Métrique en Ligne
GUE_1/GUE12
Charles GUÉRIN
Le Cœur Solitaire
1895
II
A FRANCIS JAMMES
XII
Si Virgile habitait la douce Parthénope, 6+6 a
Francis Jammes, poète anxieux, misanthrope 6+6 a
Qui dois ton franc génie à la douleur, tu vis 6+6 a
Dans Orthez, humble ville au nom sifflant et rude. 6+6 b
5 Je rêve au jour déjà lointain où je t'y vis, 6+6 a
Défait, avec le front penché d'un crucifix. 6+6 a
Ma solitude errante aima ta solitude 6+6 b
Qui demeure les yeux fixés au ciel natal, 6+6 a
Et tu me fis pleurer en me parlant du mal 6+6 a
10 Qui trame tes cheveux noirs de fils de la Vierge. 6+6 a
Coeur pâle que l'amour consume comme un cierge, 6+6 a
Ô coeur trop délicat qui voudrais te briser 6+6 a
Dans le quotidien souvenir d'un baiser, 6+6 a
Je ne sais pas de mots qui puissent t'apaiser. 6+6 a
15 Pourtant si le feuillage insigne de la gloire, 6+6 b
Ô Jammes, flatte encor tes rêves désolés, 6+6 a
Qu'il éclaire, baigné de lune, ta nuit noire, 6+6 b
Qu'il soupire avec toi des vers purs ou voilés, 6+6 a
Et qu'en lien touffu, laurier vert, il se noue 6+6 a
20 Du rossignol d'Orthez au cygne de Mantoue. 6+6 a
Vois, l'automne déjà visite les jardins, 6+6 a
Et les jours où les bois seront nus sont prochains. 6+6 a
Les fruits pèsent, la vigne est transparente et blonde. 6+6 a
Les feuilles, papillons plaintifs, mêlent leur ronde 6+6 a
25 Aux jeux que font les clairs enfants près des maisons. 6+6 a
Voici, Jammes, la plus pensive des saisons 6+6 a
Qui répand sur nos coeurs sa nappe de lumière. 6+6 a
Des fils blancs par le vent bercés brodent l'azur. 6+6 b
Les cimes des forêts trempent dans l'éther pur 6+6 b
30 Qui baigne l'horizon d'une grise poussière ; 6+6 a
Et le ciel doux bénit la vieillesse de l'an. 6+6 a
Le village en rumeur vaque aux travaux d'automne. 6+6 b
La batteuse en broyant les épis pleins ronronne, 6+6 b
Le blé qu'on vanne vole en poudre hors du van, 6+6 a
35 Les fléaux bondissants résonnent ; tout à l'heure 6+6 a
On versera le grain luisant dans les greniers. 6+6 b
Jours d'automne, vous les plus beaux et les derniers ! 6−6 b
La nature en mourant nous apparaît meilleure. 6+6 a
Ce soir, ami, d'un pas qui s'attarde, je vais, 6+6 a
40 Le coeur gonflé, les yeux pensifs, cherchant la paix 6+6 a
Sur ces coteaux déserts que mon âme importune 6+6 a
Remplit de voix, de cris, de sanglots et de chants. 6+6 b
La nuit tombe, le vent s'élève ; dans les champs 6+6 b
Un soc luit tristement comme un quartier de lune, 6+6 a
45 Et l'angelus qui tinte au loin ses premiers coups 6+6 a
Entrecroise mes doigts et courbe mes genoux. 6+6 a
La nature sereine et sûre de sa force 6+6 a
Se repose à mes pieds dans un sommeil fécond. 6+6 b
Le monde harmonieux des formes qui naîtront 6+6 b
50 Circule en tourbillon sans fin sous son écorce. 6+6 a
La nature éternelle engendre sans tourment ; 6+6 a
Sévère ou souriante, elle rêve, et la vie 6+6 b
Déborde de son rêve inépuisablement. 6+6 a
Je l'écoute, au sommet de la pente gravie, 6+6 b
55 D'un grand souffle paisible et profond respirer. 6+6 a
Mesurant son labeur et mesurant le nôtre, 6+6 b
Poète, je voudrais défaillir et pleurer ; 6+6 a
Pleurer comme le Christ trahi par son apôtre, 6+6 b
Comme un pilote errant sous un ciel sans clartés, 6+6 a
60 Comme un amant que l'âge arrache aux voluptés ; 6+6 a
Car, pour s'épanouir, tu le sais, flamme brève 6+6 a
Où le passant d'un soir se réchauffe, le rêve 6+6 a
Saigne, déraciné vivant de notre coeur, 6+6 b
Tel qu'un pin mutilé qui prodigue sa sève ; 6+6 a
65 Car le labour, poussé dans l'âme en profondeur, 6+6 b
En épuise le suc et la vigueur secrète. 6+6 a
Que laisse-t-il, hélas ! Notre sublime effort ? 6+6 b
Une glèbe, stérile après la moisson faite, 6+6 a
De la cendre, une paille envolée… ô poète, 6+6 a
70 Et c'est ainsi qu'on meurt encore après la mort. 6+6 b
Jammes, je songe ainsi. Mes yeux vont à la plaine 6+6 a
Obscure ; j'y vois luire une lampe lointaine 6+6 a
Dont le feu tour à tour s'élève et disparaît. 6+6 a
Ici-même le sol que mon pied foule est prêt 6+6 a
75 À recevoir le grain des futures récoltes. 6+6 a
Je marche, l'âme en proie aux plus âpres révoltes, 6+6 a
Pareil, dans les replis flottants de mon manteau, 6+6 a
Aux formes que la nuit sculpte aux flancs du coteau ; 6+6 a
Et j'écoute en rêvant retentir dans la combe 6+6 a
80 Le caillou qui dévale et la pomme qui tombe. 6+6 a
mètre profil métrique : 6−6
forme globale type : suite de strophes
schéma : 16[aa] 2[abaab] 1[ababa] 5[abba] 2[abab] 1[aabab]
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