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e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
HUG_11/HUG256
Victor HUGO
Les Rayons et les Ombres
1840
I
FONCTION DU POÈTE
I
Pourquoi t'exiler, ô poète, 8 a
Dans la foule où nous te voyons ? 8 b
Que sont pour ton âme inquiète 8 a
Les partis, chaos sans rayons ? 8 b
5 Dans leur atmosphère souillée 8 c
Meurt ta poésie effeuillée ; 8 c
Leur souffle égare ton encens. 8 d
Ton cœur, dans leurs luttes serviles, 8 e
Est comme ces gazons des villes 8 e
10 Rongés par les pieds des passants. 8 d
Dans les brumeuses capitales 8 a
N'entends-tu pas avec effroi, 8 b
Comme deux puissances fatales, 8 a
Se heurter le peuple et le roi ? 8 b
15 De ces haines que tout réveille 8 c
À quoi bon emplir ton oreille, 8 c
Ô Poète, ô maître, ô semeur ? 8 d
Tout entier au Dieu que tu nommes, 8 e
Ne te mêle pas à ces hommes 8 e
20 Qui vivent dans une rumeur ! 8 d
Va résonner, âme épurée, 8 a
Dans le pacifique concert ! 8 b
Va t'épanouir, fleur sacrée, 8 a
Sous les larges cieux du désert ! 8 b
25 Ô rêveur, cherche les retraites, 8 c
Les abris, les grottes discrètes, 8 c
Et l'oubli pour trouver l'amour, 8 d
Et le silence, afin d'entendre 8 e
La voix d'en haut, sévère et tendre, 8 e
30 Et l'ombre, afin de voir le jour ! 8 d
Va dans les bois ! va sur les plages ! 8 a
Compose tes chants inspirés 8 b
Avec la chanson des feuillages 8 a
Et l'hymne des flots azurés ! 8 b
35 Dieu t'attend dans les solitudes ; 8 c
Dieu n'est pas dans les multitudes ; 8 c
L'homme est petit, ingrat et vain. 8 d
Dans les champs tout vibre et soupire. 8 e
La nature est la grande lyre, 8 e
40 Le poète est l'archet divin ! 8 d
Sors de nos tempêtes, ô sage ! 8 a
Que pour toi l'empire en travail, 8 b
Qui fait son périlleux passage 8 a
Sans boussole et sans gouvernail, 8 b
45 Soit comme un vaisseau qu'en décembre 8 c
Le pêcheur, du fond de sa chambre 8 c
Où pendent les filets séchés, 8 d
Entend la nuit passer dans l'ombre 8 e
Avec un bruit sinistre et sombre 8 e
50 De mâts frissonnants et penchés ! 8 d
II
Hélas ! hélas ! dit le poète, 8 a
J'ai l'amour des eaux et des bois ; 8 b
Ma meilleure pensée est faite 8 a
De ce que murmure leur voix. 8 b
55 La création est sans haine. 8 c
Là, point d'obstacle et point de chaîne. 8 c
Les prés, les monts, sont bienfaisants ; 8 d
Les soleils m'expliquent les roses ; 8 e
Dans la sérénité des choses 8 e
60 Mon âme rayonne en tous sens. 8 d
Je vous aime, ô sainte nature ! 8 a
Je voudrais m'absorber en vous ; 8 b
Mais, dans ce siècle d'aventure, 8 a
Chacun, hélas ! se doit à tous. 8 b
65 Toute pensée est une force. 8 c
Dieu fit la sève pour l'écorce, 8 c
Pour l'oiseau les rameaux fleuris, 8 d
Le ruisseau pour l'herbe des plaines, 8 e
Pour les bouches, les coupes pleines, 8 e
70 Et le penseur pour les esprits ! 8 d
Dieu le veut, dans les temps contraires, 8 a
Chacun travaille et chacun sert. 8 b
Malheur à qui dit à ses frères : 8 a
Je retourne dans le désert ! 8 b
75 Malheur à qui prend des sandales 8 c
Quand les haines et les scandales 8 c
Tourmentent le peuple agité ; 8 d
Honte au penseur qui se mutile, 8 e
Et s'en va, chanteur inutile, 8 e
80 Par la porte de la cité ! 8 d
Le poète en des jours impies 8 a
Vient préparer des jours meilleurs. 8 b
Il est l'homme des utopies ; 8 a
Les pieds ici, les yeux ailleurs. 8 b
85 C'est lui qui sur toutes les têtes, 8 c
En tout temps, pareil aux prophètes, 8 c
Dans sa main, où tout peut tenir, 8 d
Doit, qu'on l'insulte ou qu'on le loue, 8 e
Comme une torche qu'il secoue, 8 e
90 Faire flamboyer l'avenir ! 8 d
Il voit, quand les peuples végètent ! 8 a
Ses rêves, toujours pleins d'amour, 8 b
Sont faits des ombres que lui jettent 8 a
Les choses qui seront un jour. 8 b
95 On le raille. Qu'importe ? il pense. 8 c
Plus d'une âme inscrit en silence 8 c
Ce que la foule n'entend pas. 8 d
Il plaint ses contempteurs frivoles ; 8 e
Et maint faux sage à ses paroles 8 e
100 Rit tout haut et songe tout bas ! 8 d
Foule qui répands sur nos rêves 8 a
Le doute et l'ironie à flots, 8 b
Comme l'océan sur les grèves 8 a
Répand son râle et ses sanglots, 8 b
105 L'idée auguste qui t'égaie 8 c
À cette heure encore bégaie ; 8 c
Mais de la vie elle a le sceau ! 8 d
Ève contient la race humaine, 8 e
Un œuf l'aiglon, un gland le chêne ! 8 e
110 Une utopie est un berceau ! 8 d
De ce berceau, quand viendra l'heure, 8 a
Vous verrez sortir, éblouis, 8 b
Une société meilleure 8 a
Pour des cœurs mieux épanouis, 8 b
115 Le devoir que le droit enfante, 8 c
L'ordre saint, la foi triomphante, 8 c
Et les mœurs, ce groupe mouvant 8 d
Qui toujours, joyeux ou morose, 8 e
Sur ses pas sème quelque chose 8 e
120 Que la loi récolte en rêvant ! 8 d
Mais, pour couver ces puissants germes, 8 a
Il faut tous les cœurs inspirés, 8 b
Tous les cœurs purs, tous les cœurs fermes, 8 a
De rayons divins pénétrés. 8 b
125 Sans matelots la nef chavire ; 8 c
Et, comme aux deux flancs d'un navire, 8 c
Il faut que Dieu, de tous compris, 8 d
Pour fendre la foule insensée, 8 e
Aux deux côtés de sa pensée 8 e
130 Fasse ramer de grands esprits ! 8 d
Loin de vous, saintes théories, 8 a
Codes promis à l'avenir, 8 b
Ce rhéteur aux lèvres flétries, 8 a
Sans espoir et sans souvenir, 8 b
135 Qui jadis suivait votre étoile, 8 c
Mais qui, depuis, jetant le voile 8 c
Où s'abrite l'illusion, 8 d
A laissé violer son âme 8 e
Par tout ce qu'ont de plus infâme 8 e
140 L'avarice et l'ambition ! 8 d
Géant d'orgueil à l'âme naine, 8 a
Dissipateur du vrai trésor, 8 b
Qui, repu de science humaine, 8 a
A voulu se repaître d'or, 8 b
145 Et, portant des valets au maître 8 c
Son faux sourire d'ancien prêtre 8 c
Qui vendit sa divinité, 8 d
S'enivre, à l'heure où d'autres pensent, 8 e
Dans cette orgie impure où dansent 8 e
150 Les abus au rire effronté ! 8 d
Loin ces scribes au cœur sordide, 8 a
Qui dans l'ombre ont dit sans effroi 8 b
À la corruption splendide : 8 a
Courtisane, caresse-moi ! 8 b
155 Et qui parfois, dans leur ivresse, 8 c
Du temple où rêva leur jeunesse 8 c
Osent reprendre les chemins, 8 d
Et, leurs faces encor fardées, 8 e
Approcher les chastes idées, 8 e
160 L'odeur de la débauche aux mains ! 8 d
Loin ces docteurs dont se défie 8 a
Le sage, sévère à regret ! 8 b
Qui font de la philosophie 8 a
Une échoppe à leur intérêt ! 8 b
165 Marchands vils qu'une église abrite ! 8 c
Qu'on voit, noire engeance hypocrite, 8 c
De sacs d'or gonfler leur manteau, 8 d
Troubler le prêtre qui contemple, 8 e
Et sur les colonnes du temple 8 e
170 Clouer leur immonde écriteau ! 8 d
Loin de vous ces jeunes infâmes 8 a
Dont les jours, comptés par la nuit, 8 b
Se passent à flétrir des femmes 8 a
Que la faim aux antres conduit ! 8 b
175 Lâches à qui, dans leur délire, 8 c
Une voix secrète doit dire : 8 c
Cette femme que l'or salit, 8 b
Que souille l'orgie où tu tombes, 8 d
N'eut qu'à choisir entre deux tombes : 8 d
180 La morgue hideuse ou ton lit ! 8 b
Loin de vous les vaines colères 8 a
Qui s'agitent au carrefour ! 8 b
Loin de vous ces chats populaires 8 a
Qui seront tigres quelque jour ! 8 b
185 Les flatteurs du peuple ou du trône ! 8 c
L'égoïste qui de sa zone 8 c
Se fait le centre et le milieu ! 8 d
Et tous ceux qui, tisons sans flamme, 8 e
N'ont pas dans leur poitrine une âme, 8 e
190 Et n'ont pas dans leur âme un Dieu ! 8 d
Si nous n'avions que de tels hommes, 8 a
Juste Dieu ! comme avec douleur 8 b
Le poète au siècle où nous sommes 8 a
Irait criant : Malheur ! malheur ! 8 b
195 On le verrait voiler sa face ; 8 c
Et, pleurant le jour qui s'efface, 8 c
Debout au seuil de sa maison, 8 d
Devant la nuit prête à descendre, 8 e
Sinistre, jeter de la cendre 8 e
200 Aux quatre points de l'horizon ! 8 d
Tels que l'autour dans les nuées, 8 a
On entendrait rire, vainqueurs, 8 b
Les noirs poètes des huées, 8 a
Les Aristophanes moqueurs. 8 b
205 Pour flétrir nos hontes sans nombre, 8 c
Pétrone, réveillé dans l'ombre, 8 c
Saisirait son stylet romain. 8 d
Autour de notre infâme époque 8 e
L'iambe boiteux d'Archiloque 8 e
210 Bondirait, le fouet à la main ! 8 d
Mais Dieu jamais ne se retire. 8 a
Non ! jamais, par les monts caché, 8 b
Ce soleil, vers qui tout aspire, 8 a
Ne s'est complètement couché ! 8 b
215 Toujours, pour les mornes vallées, 8 c
Pour les âmes d'ombre aveuglées, 8 c
Pour les cœurs que l'orgueil corrompt, 8 d
Il laisse au-dessus de l'abîme, 8 e
Quelques rayons sur une cime, 8 e
220 Quelques vérités sur un front ! 8 d
Courage donc ! esprit, pensées, 8 a
Cerveaux d'anxiétés rongés, 8 b
Cœurs malades, âmes blessées, 8 a
Vous qui priez, vous qui songez ! 8 b
225 Ô générations ! courage ! 8 a
Vous qui venez comme à regret, 8 b
Avec le bruit que fait l'orage 8 a
Dans les arbres de la forêt ! 8 b
Douteurs errants sans but ni trêve, 8 a
230 Qui croyez, étendant la main, 8 b
Voir les formes de votre rêve 8 a
Dans les ténèbres du chemin ! 8 b
Philosophes dont l'esprit souffre, 8 a
Et qui, pleins d'un effroi divin, 8 b
235 Vous cramponnez au bord du gouffre, 8 a
Pendus aux ronces du ravin ! 8 b
Naufragés de tous les systèmes, 8 a
Qui de ce flot triste et vainqueur 8 b
Sortez tremblants et de vous-mêmes 8 a
240 N'avez sauvé que votre cœur ! 8 b
Sages qui voyez l'aube éclore 8 a
Tous les matins parmi les fleurs, 8 b
Et qui revenez de l'aurore, 8 a
Trempés de célestes lueurs ! 8 b
245 Lutteurs qui pour laver vos membres 8 a
Avant le jour êtes debout ! 8 b
Rêveurs qui rêvez dans vos chambres, 8 a
L'œil perdu dans l'ombre de tout ! 8 b
Vous, hommes de persévérance, 8 a
250 Qui voulez toujours le bonheur, 8 b
Et tenez encor l'espérance, 8 a
Ce pan du manteau du Seigneur ! 8 b
Chercheurs qu'une lampe accompagne ! 8 a
Pasteurs armés de l'aiguillon ! 8 b
255 Courage à tous sur la montagne ! 8 a
Courage à tous dans le vallon ! 8 b
Pourvu que chacun de vous suive 8 a
Un sentier ou bien un sillon ; 8 b
Que, flot sombre, il ait Dieu pour rive, 8 a
260 Et, nuage, pour aquilon ; 8 b
Pourvu qu'il ait sa foi qu'il garde, 8 a
Et qu'en sa joie ou sa douleur 8 b
Parfois doucement il regarde 8 a
Un enfant, un astre, une fleur ; 8 b
265 Pourvu qu'il sente, esclave ou libre, 8 a
Tenant à tout par un côté, 8 b
Vibrer en lui par quelque fibre 8 a
L'universelle humanité ; 8 b
Courage ! — Dans l'ombre et l'écume 8 a
270 Le but apparaîtra bientôt ! 8 b
Le genre humain dans une brume, 8 a
C'est l'énigme et non pas le mot ! 8 b
Assez de nuit et de tempête 8 a
A passé sur vos fronts penchés. 8 b
275 Levez les yeux ! levez la tête ! 8 a
La lumière est là-haut ! marchez ! 8 b
Peuples ! écoutez le poète ! 8 a
Écoutez le rêveur sacré ! 8 b
Dans votre nuit, sans lui complète, 8 a
280 Lui seul a le front éclairé. 8 b
Des temps futurs perçants les ombres, 8 c
Lui seul distingue en leurs flancs sombres 8 c
Le germe qui n'est pas éclos. 8 d
Homme, il est doux comme une femme. 8 e
285 Dieu parle à voix basse à son âme 8 e
Comme aux forêts et comme aux flots. 8 d
C'est lui qui, malgré les épines, 8 a
L'envie et la dérision, 8 b
Marche, courbé dans vos ruines, 8 a
290 Ramassant la tradition. 8 b
De la tradition féconde 8 c
Sort tout ce qui couvre le monde, 8 c
Tout ce que le ciel peut bénir, 8 d
Toute idée, humaine ou divine, 8 e
295 Qui prend le passé pour racine 8 e
A pour feuillage l'avenir. 8 d
Peuples ! écoutez le poète ! 8 a
Écoutez le rêveur sacré ! 8 b
Dans votre nuit, sans lui complète, 8 a
300 Lui seul a le front éclairé ! 8 b
Des temps futurs perçant les ombres, 8 c
Lui seul distingue en leurs flancs sombres 8 c
Le germe qui n'est pas éclos. 8 d
Homme, il est doux comme une femme. 8 e
305 Dieu parle à voix basse à son âme 8 e
Comme aux forêts et comme aux flots ! 8 d
C'est lui qui, malgré les épines, 8 a
L'envie et la dérision, 8 b
Marche, courbé dans vos ruines, 8 a
310 Ramassant la tradition. 8 b
De la tradition féconde 8 c
Sort tout ce qui couvre le monde, 8 c
Tout ce que le ciel peut bénir. 8 d
Toute idée, humaine ou divine, 8 e
315 Qui prend le passé pour racine 8 e
A pour feuillage l'avenir. 8 d
Il rayonne ! il jette sa flamme 8 a
Sur l'éternelle vérité ! 8 b
Il la fait resplendir pour l'âme 8 a
320 D'une merveilleuse clarté. 8 b
Il inonde de sa lumière 8 c
Ville et désert, Louvre et chaumière, 8 c
Et les plaines et les hauteurs ; 8 d
À tous d'en haut il la dévoile ; 8 e
325 Car la poésie est l'étoile 8 e
Qui mène à Dieu rois et pasteurs ! 8 d
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