Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
HAR_2/HAR43
Edmond HARAUCOURT
L’Âme nue
1885
I
LA VIE EXTÉRIEURE
LES LOIS — LES CULTES — LES FORMES
LES LOIS
CHANSON À BOIRE
Par Bacchus et Noé, je crois que je suis ivre ! 6+6 a
J’aurai donc, pour un soir, connu l’amour de vivre, 6+6 a
Reconquis mes gaîtés, mes douceurs et ma foi, 6+6 b
Et posé ma croix lourde aux rochers du calvaire 6+6 c
5 — Or, pourquoi ? Pour un peu de mousse dans du verre, 6+6 c
Et je deviens meilleur que moi ! 8 b
Ô ma pensée ! Orgueil unique de mon être ! 6+6 a
Que vaux-tu donc, si tout te fait changer ou naître ? 6+6 a
C’est toi qui rutilais dans l’éclat des cristaux 6+6 b
10 Et scandais en chantant le hoquet des bouteilles ; 6+6 c
C’est toi qui mûrissais dans les grappes vermeilles, 6+6 c
Sur le flanc lointain des coteaux ! 8 b
Aux mois d’automne, aux mois rubiconds des vendanges, 6+6 a
C’est mon cœur qu’on foulait dans les pressoirs des granges ; 6+6 a
15 Et quand la vie intime et chaude crépitait 6+6 b
Sous la pulpe des fruits qui bout au fond des cuves, 6+6 c
Quand l’air lourd des hangars se saturait d’effluves, 6+6 c
C’est mon rêve qui fermentait… 8 b
Mon rêve ! Fils bâtard des forces que j’héberge ! 6+6 a
20 Dieu les accouple en moi comme dans une auberge, 6+6 a
Puis, né de la matière aveugle et du hasard, 6+6 b
Un feu court dans mon sang comme un torrent de lave, 6+6 c
Et libre, en moi, sans moi, sous mon crâne d’esclave, 6+6 c
S’allume le brasier de l’art ! 8 b
25 Ma volonté, néant, et mes cultes, fumée ! 6+6 a
Je suis moyen ; je suis la brute désarmée ; 6+6 a
Je suis le point fatal où s’accomplit la loi, 6+6 b
Furtive éclosion d’un germe involontaire, 6+6 c
Atome, inconscience errant dans le mystère : 6+6 c
30 Rien n’est à moi, pas même moi ! 8 b
Semblable au bois qui brûle, au bruit vain des tempêtes, 6+6 a
Aux nuages, aux blés fauchés, semblable aux bêtes, 6+6 a
Je tourne dans la roue immense du destin. 6+6 b
Je vais sans voir : je suis le frère du brin d’herbe ; 6+6 c
35 Et s’il plaît au zéphyr d’écraser ma superbe, 6+6 c
C’est fini du soir au matin ! 8 b
Mon corps se renouvelle avec le vent qui passe ; 6+6 a
Je nais et meurs un peu chaque jour, et l’espace 6+6 a
Me tient comme la mer tiendrait un grain de sel. 6+6 b
40 Je suis la goutte d’eau dans le déluge énorme ; 6+6 c
Je suis un des creusets sans nombre, où se transforme 6+6 c
L’être de l’Être universel. 8 b
Et j’ai beau m’épuiser à crier vers les nues : 6+6 a
— « Soleils des cieux profonds, planètes inconnues, 6+6 a
45 « J’arrive, attendez-moi : car j’étouffe ici-bas ; 6+6 b
« J’ai soumis la matière et ses lois à mon signe ! » 6+6 c
— La terre fait mûrir le raisin dans ma vigne 6+6 c
Et la terre ne m’entend pas. 8 b
Mais elle va sonner, l’heure des glas funèbres 6+6 a
50 Où l’orgueil dessillé voit clair dans les ténèbres : 6+6 a
Les Règnes, doucement, reprendront mes lambeaux ; 6+6 b
Ils en feront des fleurs pour nourrir les abeilles, 6+6 c
Et mon sang rajeuni coulera dans les treilles 6+6 c
Pour griser des peuples nouveaux ! 8 b
mètre profils métriques : 8, 6+6
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