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| = césure
HAR_1/HAR7
Edmond HARAUCOURT
La Légende des Sexes
Poëmes Hystériques
1882
La légende des sexes
PASIPHAË
À Victor d'Auriac.
Hic crudelis amor tauri, suppostaque furto
Pasiphaë.
Virgile,(Énéide, Lov. VI.)
L'infamia di Creta era distesa
Che fu concetta nella falsa vacca.
Dante,(Enfer.)
Midi ! Le ciel profond est d'un cobalt intense, 6+6 a
Comme une lampe d'or pendue au zénith bleu, 6+6 b
Le soleil qui montait s'arrête et se balance : 6+6 a
Ses rayons verticaux vibrent dans l'air en feu. 6+6 b
5 Les monts, les champs, baignés de clartés odorantes, 6+6 a
Rêvent sans mouvement dans leur vaste sommeil. 6+6 b
L'île nage, au milieu des vagues transparentes 6+6 a
Dont chacune miroite et reflète un soleil. 6+6 b
La mer chante : le flot, tiède et blanchi d'écume, 6+6 a
10 Lèche le sable ardent qui fume dans le port. 6+6 b
Le parfum lourd des fleurs pèse, comme une brume, 6+6 a
Dans l'atmosphère épaisse où la brise s'endort. 6+6 b
La sève bout ; le fruit est mûr ; la vie éclate : 6+6 a
Les muscats jaunissant cuisent sur les coteaux ; 6+6 b
15 Le pâtre, désertant la lande aride et plate, 6+6 a
Sous les blancs oliviers a conduit ses troupeaux. 6+6 b
Et dans le bois sacré, sa royale retraite, 6+6 a
Sous les myrtes neigeux du temple d'Astarté, 6+6 b
La fille du Soleil, Pasiphaë de Crète, 6+6 a
20 Moule dans les coussins sa brune nudité. 6+6 b
Les tons mats de sa chair ont des reflets d'ivoire ; 6+6 a
Ses cheveux sur son sein roulent comme des flots, 6+6 b
Et l'éclair brille, au fond de sa prunelle noire, 6+6 a
Sous le voile lascif des cils à demi clos. 6+6 b
25 La voilà ! C'est la Reine aux fureurs hystériques : 6+6 a
Pour éteindre l'ardeur de ses sens allumés, 6+6 b
La voilà se cabrant, frottant ses chairs lubriques 6+6 a
Sur le baiser soyeux des tissus parfumés. 6+6 b
Hélios ! Tu la vois, crispant ses membres lisses, 6+6 a
30 Mordant ses propres bras et tordant ses cheveux ; 6+6 b
Une peau de lion serrée entre ses cuisses, 6+6 a
Elle s'arque, du cou jusqu'aux jarrets nerveux ! 6+6 b
En vain trente guerriers, les plus beaux de la Grèce, 6+6 a
Ont sous leurs reins musclés pétri son torse nu : 6+6 b
35 Surexcités par leur impuissante caresse, 6−6 a
Ses flancs inassouvis ont rêvé d'inconnu. 6+6 b
En vain, pour la calmer, Bacchantes et Tribades 6+6 a
De leurs touchers savants ont énervé son corps ; 6+6 b
Elle a pris en dégoût ces voluptés trop fades : 6+6 a
40 La Fille du Soleil veut des muscles plus forts ! 6+6 b
Or, elle a vu là-bas, sur les fauves lagunes, 6+6 a
Dans la chaleur du rut passer un taureau blanc : 6+6 b
Il allait, bondissant sur les génisses brunes, 6+6 a
Et ses rouges naseaux aspiraient l'air brûlant. 6+6 b
45 Et la reine le veut, le fier taureau de Crète ! 6+6 a
Elle veut son amour profond et vigoureux. 6+6 b
Dédale l'a comprise et la statue est prète : 6+6 a
La génisse de bronze entr'ouvre ses flancs creux. 6+6 b
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Qu'elle est superbe et vraie ! On la dirait vivante : 6+6 a
50 Les cornes de son front sont droites vers les cieux ; 6+6 b
Un rêve inconscient dort au fond de ses yeux ; 6+6 b
Son poitrail s'arrondit ; sa largue queue évente 6+6 a
Et bat sa hanche au poils soyeux ! 8 b
Sur les voluptueux tapis du gouffre vide, 6+6 a
55 Pasiphaë, l'œil fixe et le sein haletant, 6+6 b
S'agenouille et s'écarte. Elle a peur un instant ; 6+6 b
Puis, la croupe levée, impatiente, avide, 6+6 a
La voici prête : elle l'attend ! 8 b
Il a mugi ! C'est lui ! C'est son pas ! Il s'élance. 6+6 a
60 Il embrasse l'airain sous son ventre puissant : 6+6 b
La voûte en retentit. Plein des fureurs du sang, 6+6 b
Il cherche : son désir oscille et se balance. 6+6 a
Enfin, il trouve. Elle le sent ! 8 b
Sa main prompte a saisi le trait qui la caresse ; 6+6 a
65 Sa main douce le guide. Ici, monstre indompté ! 6+6 b
Un cri !… Mort ou bonheur ? Torture ou volupté ? 6+6 b
Les chairs bâillent : il glisse, il pénètre, il se dresse 6+6 a
Dans sa mâle rigidité ! 8 b
Aux fonds inexplorés de la gorge féconde ! 6+6 a
70 Au fond de l'être ! Au fond des canaux convulsés ! 6+6 b
Comme un fer rouge ! Encore ! Oh pitié ! C'est assez. 6+6 b
Le glaive secoué la déchire, la sonde, 6+6 a
Et met en sang ses reins brisés ! 8 b
Pas de grâce, non ! Grâce ! Il avance ; il se pousse ! 6+6 a
75 Où donc s'arrêtera son intraitable effort ? 6+6 b
Il se roidit. Toujours plus loin, toujours plus fort ! 6+6 b
Pasiphaë bondit, et pour chaque secousse 6+6 a
Elle râle, hurle et se tord ! 8 b
Ses dents grincent ; sa lèvre écume de salive ; 6+6 a
80 Ses doigts ensanglantés meurtrissent ses seins blancs. 6+6 b
Elle ondule et frémit sur ses genoux tremblants ; 6+6 b
Ses muscles contractés serrent la force active 6+6 a
Qui fouille la nuit dans ses flancs ! 8 b
Ô volupté ! Douleurs ! Spasmes ! Rage inouïe ! 6+6 a
85 Oh ! quelque chose à mordre, une lèvre, un baiser ! 6+6 b
Le sang bout dans la veine et bout à la briser ! 6+6 b
Il court en jets de feu, comme un torrent de pluie, 6+6 a
Dans les chairs qu'il vient arroser ! 8 b
Soudain, le nerf gonflé se tend et la soulève : 6+6 a
90 Palpitante, pendue à ce levier vainqueur, 6+6 b
Elle a senti jaillir une épaisse liqueur 6+6 b
Qui coule, lave ardente, intarissable sève, 6+6 a
Et regorge jusqu'à son cœur. 8 b
Elle s'ouvre et déborde ! Elle étrangle, elle presse 6+6 a
95 Le dard chaud qui s'agite avec des élans fous ! 6+6 b
C'est le dernier frisson, le plus fort, le plus doux. 6+6 b
Enfin lasse, inondée, et ruisselant d'ivresse, 6+6 a
Elle fléchit sur les genoux. 8 b
Son beau corps assouvi roule comme une masse 6+6 a
100 Sur les coussins froissés de sa prison d'airain. 6+6 b
— Mais déjà le Taureau hume le vent marin, 6+6 b
Et rêve, en regardant l'horizon qui s'efface 6+6 a
Dans la vague du ciel serein. 8 b
mètre profils métriques : 8, 6−6
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