Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
HUG_1/HUG475
Victor HUGO
LES CONTEMPLATIONS
tome I
AUTREFOIS
1830-1843
LIVRE TROISIÈME
LES LUTTES ET LES RÊVES
XVI
Le Maître d'études
Ne le tourmentez pas, il souffre. Il est celui 6+6 a
Sur qui, jusqu'à ce jour, pas un rayon n'a lui ; 6+6 a
Oh ! ne confondez pas l'esclave avec le maître ! 6+6 b
Et, quand vous le voyez dans vos rangs apparaître, 6+6 b
5 Humble et calme, et s'asseoir la tête dans ses mains, 6+6 a
Ayant peut-être en lui l'esprit des vieux Romains. 6+6 a
Dont il vous dit les noms, dont il vous lit les livres, 6+6 b
Écoliers, frais enfants de joie et d'aurore ivres, 6+6 b
Ne le tourmentez pas ! soyez doux, soyez bons. 6+6 a
10 Tous nous portons la vie et tous nous nous courbons ; 6+6 a
Mais, lui, c'est le flambeau qui la nuit se consomme ; 6+6 b
L'ombre le tient captif, et ce pâle jeune homme, 6+6 b
Enfermé plus que vous, plus que vous enchaîné, 6+6 a
Votre frère, écoliers, et votre frère aîné, 6+6 a
15 Destin tronqué, matin noyé dans les ténèbres, 6+6 b
Ayant l'ennui sans fin devant ses yeux funèbres, 6+6 b
Indigent, chancelant, et cependant vainqueur, 6+6 a
Sans oiseaux dans son ciel, sans amours dans son cœur, 6+6 a
À l'heure du plein jour, attend que l'aube naisse. 6+6 b
20 Enfance, ayez pitié de la sombre jeunesse ! 6+6 b
Apprenez à connaître, enfants qu'attend l'effort, 6+6 a
Les inégalités des âmes et du sort ; 6+6 a
Respectez-le deux fois, dans le deuil qui le mine, 6+6 b
Puisque de deux sommets, enfants, il vous domine, 6+6 b
25 Puisqu'il est le plus pauvre et qu'il est le plus grand. 6+6 a
Songez que, triste, en butte au souci dévorant, 6+6 a
À travers ses douleurs, ce fils de la chaumière 6+6 b
Vous verse la raison, le savoir, la lumière, 6+6 b
Et qu'il vous donne l'or, et qu'il n'a pas de pain. 6+6 a
30 Oh ! dans la longue salle aux tables de sapin, 6+6 a
Enfants, faites silence à la lueur des lampes ! 6+6 b
Voyez, la morne angoisse a fait blêmir ses tempes : 6+6 b
Songez qu'il saigne, hélas ! sous ses pauvres habits. 6+6 a
L'herbe que mord la dent cruelle des brebis, 6+6 a
35 C'est lui ; vous riez, vous, et vous lui rongez l'âme. 6+6 b
Songez qu'il agonise, amer, sans air, sans flamme ; 6+6 b
Que sa colère dit : Plaignez-moi ; que ses pleurs 6+6 a
Ne peuvent pas couler devant vos yeux railleurs ! 6+6 a
Aux heures du travail votre ennui le dévore, 6+6 b
40 Aux heures du plaisir vous le rongez encore ; 6+6 b
Sa pensée, arrachée et froissée, est à vous, 6+6 a
Et, pareille au papier qu'on distribue à tous, 6+6 a
Page blanche d'abord, devient lentement noire. 6+6 b
Vous feuilletez son cœur, vous videz sa mémoire ; 6+6 b
45 Vos mains, jetant chacune un bruit, un trouble, un mot, 6+6 a
Et raturant l'idée en lui dès qu'elle éclôt, 6+6 a
Toutes en même temps dans son esprit écrivent. 6+6 b
Si des rêves, parfois, jusqu'à son front arrivent, 6+6 b
Vous répandez votre encre à flots sur cet azur ; 6+6 a
50 Vos plumes, tas d'oiseaux hideux au vol obscur, 6+6 a
De leurs mille becs noirs lui fouillent la cervelle. 6+6 b
Le nuage d'ennui passe et se renouvelle. 6+6 b
Dormir, il ne le peut ; penser, il ne le peut. 6+6 a
Chaque enfant est un fil dont son cœur sent le nœud. 6+6 a
55 Oui, s'il veut songer, fuir, oublier, franchir l'ombre, 6+6 b
Laisser voler son âme aux chimères sans nombre, 6+6 b
Ces écoliers joueurs, vifs, légers, doux, aimants, 6+6 a
Pèsent sur lui, de l'aube au soir, à tous moments, 6+6 a
Et le font retomber des voûtes immortelles ; 6+6 b
60 Et tous ces papillons sont le plomb de ses ailes. 6+6 b
Saint et grave martyr changeant de chevalet ; 6+6 a
Crucifié par vous, bourreaux charmants, il est 6+6 a
Votre souffre-douleurs et votre souffre-joies ; 6+6 b
Ses nuits sont vos hochets et ses jours sont vos proies, 6+6 b
65 Il porte sur son front votre essaim orageux ; 6+6 a
Il a toujours vos bruits, vos rires et vos jeux, 6+6 a
Tourbillonnant sur lui comme une âpre tempête. 6+6 b
Hélas ! il est le deuil dont vous êtes la fête ; 6+6 b
Hélas ! il est le cri dont vous êtes le chant. 6+6 a
70 Et, qui sait ? sans rien dire, austère, et se cachant 6+6 a
De sa bonne action comme d'une mauvaise, 6+6 b
Ce pauvre être qui rêve accoudé sur sa chaise, 6+6 b
Mal nourri, mal vêtu, qu'un mendiant plaindrait, 6+6 a
Peut-être a des parents qu'il soutient en secret, 6+6 a
75 Et fait de ses labeurs, de sa faim, de ses veilles, 6+6 b
Des siècles dont sa voix vous traduit les merveilles, 6+6 b
Et de cette sueur qui coule sur sa chair, 6+6 a
Des rubans au printemps, un peu de feu l'hiver, 6+6 a
Pour quelque jeune sœur ou quelque vieille mère ; 6+6 b
80 Changeant en goutte d'eau la sombre larme amère ; 6+6 b
De sorte que ; vivant à son ombre sans bruit, 6+6 a
Une colombe vient la boire dans la nuit ! 6+6 a
Songez que pour cette œuvre, enfants, il se dévoue, 6+6 b
Brûle ses yeux, meurtrit son cœur, tourne la roue, 6+6 b
85 Traîne la chaîne ! hélas, pour lui, pour son destin, 6+6 a
Pour ses espoirs perdus à l'horizon lointain, 6+6 a
Pour ses vœux, pour son âme aux fers, pour sa prunelle, 6+6 b
Votre cage d'un jour est prison éternelle ! 6+6 b
Songez que c'est sur lui que marchent tous vos pas ! 6+6 a
90 Songez qu'il ne rit pas, songez qu'il ne vit pas ! 6+6 a
L'avenir, cet avril plein de fleurs, vous convie ; 6+6 b
Vous vous envolerez demain en pleine vie ; 6+6 b
Vous sortirez de l'ombre, il restera. Pour lui, 6+6 a
Demain sera muet et sourd comme aujourd'hui ; 6+6 a
95 Demain, même en juillet, sera toujours décembre, 6+6 b
Toujours l'étroit préau, toujours la pauvre chambre, 6+6 b
Toujours le ciel glacé, gris, blafard, pluvieux ; 6+6 a
Et, quand vous serez grands, enfants, il sera vieux. 6+6 a
Et, si quelque heureux vent ne souffle et ne l'emporte, 6+6 b
100 Toujours il sera là, seul sous la sombre porte, 6+6 b
Gardant les beaux enfants sous ce mur redouté, 6+6 a
Ayant tout de leur peine et rien de leur gaîté. 6+6 a
Oh ! que votre pensée aime, console, encense 6+6 b
Ce sublime forçat du bagne d'innocence ! 6+6 b
105 Pesez ce qu'il prodigue avec ce qu'il reçoit. 6+6 a
Oh ! qu'il se transfigure à vos yeux, et qu'il soit 6+6 a
Celui qui vous grandit, celui qui vous élève, 6+6 b
Qui donne à vos raisons les deux tranchants du glaive, 6+6 b
Art et science, afin qu'en marchant au tombeau, 6+6 a
110 Vous viviez pour le vrai, vous luttiez pour le beau ! 6+6 a
Oh ! qu'il vous soit sacré dans cette tâche auguste 6+6 b
De conduire à l'utile, au sage, au grand, au juste, 6+6 b
Vos âmes en tumulte à qui le ciel sourit ! 6+6 a
Quand les cœurs sont troupeau, le berger est esprit. 6+6 a
115 Et, pendant qu'il est là, triste, et que dans la classe 6+6 b
Un chuchotement vague endort son âme lasse, 6+6 b
Oh ! des poëtes purs entr'ouverts sur vos bancs, 6+6 a
Qu'il sorte, dans le bruit confus des soirs tombants, 6+6 a
Qu'il sorte de Platon, qu'il sorte d'Euripide, 6+6 b
120 Et de Virgile, cygne errant du vers limpide, 6+6 b
Et d'Eschyle, lion du drame monstrueux, 6+6 a
Et d'Horace, et d'Homère à demi dans les cieux, 6+6 a
Qu'il sorte, pour sa tête aux saints travaux baissée, 6+6 b
Pour l'humble défricheur de la jeune pensée, 6+6 b
125 Qu'il sorte, pour ce front qui se penche et se fend 6+6 a
Sur ce sillon humain qu'on appelle l'enfant, 6+6 a
De tous ces livres pleins de hautes harmonies, 6+6 b
La bénédiction sereine des génies ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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