Métrique en Ligne
HEU_1/HEU37
Gaston HEUX
L'INITIATION DOULOUREUSE
1er cahier
1924
Le livre viril
IV
L'amour refleuri
La Symphonie pastorale
Toi qui marchais vers moi dès tes jeunes aurores, 6+6 a
Sans prévoir la rencontre et l'éclair de nos yeux, 6+6 b
Avec le rythme ailé qu'à tes beaux pieds sonores 6+6 a
Attachaient la sandale et ton élan joyeux ! 6+6 b
5 Chère âme d'allégresse et de tendresse neuve 6+6 a
Qui, trop en abandon pour jamais t'épargner, 6+6 b
N'affrontes qu'humblement la lumineuse épreuve 6+6 a
Où le cœur féminin cherche à mieux se donner ! 6+6 b
O doux être ingénu qui te crois l'Étrangère 6+6 a
10 Et t'étonnes des ciels nouveaux où tu t'en vins, 6+6 b
Offrant à l'Étranger que je te fus naguère 6+6 a
Ton exil souriant et tes baisers divins 6+6 b
Tu t'écoutes aimer, quelquefois, comme on tremble 6+6 a
Est-ce une exhalaison dans une nuit d'été ? 6+6 b
15 Quelque chose d'obscur, et de clair tout ensemble, 6+6 a
T'inquiète le cœur d'étrange volupté. 6+6 b
Ce n'est rien… un bonheur ambigu dont tu souffres 6+6 a
Ta pensée, au milieu de plaintifs Océans, 6+6 b
Comme une fleur d'écume éclose de leurs gouffres 6+6 a
20 Disperse ses parfums de néants en néants ! 6+6 b
Tu sens frémir en toi des ailes et des voiles : 6+6 a
Tout évoque à ton cœur l'anxiété des mers, 6+6 b
Où l'engloutissement nocturne des étoiles 6+6 a
Entraîne ton esprit sous les lointains amers 6+6 b
25 Telle es-tu, frêle enfant, toi qui sais, d'heure en heure, 6+6 a
Quelle part de ton ciel enfouit l'horizon ; 6+6 b
Telle es-tu dans l'amour, toi dont le rire pleure, 6+6 a
Et qui fais de regrets contenus, ta prison. 6+6 b
En mesurant mes dons à tes propres offrandes, 6+6 a
30 Moi-même, par instants, je t'ai prise en pitié ; 6+6 b
Mais combien donnent moins qui font les parts plus grandes : 6+6 a
Ce qui subsiste en moi se livre tout entier 6+6 b
Tu ne retiens jamais, si je traduis mon âme, 6+6 a
Que le sens qui se cache et tout l'inexprimé ; 6+6 b
35 Tu n'apprends des rayons qu'à regretter la flamme, 6+6 a
L'absolu brûle en toi sur l'autel parfumé ! 6+6 b
Pourquoi donc, au delà de mon amour visible, 6+6 a
Suivre la courbe d'or des Constellations, 6+6 b
Qu'un rythme naturel dans leur course insensible 6+6 a
40 Éloigne pour un soir du ciel des passions ? 6+6 b
Résigne-toi ! l'universel déborde l'heure 4+4+4 a
Quel vertige te noue à ces astres vaincus ? 6+6 b
Explore, si tu veux, ma vie antérieure ; 6+6 a
Descends comme un Esprit au fond des jours vécus. 6+6 b
45 Le temps que fléchira ta douce violence, 6+6 a
N'est plus qu'un long sommeil sous un vieux firmament. 6+6 b
Viens ! découvre d'ici le jardin de silence 6+6 a
Où mon sourire même accueille gravement. 6+6 b
Tu peux te croire encore en ton rêve idyllique, 6+6 a
50 Tant ce parterre au loin a de chastes senteurs 6+6 b
Quelque trouble qu'on prête à leur sens symbolique, 6+6 a
Cueille-les sans remords, ce ne sont que des fleurs ! 6+6 b
Ah ! cet instant mortel, mon respect le prolonge : 6+6 a
Il s'émeut sous ton pied, le seuil tard visité, 6+6 b
55 Où rien ne survivra du passage d'un songe 6+6 a
Hormis ton souvenir dont il reste hanté. 6+6 b
Viens ! respire d'ici la lumière indulgente. 6+6 a
Au flanc des troncs gercés distille un sang moins vieux. 6+6 b
Tandis que de ses fleurs le saule obscur s'argente 6+6 a
60 Sous les écorces, vois ! ressuscitent des dieux ! 6+6 b
Les derniers cyclamens auprès de l'anémone, 6+6 a
Le narcisse ployant sous un beau nom damné, 6+6 b
L'impériale, dont Avril ceint sa couronne, 6+6 a
Sacrent, de leurs joyaux, le Printemps nouveau-né. 6+6 b
65 Seules, des fleurs d'hiver, pétales à pétales, 6+6 a
Dilapident sans joie un virginal trésor, 6+6 b
Et semblent, loin du givre et des bises natales, 6+6 a
Expier au soleil ses douces lèvres d'or. 6+6 b
Leurs floraisons, vois-tu, sont filles de la neige, 6+6 a
70 Vierges d'un blanc royaume étoilé de grésil, 6+6 b
Et craignant de survivre au baiser sacrilège 6+6 a
Qui leur ferait, peut-être, adorer leur exil. 6+6 b
Ah ! c'est peu de la mort pour payer tant de gloire ! 6+6 a
Mais toi, si le passé que tu vécus ailleurs 6+6 b
75 D'un pur pays de gel irise ta mémoire, 6+6 a
Que mes baisers, enfin, ne t'en soient que meilleurs ! 6+6 b
Délices de la chair ! extases interdites 6+6 a
OÙ L’excès du désir s'épure à tant d'amour ! 6+6 b
Un renouveau sacré t'initie à ses rites : 6+6 a
80 Marche dans ses rayons et vie ton premier jour 6+6 b
Tu sors en frissonnant d'un destin monotone, 6+6 a
Comme à l'âge charnel des claires pubertés, 6+6 b
Autrefois, sur la mer que sa naissance étonne, 6+6 a
De l'uniforme écume a jailli l'Astarté ! 6+6 b
85 O sources ! gais cailloux qui font rire la rive, 6+6 a
Et se multipliant dans les échos des bois ! 6+6 b
Âme qui t'écoutais, de toi-même captive, 6+6 a
Qu'est-ce donc qui t'emplit d'une ineffable voix 6+6 b
Murmures des roseaux où filtrent les eaux fraîches ! 6+6 a
90 Cris lancés à plein vol dans un azur mouillé ! 6+6 b
Herbes où grinceront, l'été, des ailes sèches ! 6+6 a
Bonheur qu'à son insu l'on vit agenouillé ! 6+6 b
Oui, j'ai vécu sans toi des heures ineffables 6+6 a
Qui se chargeaient d'un sens âprement déchiffré, 6+6 b
95 Exaspéraient la vie et me mêlaient aux fables 6+6 a
Où sur des front élus tombe un signe sacré ! 6+6 b
Mais j'oublie à présent leur vaine frénésie 6+6 a
Nous respirons ensemble un parterre ingénu. 6+6 b
Quelle âme est d'un élu, si tu ne l'as choisie ? 6+6 a
100 J'appris à te connaître et tout m'est mieux connu ! 6+6 b
En quels lointains d'hiver et de froids paysages 6+6 a
Recule au bord du ciel et plonge, dans le bleu, 6+6 b
Avec les grains sanglants de ses grappes sauvages, 6+6 a
Comme un soleil du soir, l'ardent buisson de feu ! 6+6 b
105 Un grand vent lumineux draîne les brumes sombres 6+6 a
Saluons des deux mains nos cléments horizons ! 6+6 b
Les arbres fraternels entrelacent leurs ombres 6+6 a
Au parc miraculeux qui mêle les saisons. 6+6 b
Là-bas, les prés d'avril se hérissent de prêles 6+6 a
110 Vois les mauves épis d'un tamarix en fleurs, 6+6 b
Dont les feuilles, de loin, semblent des algues grêles 6+6 a
Sur qui toute la mer de l'aiguail est en pleurs. 6+6 b
O viornes légers, glycines où s'accrochent 6+6 a
Aux rameaux fléchissants mille essaims violets ! 6+6 b
115 Lilas qui te pressent et berce à ton approche 6+6 a
L'encens respectueux de ses tendres bouquets !… 6+6 b
Chutes d'or du cytise au passage effleurées 6+6 a
Qui figent sous l'azur leur frais ruissellement : 6+6 b
Un légendaire amour dans l'averse dorée 6+6 a
120 Fermera-t-il tes bras sur l'immortel Amant ? 6+6 b
Respire les yeux clos cette pluie odorante : 6+6 a
Au chimérique instant du céleste baiser, 6+6 b
Il se peut qu'en esprit tu sois une autre amante, 6+6 a
Mais c'est moi que ton cœur voudra diviniser. 6+6 b
125 Un être radieux par tes gestes s'exprime 6+6 a
Sois la lampe qu'on taille en un marbre veiné, 6+6 b
Un beau corps translucide à sa lumière intime 6+6 a
Et, baigné de lueurs, un Esprit incarné. 6+6 b
L'été de flamme et d'ambre où ta chair s'est hâlée 6+6 a
130 Nous précède à présent, ou rayonne de nous 6+6 b
Ton souffle, en caressant les touffes d'azalée, 6+6 a
Soulève leur pollen comme un nuage roux. 6+6 b
Dans ces massifs épais, il en est temps, arrête ! 6+6 a
Fais silence, qu'on ne t'évente en cet abri. 6−6 b
135 La Vie ardente aura des bonds de jeune bête 6+6 a
Et passera dans la lumière avec un cri ! 6−6 b
Dompte-la, si tu peux, sans violence obscure, 6+6 a
A son mufle embrasé crispe donc tes doigts blancs 6+6 b
Esclave de sa fauve et frénétique allure, 6+6 a
140 A des bonds éternels tu nouerais tes élans ! 6+6 b
Ah plutôt ! par la fête innombrable et la joie 6+6 a
Des eaux vives, des cieux, des étangs, des forêts, 6+6 b
Ne crains pas d'immoler l'impérissable proie : 6+6 a
Fais ton butin, lance tes sens comme des traits ! 4+4+4 b
145 La Vie ! elle est à vaincre à coups d'épieu sauvage ! 6+6 a
Tue au vol le bonheur qui traverse le temps ! 6+6 b
Pour quels cieux lissait-il son magique plumage ? 6+6 a
Ramasse l'oiseau mort, frondeur de peu d'instants !… 6+6 b
Saccage les taillis, si tel est ton caprice ! 6+6 a
150 Dryade aux flancs meurtris, est-ce vous qui saignez ? 6+6 b
Fais pleurer jusqu'au soir, à mordre la Nourrice, 6+6 a
Des perles de résine aux arbres résignés ! 6+6 b
En mutilant les bois, frappe ! tu les émondes 6+6 a
Mêlant le ciel nocturne à leurs rameaux féconds 6+6 b
155 Ils portent sans fléchir le faix divin des mondes, 6+6 a
Comme un poids naturel d'étincelants bourgeons. 6+6 b
Tu te défends, dis-tu, d'un vertige funeste 6+6 a
Quand tout s'exalte en moi, quel repos est le tien 6+6 b
Va ! la sérénité que ton sourire atteste 6+6 a
160 D'un être encore enfant est le suprême bien. 6+6 b
«— J'écoutais ta parole, ami, paupières closes, 6+6 a
» Tel qu'on suivrait au tintement de son collier, 4+4+4 b
» Évanoui bien loin dans la poussière rose, 6+6 a
» L'attelage qu'enlève au trot le muletier. 6+6 b
165 » Ton frais enclos n'est point, murmure l'incrédule. 6+6 a
» Je me leurrais au bruit de ton rêve argentin. 6+6 b
» Comme un grelot suffit et m'évoque la mule, 6+6 a
» J'ai dû fermer les yeux pour croire à ton jardin. 6+6 b
Ah ! que dis-tu ? hume l'obscurité, va ! touche, 4+8 a
170 Capture, abats sur tout d'invisibles réseaux ! 6+6 b
Tiens ces fruits pour réels s'ils parfument ta bouche 6+6 a
Éprouve, au creux des mains, la fraîcheur de ces eaux 6+6 b
En vain les clairs aspects rampent vers les ténèbres : 6+6 a
Tes sens multipliés les débusquent d'accord 6+6 b
175 De cent bûchers vermeils, dans les ombres funèbres, 6+6 a
Les yeux de ta mémoire étincellent encor ! 6+6 b
Ruisseaux luisant sous l’herbe et pareils a des lames, 6+6 a
Flamboîments d'horizons et torches des rosiers 6+6 b
Qui s'inclinent au vent comme dansent des flammes, 6+6 a
180 Le jour t'éblouissait d'universels brasiers ! 6+6 b
En te brûlant les yeux l'évidence t'aveugle. 6+6 a
Écoute au moins, de ta vermeille cécité, 6−6 b
Par ce soir pastoral la Nuit douce qui meugle, 6+6 a
Mélancoliquement la Nuit douce d'été ! 6+6 b
185 Vendanges, les soleils ont mûri votre gloire ! 6+6 a
Et l'Automne s'accoude aux pesants espaliers. 6+6 b
Nul n'aspire à ses dons qu'au prix d'une victoire 6+6 a
Il égrène la grappe et son rire aux halliers. 6+6 b
Et que luise ou s'étouffe aux sursauts des mêlées 6+6 a
190 La braise, prompt éclair, à la fente des yeux, 6+6 b
D'âpres rixes, piaffant sur les feuilles foulées, 6+6 a
Culbutent, dans le soir, des chèvres et des dieux 6+6 b
Ainsi je vous lançais, grappes de ma jeunesse, 6+6 a
D'un beau geste d'automne à de rauques taillis, 6+6 b
195 O fruits mûrs convoités de l'obscure faunesse, 6+6 a
De sa faim, de sa soif, de ses dents assaillis. 6+6 b
L'automne en qui j'ai cru, n'est-il plus qu'un emblème ? 6+6 a
… Il me semble à présent qu'à voix haute rêvé, 6+6 b
Ce jardin qu'hallucine un peu de lune blême. 6+6 a
200 Est quelque songe ancien dans la fièvre achevé. 6+6 b
Certes ! nul mieux que vous, ô mon Passé d'orage, 6+6 a
N'a brandi vers la vie un pampre plus altier, 6+6 b
Et s'il faut à mon tour triompher d'un mirage, 6+6 a
Son mensonge, du moins, ne ment point tout entier. 6+6 b
205 Ce qu'il fit tressaillir à travers tant d'années, 6+6 a
C'est bien mon cœur de soirs et d'arrière-saisons 6+6 b
Cymbales d'or des bacchanales déchaînées, 4+4+4 a
Onces et lynx cinglés de vignes, pâmoisons ! 6+6 b
Le dieu pâle, l'élu des larmes d'Ariane, 6+6 a
210 Qui rôde sur son char en domptant l'univers, 6+6 b
A la gueule du tigre assouplit la liane, 6+6 a
Et se sent un esclave entre deux bras ouverts ! 6+6 b
Mais enfin, mon royaume est l'adorable Idylle 6+6 a
Loin de moi, hors de moi, perfide souvenir 6+6 b
215 Qui destines un sceptre à mon poing juvénile 6+6 a
Et ne trouves jamais qu'un thyrse à rajeunir 6+6 b
Miracle ! j'ai brisé les ténébreuses trames !… 6+6 a
Et la lumière est bonne, Enfant, ton rire est beau. 6+6 b
Tout est tiède… Un nid chante, et c'est un long bruit d'âmes. 6+6 a
220 Qui sait ? ta voix aussi, n'est-ce pas un oiseau ? 6+6 b
« Je n'ai qu'un pauvre amour » tremble l'enfant qui m'aime 6+6 a
— En marche dans ses pas, léger d'un cher fardeau, 6+6 b
Quelqu'un qui lui ressemble au point d'être elle-même, 6+6 a
M'apporte à son insu le divin renouveau. 6+6 b
225 Prémices, frais orgueil de mes jeunes années 6+6 a
Et dont j'étais en pleurs, m'en étant souvenu, 6+6 b
Dans ma mémoire en deuil je vous croyais fanées, 6+6 a
Et vous refleurissez aux mains d'un Inconnu ! 6+6 b
Ces guirlandes, et là, ces gerbes dénouées, 6+6 a
230 J'en veux faire à jamais le parfum de mes ans 6+6 b
Chères lèvres qu'un doigt au silence a vouées, 6+6 a
Enseignez-moi la foi dans ces tardifs présents. 6+6 b
Dites, serait-il vrai ? se peut-il qu'on renaisse ? 6+6 a
Quoi donc ? l'Éden encor après l'Éden perdu ? 6+6 b
235 De qui tiendrai-je enfin un autre droit d'aînesse 6+6 a
Qu'au plaisir tentateur je n'aurai pas vendu ? 6+6 b
Est-ce de toi, Passant, qu'à mains jointes j'exhorte ? 6+6 a
L'ombre survit à l'ombre, un doute reste au cœur. 6+6 b
Salut ! quelque nom clair que ta jeunesse porte, 6+6 a
240 Il n'est digne de toi qu'en t'acclamant Vainqueur ! 6+6 b
L'Amour, car c'est l'Amour, ce compagnon fidèle ! 6+6 a
La clarté dont le ciel fête ainsi ses regards, 6+6 b
A mes yeux, brusquement, prend l'air surnaturelle : 6+6 a
D'une énigme imprévue elle est le sens épars ! 6+6 b
245 Ce feu mystérieux dont j'ai l'âme éblouie 6+6 a
N'est plus l'éclat banal des vulgaires soleils 6+6 b
Sous un flambeau meilleur tu t'es évanouie, 6+6 a
O Nuit, qu'entrecoupaient de sursauts mes réveils 6+6 b
Car pour te lacérer d'une ardente lumière, 6+6 a
250 Quel feu vaudra jamais la flamme de Psyché, 6+6 b
Anxieuse du dieu dont sa tendresse est fière 6+6 a
Et que l'ombre éternelle à ses yeux eût caché ? 6+6 b
Rôdais-tu, grave amante, au fond des nuits sacrées ? 6+6 a
Depuis qu'en ce Passant je proclame l'Amour, 6+6 b
255 Je cherche quelle lampe en des mains enfiévrées 6+6 a
Hausse devant ses pas la lumière du Jour ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6=6
forme globale type : suite périodique
schéma : 64(abab)
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