b
20 Dans le pays fit halte, | et dit : Qu'est-ce que c'est ? 6+6 b
On lui dit l'aventure ; | il s'en alla vers l'antre. 6+6 a
Un creux où le soleil | lui-même est pâle, et n'entre 6+6 a
Qu'avec précaution, | c'était l'antre où vivait 6+6 b
L'énorme bête, ayant | le rocher pour chevet. 6+6 b
25 Le bois avait, dans l'ombre | et sur un marécage, 6+6 a
Plus de rameaux que n'a | de barreaux une cage ; 6+6 a
Cette forêt était | digne de ce consul ; 6+6 b
Un menhir s'y dressait | en l'honneur d'Irmensul ; 6+6 b
La forêt ressemblait | aux halliers de Bretagne ; 6+6 a
30 Elle avait pour limite | une rude montagne, 6+6 a
Un de ces durs sommets | où l'horizon finit ; 6+6 b
Et la caverne était | taillée en plein granit, 6+6 b
Avec un entourage | orageux de grands chênes ; 6+6 a
Les antres, aux cités | rendant haines pour haines, 6+6 a
35 Contiennent on ne sait | quel sombre talion. 6+6 b
Les chênes murmuraient : | Respectez le lion ! 6+6 b
Le héros pénétra | dans ce palais sauvage ; 6+6 a
L'antre avait ce grand air | de meurtre et de ravage 6+6 a
Qui sied à la maison | des puissants, de l'effroi, 6+6 b
40 De l'ombre, et l'on sentait | qu'on était chez un roi ; 6+6 b
Des ossements à terre | indiquaient que le maître 6+6 a
Ne se laissait manquer | de rien ; une fenêtre 6+6 a
Faite par quelque coup | de tonnerre au plafond 6+6 b
L'éclairait ; une brume | où la lueur se fond, 6+6 b
45 Qui semble aurore à l'aigle | et nuit à la chouette, 6+6 a
C'est toute la clarté | qu'un conquérant souhaite ; 6+6 a
Du reste c'était haut | et fier ; on comprenait 6+6 b
Que l'être altier couchait | sur un lit de genêt 6+6 b
Et n'avait pas besoin | de rideaux de guipure, 6+6 a
50 Et qu'il buvait du sang, | mais aussi de l'eau pure, 6+6 a
Simplement, sans valet, | sans coupe et sans hanap. 6+6 b
Le chevalier était | armé de pied en cap. 6+6 b
Il entra.
Tout de suite | il vit dans la tanière 6+6 a
Un des plus grands seigneurs | couronnés de crinière 6+6 a
55 Qu'on pût voir, et c'était | la bête ; elle pensait ; 6+6 b
Et son regard était | profond, car nul ne sait 6+6 b
Si les monstres des bois | n'en sont pas les pontifes ; 6+6 a
Et ce lion était | un maître aux larges griffes, 6+6 a
Sinistre, point facile | à décontenancer. 6+6 b
60 Le héros approcha, | mais sans trop avancer. 6+6 b
Son pas était sonore, | et sa plume était rouge. 6+6 a
Il ne fit remuer | rien dans l'auguste bouge. 6+6 a
La bête était plongée | en ses réflexions. 6+6 b
Thésée entrant au gouffre | où sont les Ixions 6+6 b
65 Et les Sisyphes nus | et les flots de l'Averne, 6+6 a
Vit à peu près la même | implacable caverne. 6+6 a
Le paladin, à qui | le devoir disait : va ! 6+6 b
Tira l'épée. Alors | le lion souleva 6+6 b
Sa tête doucement | d'une façon terrible. 6+6 a
70 Et le chevalier dit : | — Salut, ô bête horrible ! 6+6 a
Tu caches dans les trous | de ton antre un enfant ; 6+6 b
J'ai beau fouiller des yeux | ton repaire étouffant, 6+6 b
Je ne l'aperçois pas. | Or, je viens le reprendre. 6+6 a
Nous serons bons amis | si tu veux me le rendre ; 6+6 a
75 Sinon, je suis lion | aussi, moi, tu mourras ; 6+6 b
Et le père étreindra | son enfant dans ses bras, 6+6 b
Pendant qu'ici ton sang | fumera, tiède encore ; 6+6 a
Et c'est ce que verra | demain la blonde aurore. 6+6 a
Et le lion pensif | lui dit : — Je ne crois pas. 6+6 b
80 Sur quoi le chevalier | farouche fit un pas, 6+6 b
Brandit sa grande épée, | et dit : Prends garde, sire ! 6+6 a
On vit le lion, chose | effrayante, sourire. 6+6 a
Ne faites pas sourire | un lion. Le duel 6+6 b
S'engagea, comme il sied | entre géants, cruel, 6+6 b
85 Tel que ceux qui de l'Inde | ensanglantent les jungles. 6+6 a
L'homme allongea son glaive | et la bête ses ongles ; 6+6 a
On se prit corps à corps, | et le monstre écumant 6+6 b
Se mit à manier | l'homme effroyablement ; 6+6 b
L'un était le vaillant | et l'autre le vorace ; 6+6 a
90 Le lion étreignit | la chair sous la cuirasse, 6+6 a
Et, fauve, et sous sa griffe | ardente pétrissant 6+6 b
Ce fer et cet acier, | il fit jaillir le sang 6+6 b
Du sombre écrasement | de toute cette armure, 6+6 a
Comme un enfant rougit | ses doigts dans une mûre ; 6+6 a
95 Et puis l'un après l'autre | il ôta les morceaux 6+6 b
Du casque et des brassards, | et mit à nu les os. 6+6 b
Et le grand chevalier | n'était plus qu'une espèce 6+6 a
De boue et de limon | sous la cuirasse épaisse ; 6+6 a
Et le lion mangea | le héros. Puis il mit 6+6 b
100 Sa tête sur le roc | sinistre et s'endormit. 6+6 b
II
L'ERMITE
Alors vint un ermite. |
Il s'avança vers l'antre ; 6+6 a
Grave et tremblant, sa croix | au poing, sa corde au ventre, 6+6 a
Il entra. Le héros | tout rongé gisait là 6+6 b
Informe, et le lion, | se réveillant, bâilla. 6+6 b
105 Le monstre ouvrit les yeux, | entendit une haleine, 6+6 a
Et, voyant une corde | autour d'un froc de laine, 6+6 a
Un grand capuchon noir, | un homme là dedans, 6+6 b
Acheva de bâiller, | montrant toutes ses dents ; 6+6 b
Puis, auguste, et parlant | comme une porte grince, 6+6 a
110 Il dit : — Que veux-tu, toi ? | — Mon roi. — Quel roi ? — Mon prince. 6+6 a
— Qui ? — L'enfant. — C'est cela | que tu nommes un roi ! 6+6 b
L'ermite salua | le lion. — Roi, pourquoi 6+6 b
As-tu pris cet enfant ? | — Parce que je m'ennuie. 6+6 a
Il me tient compagnie | ici les jours de pluie. 6+6 a
115 — Rends-le-moi. — Non. Je l'ai. | — Qu'en veux-tu faire enfin ? 6+6 b
Le veux-tu donc manger ? | — Dame ! si j'avais faim ! 6+6 b
— Songe au père, à son deuil, | à sa douleur amère. 6+6 a
— Les hommes m'ont tué | la lionne, ma mère. 6+6 a
— Le père est roi, seigneur, | comme toi. — Pas autant. 6+6 b
120 S'il parle, c'est un homme, | et moi, quand on m'entend, 6+6 b
C'est le lion. — S'il perd | ce fils… — Il a sa fille. 6+6 a
— Une fille, c'est peu | pour un roi. — Ma famille 6+6 a
A moi, c'est l'âpre roche | et la fauve forêt, 6+6 b
Et l'éclair qui parfois | sur ma tête apparaît ; 6+6 b
125 Je m'en contente. — Sois | clément pour une altesse. 6+6 a
— La clémence n'est pas ; | tout est de la tristesse. 6+6 a
— Veux-tu le paradis ? | Je t'offre le blanc-seing 6+6 b
Du bon Dieu. — Va-t'en, vieil | imbécile de saint ! 6+6 b
L'ermite s'en alla. |
III
LA CHASSE ET LA NUIT
Le lion solitaire, 6+6 a
130 Plein de l'immense oubli | qu'ont les monstres sur terre, 6+6 a
Se rendormit, laissant | l'intègre nuit venir. 6+6 b
La lune parut, fit | un spectre du menhir, 6+6 b
De l'étang un linceul, | du sentier un mensonge, 6+6 a
Et du noir paysage | inexprimable un songe ; 6+6 a
135 Et rien ne bougea plus | dans la grotte, et, pendant 6+6 b
Que les astres sacrés | marchaient vers l'occident 6+6 b
Et que l'herbe abritait | la taupe et la cigale, 6+6 a
La respiration | du grand lion, égale 6+6 a
Et calme, rassurait | les bêtes dans les bois. 6+6 b
140 Tout à coup des clameurs, | des cors et des abois. 6+6 b
Un de ces bruits de meute | et d'hommes et de cuivres, 6+6 a
Qui font que brusquement | les forêts semblent ivres, 6+6 a
Et que la nymphe écoute | en tremblant dans son lit, 6+6 b
La rumeur d'une chasse | épouvantable emplit 6+6 b
145 Toute cette ombre, lac, | montagne, bois, prairie, 6+6 a
Et troubla cette vaste | et fauve rêverie. 6+6 a
Le hallier s'empourpra | de tous les sombres jeux 6+6 b
D'une lueur mêlée | à des cris orageux. 6+6 b
On entendait hurler | les chiens chercheurs de proies ; 6+6 a
150 Et des ombres couraient | parmi les claires-voies. 6+6 a
Cette altière rumeur | d'avance triomphait. 6+6 b
On eût dit une armée ; | et c'était en effet 6+6 b
Des soldats envoyés | par le roi, par le père, 6+6 a
Pour délivrer le prince | et forcer le repaire, 6+6 a
155 Et rapporter la peau | sanglante du lion. 6+6 b
De quel côté de l'ombre | est la rébellion, 6+6 b
Du côté de la bête | ou du côté de l'homme ? 6+6 a
Dieu seul le sait ; tout est | le chiffre, il est la somme. 6+6 a
Les soldats avaient fait | un repas copieux, 6+6 b
160 Étaient en bon état, | armés d'arcs et d'épieux, 6+6 b
En grand nombre, et conduits | par un fier capitaine. 6+6 a
Quelques-uns revenaient | d'une guerre lointaine, 6+6 a
Et tous étaient des gens | éprouvés et vaillants. 6+6 b
Le lion entendait | tous ces bruits malveillants, 6+6 b
165 Car il avait ouvert | sa tragique paupière ; 6+6 a
Mais sa tête restait | paisible sur la pierre, 6+6 a
Et seulement sa queue | énorme remuait. 6+6 b
Au dehors, tout autour | du grand antre muet, 6+6 b
Hurlait le brouhaha | de la foule indignée ; 6+6 a
170 Comme un essaim bourdonne | autour d'une araignée, 6+6 a
Comme une ruche autour | d'un ours pris au lacet, 6+6 b
Toute la légion | des chasseurs frémissait ; 6+6 b
Elle s'était rangée | en ordre de bataille. 6+6 a
On savait que le monstre | était de haute taille, 6+6 a
175 Qu'il mangeait un héros | comme un singe une noix, 6+6 b
Qu'il était plus hautain | qu'un tigre n'est sournois, 6+6 b
Que son regard faisait | baisser les yeux à l'aigle ; 6+6 a
Aussi lui faisait-on | l'honneur d'un siège en règle. 6+6 a
La troupe à coups de hache | abattait les fourrés ; 6+6 b
180 Les soldats avançaient | l'un sur l'autre serrés, 6+6 b
Et les arbres tendaient | sur la corde les flèches. 6+6 a
On fit silence, afin | que sur les feuilles sèches 6+6 a
On entendît les pas | du lion, s'il venait. 6+6 b
Et les chiens, qui selon | le moment où l'on est 6+6 b
185 Savent se taire, allaient | devant eux, gueule ouverte, 6+6 a
Mais sans bruit. Les flambeaux | dans la bruyère verte 6+6 a
Rôdaient, et leur lumière | allongée en avant 6+6 b
Éclairait ce chaos | d'arbres tremblant au vent ; 6+6 b
C'est ainsi qu'une chasse | habile se gouverne. 6+6 a
190 On voyait à travers | les branches la caverne, 6+6 a
Sorte de masse informe | au fond du bois épais, 6+6 b
Béante, mais muette, | ayant un air de paix 6+6 b
Et de rêve, et semblant | ignorer cette armée. 6+6 a
D'un âtre où le feu couve | il sort de la fumée, 6+6 a
195 D'une ville assiégée | on entend le beffroi ; 6+6 b
Ici rien de pareil ; | avec un vague effroi, 6+6 b
Tous observaient, le poing | sur l'arc ou sur la pique, 6+6 a
Cette tranquillité | sombre de l'antre épique ; 6+6 a
Les dogues chuchotaient | entre eux je ne sais quoi ; 6+6 b
200 De l'horreur qui dans l'ombre | obscure se tient coi, 6+6 b
C'est plus inquiétant | qu'un fracas de tempête. 6+6 a
Cependant on était | venu pour cette bête, 6+6 a
On avançait, les yeux | fixés sur la forêt, 6+6 b
Et non sans redouter | ce que l'on désirait ; 6+6 b
205 Les éclaireurs guettaient, | élevant leur lanterne ; 6+6 a
On regardait le seuil | béant de la caverne ; 6+6 a
Les arbres frissonnaient, | silencieux témoins ; 6+6 b
On marchait en bon ordre, | on était mille au moins… 6+6 b
Tout à coup apparut | la face formidable. 6+6 a
On vit le lion.
210 Tout | devint inabordable 6+6 a
Sur-le-champ, et les bois | parurent agrandis ; 6+6 b
Ce fut un tremblement | parmi les plus hardis ; 6+6 b
Mais, fût-ce en frémissant, | de vaillants archers tirent, 6+6 a
Et sur le grand lion | les flèches s'abattirent, 6+6 a
215 Un tourbillon de dards | le cribla. Le lion, 6+6 b
Pas plus que sous l'orage | Ossa ni Pélion 6+6 b
Ne s'émeuvent, fronça | son poil, et grave, austère, 6+6 a
Secoua la plupart | des flèches sur la terre ; 6+6 a
D'autres, sur qui ces dards | se seraient enfoncés, 6+6 b
220 Auraient certes trouvé | qu'il en restait assez, 6+6 b
Ou se seraient enfuis ; | le sang rayait sa croupe ; 6+6 a
Mais il n'y prit point garde, | et regarda la troupe ; 6+6 a
Et ces hommes, troublés | d'être en un pareil lieu, 6+6 b
Doutaient s'il était monstre | ou bien s'il était dieu. 6+6 b
225 Les chiens muets cherchaient | l'abri des fers de lance. 6+6 a
Alors le fier lion | poussa, dans ce silence, 6+6 a
A travers les grands bois | et les marais dormants, 6+6 b
Un de ces monstrueux | et noirs rugissements 6+6 b
Qui sont plus effrayants | que tout ce qu'on vénère, 6+6 a
230 Et qui font qu'à demi | réveillé, le tonnerre 6+6 a
Dit dans le ciel profond : | Qui donc tonne là-bas ? 6+6 b
Tout fut fini. La fuite | emporte les combats 6+6 b
Comme le vent la brume, | et toute cette armée, 6+6 a
Dissoute, aux quatre coins | de l'horizon semée, 6+6 a
235 S'évanouit devant | l'horrible grondement. 6+6 b
Tous, chefs, soldats, ce fut | l'affaire d'un moment, 6+6 b
Croyant être en des lieux | surhumains où se forme 6+6 a
On ne sait quel courroux | de la nature énorme, 6+6 a
Disparurent, tremblants, | rampants, perdus, cachés. 6+6 b
240 Et le monstre cria : | — Monts et forêts, sachez 6+6 b
Qu'un lion libre est plus | que mille hommes esclaves. 6+6 a
Les bêtes ont le cri | comme un volcan les laves ; 6+6 a
Et cette éruption | qui monte au firmament 6+6 b
D'ordinaire suffit | à leur apaisement ; 6+6 b
245 Les lions sont sereins | plus que les dieux peut-être ; 6+6 a
Jadis, quand l'éclatant | Olympe était le maître, 6+6 a
Les Hercules disaient : | — Si nous étranglions 6+6 b
A la fin, une fois | pour toutes, les lions ? 6+6 b
Et les lions disaient : | — Faisons grâce aux Hercules. 6+6 a
250 Pourtant ce lion-ci, | fils des noirs crépuscules, 6+6 a
Resta sinistre, obscur, | sombre ; il était de ceux 6+6 b
Qui sont à se calmer | rétifs et paresseux, 6+6 b
Et sa colère était | d'une espèce farouche. 6+6 a
La bête veut dormir | quand le soleil se couche ; 6+6 a
255 Il lui déplaît d'avoir | affaire aux chiens rampants ; 6+6 b
Ce lion venait d'être | en butte aux guet-apens ; 6+6 b
On venait d'insulter | la forêt magnanime ; 6+6 a
Il monta sur le mont, | se dressa sur la cime, 6+6 a
Et reprit la parole, | et, comme le semeur 6+6 b
260 Jette sa graine au loin, | prolongea sa clameur 6+6 b
De façon que le roi | l'entendit dans sa ville : 6+6 a
— Roi ! tu m'as attaqué | d'une manière vile ! 6+6 a
Je n'ai point jusqu'ici | fait mal à ton garçon ; 6+6 b
Mais, roi, je t'avertis, | par-dessus l'horizon 6+6 b
265 Que j'entrerai demain | dans ta ville à l'aurore, 6+6 a
Que je t'apporterai | l'enfant vivant encore, 6+6 a
Que j'invite à me voir | entrer tous tes valets, 6+6 b
Et que je mangerai | ton fils dans ton palais. 6+6 b
La nuit passa, laissant | les ruisseaux fuir sous l'herbe 6+6 a
270 Et la nuée errer | au fond du ciel superbe. 6+6 a
Le lendemain on vit | dans la ville ceci : 6+6 b
L'aurore ; le désert ; | des gens criant merci, 6+6 b
Fuyant, faces d'effroi | bien vite disparues ; 6+6 a
Et le vaste lion | qui marchait dans les rues. 6+6 a
IV
L'AURORE
275 Le blême peuple était | dans les caves épars. 6+6 b
A quoi bon résister ? | Pas un homme aux remparts ; 6+6 b
Les portes de la ville | étaient grandes ouvertes. 6+6 a
Ces bêtes à demi | divines sont couvertes 6+6 a
D'une telle épouvante | et d'un doute si noir, 6+6 b
280 Leur antre est un si morne | et si puissant manoir, 6+6 b
Qu'il est décidément | presque impie et peu sage, 6+6 a
Quand il leur plaît d'errer, | d'être sur leur passage. 6+6 a
Vers le palais chargé | d'un dôme d'or massif 6+6 b
Le lion à pas lents | s'acheminait pensif, 6+6 b
285 Encor tout hérissé | des flèches dédaignées ; 6+6 a
Une écorce de chêne | a des coups de cognées, 6+6 a
Mais l'arbre n'en meurt pas ; | et, sans voir un archer, 6+6 b
Grave, il continuait | d'aller et de marcher ; 6+6 b
Et le peuple tremblait, | laissant la bête seule. 6+6 a
290 Le lion avançait, | tranquille, et dans sa gueule 6+6 a
Effroyable il avait | l'enfant évanoui. 6+6 b
Un petit prince est-il | un petit homme ? Oui. 6+6 b
Et la sainte pitié | pleurait dans les ténèbres. 6+6 a
Le doux captif, livide | entre ces crocs funèbres, 6+6 a
295 Était des deux côtés | de la gueule pendant, 6+6 b
Pâle, mais n'avait pas | encore un coup de dent ; 6+6 b
Et, cette proie étant | un bâillon dans sa bouche, 6+6 a
Le lion ne pouvait | rugir, ennui farouche 6+6 a
Pour un monstre, et son calme | était très furieux ; 6+6 b
300 Son silence augmentait | la flamme de ses yeux ; 6+6 b
Aucun arc ne brillait | dans aucune embrasure ; 6+6 a
Peut-être craignait-on | qu'une flèche peu sûre, 6+6 a
Tremblante, mal lancée | au monstre triomphant, 6+6 b
Ne manquât le lion | et ne tuât l'enfant. 6+6 b
305 Comme il l'avait promis | par-dessus la montagne, 6+6 a
Le monstre, méprisant | la ville comme un bagne, 6+6 a
Alla droit au palais, | las de voir tout trembler, 6+6 b
Espérant trouver là | quelqu'un à qui parler, 6+6 b
La porte ouverte, ainsi | qu'au vent le jonc frissonne, 6+6 a
310 Vacillait. Il entra | dans le palais. Personne. 6+6 a
Tout en pleurant son fils, | le roi s'était enfui 6+6 b
Et caché comme tous, | voulant vivre aussi lui, 6+6 b
S'estimant au bonheur | des peuples nécessaire. 6+6 a
Une bête féroce | est un être sincère 6+6 a
315 Et n'aime point la peur ; | le lion se sentit 6+6 b
Honteux d'être si grand, | l'homme étant si petit ; 6+6 b
Il se dit, dans la nuit | qu'un lion a pour âme : 6+6 a
— C'est bien, je mangerai | le fils. Quel père infâme ! — 6+6 a
Terrible, après la cour | prenant le corridor, 6+6 b
320 Il se mit à rôder | sous les hauts plafonds d'or ; 6+6 b
Il vit le trône, et rien | dedans ; des chambres vertes, 6+6 a
Jaunes, rouges, aux seuils | vides, toutes désertes ; 6+6 a
Le monstre allait de salle | en salle, pas à pas, 6+6 b
Affreux, cherchant un lieu | commode à son repas ; 6+6 b
325 Il avait faim. Soudain | l'effrayant marcheur fauve 6+6 a
S'arrêta.
Près du parc | en fleur, dans une alcôve, 6+6 a
Un pauvre être, oublié | dans la fuite, bercé 6+6 b
Par l'immense humble rêve | à l'enfance versé, 6+6 b
Inondé de soleil | à travers la charmille, 6+6 a
330 Se réveillait. C'était | une petite fille ; 6+6 a
L'autre enfant du roi. Seule | et nue, elle chantait. 6+6 b
Car l'enfant chante même | alors que tout se tait. 6+6 b
Une ineffable voix, | plus tendre qu'une lyre, 6+6 a
Une petite bouche | avec un grand sourire, 6+6 a
335 Un ange dans un tas | de joujoux, un berceau, 6+6 b
Crèche pour un Jésus | ou nid pour un oiseau, 6+6 b
Deux profonds yeux bleus, pleins | de clartés inconnues, 6+6 a
Col nu, pieds nus, bras nus, | ventre nu, jambes nues, 6+6 a
Une brassière blanche | allant jusqu'au nombril. 6+6 b
340 Un astre dans l'azur, | un rayon en avril, 6+6 b
Un lys du ciel daignant | sur cette terre éclore, 6+6 a
Telle était cette enfant | plus douce que l'aurore ; 6+6 a
Et le lion venait | d'apercevoir cela. 6+6 b
Il entra dans la chambre, | et le plancher trembla. 6+6 b
345 Par-dessus les jouets | qui couvraient une table, 6+6 a
Le lion avança | sa tête épouvantable, 6+6 a
Sombre en sa majesté | de monstre et d'empereur, 6+6 b
Et sa proie en sa gueule | augmentait son horreur. 6+6 b
L'enfant le vit, l'enfant | cria : — Frère ! mon frère ! 6+6 a
350 Ah ! mon frère ! — et debout, | rose dans la lumière 6+6 a
Qui la divinisait | et qui la réchauffait, 6+6 b
Regarda ce géant | des bois, dont l'œil eût fait 6+6 b
Reculer les Typhons | et fuir les Briarées. 6+6 a
Qui sait ce qui se passe | en ces têtes sacrées ? 6+6 a
355 Elle se dressa droite | au bord du lit étroit, 6+6 b
Et menaça le monstre | avec son petit doigt. 6+6 b
Alors, près du berceau | de soie et de dentelle, 6+6 a
Le grand lion posa | son frère devant elle, 6+6 a
Comme eût fait une mère | en abaissant les bras, 6+6 b
360 Et lui dit : — Le voici. | Là ! ne te fâche pas ! 6+6 b
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