Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
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e "e" féminin
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e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
HUG_12/HUG950
Victor HUGO
l'Art d'être grand-père
1877
XIII
L'ÉPOPÉE DU LION
I
LE PALADIN
Un lion avait prisun enfant dans sa gueule, 6+6 a
Et, sans lui faire mal,dans la forêt, aïeule 6+6 a
Des sources et des nids,il l'avait emporté. 6+6 b
Il l'avait, comme on cueilleune fleur en été, 6+6 b
5 Saisi sans trop savoirpourquoi, n'ayant pas même 6+6 a
Mordu dedans, méprisfier ou pardon suprême ; 6+6 a
Les lions sont ainsi,sombres et généreux. 6+6 b
Le pauvre petit princeétait fort malheureux ; 6+6 b
Dans l'antre, qu'emplissaitla grande voix bourrue, 6+6 a
10 Blotti, tremblant, nourrid'herbe et de viande crue. 6+6 a
Il vivait, presque mortet d'horreur hébété. 6+6 b
C'était un frais gaon,fils du roi d'à côté ; 6+6 b
Tout jeune, ayant dix ans,âge tendre l'œil brille ; 6+6 a
Et le roi n'avait plusqu'une petite fille 6+6 a
15 Nouvelle-née, ayantdeux ans à peine ; aussi 6+6 b
Le roi qui vieillissaitn'avait-il qu'un souci, 6+6 b
Son héritier en proieau monstre ; et la province 6+6 a
Qui craignait le lionplus encor que le prince 6+6 a
Était fort effarée.
Un héros qui passait 6+6 b
20 Dans le pays fit halte,et dit : Qu'est-ce que c'est ? 6+6 b
On lui dit l'aventure ;il s'en alla vers l'antre. 6+6 a
Un creux le soleillui-même est pâle, et n'entre 6+6 a
Qu'avec précaution,c'était l'antre vivait 6+6 b
L'énorme bête, ayantle rocher pour chevet. 6+6 b
25 Le bois avait, dans l'ombreet sur un marécage, 6+6 a
Plus de rameaux que n'ade barreaux une cage ; 6+6 a
Cette forêt étaitdigne de ce consul ; 6+6 b
Un menhir s'y dressaiten l'honneur d'Irmensul ; 6+6 b
La forêt ressemblaitaux halliers de Bretagne ; 6+6 a
30 Elle avait pour limiteune rude montagne, 6+6 a
Un de ces durs sommets l'horizon finit ; 6+6 b
Et la caverne étaittaillée en plein granit, 6+6 b
Avec un entourageorageux de grands chênes ; 6+6 a
Les antres, aux citésrendant haines pour haines, 6+6 a
35 Contiennent on ne saitquel sombre talion. 6+6 b
Les chênes murmuraient :Respectez le lion ! 6+6 b
Le héros pénétradans ce palais sauvage ; 6+6 a
L'antre avait ce grand airde meurtre et de ravage 6+6 a
Qui sied à la maisondes puissants, de l'effroi, 6+6 b
40 De l'ombre, et l'on sentaitqu'on était chez un roi ; 6+6 b
Des ossements à terreindiquaient que le mtre 6+6 a
Ne se laissait manquerde rien ; une fenêtre 6+6 a
Faite par quelque coupde tonnerre au plafond 6+6 b
L'éclairait ; une brume la lueur se fond, 6+6 b
45 Qui semble aurore à l'aigleet nuit à la chouette, 6+6 a
C'est toute la clartéqu'un conquérant souhaite ; 6+6 a
Du reste c'était hautet fier ; on comprenait 6+6 b
Que l'être altier couchaitsur un lit de genêt 6+6 b
Et n'avait pas besoinde rideaux de guipure, 6+6 a
50 Et qu'il buvait du sang,mais aussi de l'eau pure, 6+6 a
Simplement, sans valet,sans coupe et sans hanap. 6+6 b
Le chevalier étaitarmé de pied en cap. 6+6 b
Il entra.
Tout de suiteil vit dans la tanière 6+6 a
Un des plus grands seigneurscouronnés de crinière 6+6 a
55 Qu'on pût voir, et c'étaitla bête ; elle pensait ; 6+6 b
Et son regard étaitprofond, car nul ne sait 6+6 b
Si les monstres des boisn'en sont pas les pontifes ; 6+6 a
Et ce lion étaitun mtre aux larges griffes, 6+6 a
Sinistre, point facileà décontenancer. 6+6 b
60 Le héros approcha,mais sans trop avancer. 6+6 b
Son pas était sonore,et sa plume était rouge. 6+6 a
Il ne fit remuerrien dans l'auguste bouge. 6+6 a
La bête était plongéeen ses réflexions. 6+6 b
Thésée entrant au gouffre sont les Ixions 6+6 b
65 Et les Sisyphes nuset les flots de l'Averne, 6+6 a
Vit à peu près la mêmeimplacable caverne. 6+6 a
Le paladin, à quile devoir disait : va ! 6+6 b
Tira l'épée. Alorsle lion souleva 6+6 b
Sa tête doucementd'une façon terrible. 6+6 a
70 Et le chevalier dit :— Salut, ô bête horrible ! 6+6 a
Tu caches dans les trousde ton antre un enfant ; 6+6 b
J'ai beau fouiller des yeuxton repaire étouffant, 6+6 b
Je ne l'apeois pas.Or, je viens le reprendre. 6+6 a
Nous serons bons amissi tu veux me le rendre ; 6+6 a
75 Sinon, je suis lionaussi, moi, tu mourras ; 6+6 b
Et le père étreindrason enfant dans ses bras, 6+6 b
Pendant qu'ici ton sangfumera, tiède encore ; 6+6 a
Et c'est ce que verrademain la blonde aurore. 6+6 a
Et le lion pensiflui dit : — Je ne crois pas. 6+6 b
80 Sur quoi le chevalierfarouche fit un pas, 6+6 b
Brandit sa grande épée,et dit : Prends garde, sire ! 6+6 a
On vit le lion, choseeffrayante, sourire. 6+6 a
Ne faites pas sourireun lion. Le duel 6+6 b
S'engagea, comme il siedentre géants, cruel, 6+6 b
85 Tel que ceux qui de l'Indeensanglantent les jungles. 6+6 a
L'homme allongea son glaiveet la bête ses ongles ; 6+6 a
On se prit corps à corps,et le monstre écumant 6+6 b
Se mit à manierl'homme effroyablement ; 6+6 b
L'un était le vaillantet l'autre le vorace ; 6+6 a
90 Le lion étreignitla chair sous la cuirasse, 6+6 a
Et, fauve, et sous sa griffeardente pétrissant 6+6 b
Ce fer et cet acier,il fit jaillir le sang 6+6 b
Du sombre écrasementde toute cette armure, 6+6 a
Comme un enfant rougitses doigts dans une mûre ; 6+6 a
95 Et puis l'un après l'autreil ôta les morceaux 6+6 b
Du casque et des brassards,et mit à nu les os. 6+6 b
Et le grand chevaliern'était plus qu'une espèce 6+6 a
De boue et de limonsous la cuirasse épaisse ; 6+6 a
Et le lion mangeale héros. Puis il mit 6+6 b
100 Sa tête sur le rocsinistre et s'endormit. 6+6 b
II
L'ERMITE
Alors vint un ermite.
Il s'avança vers l'antre ; 6+6 a
Grave et tremblant, sa croixau poing, sa corde au ventre, 6+6 a
Il entra. Le hérostout rongé gisait là 6+6 b
Informe, et le lion,se réveillant, bâilla. 6+6 b
105 Le monstre ouvrit les yeux,entendit une haleine, 6+6 a
Et, voyant une cordeautour d'un froc de laine, 6+6 a
Un grand capuchon noir,un homme là dedans, 6+6 b
Acheva de bâiller,montrant toutes ses dents ; 6+6 b
Puis, auguste, et parlantcomme une porte grince, 6+6 a
110 Il dit : — Que veux-tu, toi ?— Mon roi. — Quel roi ? — Mon prince. 6+6 a
— Qui ? — L'enfant. — C'est celaque tu nommes un roi ! 6+6 b
L'ermite saluale lion. — Roi, pourquoi 6+6 b
As-tu pris cet enfant ?— Parce que je m'ennuie. 6+6 a
Il me tient compagnieici les jours de pluie. 6+6 a
115 — Rends-le-moi. — Non. Je l'ai.— Qu'en veux-tu faire enfin ? 6+6 b
Le veux-tu donc manger ?— Dame ! si j'avais faim ! 6+6 b
— Songe au père, à son deuil,à sa douleur amère. 6+6 a
— Les hommes m'ont tuéla lionne, ma mère. 6+6 a
— Le père est roi, seigneur,comme toi. — Pas autant. 6+6 b
120 S'il parle, c'est un homme,et moi, quand on m'entend, 6+6 b
C'est le lion. — S'il perdce fils… — Il a sa fille. 6+6 a
Une fille, c'est peupour un roi. — Ma famille 6+6 a
A moi, c'est l'âpre rocheet la fauve forêt, 6+6 b
Et l'éclair qui parfoissur ma tête appart ; 6+6 b
125 Je m'en contente. — Soisclément pour une altesse. 6+6 a
— La clémence n'est pas ;tout est de la tristesse. 6+6 a
— Veux-tu le paradis ?Je t'offre le blanc-seing 6+6 b
Du bon Dieu. — Va-t'en, vieilimbécile de saint ! 6+6 b
L'ermite s'en alla.
III
LA CHASSE ET LA NUIT
Le lion solitaire, 6+6 a
130 Plein de l'immense oubliqu'ont les monstres sur terre, 6+6 a
Se rendormit, laissantl'intègre nuit venir. 6+6 b
La lune parut, fitun spectre du menhir, 6+6 b
De l'étang un linceul,du sentier un mensonge, 6+6 a
Et du noir paysageinexprimable un songe ; 6+6 a
135 Et rien ne bougea plusdans la grotte, et, pendant 6+6 b
Que les astres sacrésmarchaient vers l'occident 6+6 b
Et que l'herbe abritaitla taupe et la cigale, 6+6 a
La respirationdu grand lion, égale 6+6 a
Et calme, rassuraitles bêtes dans les bois. 6+6 b
140 Tout à coup des clameurs,des cors et des abois. 6+6 b
Un de ces bruits de meuteet d'hommes et de cuivres, 6+6 a
Qui font que brusquementles forêts semblent ivres, 6+6 a
Et que la nymphe écouteen tremblant dans son lit, 6+6 b
La rumeur d'une chasseépouvantable emplit 6+6 b
145 Toute cette ombre, lac,montagne, bois, prairie, 6+6 a
Et troubla cette vasteet fauve rêverie. 6+6 a
Le hallier s'empourprade tous les sombres jeux 6+6 b
D'une lueur mêléeà des cris orageux. 6+6 b
On entendait hurlerles chiens chercheurs de proies ; 6+6 a
150 Et des ombres couraientparmi les claires-voies. 6+6 a
Cette altière rumeurd'avance triomphait. 6+6 b
On t dit une armée ;et c'était en effet 6+6 b
Des soldats envoyéspar le roi, par le père, 6+6 a
Pour délivrer le princeet forcer le repaire, 6+6 a
155 Et rapporter la peausanglante du lion. 6+6 b
De quel côté de l'ombreest la rébellion, 6+6 b
Du côté de la bêteou du côté de l'homme ? 6+6 a
Dieu seul le sait ; tout estle chiffre, il est la somme. 6+6 a
Les soldats avaient faitun repas copieux, 6+6 b
160 Étaient en bon état,armés d'arcs et d'épieux, 6+6 b
En grand nombre, et conduitspar un fier capitaine. 6+6 a
Quelques-uns revenaientd'une guerre lointaine, 6+6 a
Et tous étaient des genséprouvés et vaillants. 6+6 b
Le lion entendaittous ces bruits malveillants, 6+6 b
165 Car il avait ouvertsa tragique paupière ; 6+6 a
Mais sa tête restaitpaisible sur la pierre, 6+6 a
Et seulement sa queueénorme remuait. 6+6 b
Au dehors, tout autourdu grand antre muet, 6+6 b
Hurlait le brouhahade la foule indignée ; 6+6 a
170 Comme un essaim bourdonneautour d'une araignée, 6+6 a
Comme une ruche autourd'un ours pris au lacet, 6+6 b
Toute la légiondes chasseurs frémissait ; 6+6 b
Elle s'était rangéeen ordre de bataille. 6+6 a
On savait que le monstreétait de haute taille, 6+6 a
175 Qu'il mangeait un héroscomme un singe une noix, 6+6 b
Qu'il était plus hautainqu'un tigre n'est sournois, 6+6 b
Que son regard faisaitbaisser les yeux à l'aigle ; 6+6 a
Aussi lui faisait-onl'honneur d'un siège en règle. 6+6 a
La troupe à coups de hacheabattait les fourrés ; 6+6 b
180 Les soldats avançaientl'un sur l'autre serrés, 6+6 b
Et les arbres tendaientsur la corde les flèches. 6+6 a
On fit silence, afinque sur les feuilles sèches 6+6 a
On entendît les pasdu lion, s'il venait. 6+6 b
Et les chiens, qui selonle moment l'on est 6+6 b
185 Savent se taire, allaientdevant eux, gueule ouverte, 6+6 a
Mais sans bruit. Les flambeauxdans la bruyère verte 6+6 a
Rôdaient, et leur lumièreallongée en avant 6+6 b
Éclairait ce chaosd'arbres tremblant au vent ; 6+6 b
C'est ainsi qu'une chassehabile se gouverne. 6+6 a
190 On voyait à traversles branches la caverne, 6+6 a
Sorte de masse informeau fond du bois épais, 6+6 b
Béante, mais muette,ayant un air de paix 6+6 b
Et de rêve, et semblantignorer cette armée. 6+6 a
D'un âtre le feu couveil sort de la fumée, 6+6 a
195 D'une ville assiégéeon entend le beffroi ; 6+6 b
Ici rien de pareil ;avec un vague effroi, 6+6 b
Tous observaient, le poingsur l'arc ou sur la pique, 6+6 a
Cette tranquillitésombre de l'antre épique ; 6+6 a
Les dogues chuchotaiententre eux je ne sais quoi ; 6+6 b
200 De l'horreur qui dans l'ombreobscure se tient coi, 6+6 b
C'est plus inquiétantqu'un fracas de tempête. 6+6 a
Cependant on étaitvenu pour cette bête, 6+6 a
On avançait, les yeuxfixés sur la forêt, 6+6 b
Et non sans redouterce que l'on désirait ; 6+6 b
205 Les éclaireurs guettaient,élevant leur lanterne ; 6+6 a
On regardait le seuilbéant de la caverne ; 6+6 a
Les arbres frissonnaient,silencieux témoins ; 6+6 b
On marchait en bon ordre,on était mille au moins… 6+6 b
Tout à coup apparutla face formidable. 6+6 a
On vit le lion.
210 Toutdevint inabordable 6+6 a
Sur-le-champ, et les boisparurent agrandis ; 6+6 b
Ce fut un tremblementparmi les plus hardis ; 6+6 b
Mais, fût-ce en frémissant,de vaillants archers tirent, 6+6 a
Et sur le grand lionles flèches s'abattirent, 6+6 a
215 Un tourbillon de dardsle cribla. Le lion, 6+6 b
Pas plus que sous l'orageOssa ni Pélion 6+6 b
Ne s'émeuvent, fronçason poil, et grave, austère, 6+6 a
Secoua la plupartdes flèches sur la terre ; 6+6 a
D'autres, sur qui ces dardsse seraient enfoncés, 6+6 b
220 Auraient certes trouvéqu'il en restait assez, 6+6 b
Ou se seraient enfuis ;le sang rayait sa croupe ; 6+6 a
Mais il n'y prit point garde,et regarda la troupe ; 6+6 a
Et ces hommes, troublésd'être en un pareil lieu, 6+6 b
Doutaient s'il était monstreou bien s'il était dieu. 6+6 b
225 Les chiens muets cherchaientl'abri des fers de lance. 6+6 a
Alors le fier lionpoussa, dans ce silence, 6+6 a
A travers les grands boiset les marais dormants, 6+6 b
Un de ces monstrueuxet noirs rugissements 6+6 b
Qui sont plus effrayantsque tout ce qu'on vénère, 6+6 a
230 Et qui font qu'à demiréveillé, le tonnerre 6+6 a
Dit dans le ciel profond :Qui donc tonne là-bas ? 6+6 b
Tout fut fini. La fuiteemporte les combats 6+6 b
Comme le vent la brume,et toute cette armée, 6+6 a
Dissoute, aux quatre coinsde l'horizon semée, 6+6 a
235 S'évanouit devantl'horrible grondement. 6+6 b
Tous, chefs, soldats, ce futl'affaire d'un moment, 6+6 b
Croyant être en des lieuxsurhumains se forme 6+6 a
On ne sait quel courrouxde la nature énorme, 6+6 a
Disparurent, tremblants,rampants, perdus, cachés. 6+6 b
240 Et le monstre cria :— Monts et forêts, sachez 6+6 b
Qu'un lion libre est plusque mille hommes esclaves. 6+6 a
Les bêtes ont le cricomme un volcan les laves ; 6+6 a
Et cette éruptionqui monte au firmament 6+6 b
D'ordinaire suffità leur apaisement ; 6+6 b
245 Les lions sont sereinsplus que les dieux peut-être ; 6+6 a
Jadis, quand l'éclatantOlympe était le mtre, 6+6 a
Les Hercules disaient :— Si nous étranglions 6+6 b
A la fin, une foispour toutes, les lions ? 6+6 b
Et les lions disaient :— Faisons grâce aux Hercules. 6+6 a
250 Pourtant ce lion-ci,fils des noirs crépuscules, 6+6 a
Resta sinistre, obscur,sombre ; il était de ceux 6+6 b
Qui sont à se calmerrétifs et paresseux, 6+6 b
Et sa colère étaitd'une espèce farouche. 6+6 a
La bête veut dormirquand le soleil se couche ; 6+6 a
255 Il lui déplt d'avoiraffaire aux chiens rampants ; 6+6 b
Ce lion venait d'êtreen butte aux guet-apens ; 6+6 b
On venait d'insulterla forêt magnanime ; 6+6 a
Il monta sur le mont,se dressa sur la cime, 6+6 a
Et reprit la parole,et, comme le semeur 6+6 b
260 Jette sa graine au loin,prolongea sa clameur 6+6 b
De façon que le roil'entendit dans sa ville : 6+6 a
— Roi ! tu m'as attaquéd'une manière vile ! 6+6 a
Je n'ai point jusqu'icifait mal à ton gaon ; 6+6 b
Mais, roi, je t'avertis,par-dessus l'horizon 6+6 b
265 Que j'entrerai demaindans ta ville à l'aurore, 6+6 a
Que je t'apporterail'enfant vivant encore, 6+6 a
Que j'invite à me voirentrer tous tes valets, 6+6 b
Et que je mangeraiton fils dans ton palais. 6+6 b
La nuit passa, laissantles ruisseaux fuir sous l'herbe 6+6 a
270 Et la nuée errerau fond du ciel superbe. 6+6 a
Le lendemain on vitdans la ville ceci : 6+6 b
L'aurore ; le désert ;des gens criant merci, 6+6 b
Fuyant, faces d'effroibien vite disparues ; 6+6 a
Et le vaste lionqui marchait dans les rues. 6+6 a
IV
L'AURORE
275 Le blême peuple étaitdans les caves épars. 6+6 b
A quoi bon résister ?Pas un homme aux remparts ; 6+6 b
Les portes de la villeétaient grandes ouvertes. 6+6 a
Ces bêtes à demidivines sont couvertes 6+6 a
D'une telle épouvanteet d'un doute si noir, 6+6 b
280 Leur antre est un si morneet si puissant manoir, 6+6 b
Qu'il est décidémentpresque impie et peu sage, 6+6 a
Quand il leur plt d'errer,d'être sur leur passage. 6+6 a
Vers le palais chargéd'un dôme d'or massif 6+6 b
Le lion à pas lentss'acheminait pensif, 6+6 b
285 Encor tout hérissédes flèches dédaignées ; 6+6 a
Une écorce de chênea des coups de cognées, 6+6 a
Mais l'arbre n'en meurt pas ;et, sans voir un archer, 6+6 b
Grave, il continuaitd'aller et de marcher ; 6+6 b
Et le peuple tremblait,laissant la bête seule. 6+6 a
290 Le lion avançait,tranquille, et dans sa gueule 6+6 a
Effroyable il avaitl'enfant évanoui. 6+6 b
Un petit prince est-ilun petit homme ? Oui. 6+6 b
Et la sainte pitiépleurait dans les ténèbres. 6+6 a
Le doux captif, livideentre ces crocs funèbres, 6+6 a
295 Était des deux côtésde la gueule pendant, 6+6 b
Pâle, mais n'avait pasencore un coup de dent ; 6+6 b
Et, cette proie étantun bâillon dans sa bouche, 6+6 a
Le lion ne pouvaitrugir, ennui farouche 6+6 a
Pour un monstre, et son calmeétait très furieux ; 6+6 b
300 Son silence augmentaitla flamme de ses yeux ; 6+6 b
Aucun arc ne brillaitdans aucune embrasure ; 6+6 a
Peut-être craignait-onqu'une flèche peu sûre, 6+6 a
Tremblante, mal lancéeau monstre triomphant, 6+6 b
Ne manquât le lionet ne tuât l'enfant. 6+6 b
305 Comme il l'avait promispar-dessus la montagne, 6+6 a
Le monstre, méprisantla ville comme un bagne, 6+6 a
Alla droit au palais,las de voir tout trembler, 6+6 b
Espérant trouver làquelqu'un à qui parler, 6+6 b
La porte ouverte, ainsiqu'au vent le jonc frissonne, 6+6 a
310 Vacillait. Il entradans le palais. Personne. 6+6 a
Tout en pleurant son fils,le roi s'était enfui 6+6 b
Et caché comme tous,voulant vivre aussi lui, 6+6 b
S'estimant au bonheurdes peuples nécessaire. 6+6 a
Une bête féroceest un être sincère 6+6 a
315 Et n'aime point la peur ;le lion se sentit 6+6 b
Honteux d'être si grand,l'homme étant si petit ; 6+6 b
Il se dit, dans la nuitqu'un lion a pour âme : 6+6 a
— C'est bien, je mangeraile fils. Quel père infâme ! — 6+6 a
Terrible, après la courprenant le corridor, 6+6 b
320 Il se mit à rôdersous les hauts plafonds d'or ; 6+6 b
Il vit le trône, et riendedans ; des chambres vertes, 6+6 a
Jaunes, rouges, aux seuilsvides, toutes désertes ; 6+6 a
Le monstre allait de salleen salle, pas à pas, 6+6 b
Affreux, cherchant un lieucommode à son repas ; 6+6 b
325 Il avait faim. Soudainl'effrayant marcheur fauve 6+6 a
S'arrêta.
Près du parcen fleur, dans une alcôve, 6+6 a
Un pauvre être, oubliédans la fuite, bercé 6+6 b
Par l'immense humble rêveà l'enfance versé, 6+6 b
Inondé de soleilà travers la charmille, 6+6 a
330 Se réveillait. C'étaitune petite fille ; 6+6 a
L'autre enfant du roi. Seuleet nue, elle chantait. 6+6 b
Car l'enfant chante mêmealors que tout se tait. 6+6 b
Une ineffable voix,plus tendre qu'une lyre, 6+6 a
Une petite boucheavec un grand sourire, 6+6 a
335 Un ange dans un tasde joujoux, un berceau, 6+6 b
Crèche pour un Jésusou nid pour un oiseau, 6+6 b
Deux profonds yeux bleus, pleinsde clartés inconnues, 6+6 a
Col nu, pieds nus, bras nus,ventre nu, jambes nues, 6+6 a
Une brassière blancheallant jusqu'au nombril. 6+6 b
340 Un astre dans l'azur,un rayon en avril, 6+6 b
Un lys du ciel daignantsur cette terre éclore, 6+6 a
Telle était cette enfantplus douce que l'aurore ; 6+6 a
Et le lion venaitd'apercevoir cela. 6+6 b
Il entra dans la chambre,et le plancher trembla. 6+6 b
345 Par-dessus les jouetsqui couvraient une table, 6+6 a
Le lion avançasa tête épouvantable, 6+6 a
Sombre en sa majestéde monstre et d'empereur, 6+6 b
Et sa proie en sa gueuleaugmentait son horreur. 6+6 b
L'enfant le vit, l'enfantcria : — Frère ! mon frère ! 6+6 a
350 Ah ! mon frère ! — et debout,rose dans la lumière 6+6 a
Qui la divinisaitet qui la réchauffait, 6+6 b
Regarda ce géantdes bois, dont l'œil t fait 6+6 b
Reculer les Typhonset fuir les Briarées. 6+6 a
Qui sait ce qui se passeen ces têtes sacrées ? 6+6 a
355 Elle se dressa droiteau bord du lit étroit, 6+6 b
Et menaça le monstreavec son petit doigt. 6+6 b
Alors, près du berceaude soie et de dentelle, 6+6 a
Le grand lion posason frère devant elle, 6+6 a
Comme t fait une mèreen abaissant les bras, 6+6 b
360 Et lui dit : — Le voici.Là ! ne te fâche pas ! 6+6 b
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