Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
HUG_12/HUG940
Victor HUGO
l'Art d'être grand-père
1877
VIII
LES GRIFFONNAGES DE L'ÉCOLIER
Charle a fait des dessinssur son livre de classe. 6+6 a
Le thème est fatigantau point, qu'étant très lasse, 6+6 a
La plume de l'enfantn'a pu se reposer 6+6 b
Qu'en faisant ce travailénorme : improviser 6+6 b
5 Dans un livre, partout,en haut, en bas, des fresques, 6+6 a
Comme on en voit aux mursdes alhambras moresques, 6+6 a
Des taches d'encre, ayantdes aspects d'animaux, 6+6 b
Qui dévorent la phraseet qui rongent les mots, 6+6 b
Et, le texte mangé,viennent mordre les marges. 6+6 a
10 Le nez du mtre flotteau milieu de ces charges. 6+6 a
Troublant le clair-obscurdu vieux latin toscan, 6+6 b
Dans la grande satire Rome est au carcan, 6+6 b
Sur César, sur Brutus,sur les hautes mémoires, 6+6 a
Charle a tranquillementdispersé ses grimoires. 6+6 a
15 Ce chevreau, le caprice,a grimpé sur les vers. 6+6 b
Le livre, c'est l'endroit ;l'écolier, c'est l'envers. 6+6 b
Sa gaieté s'est mêlée,espiègle, aux stigmates 6+6 a
Du vengeur qui voulaits'enfuir chez les Sarmates. 6+6 a
Les barbouillages sontétranges, profonds, drus. 6+6 b
20 Les monstres ! Les voilàperchés, l'un sur Codrus, 6+6 b
L'autre sur Néron. L'autreégratigne un dactyle. 6+6 a
Un pâté fait son niddans les branches du style. 6+6 a
Un âne, qui ressembleà monsieur Nisard, brait, 6+6 b
Et s'achève en hiboudans l'obscure forêt ; 6+6 b
25 L'encrier sur lui coule,et, la tête inondée 6+6 a
De cette pluie, il tientdans sa patte un spondée. 6+6 a
Partout la main du rêvea tracé le dessin ; 6+6 b
Et c'est ainsi qu'au gréde l'écolier, l'essaim 6+6 b
Des griffonnages, hordehostile aux belles-lettres, 6+6 a
30 S'est envolé parmiles sombres hexamètres. 6+6 a
Jeu ! songe ! on ne sait quoid'enfantin, s'enlaçant 6+6 b
Au poème, lui donneun ineffable accent, 6+6 b
Commente le chef-d'œuvre,et l'on sent l'harmonie 6+6 a
D'une naïvetécomplétant un génie. 6+6 a
35 C'est un géant ayantsur l'épaule un marmot. 6+6 b
Charle invente une fleurqu'il fait sortir d'un mot, 6+6 b
Ou lâche un farfadetailé dans la broussaille 6+6 a
Du rythme effarouchéqui s'écarte et tressaille. 6+6 a
Un rond couvre une page.Est-ce un dôme ? est-ce un œuf ? 6+6 b
40 Une belette en sortqui peut-être est un bœuf. 6+6 b
Le gribouillage règne,et sur chaque vers pose 6+6 a
Les végétationsde la métamorphose. 6+6 a
Charle a sur ce latinfait pousser un hallier. 6+6 b
Grâce à lui, ce vieux texteest un lieu singulier 6+6 b
45 le hasard, l'ennui,le lazzi, la rature 6+6 a
Dressent au second planleur vague architecture. 6+6 a
Son encre a fait la nuitsur le livre étoilé. 6+6 b
Et pourtant, par instants,ce noir réseau brouillé, 6+6 b
A travers ses rameaux,ses porches, ses pilastres, 6+6 a
50 Laisse passer l'idéeet laisse voir les astres. 6+6 a
C'est de cette façonque Charle a travaillé 6+6 b
Au dur chef-d'œuvre antique,et qu'au bronze rouillé 6+6 b
Il a plaqué le lierre,et dérangé la masse 6+6 a
Du masque énorme avecune folle grimace. 6+6 a
55 Il s'est bien amusé.Quel bonheur d'écolier ! 6+6 b
Traiter un fier génieen monstre familier ! 6+6 b
Être avec ce lioncomme avec un caniche ! 6+6 a
Aux pédants, groupe tristeet laid, faire une niche ! 6+6 a
Rendre agréable aux yeux,réjouissant, malin, 6+6 b
60 Un livre estampillépar monsieur Delalain ! 6+6 b
Gai, bondir à pieds jointspar-dessus un poème ! 6+6 a
Charle est très satisfaitde son œuvre, et lui-même 6+6 a
— L'oiseau voit le miroiret ne voit pas la glu 6+6 b
Il s'admire.
Un guetteursurvient, homme absolu. 6+6 b
65 Dans son œil terne luitle pensum insalubre, 6+6 a
Sa lèvre aux coins baissésporte en son pli lugubre 6+6 a
Le rudiment, la loi,le refus des congés, 6+6 b
Et l'auguste fureurdes textes outragés. 6+6 b
L'enfance veut des fleurs ;on lui donne la roche. 6+6 a
70 Hélas ! c'est le censeurdu collège. Il approche, 6+6 a
Jette au livre un regardfuneste, et dit, hautain : 6+6 b
— Fort bien. Vous copierezmille vers ce matin 6+6 b
Pour manque de respectà vos livres d'étude. — 6+6 a
Et ce geôlier s'en va,laissant là ce Latude. 6+6 a
75 Or c'est précisémentla récréation. 6+6 b
Être à neuf ans Tantale,Encelade, Ixion ! 6+6 b
Voir autrui jouer ! Êtreun banni, qu'on excepte ! 6+6 a
Tourner du châtimentla manivelle inepte ! 6+6 a
Soupirer sous l'ennui,devant les cieux ouverts, 6+6 b
80 Et sous cette montagneaffreuse, mille vers ! 6+6 b
Charles sanglote, et dit :— Ne pas jouer aux barres ! 6+6 a
Copier du latin !Je suis chez les barbares. — 6+6 a
C'est midi ; le moment sur l'herbe on s'assied, 6+6 b
L'heure sainte l'on doitsauter à cloche-pied ; 6+6 b
85 L'air est chaud, les taillissont verts, et la fauvette 6+6 a
S'y débarbouille, ayantla source pour cuvette ; 6+6 a
La cigale est là-basqui chante dans le blé. 6+6 b
L'enfant a droit aux champs.Charles songe accablé 6+6 b
Devant le livre, hélas,tout noirci par ses crimes. 6+6 a
90 Il croit confusémentouïr gronder les rimes 6+6 a
D'un Boileau, qui s'entr'ouvreet bâille à ses côtés ; 6+6 b
Tous ces bouquins lui fontl'effet d'être irrités. 6+6 b
Aucun remords pourtant.Il a la tête haute. 6+6 a
Ne sentant pas de honte,il ne voit pas de faute. 6+6 a
95 — Suis-je donc en prison ?Suis-je donc le vassal 6+6 b
De Noël, lâchementaggravé par Chapsal ? 6+6 b
Qu'est-ce donc que j'ai fait ?— Triste, il voit passer l'heure 6+6 a
De la joie. Il est seul.Tout l'abandonne. Il pleure. 6+6 a
Il regarde, éperdu,sa feuille de papier. 6+6 b
100 Mille vers ! Copier !Copier ! Copier ! 6+6 b
Copier ! Ô pédant,c'est là ce que tu tires 6+6 a
Du bois l'on entendla flûte des satyres, 6+6 a
Tyran dont le sourcil,sitôt qu'on te répond, 6+6 b
Se fronce comme l'ondeaux arches d'un vieux pont ! 6+6 b
105 L'enfance a dès longtempsinventé dans sa rage 6+6 a
La charrue à trois socspour ce dur labourage. 6+6 a
Allons ! dit-il, trichonsles pions déloyaux ! 6+6 b
Et, farouche, il saisitsa plume à trois tuyaux. 6+6 b
Soudain du livre immenseune ombre, une âme, un homme 6+6 a
110 Sort, et dit : — Ne crains rien,mon enfant. Je me nomme 6+6 a
Juvénal. Je suis bon.Je ne fais peur qu'aux grands. — 6+6 b
Charles lève ses yeuxpleins de pleurs transparents, 6+6 b
Et dit : — Je n'ai pas peur.— L'homme, pareil aux marbres, 6+6 a
Reprend, tandis qu'au loinon entend sous les arbres 6+6 a
115 Jouer les écoliers,gais et de bonne foi : 6+6 b
Enfant, je fus jadisexilé comme toi, 6+6 b
Pour avoir comme toibarbouillé des figures. 6+6 a
Comme toi les pédants,j'ai fâché les augures. 6+6 a
Élève de Jauffretque jalouse Massin, 6+6 b
120 Voyons ton livre. — Il dit,et regarde un dessin 6+6 b
Qui n'a pas trop de queueet pas beaucoup de tête. 6+6 a
— Qu'est-ce que c'est que ça !— Monsieur, c'est une bête. 6+6 a
Ah ! tu mets dans mes versdes bêtes ! Après tout, 6+6 b
Pourquoi pas ? puisque Dieu,qui dans l'ombre est debout, 6+6 b
125 En met dans les grands boiset dans les mers sacrées. 6+6 a
Il tourne une autre page,et se penche : — Tu crées. 6+6 a
Qu'est ceci ? Ca m'a l'airfort beau, quoique tortu. 6+6 b
— Monsieur, c'est un bonhomme.Un bonhomme, dis-tu ? 6+6 b
Eh bien, il en manquaitjustement un. Mon livre 6+6 a
130 Est rempli de méchants.Voir un bonhomme vivre 6+6 a
Parmi tous ces gens-làme plt. Césars bouffis, 6+6 b
Rangez-vous ! ce bonhommeest dieu. Merci, mon fils. — 6+6 b
Et, d'un doigt souverain,le voilà qui feuillette 6+6 a
Nisard, l'âne, le nezdu mtre, la belette 6+6 a
135 Qui peut-être est un bœuf,les dragons, les griffons, 6+6 b
Les pâtés d'encre ailés,mêlés aux vers profonds, 6+6 b
Toute cette gtésur son courroux éparse, 6+6 a
Et Juvénal s'écrieébloui : — C'est très farce ! 6+6 a
Ainsi, la grande sœuret la petite sœur, 6+6 b
140 Ces deux âmes, sont là,jasant ; et le censeur, 6+6 b
Obscur comme minuitet froid comme décembre, 6+6 a
Serait bien étonné,s'il entrait dans la chambre, 6+6 a
De voir sous le plafonddu collège étouffant, 6+6 b
Le vieux poète rireavec le doux enfant. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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