Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
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F = "e" féminin
| = césure
GUE_1/GUE42
Charles GUÉRIN
Le Cœur Solitaire
1895
V
A LA MEMOIRE DE SAMAIN
XLII
La nuit, quand le vieux chêne aux flancs jaloux sommeille, 6+6 a
La nymphe forestière en sort comme une abeille, 6+6 a
Légère, frémissante, heureuse de baigner 6+6 b
Dans l'air vierge son corps trop longtemps prisonnier 6+6 b
5 De l'infécond amour du geôlier séculaire. 6+6 a
Ses pas font soupirer la mousse humide, elle erre, 6+6 a
À cette heure où les bois profonds n'ont pas d'échos, 6+6 b
Sous les arbres obscurs recourbés en berceaux. 6+6 b
Elle songe ; elle prête une oreille incertaine 6+6 a
10 Au vent qui fuit de feuille en feuille, à la fontaine 6+6 a
Qui tinte goutte à goutte au creux de son rocher. 6+6 b
Soudain elle tressaille, et cesse de marcher, 6+6 b
Et demeure, éblouie, au bord d'une clairière 6+6 a
Qui creuse là dans l'ombre un cirque de lumière. 6+6 a
15 Sous la lune, éclatante et large nappe d'or, 6+6 b
Endormi près d'un feu couvert qui fume encor, 6+6 b
Un bûcheron couché figure un dieu de marbre. 6+6 a
La nymphe qui le voit se glisse d'arbre en arbre, 6+6 a
L'épie, hésite, approche enfin, penche le front, 6+6 b
20 S'agenouille, et, fermant les yeux, d'un geste prompt 6+6 b
Jette un baiser craintif sur une âpre moustache ; 6+6 a
Puis, pour miroir prenant le plat d'un fer de hache, 6+6 a
Elle tresse des brins d'herbe dans ses cheveux, 6+6 b
Se peigne, ou, variant la grâce de ses jeux, 6+6 b
25 Hausse les bras, attire un rameau plein de force, 6+6 a
Étreint avec un long frisson la froide écorce, 6+6 a
Se balance, et, laissant sa tête défaillir, 6+6 b
Regarde au firmament les étoiles pâlir. 6+6 b
Déjà l'aube en ouvrant ses vastes ailes blanches 6+6 a
30 Dessine sur le ciel les noirs contours des branches. 6+6 a
La forêt par degrés renaît de son sommeil, 6+6 b
Et bientôt d'un rayon oblique le soleil 6+6 b
Empourpre au flanc d'un chêne une serpe enfoncée. 6+6 a
L'arbre saignant trahit la dryade blessée. 6+6 a
35 Expirante, les doigts tranchés, frappée au coeur, 6+6 b
Par la voix du feuillage elle nomme sa soeur. 6+6 b
« Hélas ! Le temps pieux n'est plus, gémissent-elles, 6+6 a
Où la foi des humains faisait des immortelles ! 6+6 a
Alors la source vive offrait au faune en feu 6+6 b
40 Sa bouche épanouie en urne de lys bleu, 6+6 b
Les montagnes, les bois, les antres, les ravines, 6+6 a
Étaient le libre lieu de nos amours divines, 6+6 a
Et l'homme, saintement rêveur comme un enfant, 6+6 b
Écoutait battre un coeur dans l'univers vivant ; 6+6 b
45 Alors il respectait des dieux dans la nature. 6+6 a
Mais son génie athée aujourd'hui nous torture. 6+6 a
Aux travaux de la forge il a vaincu Vulcain, 6+6 b
Il l'enferme, il l'attelle à ses monstres d'airain. 6+6 b
Ses coins, sa serpe fourbe et sa hache qui vibre 6+6 a
50 Dénudent jusqu'au coeur nos chênes fibre à fibre. 6+6 a
Il a dompté la mer fougueuse, il a dompté 6+6 b
La foudre, et les torrents servent sa volonté. 6+6 b
Hélas ! L'heure est fatale et nos plaintes sont vaines, 6+6 a
Car la sève immortelle abandonne nos veines. » 6+6 a
55 Or, tout à coup, pendant que les nymphes du bois 6+6 b
Accordent leurs soupirs et confondent leurs voix, 6+6 b
La forêt, solitaire et d'aurore baignée, 6+6 a
Répercute le bruit puissant d'une cognée. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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