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HUG_1/HUG489
Victor HUGO
LES CONTEMPLATIONS
tome I
AUTREFOIS
1830-1843
LIVRE TROISIÈME
LES LUTTES ET LES RÊVES
XXX
Magnitudo parvi
I
Le jour mourait ; j'étais près des mers, sur la grève. 6+6 a
Je tenais par la main ma fille, enfant qui rêve, 6+6 a
Jeune esprit qui se tait ! 6 b
La terre, s'inclinant comme un vaisseau qui sombre, 6+6 c
5 En tournant dans l'espace allait plongeant dans l'ombre ; 6+6 c
La pâle nuit montait. 6 b
La pâle nuit levait son front dans les nuées ; 6+6 a
Les choses s'effaçaient, blêmes, diminuées, 6+6 a
Sans forme et sans couleur ; 6 b
10 Quand il monte de l'ombre, il tombe de la cendre ; 6+6 c
On sentait à la fois la tristesse descendre 6+6 c
Et monter la douleur. 6 b
Ceux dont les yeux pensifs contemplent la nature 6+6 a
Voyaient l'urne d'en haut, vague rondeur obscure, 6+6 a
15 Se pencher dans les cieux, 6 b
Et verser sur les monts, sur les campagnes blondes, 6+6 c
Et sur les flots confus pleins de rumeurs profondes, 6+6 c
Le soir silencieux ! 6 b
Les nuages rampaient le long des promontoires ; 6+6 a
20 Mon âme, où se mêlaient ces ombres et ces gloires, 6+6 a
Sentait confusément 6 b
De tout cet océan, de toute cette terre, 6+6 c
Sortir sous l'œil de Dieu je ne sais quoi d'austère, 6+6 c
D'auguste et de charmant ! 6 b
25 J'avais à mes côtés ma fille bien-aimée. 6+6 a
La nuit se répandait ainsi qu'une fumée. 6+6 a
Rêveur, ô Jéhovah, 6 b
Je regardais en moi, les paupières baissées, 6+6 c
Cette ombre qui se fait aussi dans nos pensées 6+6 c
30 Quand ton soleil s'en va ! 6 b
Soudain l'enfant bénie, ange au regard de femme, 6+6 a
Dont je tenais la main et qui tenait mon âme, 6+6 a
Me parla, douce voix ! 6 b
Et, me montrant l'eau sombre et la rive âpre et brune, 6+6 c
35 Et deux points lumineux qui tremblaient sur la dune : 6+6 c
— Père, dit-elle, vois, 6 b
Vois donc, là-bas, où l'ombre aux flancs des coteaux rampe, 6+6 a
Ces feux jumeaux briller comme une double lampe 6+6 a
Qui remuerait au vent ! 6 b
40 Quels sont ces deux foyers qu'au loin la brume voile ? 6+6 c
— L'un est un feu de pâtre et l'autre est une étoile ; 6+6 c
Deux mondes, mon enfant ! 6 b
II
*
Deux mondes ! — l'un est dans l'espace, 8 a
Dans les ténèbres de l'azur, 8 b
45 Dans l'étendue où tout s'efface, 8 a
Radieux gouffre ! abîme obscur ! 8 b
Enfant, comme deux hirondelles, 8 c
Oh ! si tous deux, âmes fidèles, 8 c
Nous pouvions fuir à tire-d'ailes, 8 c
50 Et plonger dans cette épaisseur 8 d
D'où la création découle, 8 e
Où flotte, vit, meurt, brille et roule 8 e
L'astre imperceptible à la foule, 8 e
Incommensurable au penseur ; 8 d
55 Si nous pouvions franchir ces solitudes mornes, 6+6 a
Si nous pouvions passer les bleus septentrions, 6+6 b
Si nous pouvions atteindre au fond des cieux sans bornes 6+6 a
Jusqu'à ce qu'à la fin, éperdus, nous voyions, 6+6 b
Comme un navire en mer croît, monte, et semble éclore, 6+6 c
60 Cette petite étoile, atome de phosphore, 6+6 c
Devenir par degrés un monstre de rayons ; 6+6 b
S'il nous était donné de faire 8 a
Ce voyage démesuré, 8 b
Et de voler, de sphère en sphère, 8 a
65 A ce grand soleil ignoré ; 8 b
Si, par un archange qui l'aime, 8 c
L'homme aveugle, frémissant, blême, 8 c
Dans les profondeurs du problème, 8 c
Vivant, pouvait être introduit ; 8 d
70 Si nous pouvions fuir notre centre, 8 e
Et, forçant l'ombre où Dieu seul entre, 8 e
Aller voir de près dans leur antre 8 e
Ces énormités de la nuit ; 8 d
Ce qui t'apparaîtrait te ferait trembler, ange ! 6+6 a
75 Rien, pas de vision, pas de songe insensé, 6+6 b
Qui ne fût dépassé par ce spectacle étrange, 6+6 a
Monde informe, et d'un tel mystère composé, 6+6 b
Que son rayon fondrait nos chairs, cire vivante, 6+6 c
Et qu'il ne resterait de nous dans l'épouvante 6+6 c
80 Qu'un regard ébloui sous un front hérissé ! 6+6 b
*
O contemplation splendide ! 8 a
Oh ! de pôles, d'axes, de feux, 8 b
De la matière et du fluide, 8 a
Balancement prodigieux ! 8 b
85 D'aimant qui lutte, d'air qui vibre, 8 c
De force esclave et d'éther libre, 8 c
Vaste et magnifique équilibre ! 8 c
Monde rêve ! idéal réel ! 8 d
Lueurs ! tonnerres ! jets de soufre ! 8 e
90 Mystère qui chante et qui souffre ! 8 e
Formule nouvelle du gouffre ! 8 e
Mot nouveau du noir livre ciel ! 8 d
Tu verrais ! — un soleil ; autour de lui des mondes, 6+6 a
Centres eux-même, ayant des lunes autour d'eux ; 6+6 b
95 Là, des fourmillements de sphères vagabondes ; 6+6 a
Là, des globes jumeaux qui tournent deux à deux ; 6+6 b
Au milieu, cette étoile, effrayante, agrandie ; 6+6 c
D'un coin de l'infini formidable incendie, 6+6 c
Rayonnement sublime ou flamboiement hideux ! 6+6 b
100 Regardons, puisque nous y sommes ! 8 a
Figure-toi ! figure-toi ! 8 b
Plus rien des choses que tu nommes ! 8 a
Un autre monde ! une autre loi ! 8 b
La terre a fui dans l'étendue ; 8 c
105 Derrière nous elle est perdue ! 8 c
Jour nouveau ! nuit inattendue ! 8 c
D'autres groupes d'astres au ciel ! 8 d
Une nature qu'on ignore, 8 e
Qui, s'ils voyaient sa fauve aurore, 8 e
110 Ferait accourir Pythagore 8 e
Et reculer Ézéchiel ! 8 d
Ce qu'on prend pour un mont est une hydre ; ces arbres 6+6 a
Sont des bêtes ; ces rocs hurlent avec fureur ; 6+6 b
Le feu chante ; le sang coule aux veines des marbres. 6+6 a
115 Ce monde est-il le vrai ? le nôtre est-il l'erreur ? 6+6 b
O possibles qui sont pour nous les impossibles ! 6+6 c
Réverbérations des chimères visibles ! 6+6 c
Le baiser de la vie ici nous fait horreur. 6+6 b
Et, si nous pouvions voir les hommes, 8 a
120 Les ébauches, les embryons, 8 b
Qui sont là ce qu'ailleurs nous sommes, 8 a
Comme, eux et nous, nous frémirions ! 8 b
Rencontre inexprimable et sombre ! 8 c
Nous nous regarderions dans l'ombre 8 c
125 De monstre à monstre, fils du nombre 8 c
Et du temps qui s'évanouit ; 8 d
Et, si nos langages funèbres 8 e
Pouvaient échanger leurs algèbres, 8 e
Nous dirions : « Qu'êtes-vous, ténèbres ? » 8 e
130 Ils diraient : « D'où venez-vous, nuit ? » 8 d
*
Sont-ils aussi des cœurs, des cerveaux, des entrailles ? 6+6 a
Cherchent-ils comme nous le mot jamais trouvé ? 6+6 b
Ont-ils des Spinosa qui frappent aux murailles, 6+6 a
Des Lucrèce niant tout ce qu'on a rêvé, 6+6 b
135 Qui, du noir infini feuilletant les registres, 6+6 c
Ont écrit : Rien, au bas de ses pages sinistres ; 6+6 c
Et, penchés sur l'abîme, ont dit : « L'œil est crevé ! » 6+6 b
Tous ces êtres, comme nous-même, 8 a
S'en vont en pâles tourbillons ; 8 b
140 La création mêle et sème 8 a
Leur cendre à de nouveaux sillons ; 8 b
Un vient, un autre le remplace, 8 c
Et passe sans laisser de trace ; 8 c
Le souffle les crée et les chasse ; 8 c
145 Le gouffre en proie aux quatre vents, 8 d
Comme la mer aux vastes lames, 8 e
Mêle éternellement ses flammes 8 e
À ce sombre écroulement d'âmes, 8 e
De fantômes et de vivants ! 8 d
150 L'abîme semble fou sous l'ouragan de l'être. 6+6 a
Quelle tempête autour de l'astre radieux ! 6+6 b
Tout ne doit que surgir, flotter et disparaître, 6+6 a
Jusqu'à ce que la nuit ferme à son tour ses yeux ; 6+6 b
Car, un jour, il faudra que l'étoile aussi tombe ; 6+6 c
155 L'étoile voit neiger les âmes dans la tombe, 6+6 c
L'âme verra neiger les astres dans les cieux ! 6+6 b
*
Par instants, dans le vague espace, 8 a
Regarde, enfant ! tu vas la voir ! 8 b
Une brusque planète passe ; 8 a
160 C'est d'abord au loin un point noir ; 8 b
Plus prompte que la trombe folle, 8 c
Elle vient, court, approche, vole ; 8 c
À peine a lui son auréole, 8 c
Que déjà, remplissant le ciel, 8 d
165 Sa rondeur farouche commence 8 e
À cacher le gouffre en démence, 8 e
Et semble ton couvercle immense, 8 e
O puits du vertige éternel ! 8 d
C'est elle ! éclair ! voilà sa livide surface 6+6 a
170 Avec tous les frissons de ses océans verts ! 6+6 b
Elle apparaît, s'en va, décroît, pâlit, s'efface, 6+6 a
Et rentre, atome obscur, aux cieux d'ombre couverts, 6+6 b
Et tout s'évanouit, vaste aspect, bruit sublime… — 6+6 c
Quel est ce projectile inouï de l'abîme ? 6+6 c
175 O boulets monstrueux qui sont des univers ! 6+6 b
Dans un éloignement nocturne, 8 a
Roule avec un râle effrayant 8 b
Quelque épouvantable Saturne 8 a
Tournant son anneau flamboyant ; 8 b
180 La braise en pleut comme d'un crible ; 8 c
Jean de Patmos, l'esprit terrible, 8 c
Vit en songe cet astre horrible 8 c
Et tomba presque évanoui ; 8 d
Car, rêvant sa noire épopée, 8 e
185 Il crut, d'éclairs enveloppée, 8 e
Voir fuir une roue, échappée 8 e
Au sombre char d'Adonaï ! 8 d
Et, par instants encor, — tout va-t-il se dissoudre ? — 6+6 a
Parmi ces mondes, fauve, accourant à grand bruit, 6+6 b
190 Une comète aux crins de flamme, aux yeux de foudre, 6+6 a
Surgit, et les regarde, et, blême, approche et luit ; 6+6 b
Puis s'évade en hurlant, pâle et surnaturelle, 6+6 c
Traînant sa chevelure éparse derrière elle, 6+6 c
Comme une Canidie affreuse qui s'enfuit. 6+6 b
195 Quelques-uns de ces globes meurent ; 8 a
Dans le semoun et le mistral 8 b
Leurs mers sanglotent, leurs flots pleurent ; 8 a
Leur flanc crache un brasier central. 8 b
Sphères par la neige engourdies, 8 c
200 Ils ont d'étranges maladies, 8 c
Pestes, déluges, incendies, 8 c
Tremblements profonds et fréquents ; 8 d
Leur propre abîme les consume ; 8 e
Leur haleine flamboie et fume ; 8 e
205 On entend de loin dans leur brume 8 e
La toux lugubre des volcans. 8 d
*
Ils sont ! ils vont ! ceux-ci brillants, ceux-là difformes, 6+6 a
Tous portant des vivants et des créations ! 6+6 b
Ils jettent dans l'azur des cônes d'ombre énormes, 6+6 a
210 Ténèbres qui des cieux traversent les rayons, 6+6 b
Où le regard, ainsi que des flambeaux farouches 6+6 c
L'un après l'autre éteints par d'invisibles bouches, 6+6 c
Voit plonger tour à tour les constellations ! 6+6 b
Quel Zorobabel formidable, 8 a
215 Quel Dédale vertigineux, 8 b
Cieux ! a bâti dans l'insondable 8 a
Tout ce noir chaos lumineux ? 8 b
Soleils, astres aux larges queues, 8 c
Gouffres ! ô millions de lieues ! 8 c
220 Sombres architectures bleues ! 8 c
Quel bras a fait, créé, produit 8 d
Ces tours d'or que nuls yeux ne comptent, 8 e
Ces firmaments qui se confrontent, 8 e
Ces Babels d'étoiles qui montent 8 e
225 Dans ces Babylones de nuit ? 8 d
Qui, dans l'ombre vivante et l'aube sépulcrale, 6+6 a
Qui, dans l'horreur fatale et dans l'amour profond, 6+6 b
A tordu ta splendide et sinistre spirale, 6+6 a
Ciel, où les univers se font et se défont ? 6+6 b
230 Un double précipice à la fois les réclame. 6+6 c
« Immensité ! » dit l'être. « Éternité ! » dit l'âme. 6+6 c
À jamais ! le sans fin roule dans le sans fond. 6+6 b
*
L'Inconnu, celui dont maint sage 8 a
Dans la brume obscure a douté, 8 b
235 L'immobile et muet visage, 8 a
Le voilé de l'éternité, 8 b
A, pour montrer son ombre au crime, 8 c
Sa flamme au juste magnanime, 8 c
Jeté pêle-mêle à l'abîme 8 c
240 Tous ses masques, noirs ou vermeils ; 8 d
Dans les éthers inaccessibles, 8 e
Ils flottent, cachés ou visibles ; 8 e
Et ce sont ces masques terribles 8 e
Que nous appelons les soleils ! 8 d
245 Et les peuples ont vu passer dans les ténèbres 6+6 a
Ces spectres de la nuit que nul ne pénétra ; 6+6 b
Et flamines, santons, brahmanes, mages, guèbres, 6+6 a
Ont crié : Jupiter ! Allah ! Vishnou ! Mithra ! 6+6 b
Un jour, dans les lieux bas, sur les hauteurs suprêmes, 6+6 c
250 Tous ces masques hagards s'effaceront d'eux-mêmes ; 6+6 c
Alors, la face immense et calme apparaîtra ! 6+6 b
III
*
Enfant ! l'autre de ces deux mondes, 8 a
C'est le cœur d'un homme ! — parfois, 8 b
Comme une perle au fond des ondes, 8 a
255 Dieu cache une âme au fond des bois. 8 b
Dieu cache un homme sous les chênes ; 8 a
Et le sacre en d'austères lieux 8 b
Avec le silence des plaines, 8 a
L'ombre des monts, l'azur des cieux ! 8 b
260 O ma fille ! avec son mystère 8 a
Le soir envahit pas à pas 8 b
L'esprit d'un prêtre involontaire, 8 a
Près de ce feu qui luit là-bas ! 8 b
Cet homme, dans quelque ruine, 8 a
265 Avec la ronce et le lézard, 8 b
Vit sous la brume et la bruine, 8 a
Fruit tombé de l'arbre hasard ! 8 b
Il est devenu presque fauve ; 8 a
Son bâton est son seul appui. 8 b
270 En le voyant, l'homme se sauve ; 8 a
La bête seule vient à lui. 8 b
Il est l'être crépusculaire. 8 a
On a peur de l'apercevoir ; 8 b
Pâtre tant que le jour l'éclaire, 8 a
275 Fantôme dès que vient le soir. 8 b
La faneuse dans la clairière 8 a
Le voit quand il fait, par moment, 8 b
Comme une ombre hors de sa bière, 8 a
Un pas hors de l'isolement. 8 b
280 Son vêtement dans ces décombres, 8 a
C'est un sac de cendre et de deuil, 8 b
Linceul troué par les clous sombres 8 a
De la misère, ce cercueil. 8 b
Le pommier lui jette ses pommes ; 8 a
285 Il vit dans l'ombre enseveli ; 8 b
C'est un pauvre homme loin des hommes, 8 a
C'est un habitant de l'oubli ; 8 b
C'est un indigent sous la bure, 8 a
Un vieux front de la pauvreté, 8 b
290 Un haillon dans une masure, 8 a
Un esprit dans l'immensité ! 8 b
*
Dans la nature transparente, 8 a
C'est l'œil des regards ingénus, 8 b
Un penseur à l'âme ignorante, 8 a
295 Un grave marcheur aux pieds nus ! 8 b
Oui, c'est un cœur, une prunelle, 8 a
C'est un souffrant, c'est un songeur, 8 b
Sur qui la lueur éternelle 8 a
Fait trembler sa vague rougeur. 8 b
300 Il est là, l'âme aux cieux ravie, 8 a
Et, près d'un branchage enflammé, 8 b
Pense, lui-même par la vie 8 a
Tison à demi consumé. 8 b
Il est calme en cette ombre épaisse ; 8 a
305 Il aura bien toujours un peu 8 b
D'herbe pour que son bétail paisse, 8 a
De bois pour attiser son feu. 8 b
Nos luttes, nos chocs, nos désastres, 8 a
Il les ignore ; il ne veut rien 8 b
310 Que, la nuit, le regard des astres, 8 a
Le jour, le regard de son chien. 8 b
Son troupeau gît sur l'herbe unie ; 8 a
Il est là, lui, pasteur, ami, 8 b
Seul éveillé, comme un génie 8 a
315 À côté d'un peuple endormi. 8 b
Ses brebis, d'un rien remuées, 8 a
Ouvrant l'œil près du feu qui luit, 8 b
Aperçoivent sous les nuées 8 a
Sa forme droite dans la nuit ; 8 b
320 Et, bouc qui bêle, agneau qui danse, 8 a
Dorment dans les bois hasardeux 8 b
Sous ce grand spectre Providence 8 a
Qu'ils sentent debout auprès d'eux. 8 b
*
Le pâtre songe, solitaire, 8 a
325 Pauvre et nu, mangeant son pain bis ; 8 b
Il ne connaît rien de la terre 8 a
Que ce que broute la brebis. 8 b
Pourtant, il sait que l'homme souffre ; 8 a
Mais il sonde l'éther profond. 8 b
330 Toute solitude est un gouffre, 8 a
Toute solitude est un mont. 8 b
Dès qu'il est debout sur ce faîte, 8 a
Le ciel reprend cet étranger ; 8 b
La Judée avait le prophète, 8 a
335 La Chaldée avait le berger. 8 b
Ils tâtaient le ciel l'un et l'autre ; 8 a
Et, plus tard, sous le feu divin, 8 b
Du prophète naquit l'apôtre, 8 a
Du pâtre naquit le devin. 8 b
340 La foule raillait leur démence ; 8 a
Et l'homme dut, aux jours passés, 8 b
À ces ignorants la science, 8 a
La sagesse à ces insensés. 8 b
La nuit voyait, témoin austère, 8 a
345 Se rencontrer sur les hauteurs, 8 b
Face à face dans le mystère, 8 a
Les prophètes et les pasteurs. 8 b
— Où marchez-vous, tremblants prophètes ? 8 a
— Où courez-vous, pâtres troublés ? 8 b
350 Ainsi parlaient ces sombres têtes, 8 a
Et l'ombre leur criait : Allez ! 8 b
Aujourd'hui, l'on ne sait plus même 8 a
Qui monta le plus de degrés 8 b
Des Zoroastres au front blême 8 a
355 Ou des Abrahams effarés. 8 b
Et, quand nos yeux, qui les admirent, 8 a
Veulent mesurer leur chemin, 8 b
Et savoir quels sont ceux qui mirent 8 a
Le plus de jour dans l'œil humain, 8 b
360 Du noir passé perçant les voiles, 8 a
Notre esprit flotte sans repos 8 b
Entre tous ces compteurs d'étoiles 8 a
Et tous ces compteurs de troupeaux. 8 b
*
Dans nos temps, où l'aube enfin dore 8 a
365 Les bords du terrestre ravin, 8 b
Le rêve humain s'approche encore 8 a
Plus près de l'idéal divin. 8 b
L'homme que la brume enveloppe, 8 a
Dans le ciel que Jésus ouvrit, 8 b
370 Comme à travers un télescope 8 a
Regarde à travers son esprit. 8 b
L'âme humaine, après le Calvaire, 8 a
À plus d'ampleur et de rayon ; 8 b
Le grossissement de ce verre 8 a
375 Grandit encor la vision. 8 b
La solitude vénérable 8 a
Mène aujourd'hui l'homme sacré 8 b
Plus avant dans l'impénétrable, 8 a
Plus loin dans le démesuré. 8 b
380 Oui, si dans l'homme, que le nombre 8 a
Et le temps trompent tour à tour, 8 b
La foule dégorge de l'ombre, 8 a
La solitude fait le jour. 8 b
Le désert au ciel nous convie. 8 a
385 O seuil de l'azur ! l'homme seul, 8 b
Vivant qui voit hors de la vie, 8 a
Lève d'avance son linceul. 8 b
Il parle aux voix que Dieu fit taire, 8 a
Mêlant sur son front pastoral 8 b
390 Aux lueurs troubles de la terre 8 a
Le serein rayon sépulcral. 8 b
Dans le désert, l'esprit qui pense 8 a
Subit par degrés sous les cieux 8 b
La dilatation immense 8 a
395 De l'infini mystérieux. 8 b
Il plonge au fond. Calme, il savoure 8 a
Le réel, le vrai, l'élément. 8 b
Toute la grandeur qui l'entoure 8 a
Le pénètre confusément. 8 b
400 Sans qu'il s'en doute, il va, se dompte, 8 a
Marche, et, grandissant en raison, 8 b
Croît comme l'herbe aux champs, et monte 8 a
Comme l'aurore à l'horizon. 8 b
Il voit, il adore, il s'effare ; 8 a
405 Il entend le clairon du ciel, 8 b
Et l'universelle fanfare 8 a
Dans le silence universel. 8 b
Avec ses fleurs au pur calice, 8 a
Avec sa mer pleine de deuil, 8 b
410 Qui donne un baiser de complice 8 a
À l'âpre bouche de l'écueil, 8 b
Avec sa plaine, vaste bible, 8 a
Son mont noir, son brouillard fuyant, 8 b
Regards du visage invisible, 8 a
415 Syllabes du mot flamboyant ; 8 b
Avec sa paix, avec son trouble, 8 a
Son bois voilé, son rocher nu, 8 b
Avec son écho qui redouble 8 a
Toutes les voix de l'inconnu, 8 b
420 La solitude éclaire, enflamme, 8 a
Attire l'homme aux grands aimants, 8 b
Et lentement compose une âme 8 a
De tous les éblouissements ! 8 b
L'homme en son sein palpite et vibre, 8 a
425 Ouvrant son aile, ouvrant ses yeux, 8 b
Étrange oiseau d'autant plus libre 8 a
Que le mystère le tient mieux. 8 b
Il sent croître en lui, d'heure en heure, 8 a
L'humble foi, l'amour recueilli, 8 b
430 Et la mémoire antérieure 8 a
Qui le remplit d'un vaste oubli. 8 b
Il a des soifs inassouvies ; 8 a
Dans son passé vertigineux, 8 b
Il sent revivre d'autres vies ; 8 a
435 De son âme il compte les nœuds. 8 b
Il cherche au fond des sombres dômes 8 a
Sous quelles formes il a lui ; 8 b
Il entend ses propres fantômes 8 a
Qui lui parlent derrière lui. 8 b
440 Il sent que l'humaine aventure 8 a
N'est rien qu'une apparition ; 8 b
Il se dit : — Chaque créature 8 a
Est toute la création. 8 b
Il se dit : — Mourir, c'est connaître ; 8 a
445 Nous cherchons l'issue à tâtons. 8 b
J'étais, je suis, et je dois être. 8 a
L'ombre est une échelle. Montons. — 8 b
Il se dit : — Le vrai, c'est le centre. 8 a
Le reste est apparence ou bruit. 8 b
450 Cherchons le lion, et non l'antre ; 8 a
Allons où l'œil fixe reluit. — 8 b
Il sent plus que l'homme en lui naître ; 8 a
Il sent, jusque dans ses sommeils, 8 b
Lueur à lueur, dans son être, 8 a
455 L'infiltration des soleils. 8 b
Ils cessent d'être son problème ; 8 a
Un astre est un voile. Il veut mieux ; 8 b
Il reçoit de leur rayon même 8 a
Le regard qui va plus loin qu'eux. 8 b
*
460 Pendant que, nous, hommes des villes, 8 a
Nous croyons prendre un vaste essor 8 b
Lorsqu'entre en nos prunelles viles 8 a
Le spectre d'une étoile d'or ; 8 b
Que, savants dont la vue est basse, 8 a
465 Nous nous ruons et nous brûlons 8 b
Dans le premier astre qui passe, 8 a
Comme aux lampes les papillons, 8 b
Et qu'oubliant le nécessaire, 8 a
Nous contentant de l'incomplet, 8 b
470 Croyant éclairés, ô misère ! 8 a
Ceux qu'éclaire le feu follet, 8 b
Prenant pour l'être et pour l'essence 8 a
Les fantômes du ciel profond, 8 b
Voulant nous faire une science 8 a
475 Avec des formes qui s'en vont, 8 b
Ne comprenant, pour nous distraire 8 a
De la terre, où l'homme est damné, 8 b
Qu'un autre monde, sombre frère 8 a
De notre globe infortuné, 8 b
480 Comme l'oiseau né dans la cage, 8 a
Qui, s'il fuit, n'a qu'un vol étroit, 8 b
Ne sait pas trouver le bocage, 8 a
Et va d'un toit à l'autre toit ; 8 b
Chercheurs que le néant captive, 8 a
485 Qui, dans l'ombre, avons en passant 8 b
La curiosité chétive 8 a
Du ciron pour le ver luisant, 8 b
Poussière admirant la poussière, 8 a
Nous poursuivons obstinément, 8 b
490 Grains de cendre, un grain de lumière 8 a
En fuite dans le firmament ! 8 b
Pendant que notre âme humble et lasse 8 a
S'arrête au seuil du ciel béni, 8 b
Et va becqueter dans l'espace 8 a
495 Une miette de l'infini, 8 b
Lui, ce berger, ce passant frêle, 8 a
Ce pauvre gardeur de bétail 8 b
Que la cathédrale éternelle 8 a
Abrite sous son noir portail, 8 b
500 Cet homme qui ne sait pas lire, 8 a
Cet hôte des arbres mouvants, 8 b
Qui ne connaît pas d'autre lyre 8 a
Que les grands bois et les grands vents, 8 b
Lui, dont l'âme semble étouffée, 8 a
505 Il s'envole, et, touchant le but, 8 b
Boit avec la coupe d'Orphée 8 a
À la source où Moïse but ! 8 b
Lui, ce pâtre, en sa Thébaïde, 8 a
Cet ignorant, cet indigent, 8 b
510 Sans docteur, sans maître, sans guide, 8 a
Fouillant, scrutant, interrogeant 8 b
De sa roche où la paix séjourne, 8 a
Les cieux noirs, les bleus horizons, 8 b
Double ornière où sans cesse tourne 8 a
515 La roue énorme des saisons ; 8 b
Seul, quand mai vide sa corbeille, 8 a
Quand octobre emplit son panier ; 8 b
Seul, quand l'hiver à notre oreille 8 a
Vient siffler, gronder, et nier ; 8 b
520 Quand sur notre terre, où se joue 8 a
Le blanc flocon flottant sans bruit, 8 b
La mort, spectre vierge, secoue, 8 a
Ses ailes pâles dans la nuit ; 8 b
Quand, nous glaçant jusqu'aux vertèbres, 8 a
525 Nous jetant la neige en rêvant, 8 b
Ce sombre cygne des ténèbres 8 a
Laisse tomber sa plume au vent ; 8 b
Quand la mer tourmente la barque ; 8 a
Quand la plaine est là, ressemblant 8 b
530 À la morte dont un drap marque 8 a
L'obscur profil sinistre et blanc ; 8 b
Seul sur cet âpre monticule, 8 a
À l'heure où, sous le ciel dormant, 8 b
Les méduses du crépuscule 8 a
535 Montrent leur face vaguement ; 8 b
Seul la nuit, quand dorment ses chèvres, 8 a
Quand la terre et l'immensité 8 b
Se referment comme deux lèvres 8 a
Après que le psaume est chanté ; 8 b
540 Seul, quand renaît le jour sonore, 8 a
À l'heure où sur le mont lointain 8 b
Flamboie et frissonne l'aurore, 8 a
Crête rouge du coq matin ; 8 b
Seul, toujours seul, l'été, l'automne ; 8 a
545 Front sans remords et sans effroi 8 b
À qui le nuage qui tonne 8 a
Dit tout bas : Ce n'est pas pour toi ! 8 b
Oubliant dans ces grandes choses 8 a
Les trous de ses pauvres habits, 8 b
550 Comparant la douceur des roses 8 a
À la douceur de la brebis, 8 b
Sondant l'être, la loi fatale ; 8 a
L'amour, la mort, la fleur, le fruit ; 8 b
Voyant l'auréole idéale 8 a
555 Sortir de toute cette nuit, 8 b
Il sent, faisant passer le monde 8 a
Par sa pensée à chaque instant, 8 b
Dans cette obscurité profonde 8 a
Son œil devenir éclatant ; 8 b
560 Et, dépassant la créature, 8 a
Montant toujours, toujours accru, 8 b
Il regarde tant la nature, 8 a
Que la nature a disparu ! 8 b
Car, des effets allant aux causes, 8 a
565 L'œil perce et franchit le miroir, 8 b
Enfant ; et contempler les choses, 8 a
C'est finir par ne plus les voir. 8 b
La matière tombe détruite 8 a
Devant l'esprit aux yeux de lynx ; 8 b
570 Voir, c'est rejeter ; la poursuite 8 a
De l'énigme est l'oubli du sphynx. 8 b
Il ne voit plus le ver qui rampe, 8 a
La feuille morte émue au vent, 8 b
Le pré, la source où l'oiseau trempe 8 a
575 Son petit pied rose en buvant ; 8 b
Ni l'araignée, hydre étoilée, 8 a
Au centre du mal se tenant, 8 b
Ni l'abeille, lumière ailée, 8 a
Ni la fleur, parfum rayonnant ; 8 b
580 Ni l'arbre où sur l'écorce dure 8 a
L'amant grave un chiffre d'un jour, 8 b
Que les ans font croître à mesure 8 a
Qu'ils font décroître son amour. 8 b
Il ne voit plus la vigne mûre, 8 a
585 La ville, large toit fumant, 8 b
Ni la campagne, ce murmure, 8 a
Ni la mer, ce rugissement ; 8 b
Ni l'aube dorant les prairies, 8 a
Ni le couchant aux longs rayons, 8 b
590 Ni tous ces tas de pierreries 8 a
Qu'on nomme constellations, 8 b
Que l'éther de son ombre couvre, 8 a
Et qu'entrevoit notre œil terni 8 b
Quand la nuit curieuse entr'ouvre 8 a
595 Le sombre écrin de l'infini ; 8 b
Il ne voit plus Saturne pâle, 8 a
Mars écarlate, Arcturus bleu, 8 b
Sirius, couronne d'opale, 8 a
Aldebaran, turban de feu ; 8 b
600 Ni les mondes, esquifs sans voiles, 8 a
Ni, dans le grand ciel sans milieu, 8 b
Toute cette cendre d'étoiles ; 8 a
Il voit l'astre unique ; il voit Dieu ! 8 b
*
Il le regarde, il le contemple ; 8 a
605 Vision que rien n'interrompt ! 8 b
Il devient tombe, il devient temple, 8 a
Le mystère flambe à son front. 8 b
Œil serein dans l'ombre ondoyante, 8 a
Il a conquis, il a compris, 8 b
610 Il aime ; il est l'âme voyante 8 a
Parmi nos ténébreux esprits. 8 b
Il marche, heureux et plein d'aurore, 8 a
De plain-pied avec l'élément ; 8 b
Il croit, il accepte. Il ignore 8 a
615 Le doute, notre escarpement ; 8 b
Le doute, qu'entourent les vides, 8 a
Bord que nul ne peut enjamber, 8 b
Où nous nous arrêtons stupides, 8 a
Disant : Avancer, c'est tomber ! 8 b
620 Le doute, roche où nos pensées 8 a
Errent loin du pré qui fleurit, 8 b
Où vont et viennent, dispersées, 8 a
Toutes ces chèvres de l'esprit ! 8 b
Quand Hobbes dit : « Quelle est la base ? » 8 a
625 Quand Locke dit : « Quelle est la loi ? » 8 b
Que font à sa splendide extase 8 a
Ces dialogues de l'effroi ? 8 b
Qu'importe à cet anachorète 8 a
De la caverne Vérité, 8 b
630 L'homme qui dans l'homme s'arrête, 8 a
La nuit qui croit à sa clarté ? 8 b
Que lui fait la philosophie, 8 a
Calcul, algèbre, orgueil puni, 8 b
Que sur les cimes pétrifie 8 a
635 L'effarement de l'infini ! 8 b
Lueurs que couvre la fumée ! 8 a
Sciences disant : Que sait-on ? 8 b
Qui, de l'aveugle Ptolémée, 8 a
Montent au myope Newton ! 8 b
640 Que lui font les choses bornées, 8 a
Grands, petits, couronnes, carcans ? 8 b
L'ombre qui sort des cheminées 8 a
Vaut l'ombre qui sort des volcans. 8 b
Que lui font la larve et la cendre, 8 a
645 Et, dans les tourbillons mouvants, 8 b
Toutes les formes que peut prendre 8 a
L'obscur nuage des vivants ? 8 b
Que lui fait l'assurance triste 8 a
Des créatures dans leurs nuits ? 8 b
650 La terre s'écriant : J'existe ! 8 a
Le soleil répliquant : Je suis ! 8 b
Quand le spectre, dans le mystère, 8 a
S'affirme à l'apparition, 8 b
Qu'importe à cet œil solitaire 8 a
655 Qui s'éblouit du seul rayon ? 8 b
Que lui fait l'astre, autel et prêtre 8 a
De sa propre religion, 8 b
Qui dit : Rien hors de moi ! — quand l'être 8 a
Se nomme Gouffre et Légion ! 8 b
660 Que lui font, sur son sacré faîte, 8 a
Les démentis audacieux 8 b
Que donne aux soleils la comète, 8 a
Cette hérésiarque des cieux ? 8 b
Que lui fait le temps, cette brume ? 8 a
665 L'espace, cette illusion ? 8 b
Que lui fait l'éternelle écume 8 a
De l'océan Création ? 8 b
Il boit, hors de l'inabordable, 8 a
Du surhumain, du sidéral, 8 b
670 Les délices du formidable, 8 a
L'âpre ivresse de l'idéal ; 8 b
Son être, dont rien ne surnage, 8 a
S'engloutit dans le gouffre bleu ; 8 b
Il fait ce sublime naufrage ; 8 a
675 Et, murmurant sans cesse : — Dieu, — 8 b
Parmi les feuillages farouches, 8 a
Il songe, l'âme et l'œil là-haut, 8 b
À l'imbécillité des bouches 8 a
Qui prononcent un autre mot ! 8 b
*
680 Il le voit, ce soleil unique, 8 a
Fécondant, travaillant, créant, 8 b
Par le rayon qu'il communique 8 a
Égalant l'atome au géant, 8 b
Semant de feux, de souffles, d'ondes, 8 a
685 Les tourbillons d'obscurité, 8 b
Emplissant d'étincelles mondes 8 a
L'épouvantable immensité ; 8 b
Remuant, dans l'ombre et les brumes, 8 a
De sombres forces dans les cieux 8 b
690 Qui font comme des bruits d'enclumes 8 a
Sous des marteaux mystérieux, 8 b
Doux pour le nid du rouge-gorge, 8 a
Terrible aux satans qu'il détruit ; 8 b
Et, comme aux lueurs d'une forge, 8 a
695 Un mur s'éclaire dans la nuit, 8 b
On distingue en l'ombre où nous sommes, 8 a
On reconnaît dans ce bas lieu, 8 b
À sa clarté parmi les hommes, 8 a
L'âme qui réverbère Dieu ! 8 b
700 Et ce pâtre devient auguste ; 8 a
Jusqu'à l'auréole monté, 8 b
Étant le sage, il est le juste ; 8 a
O ma fille, cette clarté 8 b
Sœur du grand flambeau des génies, 8 a
705 Faite de tous les rayons purs 8 b
Et de toutes les harmonies 8 a
Qui flottent dans tous les azurs, 8 b
Plus belle dans une chaumière, 8 a
Éclairant hier par demain, 8 b
710 Cette éblouissante lumière, 8 a
Cette blancheur du cœur humain 8 b
S'appelle en ce monde, où l'honnête 8 a
Et le vrai des vents est battu, 8 b
Innocence avant la tempête, 8 a
715 Après la tempête vertu ! 8 b
*
Voilà donc ce que fait la solitude à l'homme ; 6+6 a
Elle lui montre Dieu, le dévoile et le nomme ; 6+6 a
Sacre l'obscurité, 6 b
Pénètre de splendeur le pâtre qui s'y plonge, 6+6 c
720 Et, dans les profondeurs de son immense songe. 6+6 c
T'allume, ô vérité ! 6 b
Elle emplit l'ignorant de la science énorme ; 6+6 a
Ce que le cèdre voit, ce que devine l'orme, 6+6 a
Ce que le chêne sent, 6 b
725 Dieu, l'être, l'infini, l'éternité, l'abîme, 6+6 c
Dans l'ombre elle le mêle à la candeur sublime 6+6 c
D'un pâtre frémissant. 6 b
L'homme n'est qu'une lampe, elle en fait une étoile. 6+6 a
Et ce pâtre devient, sous son haillon de toile, 6+6 a
730 Un mage ; et, par moments, 6 b
Aux fleurs, parfums du temple, aux arbres, noirs pilastres, 6+6 c
Apparaît couronné d'une tiare d'astres, 6+6 c
Vêtu de flamboiements ! 6 b
Il ne se doute pas de cette grandeur sombre : 6+6 a
735 Assis près de son feu que la broussaille encombre, 6+6 a
Devant l'être béant, 6 b
Humble, il pense ; et, chétif, sans orgueil, sans envie, 6+6 c
Il se courbe, et sent mieux, près du gouffre de vie, 6+6 c
Son gouffre de néant. 6 b
740 Quand il sort de son rêve, il revoit la nature. 6+6 a
Il parle à la nuée, errant à l'aventure, 6+6 a
Dans l'azur émigrant ; 6 b
Il dit : « Que ton encens est chaste, ô clématite ! » 6+6 c
Il dit au doux oiseau : « Que ton aile est petite, 6+6 c
745 « Mais que ton vol est grand ! » 6 b
Le soir, quand il voit l'homme aller vers les villages, 6+6 a
Glaneuses, bûcherons qui traînent des feuillages, 6+6 a
Et les pauvres chevaux 6 b
Que le laboureur bat et fouette avec colère, 6+6 c
750 Sans songer que le vent va le rendre à son frère 6+6 c
Le marin sur les flots ; 6 b
Quand il voit les forçats passer, portant leur charge, 6+6 a
Les soldats, les pêcheurs pris par la nuit, au large, 6+6 a
Et hâtant leur retour, 6 b
755 Il leur envoie à tous, du haut du mont nocturne, 6+6 c
La bénédiction qu'il a puisée à l'urne 6+6 c
De l'insondable amour ! 6 b
Et, tandis qu'il est là, vivant sur sa colline, 6+6 a
Content, se prosternant dans tout ce qui s'incline, 6+6 a
760 Doux rêveur bienfaisant, 6 b
Emplissant le vallon, le champ, le toit de mousse, 6+6 c
Et l'herbe et le rocher de la majesté douce 6+6 c
De son cœur innocent, 6 b
S'il passe par hasard, près de sa paix féconde, 6+6 a
765 Un de ces grands esprits en butte aux flots du monde 6+6 a
Révolté devant eux, 6 b
Qui craignent à la fois, sur ces vagues funèbres, 6+6 c
La terre de granit et le ciel de ténèbres, 6+6 c
L'homme ingrat, Dieu douteux ; 6 b
770 Peut-être, à son insu, que ce pasteur paisible, 6+6 a
Et dont l'obscurité rend la lueur visible, 6+6 a
Homme heureux sans effort, 6 b
Entrevu par cette âme en proie au choc de l'onde, 6+6 c
Va lui jeter soudain quelque clarté profonde 6+6 c
775 Qui lui montre le port ! 6 b
Ainsi ce feu peut-être, aux flancs du rocher sombre, 6+6 a
Là-bas est aperçu par quelque nef qui sombre 6+6 a
Entre le ciel et l'eau ; 6 b
Humble, il la guide au loin de son reflet rougeâtre, 6+6 c
780 Et du même rayon dont il réchauffe un pâtre, 6+6 c
Il sauve un grand vaisseau ! 6 b
IV
Et je repris, montrant à l'enfant adorée 6+6 a
L'obscur feu du pasteur et l'étoile sacrée : 6+6 a
De ces deux feux, perçant le soir qui s'assombrit, 6+6 a
785 L'un révèle un soleil, l'autre annonce un esprit. 6+6 a
C'est l'infini que notre œil sonde ; 8 b
Mesurons tout à Dieu, qui seul crée et conçoit ! 6+6 c
C'est l'astre qui le prouve et l'esprit qui le voit ; 6+6 c
Une âme est plus grande qu'un monde. 8 b
790 Enfant, ce feu de pâtre à cette âme mêlé, 6+6 a
Et cet astre, splendeur du plafond constellé 6+6 a
Que l'éclair et la foudre gardent, 8 b
Ces deux phares du gouffre où l'être flotte et fuit, 6+6 c
Ces deux clartés du deuil, ces deux yeux de la nuit, 6+6 c
795 Dans l'immensité se regardent. 8 b
Ils se connaissent ; l'astre envoie au feu des bois 6+6 a
Toute l'énormité de l'abîme à la fois, 6+6 a
Les baisers de l'azur superbe, 8 b
Et l'éblouissement des visions d'Endor ; 6+6 c
800 Et le doux feu de pâtre envoie à l'astre d'or 6+6 c
Le frémissement du brin d'herbe. 8 b
Le feu de pâtre dit : — La mère pleure, hélas ! 6+6 a
L'enfant a froid, le père a faim, l'aïeul est las ; 6+6 a
Tout est noir ; la montée est rude ; 8 b
805 Le pas tremble, éclairé par un tremblant flambeau ; 6+6 c
L'homme au berceau chancelle et trébuche au tombeau. 6+6 c
L'étoile répond : — Certitude ! 8 b
De chacun d'eux s'envole un rayon fraternel, 6+6 a
L'un plein d'humanité, l'autre rempli de ciel ; 6+6 a
810 Dieu les prend, et joint leur lumière, 8 b
Et sa main, sous qui l'âme, aigle de flamme, éclôt, 6+6 c
Fait du rayon d'en bas et du rayon d'en haut 6+6 c
Les deux ailes de la prière. 8 b
mètre profils métriques : 6, 8, 6+6
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