Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
HUG_10/HUG170
Victor HUGO
Les feuilles d'automne
1831
XXVII
À MES AMIS L. B. ET S.-B.
Here's a sigh to those who love me,
And a smile to those who hate ;
And whatever sky's above me,
Here's a heart for every fate.
BYRON.
Amis ! c'est donc Rouen, | la ville aux vieilles rues, 6+6 a
Aux vieilles tours, débris | des races disparues, 6+6 a
La ville aux cent clochers | carillonnant dans l'air, 6+6 b
Le Rouen des châteaux, | des hôtels, des bastilles, 6+6 c
5 Dont le front hérissé | de flèches et d'aiguilles 6+6 c
Déchire incessamment | les brumes de la mer ; 6+6 b
C'est Rouen qui vous a ! | Rouen qui vous enlève ! 6+6 a
Je ne m'en plaindrai pas. | J'ai souvent fait ce rêve 6+6 a
D'aller voir Saint-Ouen | à moitié démoli, 6+6 b
10 Et tout m'a retenu, | la famille, l'étude, 6+6 c
Mille soins, et surtout | la vague inquiétude 6+6 c
Qui fait que l'homme craint | son désir accompli. 6+6 b
J'ai différé. La vie | à différer se passe. 6+6 a
De projets en projets | et d'espace en espace 6+6 a
15 Le fol esprit de l'homme | en tout temps s'envola. 6+6 b
Un jour enfin, lassés | du songe qui nous leurre, 6+6 c
Nous disons : « Il est temps. | Exécutons ! c'est l'heure. » 6+6 c
Alors nous retournons | les yeux : — la mort est là ! 6+6 b
Ainsi de mes projets. | — Quand vous verrai-je, Espagne, 6+6 a
20 Et Venise et son golfe, | et Rome et sa campagne, 6+6 a
Toi, Sicile que ronge | un volcan souterrain, 6+6 b
Grèce qu'on connaît trop, | Sardaigne qu'on ignore, 6+6 c
Cités de l'aquilon, | du couchant, de l'aurore, 6+6 c
Pyramides du Nil, | cathédrales du Rhin ! 6+6 b
25 Qui sait ? Jamais peut-être. | — Et quand m'abriterai-je 6+6 a
Près de la mer, ou bien | sous un mont blanc de neige, 6+6 a
Dans quelque vieux donjon, | tout plein d'un vieux héros, 6+6 b
Où le soleil, dorant | les tourelles du faîte, 6+6 c
N'enverra sur mon front | que des rayons de fête 6+6 c
30 Teints de pourpre et d'azur | au prisme des vitraux ? 6+6 b
Jamais non plus, sans doute. | — En attendant, vaine ombre, 6+6 a
Oublié dans l'espace | et perdu dans le nombre, 6+6 a
Je vis. J'ai trois enfants | en cercle à mon foyer ; 6+6 b
Et lorsque la sagesse | entr'ouvre un peu ma porte, 6+6 c
35 Elle me crie : Ami ! | sois content. Que t'importe 6+6 c
Cette tente d'un jour | qu'il faut sitôt ployer ! 6+6 b
Et puis, dans mon esprit, | des choses que j'espère 6+6 a
Je me fais cent récits, | comme à son fils un père. 6+6 a
Ce que je voudrais voir | je le rêve si beau ! 6+6 b
40 Je vois en moi des tours, | des Romes, des Cordoues, 6+6 c
Qui jettent mille feux, | muse, quand tu secoues 6+6 c
Sous leurs sombres piliers | ton magique flambeau ! 6+6 b
Ce sont des Alhambras, | de hautes cathédrales, 6+6 a
Des Babels, dans la nue | enfonçant leurs spirales, 6+6 a
45 De noirs Escurials, | mystérieux séjour, 6+6 b
Des villes d'autrefois, | peintes et dentelées, 6+6 c
Où chantent jour et nuit | mille cloches ailées, 6+6 c
Joyeuses d'habiter | dans des clochers à jour ! 6+6 b
Et je rêve ! Et jamais | villes impériales 6+6 a
50 N'éclipseront ce rêve | aux splendeurs idéales. 6+6 a
Gardons l'illusion ; | elle fuit assez tôt. 6+6 b
Chaque homme, dans son cœur, | crée à sa fantaisie 6+6 c
Tout un monde enchanté | d'art et de poésie. 6+6 c
C'est notre Chanaan | que nous voyons d'en haut. 6+6 b
55 Restons où nous voyons. | Pourquoi vouloir descendre, 6+6 a
Et toucher ce qu'on rêve, | et marcher dans la cendre ? 6+6 a
Que ferons-nous après ? | où descendre ? où courir ? 6+6 b
Plus de but à chercher ! | plus d'espoir qui séduise ! 6+6 c
De la terre donnée | à la terre promise 6+6 c
60 Nul retour ; et Moïse | a bien fait de mourir ! 6+6 b
Restons loin des objets | dont la vue est charmée. 6+6 a
L'arc-en-ciel est vapeur, | le nuage est fumée. 6+6 a
L'idéal tombe en poudre | au toucher du réel. 6+6 b
L'âme en songes de gloire | ou d'amour se consume. 6+6 c
65 Comme un enfant qui souffle | en un flocon d'écume, 6+6 c
Chaque homme enfle une bulle | où se reflète un ciel ! 6+6 b
Frêle bulle d'azur, | au roseau suspendue, 6+6 a
Qui tremble au moindre choc | et vacille éperdue ! 6+6 a
Voilà tous nos projets, | nos plaisirs, notre bruit ! 6+6 b
70 Folle création | qu'un zéphyr inquiète ! 6+6 c
Sphère aux mille couleurs, | d'une goutte d'eau faite ! 6+6 c
Monde qu'un souffle crée | et qu'un souffle détruit ! 6+6 b
Le saurons-nous jamais ? | — Qui percera nos voiles, 6+6 a
Noirs firmaments, semés | de nuages d'étoiles ? 6+6 a
75 Mer, qui peut dans ton lit | descendre et regarder ? 6+6 b
Où donc est la science ? | Où donc est l'origine ? 6+6 c
Cherchez au fond des mers | cette perle divine, 6+6 c
Et, l'océan connu, | l'âme reste à sonder ! 6+6 b
Que faire et que penser ? | — Nier, douter, ou croire ? 6+6 a
80 Carrefour ténébreux ! | triple route ! nuit noire ! 6+6 a
Le plus sage s'assied | sous l'arbre du chemin, 6+6 b
Disant tout bas : J'irai, | Seigneur, où tu m'envoies. 6+6 c
Il espère, et, de loin, | dans les trois sombres voies, 6+6 c
Il écoute, pensif, | marcher le genre humain ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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