Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
HUG_10/HUG144
Victor HUGO
Les feuilles d'automne
1831
I
Data fata secutus.
DEVISE DES SAINT-JOHN.
Ce siècle avait deux ans ! | Rome remplaçait Sparte, 6+6 a
Déjà Napoléon | perçait sous Bonaparte, 6+6 a
Et du premier consul, | déjà, par maint endroit, 6+6 b
Le front de l'empereur | brisait le masque étroit. 6+6 b
5 Alors dans Besançon, | vieille ville espagnole, 6+6 a
Jeté comme la graine | au gré de l'air qui vole, 6+6 a
Naquit d'un sang breton | et lorrain à la fois 6+6 b
Un enfant sans couleur, | sans regard et sans voix ; 6+6 b
Si débile qu'il fut, | ainsi qu'une chimère, 6+6 a
10 Abandonné de tous, | excepté de sa mère, 6+6 a
Et que son cou ployé | comme un frêle roseau 6+6 b
Fit faire en même temps | sa bière et son berceau. 6+6 b
Cet enfant que la vie | effaçait de son livre, 6+6 a
Et qui n'avait pas même | un lendemain à vivre, 6+6 a
C'est moi. —
15 Je vous dirai | peut-être quelque jour 6+6 b
Quel lait pur, que de soins, | que de vœux, que d'amour, 6+6 b
Prodigués pour ma vie | en naissant condamnée, 6+6 a
M'ont fait deux fois l'enfant | de ma mère obstinée, 6+6 a
Ange qui sur trois fils | attachés à ses pas 6+6 b
20 Épandait son amour | et ne mesurait pas ! 6+6 b
Ô l'amour d'une mère ! | amour que nul n'oublie ! 6+6 a
Pain merveilleux qu'un dieu | partage et multiplie ! 6+6 a
Table toujours servie | au paternel foyer ! 6+6 b
Chacun en a sa part | et tous l'ont tout entier ! 6+6 b
25 Je pourrai dire un jour, | lorsque la nuit douteuse 6+6 a
Fera parler les soirs | ma vieillesse conteuse, 6+6 a
Comment ce haut destin | de gloire et de terreur 6+6 b
Qui remuait le monde | aux pas de l'empereur, 6+6 b
Dans son souffle orageux | m'emportant sans défense 6+6 a
30 À tous les vents de l'air | fit flotter mon enfance. 6+6 a
Car, lorsque l'aquilon | bat ses flots palpitants, 6+6 b
L'océan convulsif | tourmente en même temps 6+6 b
Le navire à trois ponts | qui tonne avec l'orage, 6+6 a
Et la feuille échappée | aux arbres du rivage ! 6+6 a
35 Maintenant, jeune encore | et souvent éprouvé, 6+6 b
J'ai plus d'un souvenir | profondément gravé, 6+6 b
Et l'on peut distinguer | bien des choses passées 6+6 a
Dans ces plis de mon front | que creusent mes pensées. 6+6 a
Certes, plus d'un vieillard | sans flamme et sans cheveux, 6+6 b
40 Tombé de lassitude | au bout de tous ses vœux, 6+6 b
Pâlirait s'il voyait, | comme un gouffre dans l'onde, 6+6 a
Mon âme où ma pensée | habite, comme un monde, 6+6 a
Tout ce que j'ai souffert, | tout ce que j'ai tenté, 6+6 b
Tout ce qui m'a menti | comme un fruit avorté, 6+6 b
45 Mon plus beau temps passé | sans espoir qu'il renaisse, 6+6 a
Les amours, les travaux, | les deuils de ma jeunesse, 6+6 a
Et quoiqu'encore à l'âge | où l'avenir sourit, 6+6 b
Le livre de mon cœur | à toute page écrit ! 6+6 b
Si parfois de mon sein | s'envolent mes pensées, 6+6 a
50 Mes chansons par le monde | en lambeaux dispersées ; 6+6 a
S'il me plaît de cacher | l'amour et la douleur 6+6 b
Dans le coin d'un roman | ironique et railleur ; 6+6 b
Si j'ébranle la scène | avec ma fantaisie, 6+6 a
Si j'entrechoque aux yeux | d'une foule choisie 6+6 a
55 D'autres hommes comme eux, | vivant tous à la fois 6+6 b
De mon souffle et parlant | au peuple avec ma voix ; 6+6 b
Si ma tête, fournaise | où mon esprit s'allume, 6+6 a
Jette le vers d'airain | qui bouillonne et qui fume 6+6 a
Dans le rythme profond, | moule mystérieux 6+6 b
60 D'où sort la strophe ouvrant | ses ailes dans les cieux ; 6+6 b
C'est que l'amour, la tombe, | et la gloire, et la vie, 6+6 a
L'onde qui fuit, par l'onde | incessamment suivie, 6+6 a
Tout souffle, tout rayon, | ou propice ou fatal, 6+6 b
Fait reluire et vibrer | mon âme de cristal, 6+6 b
65 Mon âme aux mille voix, | que le Dieu que j'adore 6+6 a
Mit au centre de tout | comme un écho sonore ! 6+6 a
D'ailleurs j'ai purement | passé les jours mauvais, 6+6 b
Et je sais d'où je viens, | si j'ignore où je vais. 6+6 b
L'orage des partis | avec son vent de flamme 6+6 a
70 Sans en altérer l'onde | a remué mon âme. 6+6 a
Rien d'immonde en mon cœur, | pas de limon impur 6+6 b
Qui n'attendît qu'un vent | pour en troubler l'azur ! 6+6 b
Après avoir chanté, | j'écoute et je contemple, 6+6 a
À l'empereur tombé | dressant dans l'ombre un temple, 6+6 a
75 Aimant la liberté | pour ses fruits, pour ses fleurs, 6+6 b
Le trône pour son droit, | le roi pour ses malheurs ; 6+6 b
Fidèle enfin au sang | qu'ont versé dans ma veine 6+6 a
Mon père vieux soldat, | ma mère vendéenne ! 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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