Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
HUG_12/HUG924
Victor HUGO
l'Art d'être grand-père
1877
IV
LE POËME DU JARDIN DES PLANTES
VII
Tous les bas âges sont | épars sous ces grands arbres. 6+6 a
Certes, l'alignement | des vases et des marbres, 6+6 a
Ce parterre au cordeau, | ce cèdre résigné, 6+6 b
Ce chêne que monsieur | Despréaux eut signé, 6+6 b
5 Ces barreaux noirs croisés | sur la fleur odorante, 6+6 a
Font honneur à Buffon | qui fut l'un des Quarante 6+6 a
Et mêla, de façon | à combler tous nos vœux, 6+6 b
Le peigne de Lenôtre | aux effrayants cheveux 6+6 b
De Pan, dieu des halliers, | des rochers et des plaines ; 6+6 a
10 Cela n'empêche pas | les roses d'être pleines 6+6 a
De parfums, de désirs, | d'amour et de clarté ; 6+6 b
Cela n'empêche pas | l'été d'être l'été ; 6+6 b
Cela n'ôte à la vie | aucune confiance ; 6+6 a
Cela n'empêche pas | l'aurore en conscience 6+6 a
15 D'apparaitre au zénith | qui semble s'élargir, 6+6 b
Les enfants de jouer, | les monstres de rugir. 6+6 b
Un bon effroi joyeux | emplit ces douces têtes. 6+6 a
Écoutez-moi ces cris | charmants. — Viens voir les bêtes ! 6+6 a
Ils courent. Quelle extase ! | On s'arrête devant 6+6 b
20 Des cages où l'on voit | des oiseaux bleus rêvant 6+6 b
Comme s'ils attendaient | le mois où l'on émigre. 6+6 a
— Regarde ce gros chat. | — Ce gros chat c'est le tigre. 6+6 a
Les grands font aux petits | vénérer les guenons, 6+6 b
Les pythons, les chacals, | et nomment par leurs noms 6+6 b
25 Les vieux ours qui, dit-on, | poussent l'humeur maligne 6+6 a
Jusqu'à manger parfois | des soldats de la ligne. 6+6 a
Spectacle monstrueux ! | Les gueules, les regards 6+6 b
De dragon, lueur fauve | au fond des bois hagards, 6+6 b
Les écailles, les dards, | la griffe qui s'allonge, 6+6 a
30 Une apparition | d'abîme, l'affreux songe 6+6 a
Réel que l'œil troublé | des prophètes amers 6+6 b
Voit sous la transparence | effroyable des mers 6+6 b
Et qui se traîne épars | dans l'horreur inouïe, 6+6 a
L'énorme bâillement | du gouffre qui s'ennuie, 6+6 a
35 Les mâchoires de l'hydre | ouvertes tristement, 6+6 b
On ne sait quel chaos | blême, obscur, inclément, 6+6 b
Un essai d'exister, | une ébauche de vie 6+6 a
D'où sort le bégaiement | furieux de l'envie. 6+6 a
C'est cela l'animal ; | et c'est ce que l'enfant 6+6 b
40 Regarde, admire et craint, | vaguement triomphant ; 6+6 b
C'est de la nuit qu'il vient | contempler, lui l'aurore. 6+6 a
Ce noir fourmillement | mugit, hurle, dévore ; 6+6 a
On est un chérubin | rose, frêle et tremblant ; 6+6 b
On va voir celui-ci | que l'hiver fait tout blanc, 6+6 b
45 Cet autre dont l'œil jette | un éclair du tropique ; 6+6 a
Tout cela gronde, hait, | menace, siffle, pique, 6+6 a
Mord ; mais par sa nourrice | on se sent protéger ; 6+6 b
Comme c'est amusant | d'avoir peur sans danger ! 6+6 b
Ce que l'homme contemple, | il croit qu'il le découvre. 6+6 a
50 Voir un roi dans son antre, | un tigre dans son Louvre, 6+6 a
Cela plaît à l'enfance. |Il est joliment laid ! 6+6 b
Viens voir ! — Étrange instinct ! | Grâce à qui l'horreur plaît ! 6+6 b
On vient chercher surtout | ceux qu'il faut qu'on évite. 6+6 a
— Par ici ! — Non, par là ! | — Tiens, regarde ! — Viens vite ! 6+6 a
55 — Jette-leur ton gâteau. | — Pas tout. — Jette toujours. 6+6 b
— Moi, j'aime bien les loups. | — Moi, j'aime mieux les ours. 6+6 b
Et les fronts sont riants, | et le soleil les dore, 6+6 a
Et ceux qui, nés d'hier, | ne parlent pas encore 6+6 a
Pendant ces brouhahas | sous les branchages verts, 6+6 b
60 Sont là, mystérieux, | les yeux tout grands ouverts, 6+6 b
Et méditent.
Afrique | aux plis infranchissables, 6+6 a
Ô gouffre d'horizons | sinistres, mer des sables, 6+6 a
Sahara, Dahomey, | lac Nagaïn, Darfour, 6+6 b
Toi, l'Amérique, et toi, | l'Inde, âpre carrefour 6+6 b
65 Où Zoroastre fait | la rencontre d'Homère, 6+6 a
Paysages de lune | où rôde la chimère, 6+6 a
Où l'orang-outang marche | un bâton à la main, 6+6 b
Où la nature est folle | et n'a plus rien d'humain, 6+6 b
Jungles par les sommeils | de la fièvre rêvées, 6+6 a
70 Plaines où brusquement | on voit des arrivées 6+6 a
De fleuves tout à coup | grossis et déchaînés, 6+6 b
Où l'on entend rugir | les lions étonnés 6+6 b
Que l'eau montante enferme | en des îles subites, 6+6 a
Déserts dont les gavials | sont les noirs cénobites, 6+6 a
75 Où le boa, sans souffle | et sans tressaillement, 6+6 b
Semble un tronc d'arbre à terre | et dort affreusement, 6+6 b
Terre des baobabs, | des bambous, des lianes, 6+6 a
Songez que nous avons | des Georges et des Jeannes, 6+6 a
Créez des monstres ; lacs, | forêts, avec vos monts 6+6 b
80 Vos noirceurs et vos bruits, | composez des mammons ; 6+6 b
Abîmes, condensez | en eux toutes vos gloires, 6+6 a
Donnez-leur vos rochers | pour dents et pour mâchoires, 6+6 a
Pour voix votre ouragan, | pour regard votre horreur ; 6+6 b
Donnez-leur des aspects | de pape et d'empereur, 6+6 b
85 Et faites, par-dessus | les halliers, leur étable 6+6 a
Et leur palais, bondir | leur joie épouvantable. 6+6 a
Certes, le casoar | est un bon sénateur, 6+6 b
L'oie a l'air d'un évêque | et plaît par sa hauteur, 6+6 b
Dieu quand il fit le singe | a rêvé Scaramouche, 6+6 a
90 Le colibri m'enchante | et j'aime l'oiseau-mouche ; 6+6 a
Mais ce que de ta verve, | ô nature, j'attends 6+6 b
Ce sont les Béhémoths | et les Léviathans. 6+6 b
Le nouveau-né qui sort | de l'ombre et du mystère 6+6 a
Ne serait pas content | de ne rien voir sur terre ; 6+6 a
95 Un immense besoin | d'étonnement, voilà 6+6 b
Toute l'enfance, et c'est | en songeant à cela 6+6 b
Que j'applaudis, nature, | aux géants que tu formes ; 6+6 a
L'œil bleu des innocents | veut des bêtes énormes ; 6+6 a
Travaillez, dieux affreux ! | Soyez illimités 6+6 b
100 Et féconds, nous tenons | à vos difformités 6+6 b
Autant qu'à vos parfums, | autant qu'à vos dictames, 6+6 a
Ô déserts, attendu | que les hippopotames, 6+6 a
Que les rhinocéros | et que les éléphants 6+6 b
Sont évidemment faits | pour les petits enfants. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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