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HUG_10/HUG151
Victor HUGO
Les feuilles d'automne
1831
VIII
À M. DAVID, STATUAIRE
D'hommes tu nous fais dieux.
RÉGNIER.
Oh ! que ne suis-je un de ces hommes 8 a
Qui, géants d'un siècle effacé, 8 b
Jusque dans le siècle où nous sommes 8 a
Règnent du fond de leur passé ! 8 b
5 Que ne suis-je, prince ou poète, 8 c
De ces mortels à haute tête, 8 c
D'un monde à la fois base et faîte, 8 c
Que leur temps ne peut contenir ; 8 d
Qui dans le calme ou dans l'orage, 8 e
10 Qu'on les adore ou les outrage, 8 e
Devançant le pas de leur âge, 8 e
Marchent un pied dans l'avenir ! 8 d
Que ne suis-je une de ces flammes, 8 a
Un de ces pôles glorieux, 8 b
15 Vers qui penchent toutes les âmes, 8 a
Sur qui se fixent tous les yeux ! 8 b
De ces hommes dont les statues, 8 c
Du flot des temps toujours battues, 8 c
D'un tel signe sont revêtues 8 c
20 Que, si le hasard les abat, 8 d
S'il les détrône de leur sphère, 8 e
Du bronze auguste on ne peut faire 8 e
Que des cloches pour la prière 8 e
Ou des canons pour le combat ! 8 d
25 Que n'ai-je un de ces fronts sublimes, 8 a
David ! Mon corps, fait pour souffrir, 8 b
Du moins sous tes mains magnanimes 8 a
Renaîtrait pour ne plus mourir ! 8 b
Du haut du temple ou du théâtre, 8 c
30 Colosse de bronze ou d'albâtre, 8 c
Salué d'un peuple idolâtre, 8 c
Je surgirais sur la cité, 8 d
Comme un géant en sentinelle, 8 e
Couvrant la ville de mon aile, 8 e
35 Dans quelque attitude éternelle 8 e
De génie et de majesté ! 8 d
Car c'est toi, lorsqu'un héros tombe, 8 a
Qui le relèves souverain ! 8 b
Toi qui le scelles sur sa tombe 8 a
40 Qu'il foule avec des pieds d'airain ! 8 b
Rival de Rome et de Ferrare, 8 c
Tu pétris pour le mortel rare 8 c
Ou le marbre froid de Carrare, 8 c
Ou le métal qui fume et bout. 8 d
45 Le grand homme au tombeau s'apaise 8 e
Quand ta main, à qui rien ne pèse, 8 e
Hors du bloc ou de la fournaise 8 e
Le jette vivant et debout ! 8 d
Sans toi peut-être sa mémoire 8 a
50 Pâlirait d'un oubli fatal ; 8 b
Mais c'est toi qui sculptes sa gloire 8 a
Visible sur un piédestal. 8 b
Ce fanal, perdu pour le monde, 8 c
Feu rampant dans la nuit profonde, 8 c
55 S'éteindrait, sans montrer sur l'onde 8 c
Ni les écueils ni le chemin ; 8 d
C'est ton souffle qui le ranime ; 8 e
C'est toi qui, sur le sombre abîme, 8 e
Dresses le colosse sublime 8 e
60 Qui prend le phare dans sa main. 8 d
Lorsqu'à tes yeux une pensée 8 a
Sous les traits d'un grand homme a lui, 8 b
Tu la fais marbre, elle est fixée, 8 a
Et les peuples disent : C'est lui ! 8 b
65 Mais avant d'être pour la foule, 8 c
Longtemps dans ta tête elle roule 8 c
Comme une flamboyante houle 8 c
Au fond du volcan souverain ; 8 d
Loin du grand jour qui la réclame 8 e
70 Tu la fais bouillir dans ton âme ; 8 e
Ainsi de ses langues de flamme 8 e
Le feu saisit l'urne d'airain. 8 d
Va ! que nos villes soient remplies 8 a
De tes colosses radieux ! 8 b
75 Qu'à jamais tu te multiplies 8 a
Dans un peuple de demi-dieux ! 8 b
Fais de nos cités des Corinthes ! 8 c
Oh ! ta pensée a des étreintes 8 c
Dont l'airain garde les empreintes, 8 c
80 Dont le granit s'enorgueillit ! 8 d
Honneur au sol que ton pied foule ! 8 e
Un métal dans tes veines coule ; 8 e
Ta tête ardente est un grand moule 8 e
D'où l'idée en bronze jaillit ! 8 d
85 Bonaparte eût voulu renaître 8 a
De marbre et géant sous ta main ; 8 b
Cromwell, son aïeul et son maître, 8 a
T'eût livré son front surhumain ; 8 b
Ton bras eût sculpté pour l'Espagne 8 c
90 Charles Quint ; pour nous, Charlemagne, 8 c
Un pied sur l'hydre d'Allemagne, 8 c
L'autre sur Rome aux sept coteaux ; 8 d
Au sépulcre prêt à descendre, 8 e
César t'eût confié sa cendre ; 8 e
95 Et c'est toi qu'eût pris Alexandre 8 e
Pour lui tailler le mont Athos ! 8 d
mètre profil métrique : 8
forme globale type : suite périodique
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