Métrique en Ligne
HUG_10/HUG150
Victor HUGO
Les feuilles d'automne
1831
VII
DICTÉ EN PRÉSENCE DU GLACIER DU RHÔNE
Causa tangor ab omni.
OVIDE.
Souvent, quand mon esprit riche en métamorphoses 6+6 a
Flotte et roule endormi sur l'océan des choses, 6+6 a
Dieu, foyer du vrai jour qui ne luit point aux yeux, 6+6 b
Mystérieux soleil dont l'âme est embrasée ; 6+6 c
5 Le frappe d'un rayon, et, comme une rosée, 6+6 c
Le ramasse et l'enlève aux cieux. 8 b
Alors, nuage errant, ma haute poésie 6+6 a
Vole capricieuse et sans route choisie, 6+6 a
De l'occident au sud, du nord à l'orient ; 6+6 b
10 Et regarde, du haut des radieuses voûtes, 6+6 c
Les cités de la terre, et, les dédaignant toutes, 6+6 c
Leur jette son ombre en fuyant. 8 b
Puis, dans l'or du matin luisant comme une étoile, 6+6 a
Tantôt elle y découpe une frange à son voile, 6+6 a
15 Tantôt, comme un guerrier qui résonne en marchant, 6+6 b
Elle frappe d'éclairs la forêt qui murmure ; 6+6 c
Et tantôt en passant rougit sa noire armure 6+6 c
Dans la fournaise du couchant. 8 b
Enfin sur un vieux mont, colosse à tête grise, 6+6 a
20 Sur des Alpes de neige un vent jaloux la brise. 6+6 a
Qu'importe ! Suspendu sur l'abîme béant 6+6 b
Le nuage se change en un glacier sublime, 6+6 c
Et des mille fleurons qui hérissent sa cime, 6+6 c
Fait une couronne au géant ! 8 b
25 Comme le haut cimier du mont inabordable, 6+6 a
Alors il dresse au loin sa crête formidable. 6+6 a
L'arc-en-ciel vacillant joue à son flanc d'acier ; 6+6 b
Et, chaque soir, tandis que l'ombre en bas l'assiège, 6+6 c
Le soleil, ruisselant en lave sur sa neige, 6+6 c
30 Change en cratère le glacier. 8 b
Son front blanc dans la nuit semble une aube éternelle ; 6+6 a
Le chamois effaré, dont le pied vaut une aile, 6+6 a
L'aigle même le craint, sombre et silencieux ; 6+6 b
La tempête à ses pieds tourbillonne et se traîne ; 6+6 c
35 L'œil ose à peine atteindre à sa face sereine, 6+6 c
Tant il est avant dans les cieux ! 8 b
Et seul, à ces hauteurs, sans crainte et sans vertige, 6+6 a
Mon esprit, de la terre oubliant le prestige, 6+6 a
Voit le jour étoilé, le ciel qui n'est plus bleu, 6+6 b
40 Et contemple de près ces splendeurs sidérales 6+6 c
Dont la nuit sème au loin ses sombres cathédrales, 6+6 c
Jusqu'à ce qu'un rayon de Dieu 8 b
Le frappe de nouveau, le précipite, et change 6+6 a
Les prismes du glacier en flots mêlés de fange ; 6+6 a
45 Alors il croule, alors, éveillant mille échos, 6+6 b
Il retombe en torrent dans l'océan du monde, 6+6 c
Chaos aveugle et sourd, mer immense et profonde, 6+6 c
Où se ressemblent tous les flots ! 8 b
Au gré du divin souffle ainsi vont mes pensées, 6+6 a
50 Dans un cercle éternel incessamment poussées. 6+6 a
Du terrestre océan dont les flots sont amers, 6+6 b
Comme sous un rayon monte une nue épaisse, 6+6 c
Elles montent toujours vers le ciel, et sans cesse 6+6 c
Redescendent des cieux aux mers. 8 b
mètre profils métriques : 8, 6+6
forme globale type : suite périodique
schéma : 9(aabccb)
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