Métrique en Ligne
HUG_10/HUG183
Victor HUGO
Les feuilles d'automne
1831
XL
Toi, vertu, pleure si je meurs !
ANDRÉ CHÉNIER.
Amis, un dernier mot ! — et je ferme à jamais 6+6 a
Ce livre, à ma pensée étranger désormais. 6+6 a
Je n'écouterai pas ce qu'en dira la foule. 6+6 b
Car, qu'importe à la source où son onde s'écoule ? 6+6 b
5 Et que m'importe, à moi, sur l'avenir penché, 6+6 a
Où va ce vent d'automne au souffle desséché 6+6 a
Qui passe, en emportant sur son aile inquiète 6+6 b
Et les feuilles de l'arbre et les vers du poète ? 6+6 b
Oui, je suis jeune encore, et quoique sur mon front, 6+6 a
10 Où tant de passions et d'œuvres germeront, 6+6 a
Une ride de plus chaque jour soit tracée, 6+6 b
Comme un sillon qu'y fait le soc de ma pensée, 6+6 b
Dans le cours incertain du temps qui m'est donné, 6+6 a
L'été n'a pas encor trente fois rayonné. 6+6 a
15 Je suis fils de ce siècle ! Une erreur, chaque année, 6+6 b
S'en va de mon esprit, d'elle-même étonnée, 6+6 b
Et, détrompé de tout, mon culte n'est resté 6+6 a
Qu'à vous, sainte patrie et sainte liberté ! 6+6 a
Je hais l'oppression d'une haine profonde. 6+6 b
20 Aussi, lorsque j'entends, dans quelque coin du monde, 6+6 b
Sous un ciel inclément, sous un roi meurtrier, 6+6 a
Un peuple qu'on égorge appeler et crier ; 6+6 a
Quand, par les rois chrétiens aux bourreaux turcs livrée, 6+6 b
La Grèce, notre mère, agonise éventrée ; 6+6 b
25 Quand l'Irlande saignante expire sur sa croix ; 6+6 a
Quand Teutonie aux fers se débat sous dix rois ; 6+6 a
Quand Lisbonne, jadis belle et toujours en fête, 6+6 b
Pend au gibet, les pieds de Miguel sur sa tête ; 6+6 b
Lorsqu'Albani gouverne au pays de Caton ; 6+6 a
30 Que Naples mange et dort ; lorsqu'avec son bâton, 6+6 a
Sceptre honteux et lourd que la peur divinise, 6+6 b
L'Autriche casse l'aile au lion de Venise ; 6+6 b
Quand Modène étranglé râle sous l'archiduc ; 6+6 a
Quand Dresde lutte et pleure au lit d'un roi caduc ; 6+6 a
35 Quand Madrid se rendort d'un sommeil léthargique ; 6+6 b
Quand Vienne tient Milan ; quand le lion belgique 6+6 b
Courbé comme le bœuf qui creuse un vil sillon, 6+6 a
N'a plus même de dents pour mordre son bâillon ; 6+6 a
Quand un Cosaque affreux, que la rage transporte, 6+6 b
40 Viole Varsovie échevelée et morte, 6+6 b
Et, souillant son linceul, chaste et sacré lambeau, 6+6 a
Se vautre sur la vierge étendue au tombeau ; 6+6 a
Alors, oh ! je maudis, dans leur cour, dans leur antre, 6+6 b
Ces rois dont les chevaux ont du sang jusqu'au ventre ! 6+6 b
45 Je sens que le poète est leur juge ! je sens 6+6 a
Que la muse indignée, avec ses poings puissants, 6+6 a
Peut, comme au pilori, les lier sur leur trône 6+6 b
Et leur faire un carcan de leur lâche couronne, 6+6 b
Et renvoyer ces rois, qu'on aurait pu bénir, 6+6 a
50 Marqués au front d'un vers que lira l'avenir ! 6+6 a
Oh ! la muse se doit aux peuples sans défense. 6+6 b
J'oublie alors l'amour, la famille, l'enfance, 6+6 b
Et les molles chansons, et le loisir serein, 6+6 a
Et j'ajoute à ma lyre une corde d'airain ! 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite de distiques
schéma : 27((aa))
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