Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
HUG_10/HUG177
Victor HUGO
Les feuilles d'automne
1831
XXXIV
BIÈVRE
À MADEMOISELLE LOUISE B.
Un horizon fait à souhait pour le plaisir des yeux.
FÉNELON.
I
Oui, c'est bien le vallon ! | le vallon calme et sombre ! 6+6 a
Ici l'été plus frais | s'épanouit à l'ombre. 6+6 a
Ici durent longtemps | les fleurs qui durent peu. 6+6 b
Ici l'âme contemple, | écoute, adore, aspire, 6+6 c
5 Et prend pitié du monde, | étroit et fol empire 6+6 c
Où l'homme tous les jours | fait moins de place à Dieu ! 6+6 b
Une rivière au fond ; | des bois sur les deux pentes. 6+6 a
Là, des ormeaux, brodés | de cent vignes grimpantes ; 6+6 a
Des prés, où le faucheur | brunit son bras nerveux ; 6+6 b
10 Là, des saules pensifs | qui pleurent sur la rive, 6+6 c
Et, comme une baigneuse | indolente et naïve, 6+6 c
Laissent tremper dans l'eau | le bout de leurs cheveux. 6+6 b
Là-bas, un gué bruyant | dans des eaux poissonneuses 6+6 a
Qui montrent aux passants | les jambes des faneuses ; 6+6 a
15 Des carrés de blé d'or ; | des étangs au flot clair ; 6+6 b
Dans l'ombre, un mur de craie | et des toits noirs de suie ; 6+6 c
Les ocres des ravins, | déchirés par la pluie ; 6+6 c
Et l'aqueduc au loin | qui semble un pont-de-l'air. 6+6 b
Et, pour couronnement | à ces collines vertes, 6+6 a
20 Les profondeurs du ciel | toutes grandes ouvertes, 6+6 a
Le ciel, bleu pavillon | par Dieu même construit, 6+6 b
Qui, le jour, emplissant | de plis d'azur l'espace, 6+6 c
Semble un dais suspendu | sur le soleil qui passe, 6+6 c
Et dont on ne peut voir | les clous d'or que la nuit ! 6+6 b
25 Oui, c'est un de ces lieux | où notre cœur sent vivre 6+6 a
Quelque chose des cieux | qui flotte et qui l'enivre ; 6+6 a
Un de ces lieux qu'enfant | j'aimais et je rêvais, 6+6 b
Dont la beauté sereine, | inépuisable, intime, 6+6 c
Verse à l'âme un oubli | sérieux et sublime 6+6 c
30 De tout ce que la terre | et l'homme ont de mauvais ! 6+6 b
II
Si dès l'aube on suit les lisières 8 a
Du bois, abri des jeunes faons, 8 b
Par l'âpre chemin dont les pierres 8 a
Offensent les mains des enfants, 8 b
35 À l'heure où le soleil s'élève, 8 c
Où l'arbre sent monter la sève, 8 c
La vallée est comme un beau rêve. 8 c
La brume écarte son rideau. 8 d
Partout la nature s'éveille ; 8 e
40 La fleur s'ouvre, rose et vermeille ; 8 e
La brise y suspend une abeille, 8 e
La rosée une goutte d'eau ! 8 d
Et dans ce charmant paysage 8 a
Où l'esprit flotte, où l'œil s'enfuit, 8 b
45 Le buisson, l'oiseau de passage, 8 a
L'herbe qui tremble et qui reluit, 8 b
Le vieil arbre que l'âge ploie, 8 c
Le donjon qu'un moulin coudoie, 8 c
Le ruisseau de moire et de soie, 8 c
50 Le champ où dorment les aïeux, 8 d
Ce qu'on voit pleurer ou sourire, 8 e
Ce qui chante et ce qui soupire, 8 e
Ce qui parle et ce qui respire, 8 e
Tout fait un bruit harmonieux ! 8 d
III
55 Et si le soir, après | mille errantes pensées, 6+6 a
De sentiers en sentiers | en marchant dispersées, 6+6 a
Du haut de la colline | on descend vers ce toit 6+6 b
Qui vous a tout le jour, | dans votre rêverie, 6+6 c
Fait regarder en bas, | au fond de la prairie, 6+6 c
60 Comme une belle fleur qu'on voit ; 8 b
Et si vous êtes là, | vous dont la main de flamme 6+6 a
Fait parler au clavier | la langue de votre âme ; 6+6 a
Si c'est un des moments, | doux et mystérieux, 6+6 b
Où la musique, esprit | d'extase et de délire 6+6 c
65 Dont les ailes de feu | font le bruit d'une lyre, 6+6 c
Réverbère en vos chants | la splendeur de vos yeux ; 6+6 b
Si les petits enfants, | qui vous cherchent sans cesse, 6+6 a
Mêlent leur joyeux rire | au chant qui vous oppresse ; 6+6 a
Si votre noble père | à leurs jeux turbulents 6+6 b
70 Sourit, en écoutant | votre hymne commencée, 6+6 c
Lui, le sage et l'heureux, | dont la jeune pensée 6+6 c
Se couronne de cheveux blancs ; 8 b
Alors, à cette voix | qui remue et pénètre, 6+6 a
Sous ce ciel étoilé | qui luit à la fenêtre, 6+6 a
75 On croit à la famille, | au repos, au bonheur ; 6+6 b
Le cœur se fond en joie, | en amour, en prière ; 6+6 c
On sent venir des pleurs | au bord de sa paupière ; 6+6 c
On lève au ciel les mains | en s'écriant : Seigneur ! 6+6 b
IV
Et l'on ne songe plus, | tant notre âme saisie 6+6 a
80 Se perd dans la nature | et dans la poésie, 6+6 a
Que tout près, par les bois | et les ravins caché, 6+6 b
Derrière le ruban | de ces collines bleues, 6+6 c
À quatre de ces pas | que nous nommons des lieues, 6+6 c
Le géant Paris est couché ! 8 b
85 On ne s'informe plus | si la ville fatale, 6+6 a
Du monde en fusion | ardente capitale, 6+6 a
Ouvre et ferme à tel jour | ses cratères fumants ; 6+6 b
Et de quel air les rois, | à l'instant où nous sommes, 6+6 c
Regardent bouillonner | dans ce Vésuve d'hommes 6+6 c
90 La lave des événements ! 8 b
mètre profils métriques : 8, 6+6
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