Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
HUG_11/HUG274
Victor HUGO
Les Rayons et les Ombres
1840
XIX
CE QUI SE PASSAIT
AUX FEUILLANTINES VERS 1813
Enfants, beaux fronts naïfspenchés autour de moi, 6+6 a
Bouches aux dents d'émaildisant toujours : Pourquoi ? 6+6 a
Vous qui, m'interrogeantsur plus d'un grand problème, 6+6 b
Voulez de chaque chose,obscure pour moi-même, 6+6 b
5 Conntre le vrai senset le mot décisif, 6+6 a
Et qui touchez à toutdans mon esprit pensif ; 6+6 a
— Si bien que, vous partis,enfants, souvent je passe 6+6 b
Des heures, fort maussade,à remettre à leur place 6+6 b
Au fond de mon cerveaumes plans, mes visions, 6+6 a
10 Mes sujets éternelsde méditations, 6+6 a
Dieu, l'homme, l'avenir,la raison, la démence, 6+6 b
Mes systèmes, tas sombre,échafaudage immense, 6+6 b
Dérangés tout à coup,sans tort de votre part, 6+6 a
Par une questiond'enfant, faite au hasard ! — 6+6 a
15 Puisqu'enfin vous voilàsondant mes destinées, 6+6 b
Et que vous me parlezde mes jeunes années, 6+6 b
De mes premiers instincts,de mon premier espoir, 6+6 a
Écoutez, doux amis,qui voulez tout savoir ! 6+6 a
J'eus dans ma blonde enfance,hélas ! trop éphémère, 6+6 b
20 Trois mtres : — un jardin,un vieux prêtre et ma mère. 6+6 b
Le jardin était grand,profond, mystérieux, 6+6 a
Fermé par de hauts mursaux regards curieux, 6+6 a
Semé de fleurs s'ouvrantainsi que des paupières, 6+6 b
Et d'insectes vermeilsqui couraient sur les pierres ; 6+6 b
25 Plein de bourdonnementset de confuses voix ; 6+6 a
Au milieu, presque un champ,dans le fond, presque un bois. 6+6 a
Le prêtre, tout nourride Tacite et d'Homère, 6+6 b
Était un doux vieillard.Ma mèreétait ma mère ! 6+6 b
Ainsi je grandissaissous ce triple rayon. 6+6 a
30 Un jour… — Oh ! si Gautierme prêtait son crayon, 6+6 a
Je vous dessineraisd'un trait une figure 6+6 b
Qui chez ma mère un jourentra, fâcheux augure ! 6+6 b
Un docteur au front pauvre,au maintien solennel, 6+6 a
Et je verrais écloreà vos bouches sans fiel, 6+6 a
35 Portes de votre cœurqu'aucun souci ne mine, 6+6 b
Ce rire éblouissantqui parfois m'illumine ! 6+6 b
Lorsque cet homme entra,je jouais au jardin. 6+6 a
Et rien qu'en le voyantje m'arrêtai soudain. 6+6 a
C'était le principald'un collège quelconque. 6+6 b
40 Les tritons que Coypelgroupe autour d'une conque, 6+6 b
Les faunes que Watteaudans les bois fourvoya, 6+6 a
Les sorciers de Rembrandt,les gnomes de Goya, 6+6 a
Les diables variés,vrais cauchemars de moine 6+6 b
Dont Callot en rianttaquine saint Antoine, 6+6 b
45 Sont laids, mais sont charmants ;difformes, mais remplis 6+6 a
D'un feu qui de leur faceanime tous les plis 6+6 a
Et parfois dans leurs yeuxjette un éclair rapide. 6+6 b
— Notre homme était fort laid,mais il était stupide. 6+6 b
Pardon, j'en parle encorcomme un franc écolier. 6+6 a
50 C'est mal. Ce que j'ai dit,tâchez de l'oublier ; 6+6 a
Car de votre âge heureux,qu'un pédant embarrasse, 6+6 b
J'ai gardé la colèreet j'ai perdu la grâce. 6+6 b
Cet homme chauve et noir,très effrayant pour moi, 6+6 a
Et dont ma mère aussid'abord eut quelque effroi, 6+6 a
55 Tout en multipliantles humbles attitudes, 6+6 b
Apportait des aviset des sollicitudes : 6+6 b
— Que l'enfant n'était pasdirigé ; — que parfois 6+6 a
Il emportait son livreen rêvant dans les bois ; 6+6 a
Qu'il croissait au hasarddans cette solitude ; 6+6 b
60 Qu'on devait y songer ;que la sévère étude 6+6 b
Était fille de l'ombreet des cltres profonds ; 6+6 a
Qu'une lampe pendueà de sombres plafonds, 6+6 a
Qui de cent écoliersguide la plume agile, 6+6 b
Éclairait mieux Horaceet Catulle et Virgile, 6+6 b
65 Et versait à l'espritdes rayons bien meilleurs 6+6 a
Que le soleil qui joueà travers l'arbre en fleurs ; 6+6 a
Et qu'enfin il fallaitaux enfants, — loin des mères, — 6+6 b
Le joug, le dur travailet les larmes amères. 6+6 b
Là-dessus, le collège,aimable et triomphant, 6+6 a
70 Avec un doux sourireoffrait au jeune enfant 6+6 a
Ivre de liberté,d'air, de joie et de roses, 6+6 b
Ses bancs de chêne noirs,ses longs dortoirs moroses, 6+6 b
Ses salles qu'on verrouilleet qu'à tous leurs piliers 6+6 a
Sculpte avec un vieux cloul'ennui des écoliers, 6+6 a
75 Ses magisters qui font,parmi les paperasses, 6+6 b
Manger l'heure du jeupar les pensums voraces, 6+6 b
Et, sans eux, sans gazon,sans arbres, sans fruits mûrs, 6+6 a
Sa grande cour pavéeentre quatre grands murs. 6+6 a
L'homme congédié,de ses discours frappée, 6+6 b
80 Ma mère demeuratriste et préoccupée. 6+6 b
Que faire ? que vouloir ?qui donc avait raison, 6+6 a
Ou le morne collège,ou l'heureuse maison ? 6+6 a
Qui sait mieux de la vieaccomplir l'œuvre austère, 6+6 b
L'écolier turbulent,ou l'enfant solitaire ? 6+6 b
85 Problèmes ! questions !elle hésitait beaucoup. 6+6 a
L'affaire était bien grave.Humble femme après tout, 6+6 a
Âme par le destin,non par les livres faite, 6+6 b
De quel front repousserce tragique prophète, 6+6 b
Au ton si magistral,aux gestes si certains, 6+6 a
90 Qui lui parlait au nomdes Grecs et des Latins ? 6+6 a
Le prêtre était savantsans doute ; mais, que sais-je ? 6+6 b
Apprend-on par le mtreou bien par le collège ? 6+6 b
Et puis, enfin, — souventainsi nous triomphons ! — 6+6 a
L'homme le plus vulgairea de grands mots profonds : 6+6 a
95 « Il est indispensable !il convient ! — il importe ! » 6+6 b
Qui troublent quelquefoisla femme la plus forte. 6+6 b
Pauvre mère ! lequelchoisir des deux chemins ? 6+6 a
Tout le sort de son filsse pesait dans ses mains. 6+6 a
Tremblante, elle tenaitcette lourde balance, 6+6 b
100 Et croyait bien la voirpar moments en silence 6+6 b
Pencher vers le collège,hélas ! en opposant 6+6 a
Mon bonheur à venirà mon bonheur présent. 6+6 a
Elle songeait ainsisans sommeil et sans trêve. 6+6 b
C'était l'été. Vers l'heure la lune se lève, 6+6 b
105 Par un de ces beaux soirsqui ressemblent au jour 6+6 a
Avec moins de clarté,mais avec plus d'amour, 6+6 a
Dans son parc, jouaientle rayon et la brise, 6+6 b
Elle errait, toujours tristeet toujours indécise, 6+6 b
Questionnant tout basl'eau, le ciel, la forêt, 6+6 a
110 Écoutant au hasardles voix qu'elle entendait. 6+6 a
C'est dans ces moments-làque le jardin paisible, 6+6 b
La broussaille remueun insecte invisible, 6+6 b
Le scarabée amides feuilles, le lézard 6+6 a
Courant au clair de luneau fond du vieux puisard, 6+6 a
115 La faïence à fleur bleue vit la plante grasse, 6+6 b
Le dôme orientaldu sombre Val-de-Grâce, 6+6 b
Le cltre du couvent,brisé, mais doux encor, 6+6 a
Les marronniers, la verteallée aux boutons-d'or, 6+6 a
La statue sans bruitse meut l'ombre des branches, 6+6 b
120 Les pâles liserons,les pâquerettes blanches, 6+6 b
Les cent fleurs du buisson,de l'arbre, du roseau, 6+6 a
Qui rendent en parfumsses chansons à l'oiseau, 6+6 a
Se mirent dans la mareou se cachent dans l'herbe, 6+6 b
Ou qui, de l'ébénierchargeant le front superbe, 6+6 b
125 Au bord des clairs étangsse mêlant au bouleau, 6+6 a
Tremblent en grappes d'ordans les moires de l'eau, 6+6 a
Et le ciel scintillantderrière les ramées, 6+6 b
Et les toits répandantde charmantes fumées, 6+6 b
C'est dans ces moments-là,comme je vous le dis, 6+6 a
130 Que tout ce beau jardin,radieux paradis, 6+6 a
Tous ces vieux murs croulants,toutes ces jeunes roses, 6+6 b
Tous ces objets pensifs,toutes ces douces choses, 6+6 b
Parlèrent à ma mèreavec l'onde et le vent, 6+6 a
Et lui dirent tout bas :« Laisse-nous cet enfant ! » 6+6 a
135 « Laisse-nous cet enfant,pauvre mère troublée ! 6+6 b
Cette prunelle ardente,ingénue, étoilée, 6+6 b
Cette tête au front purqu'aucun deuil ne voila, 6+6 a
Cette âme neuve encor,mère, laisse-nous-la ! 6+6 a
Ne vas pas la jeterau hasard dans la foule. 6+6 b
140 La foule est un torrentqui brise ce qu'il roule. 6+6 b
Ainsi que les oiseauxles enfants ont leurs peurs. 6+6 a
Laisse à notre air limpide,à nos moites vapeurs, 6+6 a
À nos soupirs, légerscomme l'aile d'un songe, 6+6 b
Cette bouche jamaisn'a passé le mensonge, 6+6 b
145 Ce sourire naïfque sa candeur défend ! 6+6 a
Ô mère au cœur profond,laisse-nous cet enfant ! 6+6 a
Nous ne lui donneronsque de bonnes pensées ; 6+6 b
Nous changerons en jourses lueurs commencées ; 6+6 b
Dieu deviendra visibleà ses yeux enchantés ; 6+6 a
150 Car nous sommes les fleurs,les rameaux, les clartés, 6+6 a
Nous sommes la natureet la source éternelle 6+6 b
toute soif s'épanche, se lave toute aile ; 6+6 b
Et les bois et les champs,du sage seul compris, 6+6 a
Font l'éducationde tous les grands esprits ! 6+6 a
155 Laisse crtre l'enfantparmi nos bruits sublimes. 6+6 b
Nous le pénétreronsde ces parfums intimes, 6+6 b
Nés du souffle célesteépars dans tout beau lieu, 6+6 a
Qui font sortir de l'hommeet monter jusqu'à Dieu, 6+6 a
Comme le chant d'un luth,comme l'encens d'un vase, 6+6 b
160 L'espérance, l'amour,la prière, et l'extase ! 6+6 b
Nous pencherons ses yeuxvers l'ombre d'ici-bas, 6+6 a
Vers le secret de toutentr'ouvert sous ses pas. 6+6 a
D'enfant nous le feronshomme, et d'homme poète. 6+6 b
Pour former de ses sensla corolle inquiète, 6+6 b
165 C'est nous qu'il faut choisir ;et nous lui montrerons 6+6 a
Comment, de l'aube au soir,du chêne aux moucherons, 6+6 a
Emplissant tout, reflets,couleurs, brumes, haleines, 6+6 b
La vie aux mille aspectsrit dans les vertes plaines. 6+6 b
Nous te le rendrons simpleet des cieux ébloui : 6+6 a
170 Et nous ferons germerde toutes parts en lui 6+6 a
Pour l'homme, triste effetperdu sous tant de causes, 6+6 b
Cette pitié qui ntdu spectacle des choses ! 6+6 b
Laissez-nous cet enfant !nous lui ferons un cœur 6+6 a
Qui comprendra la femme ;un esprit non moqueur, 6+6 a
175 ntront aisémentle songe et la chimère, 6+6 b
Qui prendra Dieu pour livreet les champs pour grammaire, 6+6 b
Un âme, pur foyerde secrètes faveurs, 6+6 a
Qui luira doucementsur tous les fronts rêveurs, 6+6 a
Et, comme le soleildans les fleurs fécondées, 6+6 b
180 Jettera des rayonssur toutes les idées ! » 6+6 b
Ainsi parlaient, à l'heure la ville se tait, 6+6 a
L'astre, la plante et l'arbre,et ma mère écoutait. 6+6 a
Enfants ! ont-ils tenuleur promesse sacrée ? 6+6 b
Je ne sais. Mais je saisque ma mère adorée 6+6 b
185 Les crut, et, m'épargnantd'ennuyeuses prisons, 6+6 a
Confia ma jeune âmeà leurs douces leçons. 6+6 a
Dès lors, en attendantla nuit, heure l'étude 6+6 b
Rappelait ma penséeà sa grave attitude, 6+6 b
Tout le jour, libre, heureux,seul sous le firmament, 6+6 a
190 Je pus errer à l'aiseen ce jardin charmant, 6+6 a
Contemplant les fruits d'or,l'eau rapide ou stagnante, 6+6 b
L'étoile épanouieet la fleur rayonnante, 6+6 b
Et les prés et les bois,que mon esprit le soir, 6+6 a
Revoyait dans Virgileainsi qu'en un miroir. 6+6 a
195 Enfants ! aimez les champs,les vallons, les fontaines, 6+6 b
Les chemins que le soiremplit de voix lointaines, 6+6 b
Et l'onde et le sillon,flanc jamais assoupi, 6+6 a
germe la penséeà côté de l'épi. 6+6 a
Prenez-vous par la mainet marchez dans les herbes ; 6+6 b
200 Regardez ceux qui vontliant les blondes gerbes ; 6+6 b
Épelez dans le cielplein de lettres de feu, 6+6 a
Et, quand un oiseau chante,écoutez parler Dieu. 6+6 a
La vie avec le chocdes passions contraires 6+6 b
Vous attend ; soyez bons,soyez vrais, soyez frères ; 6+6 b
205 Unis contre le monde l'esprit se corrompt, 6+6 a
Lisez au même livreen vous touchant du front, 6+6 a
Et n'oubliez jamaisque l'âme humble et choisie 6+6 b
Faite pour la lumièreet pour la poésie, 6+6 b
Que les cœurs Dieu metdes échos sérieux 6+6 a
210 Pour tous les bruits qu'animeun sens mystérieux, 6+6 a
Dans un cri, dans un son,dans un vague murmure, 6+6 b
Entendent les conseilsde toute la nature ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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