Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
HAR_1/HAR20
Edmond HARAUCOURT
La Légende des Sexes
Poëmes Hystériques
1882
La légende des sexes
EUROPE
À Eugène d'Argence.
La fille d'Agénor et de Telephasa 6+6 a
Est si belle que nul, jusqu'à ce jour, n'osa 6+6 a
Toucher à la splendeur de sa chair surhumaine. 6+6 b
Elle attend qu'un époux la supplie et l'emmène ; 6+6 b
5 Mais la beauté céleste est faite pour les cieux, 6+6 a
Et les mortels ont peur d'être rivaux des dieux. 6+6 a
Ainsi, les jours divins se traînent, monotones ; 6+6 b
Les Hivers, les Printemps, les Étés, les Automnes 6+6 b
Suivent cruellement leur immuable cours ; 6+6 a
10 Vingt fois ils sont passés.Europe attend toujours. 6+6 a
Triste comme le flot qui chante sur la berge, 6+6 b
Elle pleure. La vierge lasse d'être vierge. 8+4 b
Seule, et tordant ses bras lassés d'un long repos, 6+6 a
Elle roule son corps sur le poil blond des peaux. 6+6 a
15 Elle presse ses poings fermés contre ses tempes. 6+6 b
La voilà, haute et nue, à la lueur des lampes, 6+6 b
Devant le grand miroir qui vit tant de secrets : 6+6 a
Sa grâce qu'elle admire excite ses regrets. 6+6 a
Sous le chatouillement lubrique des mains blanches, 6+6 b
20 Un frisson vient de naître et court le long des hanches. 6+6 b
Elle a pris ses deux seins dans ses mains :
— « Ô Vénus ! 6+6 a
« Regarde ces beaux fruits d'amour, ces fruits charnus, 6+6 a
« Fermes et veloutés comme une pêche mûre. 6+6 b
« Le teint en est si frais et la forme si pure 6+6 b
25 « Qu'à moins d'être un profane on craindrait d'y poser 6+6 a
« Un autre attouchement que celui du baiser. 6+6 a
« Lorsque sur eux, le soir, je croise et je ramène 6+6 b
« Mes bras, plus blancs que ceux de l'Héra Leucolène, 6+6 b
« On croit voir, s'enroulant comme les flots du Styx, 6+6 a
30 « Deux torrents de lait clair sur deux rocher d'onyx. 6+6 a
« Ma hanche s'arrondit comme une amphore pleine, 6+6 b
« Et mon ventre, pareil à l'urne de Silène, 6+6 b
« Est dur et lisse, avec le reflet chatoyant 6+6 a
« Des tissus satinés qu'on trame en Orient. 6+6 a
35 « Ma jambe qui s'évase est une urne d'ivoire ; 6+6 b
« Bien douce est au toucher l'épaisse touffe noire 6+6 b
« Que le ciseau sacré coupe au front des brebis, 6+6 a
« Mais plus doux est le poil qui frise à mon pubis 6+6 a
« Là, tout près… N'est-ce pas, déesse de Cythère, 6+6 b
40 « Je suis belle parmi les filles de la terre ? 6+6 b
« La fleur de ma jeunesse est éclose : mon sang 6+6 a
« Bouillonne à flots pressés dans mon cœur bondissant ; 6+6 a
« Mon torse d'indomptée est mûr pour tes caresses, 6+6 b
« N'est-ce pas ? Et pourtant, ô Mère des Ivresses, 6+6 b
45 « Personne, entre les fiers et bruns Phéniciens, 6+6 a
« N'a serré mes flancs nus sur la chaleur des siens ! 6+6 a
« Oh ! prends pitié de moi, Reine ! Grâce… Je souffre ! 6+6 b
« Comme un enfant qui, seul, se penche au bord d'un gouffre 6+6 b
« J'ai le vertige. Grâce… Un baiser ! Un amant… 6+6 a
« Des hommes ! Oh, je brûle ! »
Elle dit.
50 Lourdement 6+6 a
La vierge se laissa retomber sur sa couche. 6+6 b
Les seins dressés, collant son bras chaud sur sa bouche, 6+6 b
Elle se tord, comme un bois vert sur les tisons ; 6−6 a
Ses os craquent. Son doigt, sous les folles toisons, 6+6 a
55 S'égare chatouilleux, dans l'ombre qu'il pénètre : 6+6 b
Un spasme d'infini court et crispe son être. 6+6 b
— « Des hommes, Astarté, des hommes ! … »
Elle a pris 6+6 a
Et serre avec fureur contre ses seins meurtris 6+6 a
Les coussins qu'elle étouffe et mord. — Menteuse ivresse ! 6+6 b
60 La soie et le velours, sous le corps qui les presse, 6+6 b
Restent froids comme un marbre et mous comme un vieillard. 6+6 a
Rien sur soi ! Rien en soi ! Blond Phbos, prête un dard ! 6+6 a
Trois fois la volupté la trompe ! — Enfin, brisée, 6+6 b
Râlante, le corps moite, elle s'est affaissée. 6+6 b
Elle s'endort…
65 Kronos pousse l'instant qui fuit. 6+6 a
Mais Zeus, dont l'œil sait voir au travers de la nuit, 6+6 a
A penché vers le lit son front chargé de nues ; 6+6 b
Et, léchant du regard la blancheur des chairs nues, 6+6 b
Il rêve aux lents efforts du baiser virginal, 6+6 a
70 Aux soupirs étonnés du bonheur qui fait mal, 6+6 a
Aux cris, à la frcheur des caresses timides… 6+6 b
Il songe : le désir ferme ses yeux humides 6+6 b
Et dans son cœur divin monte comme les flots. 6+6 a
Il s'ennivre, écoutant encor les courts sanglots 6+6 a
75 Dont le charme lascif envahit l'Empyrée. 6+6 b
La chair gonfle les plis de sa robe sacrée. 6+6 b
Zeus veut ; Éros sourit ; et les dieux immortels, 6+6 a
Oublieux des parfums brûlés sur leurs autels, 6+6 a
S'écartent, croyant voir un signe de colère 6+6 b
80 Dans la flamme qui luit sous les grands cils du Père. 6+6 b
mètre profil métrique : 6=6
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