Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
HUG_12/HUG918
Victor HUGO
l'Art d'être grand-père
1877
IV
LE POËME DU JARDIN DES PLANTES
I
Le comte de Buffon | fut bonhomme, il créa 6+6 a
Ce jardin imité | d'Évandre et de Rhéa 6+6 a
Et plein d'ours plus savants | que ceux de la Sorbonne, 6+6 b
Afin que Jeanne y puisse | aller avec sa bonne ; 6+6 b
5 Buffon avait prévu | Jeanne, et je lui sais gré 6+6 a
De s'être dit qu'un jour | Paris un peu tigré, 6+6 a
Complétant ses bourgeois | par une variante, 6+6 b
La bête, enchanterait | cette âme souriante ; 6+6 b
Les enfants ont des yeux | si profonds, que parfois 6+6 a
10 Ils cherchent vaguement | la vision des bois ; 6+6 a
Et Buffon paternel, | c'est ainsi qu'il rachète 6+6 b
Sa phrase sur laquelle | a traîné sa manchette, 6+6 b
Pour les marmots, de qui | les anges sont jaloux, 6+6 a
A fait ce paradis | suave, orné de loups. 6+6 a
15 J'approuve ce Buffon. | Les enfants, purs visages, 6+6 b
Regardent l'invisible, | et songent, et les sages 6+6 b
Tâchent toujours de plaire | à quelqu'un de rêveur. 6+6 a
L'été dans ce jardin | montre de la ferveur ; 6+6 a
C'est un éden où juin | rayonne, où les fleurs luisent, 6+6 b
20 Où l'ours bougonne, et Jeanne | et Georges m'y conduisent. 6+6 b
C'est du vaste univers | un raccourci complet. 6+6 a
Je vais dans ce jardin | parce que cela plaît 6+6 a
À Jeanne, et que je suis | contre elle sans défense. 6+6 b
J'y vais étudier | deux gouffres, Dieu, l'enfance, 6+6 b
25 Le tremblant nouveau-né, | le créateur flagrant, 6+6 a
L'infiniment charmant | et l'infiniment grand, 6+6 a
La même chose au fond ; | car c'est la même flamme 6+6 b
Qui sort de l'astre immense | et de la petite âme. 6+6 b
Je contemple, au milieu | des arbres de Buffon, 6+6 a
30 Le bison trop bourru, | le babouin trop bouffon, 6+6 a
Des bosses, des laideurs, | des formes peu choisies, 6+6 b
Et j'apprends à passer | à Dieu ses fantaisies. 6+6 b
Dieu, n'en déplaise au prêtre, | au bonze, au caloyer, 6+6 a
Est capable de tout, | lui qui fait balayer 6+6 a
35 Le bon goût, ce ruisseau, | par Nisard, ce concierge, 6+6 b
Livre au singe excessif | la forêt, cette vierge, 6+6 b
Et permet à Dupin | de ressembler aux chiens. 6+6 a
(Pauvres chiens !) — Selon l'Inde | et les manichéens, 6+6 a
Dieu doublé du démon | expliquerait l'énigme ; 6+6 b
40 Le paradis ayant | l'enfer pour borborygme, 6+6 b
La Providence un peu | servante d'Anankè, 6+6 a
L'infini mal rempli | par l'univers manqué, 6+6 a
Le mal faisant toujours | au bien quelque rature, 6+6 b
Telle serait la loi | de l'aveugle nature ; 6+6 b
45 De là les contresens | de la création. 6+6 a
Dieu, certe, a des écarts | d'imagination ; 6+6 a
Il ne sait pas garder | la mesure ; il abuse 6+6 b
De son esprit jusqu'à | faire l'oie et la buse ; 6−6 b
Il ignore, auteur fauve | et sans frein ni cordeau, 6+6 a
50 Ce point juste où Laharpe | arrête Colardeau ; 6+6 a
Il se croit tout permis. | Malheur à qui l'imite ! 6+6 b
Il n'a pas de frontière, | il n'a pas de limite ; 6+6 b
Et fait pousser l'ivraie | au beau milieu du blé, 6+6 a
Sous prétexte qu'il est | l'immense et l'étoilé ; 6+6 a
55 Il a d'affreux vautours | qui nous tombent des nues ; 6+6 b
Il nous impose un tas | d'inventions cornues, 6+6 b
Le bouc, l'auroch, l'isard | et le colimaçon ; 6+6 a
Il blesse le bon sens, | il choque la raison ; 6+6 a
Il nous raille ; il nous fait | avaler la couleuvre ! 6+6 b
60 Au moment où, contents, | examinant son œuvre, 6+6 b
Rendant pleine justice | à tant de qualités, 6+6 a
Nous admirons l'œil d'or | des tigres tachetés, 6+6 a
Le cygne, l'antilope | à la prunelle bleue, 6+6 b
La constellation | qu'un paon a dans sa queue, 6+6 b
65 D'une cage insensée | il tire le verrou, 6+6 a
Et voilà qu'il nous jette | au nez le kangourou ! 6+6 a
Dieu défait et refait, | ride, éborgne, essorille, 6+6 b
Exagère le nègre, | hélas, jusqu'au gorille, 6+6 b
Fait des taupes et fait | des lynx, se contredit, 6+6 a
70 Mêle dans les halliers | l'histrion au bandit, 6+6 a
Le mandrille au jaguar, | le perroquet à l'aigle, 6+6 b
Lie à la parodie | insolente et sans règle 6+6 b
L'épopée, et les laisse | errer toutes les deux 6+6 a
Sous l'âpre clair-obscur | des branchages hideux ; 6+6 a
75 Si bien qu'on ne sait plus | s'il faut trembler ou rire, 6+6 b
Et qu'on croit voir rôder, | dans l'ombre que déchire 6+6 b
Tantôt le rayon d'or, | tantôt l'éclair d'acier, 6+6 a
Un spectre qui parfois | avorte en grimacier. 6+6 a
Moi, je n'exige pas | que Dieu toujours s'observe, 6+6 b
80 Il faut bien tolérer | quelques excès de verve 6+6 b
Chez un si grand poète, | et ne point se fâcher 6+6 a
Si celui qui nuance | une fleur de pêcher 6+6 a
Et courbe l'arc-en-ciel | sur l'Océan qu'il dompte, 6+6 b
Après un colibri | nous donne un mastodonte ! 6+6 b
85 C'est son humeur à lui | d'être de mauvais goût, 6+6 a
D'ajouter l'hydre au gouffre | et le ver à l'égout, 6+6 a
D'avoir en toute chose | une stature étrange, 6+6 b
Et d'être un Rabelais | d'où sort un Michel-Ange. 6+6 b
C'est Dieu ; moi je l'accepte. |
Et quant aux nouveau-nés, 6+6 a
90 De même. Les enfants | ne nous sont pas donnés 6+6 a
Pour avoir en naissant | les façons du grand monde ; 6+6 b
Les petits en maillot, | chez qui la sève abonde, 6+6 b
Poussent l'impolitesse | assez loin quelquefois ; 6+6 a
J'en conviens. Et parmi | les cris, les pas, les voix, 6+6 a
95 Les ours et leurs cornacs, | les marmots et leurs mères, 6+6 b
Dans ces réalités | semblables aux chimères, 6+6 b
Ébahi par le monstre | et le mioche, assourdi 6+6 a
Comme par la rumeur | d'une ruche à midi, 6+6 a
Sentant qu'à force d'être | aïeul on est apôtre, 6+6 b
100 Questionné par l'un, | escaladé par l'autre, 6+6 b
Pardonnant aux bambins | le bruit, la fiente aux nids, 6+6 a
Et le rugissement | aux bêtes, je finis 6+6 a
Par ne plus être, au fond | du grand jardin sonore, 6+6 b
Qu'un bonhomme attendri | par l'enfance et l'aurore, 6+6 b
105 Aimant ce double feu, | s'y plaisant, s'y chauffant, 6+6 a
Et pas moins indulgent | pour Dieu que pour l'enfant. 6+6 a
mètre profil métrique : 6−6
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