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12 longueur métrique
6-6 mètre
HEU_1/HEU20
Gaston HEUX
L'INITIATION DOULOUREUSE
1er cahier
1924
Le livre puéril
VIII
L'impossible indifférence :
« … Après avoir souffert, il faut souffrir encore… »
Au poète Franz Ansel.
CLAIRVOYANCE
I
INTÉRIEUREMENT
Toi qui songeais encor, délaissé des chimères, 6+6 a
A leurs crins d'or épars sur tes jours de naguères, 6+6 a
O mon être d'amour, avide d'être aimé, 6+6 b
Irrévocablement, mon cœur, je t'ai fermé. 6+6 b
5 Dans des robes de soie et des lueurs de moire, 6+6 a
Combien douces rôdaient au seuil de ma mémoire 6+6 a
Celles dont la chair seule eut sa virginité ! 6+6 b
Qu'espérait-on, vraiment, de ma crédulité ? 6+6 b
Que le mensonge errant en parfums à leur bouche 6+6 a
10 Recevrait sur ma lèvre un accueil moins farouche ? 6+6 a
Qu'ayant assez souffert de l'exil prononcé 6+6 b
Je vous évoquerais, Perfides, du passé 6+6 b
Et qu'aux limbes d'argent des fidélités fortes 6+6 a
S'ouvrirait un jardin où renaîtraient ces mortes ! 6+6 a
15 Oui… , vous voilà ! groupes à groupes, vous glissez ! 4+4+4 b
Qui vous regarde, hélas ! ne peut vous craindre assez. 6+6 b
J'attends en vain de moi le geste qui repousse, 6+6 a
Et votre astuce en fleurs sur tous mes sens est douce !… 6+6 a
Ah ! que l'esprit, du moins, hostile à trop d'ardeurs, 6+6 b
20 Pénètre votre chair et voile ses splendeurs ! 6+6 b
Mais vous transparaîtrez sous ces métamorphoses : 6+6 a
Pareilles aux sommets dont les neiges sont roses 6+6 a
D'une flore glacée éclose sous le gel, 6+6 b
Chastes vous trahissez comme un printemps charnel. 6+6 b
25 Toute ivresse s'épure, et la vôtre peut-être… 6+6 a
Vous appelez à vous, mais si bas, votre Maître, 6+6 a
Qu'au fond de votre voix j'aurais peine à saisir 6+6 b
Ce qu'il reste du cri de votre ancien désir ! 6+6 b
Ainsi l'illusion farde de ses mensonges 6+6 a
30 Ces vierges aux beaux cils qui déçurent mes songes, 6+6 a
Et n'ouvrent si profonds leurs iris étoilés 6+6 b
Que pour précipiter d'un ciel les cœurs ailés ! 6+6 b
Mais quoi ! tout mon espoir palpite sur leur trace !… 6+6 a
Pas une qui se prête à m'arracher sa grâce… 6+6 a
35 Rien qu'en pesant sur moi de son regard très doux, 6+6 b
La plus coupable, hélas ! fait honte à mon courroux… 6+6 b
J'oublie en l'absolvant ce que je lui pardonne, 6+6 a
Je le sens dans mon cœur : sa présence m'est bonne ! 6+6 a
« O vous, dont je chéris jusqu'à l'indignité, 6+6 b
40 » Puisqu'elle affine encore et parfait la beauté, 6+6 b
» Eh bien, rentrez-en moi, parjures ! L'âme tendre, 6+6 a
» Si dur qu'en soit l'aveu, restait à vous attendre ! » 6+6 a
» Et leurs groupes, alors, s'approchant tout surpris, 6+6 b
» Me plaignaient à mi-voix : « Maître, tu t'es mépris ! » 6+6 b
45 O rythmes musicaux, frémissez sous les plectres ! 6+6 a
O seuils où la pitié des pensives Électres 6+6 a
Accueillera toujours Oreste reconnu !… 6+6 b
« Salut ! hôte meurtri, des lointains revenu ! 6+6 b
» Voyez ! l'étrange exil dont vous frappiez nos crimes 6+6 a
50 » Fit maîtresses, ici, vos heureuses victimes ! 6+6 a
» D'un cœur dont nous sortions préférant vous bannir, 6+6 b
» Vous avez loin de vous vécu votre avenir, 6+6 b
» Et celles qu'on traitait trop vite d'exilées, 6+6 a
» A votre triste chair restaient toutes mêlées ! 6+6 a
55 » Qui vous cherchait en vous ne vous y trouvait pas… 6+6 b
» Aux mornes horizons s'enchevêtraient vos pas, 6+6 b
» Et secouant enfin votre propre anathème 6+6 a
» O Maître, vous rentrez, étranger, en vous-même ! » 6+6 a
Telles vous sanglotiez, vierges, vos larmes d'or ! 6+6 b
60 Vous étreigniez ma main, toute meurtrie encor ! 6+6 b
Doux êtres méconnus et chers jusqu'à mes doutes, 6+6 a
O vous que je poussais parmi l'effroi des routes 6+6 a
Où les vivants cailloux, pleins d'abois et de bonds, 6+6 b
Comme des chiens mordent les pieds des vagabonds, 4+4+4 b
65 A voir ma chair en sang, vous pleuriez dans vos tresses, 6+6 a
Et sur elle, en parfums, vous versiez vos tendresses ! 6+6 a
Amantes, s'efforçant vers de purs abandons, 6+6 b
Vous exerciez vos cœurs maternels aux pardons ; 6+6 b
Les lèvres chaudes embrasaient la bouche blême. 4+4+4 a
70 Et vous étiez, pour mes remords, la pitié même ! 6−6 a
Chacune dans la femme éveillant une sœur 6+6 b
De cet ingrat impie absolvait la noirceur, 6+6 b
Et comme tout en vous sanctifiait mes limbes, 6+6 a
J'embrassais vos pieds nus et je baisais vos nimbes ! 6+6 a
75 Mais à peine, au chemin, mon front s'était heurté, 6+6 b
Rejetant comme un masque une feinte bonté, 6+6 b
Vous insultiez, avec un rire qui la blesse, 6+6 a
Vous, la toute puissance, à ma toute faiblesse ! 6+6 a
Alors, ce cœur crédule aux recommencements, 6+6 b
80 Je l'avais clos sur vous, irrévocablement. 6+6 b
II
INDIFFÉRENCE
I
Corbeille
Dans la corbeille d'or des paisibles années, 6+6 a
Comme un osier flexible aux doigts de Destinées, 6+6 a
Mes jours entrelaçaient leur souplesse à mes nuits ! 6+6 b
Odorante corbeille où s'amassent les fruits ! 6+6 b
85 Pampres qu'aux espaliers des vendanges insignes 6+6 a
Pleure longtemps encor le sang meurtri des vignes ; 6+6 a
Pêches d'un clos jaloux, équivoque saveur 6+6 b
Qui dans leur tendre chair prolonge un goût de fleur ; 6+6 b
Et vous, sous les frissons et l'éclair des rosées, 6+6 a
90 Douces gouttes de nuit, mûres cristallisées… 6+6 a
Bleus raisins où, le soir, dans les ombres perdu, 6+6 b
Un rayon trouve encor le frelon suspendu, 6+6 b
Et traverse d'un trait de lumière expirante 6+6 a
La grappe diaphane et l'aile transparente, 6+6 a
95 Maturité, fécondité, suavité, 4+4+4 b
Dont les trésors déçus ne m'auront plus tenté, 6+6 b
Vous vantiez vainement à mes détresses sourdes 6+6 a
La volupté des vins dont les vignes sont lourdes. 6+6 a
II
Sérénité
Molle extase des sens ! Sommeil de toute envie 6+6 b
100 Doux aspect de la mort dont s'entoure la vie ! 6+6 b
Et toi, divine encor dans le vide des cieux, 6+6 a
Lumière éparse, cendre immortelle des dieux, 6+6 a
Si l'embûche est impie où te guettant des voiles, 6+6 b
Ruisselle par les trous des clémentes étoiles ! 6+6 b
105 Ascètes ! ô fervents qui viviez à genoux ! 6+6 a
Bienheureux qui portiez votre ciel avec vous ! 6+6 a
Dans l'abîme sans fond des veilles extatiques, 6+6 b
L'approche de vos dieux fermait vos yeux mystiques. 6+6 b
Ils y passaient… leurs mains se fondaient en clarté. 6+6 a
110 Ils se nommaient Amour, Douceur, Sérénité, 6+6 a
Et tant que leur présence étoilait vos paupières, 6+6 b
Vos longs cils s'écartaient sous d'intimes lumières. 6+6 b
Puis, lorsque le réveil de ces hautes amours, 6+6 a
Rouvrait, hélas ! vos yeux à la pâleur des jours, 6+6 a
115 Haletants de regret sous ce ciel qui vous quitte, 6+6 b
Pour mériter encor son auguste visite, 6+6 b
Vous consumiez sans fin votre long avenir 6+6 a
Entre un obscur espoir et l'obscur souvenir. 6+6 a
Mais moi, moi ! reniant les dieux qui nous délaissent, 6+6 b
120 Libre de ces amours dont les meilleures blessent, 6+6 b
Ton rude acier jamais ne m'a plus transpercé, 6+6 a
Regret, flèche vibrant sur l'arc d'or du passé. 6+6 a
Détourné du futur par la crainte d'y croire, 6+6 b
Dans l'éternel présent des êtres sans mémoire, 6+6 b
125 Sereinement, sans un effort et les yeux clos, 6−6 a
O temps, calme avenir, j'ai descendu tes flots. 6+6 a
Et les soirs constellés suspendaient dans tes ondes, 6+6 b
Pour me mêler aux cieux le reflet de leurs mondes. 6+6 b
Rien de réel qui dût encor me retenir. 6+6 a
130 Que m'importait d'ailleurs que l'on en pût mourir, 6+6 a
Trop heureux, mille fois, de m'engloutir en elle, 6+6 b
Si l'onde constellée était l'onde mortelle. 6+6 b
Combien ai-je connu de ces lointaines sœurs, 6+6 a
Ophélias des temps qui mouraient d'être ailleurs. 6+6 a
135 Comme autrefois la vierge, au fil fatal du fleuve, 6+6 b
Rêvait son rêve, inconsciente de l'épreuve, 4+4+4 b
Sans qu'un geste réel, l'arrachant à la mort, 6+6 a
Eût crispé sa main pâle aux roseaux verts du bord 6+6 a
Tel aussi votre rêve au fond des cieux oublie 6+6 b
140 La détresse où se meurt la terrestre Ophélie… 6+6 b
L'extase vous entraîne en ses funestes eaux, 6+6 a
Mais les banalités, comme de grands roseaux 6+6 a
Qui s'élancent vers vous des profondeurs secrètes, 6+6 b
N'arrêtent pas vos yeux, éternelles distraites ! 6+6 b
145 Ainsi, sous la rigueur d'une infaillible loi, 6+6 a
Jaillissant de mon cœur et s'absorbant en moi, 6+6 a
Existence d'un jour, vaste fleur immobile 6+6 b
Ouverte sur les eaux comme l'attrait d'une île, 6+6 b
Ma pensée évoquait ce nénuphar géant 6+6 a
150 Qui sur son lac natal se replonge au néant. 6+6 a
III
RÉVEIL
Et cette heure où, — mes yeux ! mes yeux larges ouverts !— 6+6 b
J'ai replongé par vous dans l'énorme Univers… 6+6 b
Mes paupières, brusquant l'orgueil de rester closes, 6+6 a
M'étourdirent soudain du vertige des choses. 6+6 a
155 Moi qui disais « Vous, la lumière, et vous, le bruit, 6−6 b
» Mes yeux fermés feront en moi la grande nuit, 6+6 b
» Et mon calme, rebelle à toute violence, 6+6 a
» Dans mon cœur sans échos tendra le grand silence ! » 6+6 a
De mes sens maîtrisés je me sacrais le roi… 6+6 b
160 Et voici brusquement qu'au plus profond de moi, 6+6 b
Les formes renaissaient, splendides ou funèbres, 6+6 a
Dans la confusion de mes vieilles ténèbres. 6+6 a
Le jour m'envahissait de houleuses clartés, 6+6 b
Et sur leurs vagues d'or chantaient les Astartés ! 6+6 b
165 Éperdument se devinait la joie éparse, 4+4+4 a
Du désir innombrable invisible comparse, 6+6 a
Et partout se grisaient les satyres ardents, 6+6 b
Ivres des thyrses verts qu'ils marquaient de leurs dents. 6+6 b
Là, les riches pollens, que le vent dissémine, 6+6 a
170 Vers le pistil fécond inclinaient l'étamine, 6+6 a
Et des bois, où la sève odorante brûlait, 6+6 b
De la terre et des eaux je gardais un reflet : 6+6 b
Double dans l'unité, la vie universelle, 6+6 a
Qui s'exalte, palpite, et flamme, onde, ruisselle, 6+6 a
175 Épanouit deux fois son sublime réveil 6+6 b
Dans ma pleine pensée et dans le plein soleil ! 6+6 b
Ces aspects infinis, s'affranchissant de l'ombre, 6+6 a
Se dérobaient sans cesse à l'étreinte du nombre, 6+6 a
Comme le corps fondant d'une nymphe des eaux 6+6 b
180 Échappe aux ægypans à travers les roseaux. 6+6 b
Rien que leur souvenir d'un vertige m'enivre… 6+6 a
Alors, à voir le monde, impatient de vivre, 6+6 a
Revivre encor la nuit les voluptés du jour. 6+6 b
Je compris à jamais l'infini dans l'amour ! 6+6 b
185 L'amour ! qui fit sa joie, hélas, de mon supplice… 6+6 a
Limpide amour où transparaît le sacrifice, 4+4+4 a
Comme en de frais ruisseaux un lit noir de cailloux. 6+6 b
Qui s'y plonge, s'y blesse, et nous en saignons tous 6+6 b
Partout un même élan de force exaspérée 6+6 a
190 Initiait l'Amour à la douleur sacrée, 6+6 a
!Et partout notre Espoir, avec son rire en pleurs, 6+6 b
Retournait à l'Amour dans le pas des Douleurs ! 6+6 b
— Nouée au tronc d'argent des bouleaux et des ormes. 6+6 a
Nymphe qu'un soubresaut capricieux des formes 6+6 a
195 De la chair à la flore obligeait à déchoir, 6+6 b
Toute la nuit, l'hamadryade, dans le noir, 4+4+4 b
Avec ses reins cabrés faisant saigner l'écorce, 6+6 a
S'obstinait dans l'élan captif de son beau torse. 6+6 a
Des dryades, là-bas, du creux des chênes verts, 6+6 b
200 A cette amante en pleurs s'offraient, les bras ouverts ! 6+6 b
De langoureux appels penchaient leurs formes blanches… 6+6 a
Mais un sang végétal les figeait dès les hanches, 6+6 a
Et le vivace espoir des cœurs jeunes et fous 6+6 b
Les menait seul à l'impossible rendez-vous. 4+4+4 b
205 — En vain dans la torpeur dont l'été les embrase. 6+6 a
Les midis consumaient une immobile extase… 6+6 a
En vain le cœur du monde où rien ne remuait, 6+6 b
S'abîmait gravement dans un songe muet : 6+6 b
Les horizons lointains où s'épanche et se dore 6+6 a
210 La Clarté sans déclin qui n'a pas eu d'aurore. 6+6 a
Unissaient, sous l'ardeur du jour essentiel. 6+6 b
Le taciturne amour de la terre et du ciel ! 6+6 b
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