Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
GUE_1/GUE46
Charles GUÉRIN
Le Cœur Solitaire
1895
V
A LA MEMOIRE DE SAMAIN
XLVI
A José-Maria De Hérédia.
Être le jeune Adam, | grâce et force première, 6+6 a
Dont les yeux lourds encor | s'ouvrent à la lumière. 6+6 a
Il s'étonne, se tait, | regarde autour de lui, 6+6 b
Marche avec les lenteurs | d'un enfant ébloui, 6+6 b
5 Se voit nu, se caresse | et s'admire, et soudain, 6+6 a
Enivré par l'odeur | des sèves de l'éden, 6+6 a
Gravit d'un jarret prompt | les collines bleuâtres 6+6 b
Parmi l'herbe mouillée | et les troupeaux sans pâtres, 6+6 b
Il s'arrête à goûter | l'ombre de la forêt, 6+6 a
10 Et, couchant, près d'une eau | qui murmure en secret, 6+6 a
Son corps souple où la ronce | inoffensive glisse, 6+6 b
Il respire l'air neuf | de l'aube avec délice, 6+6 b
Chevauche le rayon, | chante, éveille l'écho, 6+6 a
Sourit à l'inconnu | qu'il voit, dans le ruisseau, 6+6 a
15 Vermeil et languissant | de bonheur, lui sourire. 6+6 b
Un large papillon | qui se pose l'attire, 6+6 b
Deux chevreaux affrontés | le charment par leurs jeux. 6+6 a
Mais le rouge zénith | épanouit ses feux. 6+6 a
Adam que le désir | caresse de son aile 6+6 b
20 Étreint entre ses bras | la terre maternelle. 6+6 b
Sar chair où le limon | se mêle avec le jour 6+6 a
Appelle sourdement | une épouse et l'amour ; 6+6 a
Il meurtrit de baisers | l'arbre, embrasse l'écorce, 6+6 b
S'épuise à déplorer | son inutile force… 6+6 b
25 Bientôt la lente nuit, | le remplissant d'horreur, 6+6 a
Recouvre d'une ruche | obscure la rumeur 6+6 a
Que font les eaux des mers | et le vent des ravines. 6+6 b
La lune, pâle encor, | change sur les collines 6+6 b
Toute rosée en perle | et toute fleur en lys. 6+6 a
30 La brise porte au loin | des échos affaiblis 6+6 a
De ramages, d'appels | amoureux, de murmures. 6+6 b
Le flot paresseux roule | un ciel d'étoiles pures, 6+6 b
Et, sous les voûtes d'ombre | où les grands animaux 6+6 a
D'un front lourd en passant | écartent les rameaux, 6+6 a
35 Le jeune Adam, muet | d'ivresse et d'épouvante, 6+6 b
Dans ses flancs douloureux | sent vivre Ève naissante. 6+6 b
Adam, le front rougi | du soleil levant, rêve 6+6 a
Auprès du corps humide | et voluptueux d'Ève. 6+6 a
Ève dort sur un lit | fléchissant de roseaux, 6+6 b
40 Dans l'azur frais, au bruit | du feuillage et des eaux. 6+6 b
Ève est nue, Ève est blanche, | Ève a les lignes pures 6+6 a
Des longs cygnes cambrés | aux neigeuses voilures. 6+6 a
Comme une aile elle agite | un bras, puis l'autre, et rit. 6+6 b
Sa bouche, rose en feu, | lente à s'ouvrir, fleurit. 6+6 b
45 Ève est nue ; elle dort. | Sa chevelure blonde 6+6 a
Sur ses formes répand | les mollesses d'une onde. 6+6 a
Son haleine paisible | élève un double fruit 6+6 b
Gonflé qui tour à tour | se rapproche et se fuit. 6+6 b
Adam parcourt des yeux | sa fille et la convoite. 6+6 a
50 Il ose la flatter | d'une main maladroite. 6+6 a
Jamais dans la nature | heureuse il n'a connu 6+6 b
Le délice qu'il goûte | à toucher ce sein nu. 6+6 b
Les cheveux qu'il respire | ont une odeur obscure ; 6+6 a
Ni le miel, ni le col | des cygnes qu'il capture, 6+6 a
55 Ni la feuille du lys, | ni l'enivrant pollen, 6+6 b
Ne lui semblent si doux | sous le ciel de l'éden 6+6 b
Que cette large fleur | de chair épanouie. 6+6 a
Il la caresse encor | d'une vue éblouie, 6+6 a
Y porte son désir | de contour en contour ; 6+6 b
60 Enfin, docile aux lois | secrètes de l'amour 6+6 b
Qui font qu'un même nid | cache deux tourterelles 6+6 a
Et que les fleurs de loin | se fécondent entre elles, 6+6 a
Adam, fort de la joie | immortelle du sang, 6+6 b
Presse le corps promis, | et déjà rougissant, 6+6 b
65 D'un long baiser qui laisse | une trace vermeille. 6+6 a
Ève, les bras ouverts | au jeune époux, s'éveille. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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