Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
HAR_2/HAR44
Edmond HARAUCOURT
L’Âme nue
1885
I
LA VIE EXTÉRIEURE
LES LOIS — LES CULTES — LES FORMES
LES LOIS
LA RÉPONSE DE LA TERRE
À HENRI BOULEY
J’ai crié vers la Terre : « Aïeule, ô bonne aïeule ! 6+6 a
Déesse de nos dieux, toi la Rhée et l’Isis, 6+6 b
Toi qui fais refleurir les bleuets dans l’éteule 6+6 a
Et susurrer la source au fond des oasis ; 6+6 b
5 « Toi qui donnes aux nids le dais mouvant des feuilles, 6+6 a
Et qui verses ta sève aux arbres jaunissants ; 6+6 b
Qui nourris les oiseaux des graines que tu cueilles, 6+6 a
Et qui berces les mers entre tes seins puissants ! 6+6 b
« Pitié, prends en pitié les martyrs que nous sommes : 6+6 a
10 Notre effort épui trébuche à chaque pas. 6+6 b
Aïeule, est-ce que tout souffre autant que les hommes ? » 6+6 a
— Mais la Terre m’a dit : « Je ne te connais pas. 6+6 b
« Ai-je compté les fleurs, les mouches, les nuages, 6+6 a
Les formes de la chair, des plantes, du métal, 6+6 b
15 Les cris du vent, l’écume ou le sable des plages ? 6+6 a
Et qu’es-tu donc, sinon leur frère et leur égal ? 6+6 b
« Rien ! Et je ne sais rien de ceux que je renferme, 6+6 a
Pas plus que tu ne sais l’angoisse ou les gtés 6+6 b
Des millions de corps qui vibrent sous ton derme, 6+6 a
20 Infiniment petits et toujours habités ! 6+6 b
« J’ignore tout, les noms et le nombre des races 6+6 a
Qui pullulent de moi pour courir sur mes flancs, 6+6 b
Et mon indifférence efface jusqu’aux traces 6+6 a
De ceux qui sont passés depuis cent fois mille ans ! » 6+6 b
25 — J’ai crié vers la Terre : « Aïeule, ô dure aïeule ! 6+6 a
Ô marâtre ! Du moins, si ton cœur reste clos 6+6 b
Au râle de tes fils écrasés sous la meule, 6+6 a
Et si ton vieux mépris n’entend pas nos sanglots : 6+6 b
« Nous diras-tu quel est le terme de la route, 6+6 a
30 Quel mystère est caché dans la nuit du trépas, 6+6 b
Et si c’est bien fini quand la chair est dissoute ? » 6+6 a
— Mais la Terre m’a dit : « Ta mort n’existe pas. 6+6 b
« N’être plus ! Vani d’un germe qui croit vivre ! 6+6 a
Présomption d’atome errant dans le plein ciel ! 6+6 b
35 Orgueil stupide et fou ! Rêve de frelon ivre ! 6+6 a
Ce n’est pas toi qui vis, c’est l’Être universel. 6+6 b
« L’Être total, matière et force, esclave et maître, 6+6 a
L’immortel incréé, le Dieu, le seul vrai Dieu, 6+6 b
En qui rien ne saurait venir ou disparaître 6+6 a
40 Car il est infini dans le temps et le lieu ! 6+6 b
« Seul, il vit. Et que font un brin d’herbe qu’on mange, 6+6 a
Un soleil qui s’effrite, un homme qui s’endort ? 6+6 b
Le Dieu sent palpiter sa vie énorme : il change, 6+6 a
Il respire, et son souffle est fait avec la Mort. 6+6 b
45 « La Mort, c’est la formule unique de la Vie, 6+6 a
Le passage alterné des corps dans d’autres corps, 6+6 b
C’est le mouvement calme et dont rien ne dévie, 6+6 a
La résurrection des faibles dans les forts. 6+6 b
« C’est la rajeunissante et la réparatrice, 6+6 a
50 Aurore après le jour, printemps après l’été, 6+6 b
La mère inépuisable et l’auguste nourrice 6+6 a
Dont le travail fécond peuple l’éternité. 6+6 b
« C’est la chaîne d’amour et d’hymen qui nous lie : 6+6 a
C’est par elle que tout se fond et se confond, 6+6 b
55 Naît, se croise, renaît, court et se multiplie, 6+6 a
Dans les bouillonnements de l’espace sans fond. 6+6 b
« Elle accouple, elle brise, elle épure, elle émonde ; 6+6 a
Nous sommes tous égaux pour elle, et je ne suis 6+6 b
Qu’un globule de sang dans les veines du monde, 6+6 a
60 Un point d’ombre dans l’ombre insondable des nuits. 6+6 b
« Je m’éparpillerais dans la poussière immense, 6+6 a
Sans troubler un instant la paix de l’ordre ancien, 6+6 b
Et l’astre dont je suis la quinzième semence, 6+6 a
Le Soleil s’éteindrait sans que rien en sût rien ! » 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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