Métrique en Ligne
HAR_1/HAR14
Edmond HARAUCOURT
La Légende des Sexes
Poëmes Hystériques
1882
La légende des sexes
DANAÉ
À Paul et Gustave Philippart.
Le soleil meurt : Hesper flambe.
La tour d'Argos 6+6 a
Est de bronze massif et ses murs sont bien clos. 6+6 a
Trente Achaïens, héros de haute et forte taille, 6+6 b
Casqués et cuirassés comme pour la bataille, 6+6 b
5 Le javelot au poing et le glaive au côté, 6+6 a
Veillent, gardiens jurés d'une virginité. 6+6 a
Donc, Acrise a bâti dans la voûte sonore 6+6 b
Un cachot que Phoïbos Hékébolos ignore : 6+6 b
Quinze verrous d'airain que l'on ferme à secret 6+6 a
10 En défendent l'entrée à l'Éros indiscret. 6+6 a
C'est là que Danaé, l'Argienne aux nattes blondes, 6+6 b
La fille aux languissants regards, aux fesses rondes, 6+6 b
Sans amour, à vingt ans, se déflore et languit. 6+6 a
« — Oh, vivre ainsi loin d'eux, loin du ciel, loin du bruit ! 6+6 a
15 Vénus, je veux aimer ! » Et débordant de sève, 6+6 b
Elle tord sur le lit, complice de son rêve, 6+6 b
Les longs et chauds ennuis de sa lourde vertu. 6+6 a
Elle a senti le soir, et son cœur a battu. 6+6 a
« — Seule une nuit encor, hélas ! » Elle soupire. 6+6 b
20 Car c'est l'heure d'aimer ! C'est l'heure où le Satyre 6+6 b
Poursuit par les bois sourds et les sentiers ombreux 6+6 a
La Dryade qui rit et fuit vers l'antre creux. 6+6 a
C'est l'heure où le soleil se penche sur la terre ; 6+6 b
L'heure où les myrthes blancs de Gnide et de Cythère 6+6 b
25 Aux chansons des baisers mêlent des chants d'oiseau ; 6+6 a
L'heure où le vent lascif caresses les roseaux, 6+6 a
Tout plein de voluptés et de senteurs de roses. 6+6 b
C'est l'heure de l'amour ! C'est le réveil des Causes ! 6+6 b
« — Seule encor ! » Danaé se pleure dans la nuit. 6+6 a
30 Mais, là haut, l'œil d'un dieu la guette et la poursuit. 6+6 a
Elle a mis dans ses mains son beau front qui s'incline : 6+6 b
Elle songe aux raideurs de la chair masculine ; 6+6 b
Aux grands boucs qu'elle a vus courir parmi les prés, 6+6 a
Serrant la chèvre en rut contre leurs dards pourprés, 6+6 a
35 Aux taureaux traversant le flanc des vaches rousses, 6+6 b
Et par élans fougueux, par bonds et par secousses, 6+6 b
Devenant tout d'un coup semblables à des dieux ! 6+6 a
Elle songe aux assauts de l'amant radieux, 6+6 a
Aux muscles étreignant le baiser qui s'y plonge, 6+6 b
40 Au frottement qui brûle et qui noie ! Elle songe 6+6 b
Silence ! Elle s'endort les deux bras grands ouverts 6+6 a
Il pleut de l'or, il pleut !
Des plafonds découverts, 6+6 a
Le scintillant métal miroite et tombe en pluie. 6+6 b
Et la vierge, les yeux fermés, mais éblouie, 6+6 b
45 Voit passer dans le bleu des gouttes de soleil. 6+6 a
C'est bien de l'or, il pleut ! À travers son sommeil 6+6 a
Elle rit à la blonde averse. Goutte à goutte ! 6+6 b
Or, azur ! Que c'est beau ! Comme il pleut ! Elle écoute : 6+6 b
Chaque perle en passant siffle gaîment dans l'air, 6+6 a
50 Et dans le cœur qui bat son crépitement clair 6+6 a
Fait chanter un écho qui vibre avec sa chute. 6+6 b
L'orage étincelant grossit. Chaque minute 6+6 b
Verse par milliers les belles larmes d'or. 6+6 a
Le flot torrentiel se presse. Encor ! Encor ! 6+6 a
55 Le sol a disparu. L'or coule, l'or ruisselle. 6+6 b
Rien que de l'or ; de l'or partout. L'or s'amoncelle : 6+6 b
Ici, là. Sur le sol, la couche et les coussins ; 6+6 a
Sur elle : sur le front, les bras, le cou, les seins ; 6+6 a
Sur les flancs arrondis, sur le ventre qu'il baise ; 6+6 b
60 La poitrine se gonfle et palpite. L'or pèse, 6+6 b
Lourd, massif, étouffant, sur ce corps endormi. 6+6 a
Il s'échauffe, — il s'anime…
O Pan ! Il a frémi. 6+6 a
Les molécules d'or se cherchent et s'unissent. 6+6 b
C'est comme un cœur qui bat. Les formes s'arrondissent. 6+6 b
Il prend un corps ! Il prend une âme…
65 Un homme ? Un Dieu ? 6+6 a
Qu'importe, puisqu'il vit, que sa lèvre est en feu, 6+6 a
Et que son bras musclé sait étreindre une femme. 6+6 b
Il vit, il sait ! Il a la vigueur et la flamme ! 6+6 b
C'est un être viril : la Vierge l'a compris ! 6+6 a
70 C'est le mâle rêvé qui l'assiège… Oh, ces cris ! 6+6 a
Elle ouvre ses genoux, ses baisers, tout son être. 6+6 b
L'or brûlant se raidit, se tend… L'or la pénètre 6+6 b
Zeus ! Au fond ! Zeus, plus loin ! Le Dieu peut ce qu'il veut. 6+6 a
Il pleut ! Mais ce n'est plus de l'or ! Il pleut ! Il pleut ! 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite de distiques
schéma : 37((aa))
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