Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
HUG_10/HUG146
Victor HUGO
Les feuilles d'automne
1831
III
RÊVERIE D'UN PASSANT
À PROPOS D'UN ROI
Praebete aures, vos qui continetis multitudines
et placetis vobis in turbis nationum, quoniam
non custodistis legem justitiae, neque secundum
voluntatem Dei ambulastis.
SAP., 6.
Voitures et chevaux | à grand bruit, l'autre jour, 6+6 a
Menaient le roi de Naple | au gala de la cour. 6+6 a
J'étais au Carrousel, | passant avec la foule 6+6 b
Qui par ses trois guichets | incessamment s'écoule 6+6 b
5 Et traverse ce lieu | quatre cents fois par an 6+6 a
Pour regarder un prince | ou voir l'heure au cadran. 6+6 a
Je suivais lentement, | comme l'onde suit l'onde, 6+6 b
Tout ce peuple, songeant | qu'il était dans le monde, 6+6 b
Certes, le fils aîné | du vieux peuple romain, 6+6 a
10 Et qu'il avait un jour, | d'un revers de sa main, 6+6 a
Déraciné du sol | les tours de la Bastille. 6+6 b
Je m'arrêtai : le suisse | avait fermé la grille. 6+6 b
Et le tambour battait, | et parmi les bravos 6+6 a
Passait chaque voiture | avec ses huit chevaux. 6+6 a
15 La fanfare emplissait | la vaste cour, jonchée 6+6 b
D'officiers redressant | leur tête empanachée ; 6+6 b
Et les royaux coursiers | marchaient sans s'étonner, 6+6 a
Fiers de voir devant eux | des drapeaux s'incliner. 6+6 a
Or, attentive au bruit, | une femme, une vieille, 6+6 b
20 En haillons, et portant | au bras quelque corbeille, 6+6 b
Branlant son chef ridé, | disait à haute voix : 6+6 a
Un roi ! sous l'empereur, | j'en ai tant vu, des rois ! 6+6 a
Alors je ne vis plus | des voitures dorées 6+6 b
La haute impériale | et les rouges livrées, 6+6 b
25 Et, tandis que passait | et repassait cent fois 6+6 a
Tout ce peuple inquiet, | plein de confuses voix, 6+6 a
Je rêvai. Cependant | la vieille vers la Grève 6+6 b
Poursuivait son chemin | en me laissant mon rêve, 6+6 b
Comme l'oiseau qui va, | dans la forêt lâché, 6+6 a
30 Laisse trembler la feuille | où son aile a touché. 6+6 a
Oh ! disais-je, la main | sur mon front étendue, 6+6 b
Philosophie, au bas | du peuple descendue ! 6+6 b
Des petits sur les grands | grave et hautain regard ! 6+6 a
Où ce peuple est venu, | le peuple arrive tard ; 6+6 a
35 Mais il est arrivé. | Le voilà qui dédaigne ! 6+6 b
Il n'est rien qu'il admire, | ou qu'il aime, ou qu'il craigne. 6+6 b
Il sait tirer de tout | d'austères jugements, 6+6 a
Tant le marteau de fer | des grands événements 6+6 a
A, dans ces durs cerveaux | qu'il façonnait sans cesse, 6+6 b
40 Comme un coin dans le chêne | enfoncé la sagesse ! 6+6 b
Il s'est dit tant de fois : | — Où le monde en est-il ? 6+6 a
Que font les rois ? à qui | le trône ? à qui l'exil ? 6+6 a
Qu'il médite aujourd'hui, | comme un juge suprême, 6+6 b
Sachant la fin de tout, | se croyant en soi-même 6+6 b
45 Assez fort pour tout voir | et pour tout épargner, 6+6 a
Lui qu'on n'exile pas | et qui laisse régner ! 6+6 a
La cour est en gala ! | pendant qu'au-dessous d'elle, 6+6 b
Comme sous le vaisseau | l'océan qui chancelle, 6+6 b
Sans cesse remué, | gronde un peuple profond 6+6 a
50 Dont nul regard de roi | ne peut sonder le fond. 6+6 a
Démence et trahison | qui disent sans relâche : 6+6 b
— Ô rois, vous êtes rois ! | confiez votre tâche 6+6 b
Aux mille bras dorés | qui soutiennent vos pas. 6+6 a
Dormez, n'apprenez point | et ne méditez pas 6+6 a
55 De peur que votre front, | qu'un prestige environne, 6+6 b
Fasse en s'élargissant | éclater la couronne ! — 6+6 b
Ô rois, veillez, veillez ! | tâchez d'avoir régné. 6+6 a
Ne nous reprenez pas | ce qu'on avait gagné ; 6+6 a
Ne faites point, des coups | d'une bride rebelle, 6+6 b
60 Cabrer la liberté | qui vous porte avec elle ; 6+6 b
Soyez de votre temps, | écoutez ce qu'on dit, 6+6 a
Et tâchez d'être grands, | car le peuple grandit. 6+6 a
Écoutez ! écoutez, | à l'horizon immense, 6+6 b
Ce bruit qui parfois tombe | et soudain recommence, 6+6 b
65 Ce murmure confus, | ce sourd frémissement 6+6 a
Qui roule, et qui s'accroît | de moment en moment. 6+6 a
C'est le peuple qui vient, | c'est la haute marée 6+6 b
Qui monte incessamment, | par son astre attirée. 6+6 b
Chaque siècle, à son tour, | qu'il soit d'or ou de fer, 6+6 a
70 Dévoré comme un cap | sur qui monte la mer, 6+6 a
Avec ses lois, ses mœurs, | les monuments qu'il fonde, 6+6 b
Vains obstacles qui font | à peine écumer l'onde, 6+6 b
Avec tout ce qu'on vit | et qu'on ne verra plus, 6+6 a
Disparaît sous ce flot | qui n'a pas de reflux. 6+6 a
75 Le sol toujours s'en va, | le flot toujours s'élève. 6+6 b
Malheur à qui le soir | s'attarde sur la grève, 6+6 b
Et ne demande pas | au pêcheur qui s'enfuit 6+6 a
D'où vient qu'à l'horizon | l'on entend ce grand bruit ! 6+6 a
Rois, hâtez-vous ! rentrez | dans le siècle où nous sommes, 6+6 b
80 Quittez l'ancien rivage ! | — À cette mer des hommes 6+6 b
Faites place, ou voyez | si vous voulez périr 6+6 a
Sur le siècle passé | que son flot doit couvrir ! 6+6 a
Ainsi ce qu'en passant | avait dit cette femme 6+6 b
Remuait mes pensers | dans le fond de mon âme, 6+6 b
85 Quand un soldat soudain, | du poste détaché, 6+6 a
Me cria : — Compagnon, | le soleil est couché. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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