Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
GRS_1/GRS31
corpus Pamela Puntel
Charles GRANDSARD
L'ANNÉE MAUDITE
1870-1871
1871
AUX FRANÇAIS
Oui ! nous avons été | fouettés à toute outrance ! 6+6 a
Oui ! le sort, d'un seul coup, | a-jeté sur la France 6+6 a
Un si pesant fardeau | de hontes, de malheurs, 6+6 b
Qu'on en pourrait forger | un siècle de douleurs ! 6+6 b
5 Eh bien ! ces maux, osons | les regarder en face ! 6+6 a
Quand le destin nous tend | la coupe, quoi qu'on fasse, 6+6 a
Dût-on la repousser | des lèvres et du cœur, 6+6 b
Il faut en boire, enfin, | la fétide liqueur 6+6 b
Et l'épuiser avant | que notre main la lâche ! 6+6 a
10 Devant l'abîme ouvert, | n'imitons pas le lâche, 6+6 a
Qui détourne la tête | et qui ferme les yeux : 6+6 b
Le gouffre dévorant | ne l'engloutit que mieux ! 6+6 b
Mais quand un peuple est fort, |,qu'il s'appelle la France, 6+6 a
Il doit se garantir | de cette ignoble transe ; 6+6 a
15 Il le doit à lui-même | autant qu'à l'univers : 6+6 b
Oui ! s'il nous faut mourir, | mourons les yeux ouverts ! 6+6 b
Mourir ? non ! mais souffrir : | tel est notre partage ; 6+6 a
Car nous avons perdu | le plus fier héritage 6+6 a
Dont un peuple, jamais, | ait pu s'enorgueillir, 6+6 b
20 Et qu'après nous nos fils | auraient dû recueillir ! 6+6 b
Nous avions un renom | de valeur militaire ; 6+6 a
Et notre drapeau traîne, | à présent,. sur la terre, 6+6 a
Honteux, couvert de fange… | une loque en lambeaux ! 6+6 b
Nous possédions un sol | beau parmi les plus beaux, 6+6 b
25 Que-les peuples jaloux | couvaient d'un œil d'envie ; 6+6 a
Et la plus riche part | nous vient d'être ravie : 6+6 a
Deux provinces, morceau | de chair rouge et sanglant, 6+6 b
Que le Shylok prussien | nous tranche dans le flanc ! 6+6 b
Enfin, l'or nous coulait | des doigts comme l'eau claire ; 6+6 a
30 Et le vainqueur rapace, | escomptant sa colère, 6+6 a
Nous a si bien sucés | jusqu'aux os, qu'à présent 6+6 b
Pour nous la moindre obole | est un riche présent ! 6+6 b
Car il sait calculer, | le glorieux Empire ! 6+6 a
Deux fois plus usurier | que le Juif de Shakspeare, 6+6 a
35 Qui croyait se payer, | or ou sang, assez cher, 6+6 b
Lui, prend tout à la fois : | et l'argent et la chair ! 6+6 b
Mais dans ton indigence, | ô ma pauvre patrie ! 6+6 a
Il te reste un trésor | que, malgré sa furie, 6+6 a
N'a pu te dérober | le rapace Germain, 6+6 b
40 Parce que ce trésor | est trop haut pour sa main : 6+6 b
Ce bien, c'est ton honneur ; | c'est l'honneur de la France ! 6+6 a
Oui, Français ! gardez-en | l'énergique assurance : 6+6 a
Ces cupides larrons | de terres et d'écus, 6+6 b
Malgré tous vos malheurs, | ne vous ont pas vaincus ! 6+6 b
45 Ce qu'ils ont renversé | dans la fange sanglante, 6+6 a
Ce sont vos anciens chefs, | cette tourbe insolente, 6+6 a
Qui, pour entretenir | un luxe étourdissant, 6+6 b
Monnayaient sans pudeur | vos sueurs, votre sang ; 6+6 b
Laissaient vos arsenaux | et vos casernes vides ; 6+6 a
50 Pour flatter les désirs | de cent Phrynés avides, 6+6 a
En scandaleux présents | gaspillaient ces millions, 6+6 b
Destinés à nourrir | de braves bataillons, 6+6 b
Et, contre ces Germains | bien armés et sans nombre, 6+6 a
Conduisirent non pas | la France, mais son ombre ! 6+6 a
55 Vous, les mangeurs de feu, | vaincus ? Non pas, vraiment ! 6+6 b
On ne vous dompte pas, | vous, si facilement ! 6+6 b
Qui' donc a, comme vous, | la fibre militaire, 6+6 a
Le sang rouge et fumeux | qui bondit dans l'artère, 6+6 a
Le nerf électrisé | qui vibre en frémissant 6+6 b
60 Et fait de tout soldat | un lion rugissant ? 6+6 b
A ce banquet sanglant | où la guerre convie, 6+6 a
Qui porte, comme vous, | ce mépris de la vie, 6+6 a
Et cet amour ardent | de l'inflexible honneur, 6+6 b
Pour qui fuir est un crime, | et mourir, un bonheur ? 6+6 b
65 Et qui donc, à côté | de ce cœur intrépide, 6+6 a
Possède encor l'esprit | lumineux et rapide 6+6 a
Qui, dans un seul coup d’œil, | sait tout envelopper : 6+6 b
Et le poste à défendre, | et le coup à frapper ? 6+6 b
Non ! quand on est ainsi | doué par la nature, 6+6 a
70 On peut, dans le tournoi, | succomber d'aventure 6+6 a
Sans ternir le blason | gravé sur son écu ; 6+6 b
On peut être meurtri : | mais on n'est pas vaincu ! 6+6 b
Et c'est vous, les enfants | gâtés de cette mère, 6+6 a
Qui, pour une défaite, | une chute éphémère, 6+6 a
75 Seriez brisés au point | de ne pouvoir guérir ? 6+6 b
Non ! la France n'est pas | condamnée à périr 6+6 b
Pour avoir défailli | dans un jour de bataille ! 6+6 a
Ces grands corps ont parfois | des douleurs à leur taille ; 6+6 a
Et plus leurs membres ont | de nerf et de vigueur, 6+6 b
80 Plus la crise, chez eux, | sévit avec rigueur. 6+6 b
Mais la même vigueur | qui cause leur souffrance, 6+6 a
Quand la crise a passé, | hâte leur délivrance ; 6+6 a
Et le monde étonné | les a vus bien souvent 6+6 b
Reparaître plus sains, | plus forts qu'auparavant ! 6+6 b
85 Ne souffrons donc jamais | qu'une frivole crainte 6+6 a
Nous comprime le cœur | sous sa honteuse étreinte : 6+6 a
De ses cendres, bientôt, | la France renaîtra ! 6+6 b
Mais, sachons-le bien tous ! | ce grand jour ne luira 6+6 b
Que si chacun de nous, | de toute sa puissance, 6+6 a
90 Veut hâter le moment | de la convalescence, 6+6 a
Et rendre au moribond, | sur le sable étendu, 6+6 b
Au prix même du sien, | le sang qu'il a perdu ! 6+6 b
Français ! je ne suis rien ; | mais j'ai l'âme rongée 6+6 a
Par l'aspect des douleurs | où la France est plongée ! 6+6 a
95 Et bien ! si le souci | qui m'étreint, incessant, 6+6 b
Qui me ride le front | et me brûle le sang, 6+6 b
Qui me mine le corps | atome par atome ; 6+6 a
De la patrie en deuil | si le sanglant fantôme, 6+6 a
Qui hante chaque nuit | mes rêves, morne et froid, 6+6 b
100 A votre attention | me donnent quelque droit, 6+6 b
Frères ! écoutez-moi | comme on écoute un frère ! 6+6 a
Croyez-moi : ce n'est pas | un orgueil téméraire 6+6 a
Qui me pousse, rêveur | obscur, à vous parler, 6+6 b
Mais cet amour ardent | dont je. me sens brûler ! 6+6 b
105 O vous, qui dépassez | l'âge d'insouciance, 6+6 a
Jeunes gens ! Si déjà | vous avez conscience 6+6 a
Des grandeurs du passé, | de nos récents malheurs, 6+6 b
Que le front douloureux | de la patrie en pleurs 6+6 b
Se dresse entre votre œil | et les fleurs de la vie ! 6+6 a
110 Et si, de les cueillir, | il vous prenait envie, 6+6 a
Que ce grave penser | retienne votre main : 6+6 b
L'existence, pour vous, | n'est plus ce gai chemin 6+6 b
Où ceux qui, devant vous, | marchent dans la carrière, 6+6 a
Allaient, les pieds dans l'herbe | et l’œil dans la lumière, 6+6 a
115 Mais une route aride, | au terme obscur, lointain ; 6+6 b
Et, pour l'atteindre, il faut | partir de grand matin ! 6+6 b
Dites-vous qu'un devoir | sérieux vous incombe : 6+6 a
Celui de relever | la France qui succombe, 6+6 a
Et que, pour être un jour | dignes d'y concourir, 6+6 b
120 Bien avant l'âge mûr | il vous faudra mûrir ! 6+6 b
Hélas ! pauvres enfants ! | de vos belles années 6+6 a
Sous le vent du malheur, | les fleurs gisent fanées, 6+6 a
Sans qu'ils vous soit permis, | quand vous en serez près, 6+6 b
D'y jeter en passant | un coup d’œil de regrets ! 6+6 b
125 Votre sort est pourtant | moins triste qu'on ne pense ; 6+6 a
Car tout devoir emporte | en. lui sa récompense : 6+6 a
Oui ! le grave penser | de votre mission, 6+6 b
En étouffant chez vous | la folle passion, 6+6 b
Vous mettra sur le front | le noble caractère 6+6 a
130 De toute âme vouée | à quelque tâche austère ; 6+6 a
Hommes bien avant nous, | vos aînés, vos parents, 6+6 b
Vous serez moins heureux, | peut-être, mais plus grands ! 6+6 b
Et vous, qui vous dressez | dans la force de l'âge, 6+6 a
Bourgeois de la cité, | laboureurs du village, 6+6 a
135 Songez-que le temps presse, | et que, dès ce moment, 6+6 b
Nul ne doit plus, à soi, | penser uniquement ; 6+6 b
Mais qu'au bien général | si chacun ne conspire, 6+6 a
L'ensemble va crouler | et la patrie expire, 6+6 a
Et que, sous l'édifice | en informes débris. 6+6 b
140 Vous demeurerez tous | écrasés et meurtris. 6+6 b
Oui ! que nul ne s'absorbe | en soi seul, ne spécule 6+6 a
Dans l'unique intérêt | de son petit pécule : 6+6 a
Vous devez à l'état | toute votre valeur ; 6+6 b
Et qui n'acquitte pas | sa dette, est un voleur ! 6+6 b
145 Tous les devoirs sacrés | de la nature humaine, 6+6 a
Les avez-vous remplis, | quand, après la semaine, 6+6 a
A vos petits enfants | vous rapportez enfin 6+6 b
Le vêtement du corps, | l'aliment de la faim ? 6+6 b
Ce n'est là que la loi | première, indispensable ; 6+6 a
150 Et le lion lui-même, | en son désert de sable, 6+6 a
Va chercher, pour nourrir | ses jeunes lionceaux, 6+6 b
Un gibier qu'au retour | il leur mâche en morceaux ; 6+6 b
Puis, il va de nouveau, | pour eux, fouiller l'espace. 6+6 a
Que faites-vous de plus | que l'animal rapace ? 6+6 a
155 Oui ! qui violerait | ce devoir nourricier 6+6 b
Tomberait au dessous | du brutal carnassier ! 6+6 b
Mais, outre ce devoir | de votre vie intime, 6+6 a
Il en est un, non moins | pressant et légitime : 6+6 a
De payer à l'État | sa part de votre cœur, 6+6 b
160 D'unir vos volontés | en un immense chœur 6+6 b
Pour raviver sa chair | par ses douleurs flétrie, 6+6 a
Et pour ressusciter | l'âme de la patrie ! 6+6 a
Que chacun, abdiquant | sa personnalité, 6+6 b
La fonde sans regrets | dans la grande unité ! 6+6 b
165 Car la patrie, enfin, | c'est l'âme de votre âme ; 6+6 a
C'est l'air de vos poumons ; | c'est la puissante trame 6+6 a
Dont vous êtes le fil | solide, mais épars, 6+6 b
Et qui, si vous manquez, | craque de toutes parts. 6+6 b
Or, que cette âme un jour | languisse, puis s'éteigne, 6+6 a
170 Doutez-vous qu'avant peu | sa mort ne vous atteigne ? 6+6 a
Et l'enfant que sa mère | encor porte en son sein, 6+6 b
Quand elle meurt, peut-il | rester robuste et sain ? 6+6 b
Et que la trame, enfin, | se brise et se disloque, 6+6 a
Il n'en restera plus | rien qu'une informe loque, 6+6 a
175 Dont vous serez les fils | rompus et dédaignés, 6+6 b
Pour le pavé fangeux | d'avance désignés ! 6+6 b
Mais si chacun se colle | et s'appuie à son frère, 6+6 a
Vous deviendrez plus grands | et plus forts, au contraire ; 6+6 a
Car le plus faible acquiert | la force du lion, 6+6 b
180 S'il porte dans son sein | le grand cœur d'un million ! 6+6 b
Mais c'est à vous, surtout, | que la règle s'applique, 6+6 a
Vous, magistrats chargés | de la chose publique ; 6+6 a
Car, pour un citoyen, | plus grand est le pouvoir, 6+6 b
Plus s'alourdit la charge | et grandit le devoir ! 6+6 b
185 Loin de voir les profits | ou l'éclat qui s'attache 6+6 a
Aux hautes dignités, | n'y voyez qu'une tâche 6+6 a
Qu'on ne recherche pas, | mais qu'avec tremblement 6+6 b
On accepte, enhardi | par le seul dévouement. 6+6 b
Avant tout, dédaignez | ces mesquines querelles 6+6 a
190 Qui heurtent à grand bruit | les factions entre elles, 6+6 a
Où chacune, au succès | de son propre drapeau, 6+6 b
Immolerait la France | ainsi qu'un vil troupeau ! 6+6 b
Car ce n'est pas à telle | ou telle coterie 6+6 a
Que sont dus vos efforts, | mais bien à la patrie ; 6+6 a
195 Elle vous a remis | vos pouvoirs dans la main 6+6 b
Pour la conduire au but | par le plus court chemin : 6+6 b
En faire abus serait | un vol, un sacrilège ! 6+6 a
Ne croyez pas avoir | l'exclusif privilège 6+6 a
Des remèdes assez | puissants pour la guérir ; 6+6 b
200 Quelle que soit la main | qui vient vous les offrir, 6+6 b
S'ils conviennent au mal | de ce grand corps qui saigne, 6+6 a
Prenez-les aussitôt | sans regarder l'enseigne, 6+6 a
Et ne leur demandez | que d'être purs et sains ! 6+6 b
N'allez pas imiter | ces mauvais médecins 6+6 b
205 Qui, mandés au chevet | d'un homme à l'agonie, 6+6 a
Jettent par la fenêtre, | avec ignominie, 6+6 a
L'élixir qu'a prescrit | un rival détesté, 6+6 b
Quoiqu'ils connaissent bien | son efficacité, 6+6 b
Condamnant le malade | au caveau funéraire 6+6 a
210 Plutôt que de le voir | guéri par un confrère ! 6+6 a
Ceux-là, nul ne les doit | appeler médecins ; 6+6 b
Mais bandits brevetés | et lâches assassins ! 6+6 b
Et vous, braves soldats, | glaive de la patrie ! 6+6 a
De tous ces maux qui font | accablée et meurtrie, 6+6 a
215 Vous avez supporté | le poids le plus pesant ! 6+6 b
Pourtant, consolez-vous ! | On le sait, à présent : 6+6 b
Vous n'avez pas fait tache | à votre renommée ; 6+6 a
Sous de plus dignes chefs, | notre vaillante armée 6+6 a
Eût, contre tous, levé | haut le cœur et le front, 6+6 b
220 Et sauvé le pays | de ce hideux affront ! 6+6 b
Cet affront, vous pouvez | le réparer encore, 6+6 a
Pourvu qu'à la valeur | dont l'éclat vous décore, 6+6 a
Et que vantent tous ceux | qui vous ont combattus, 6+6 b
Vous vouliez dans la suite | unir d'autres vertus 6+6 b
225 Que certains, moins sûrs d'eux, | plus que vous ont prisées 6+6 a
Et qui leur ont rendu | leurs victoires aisées. 6+6 a
Ah ! tout est bien changé ! | Ce n'est plus le beau temps 6+6 b
Où, s'ils avaient du cœur, | des conscrits de vingt ans, 6+6 b
Faisant luire au soleil | la fière baïonnette, 6+6 a
230 S'avançaient en chantant | la vive chansonnette. 6+6 a
Puis, renversaient, au prix | d'un vigoureux élan, 6+6 b
L'ennemi foudroyé | sur le terrain sanglant ! 6+6 b
Ils résonnent encore | aux. échos de l'histoire, 6+6 a
Ces fameux coups d'épée | et ces cris de victoire, 6+6 a
235 Tous ces bruits triomphants | qu'en des jours plus heureux 6+6 b
Vos pères, vos aînés | ont semés derrière eux ! 6+6 b
Tout cela, c'est fini ! | Désormais, la science 6+6 a
Remplace l'héroïque | et folle insouciance ; 6+6 a
Et les succès fameux | qu'on chante dans le vent 6+6 b
240 Ne sont plus au plus brave : | ils sont au plus savant ! 6+6 b
Oui ! la force du jour, | devant qui tout s'incline, 6+6 a
S'appelle de deux noms : | savoir et discipline ! 6+6 a
Mais vous, de la nature | enfants chers et gâtés, 6+6 b
Vous, qu'elle a de ses dons | si largement dotés, 6+6 b
245 Vous saurez enrichir | votre instinct militaire 6+6 a
De ces fortes vertus, | ces reines de la terre ; 6+6 a
Et quand à votre ardeur | cet appoint se joindra, 6+6 b
Qu'il se montre, celui | qui vous arrêtera ! 6+6 b
Et puis, si vous aimez | le grand art de la guerre, 6+6 a
250 Ouvrez moins votre cœur | à cet amour vulgaire 6+6 a
Pour ces colifichets, | pour tous ces oripeaux 6+6 b
Qui retenaient, jadis, | plusieurs sous les drapeaux. 6+6 b
Dites-vous, pour monter | à cette indifférence, 6+6 a
Que vous êtes la force | et le nerf de la France, 6+6 a
255 Qu'elle compte sur vous | à l'heure du danger ; 6+6 b
Vous sentirez, alors, | tous vos rêves changer : 6+6 b
Du devoir accompli | l'orgueil si légitime, 6+6 a
Ce trésor qui supplée | à tout, sa propre estime, 6+6 a
Et ce bonheur, si cher | au cœur du citoyen, 6+6 b
260 D'avoir à son pays | pu faire quelque bien, 6+6 b
Vous dédommageront | de ces hochets futiles ; 6+6 a
Pour être moins brillants, | vous serez plus utiles ; 6+6 a
Car voici vos devoirs | en deux mots renfermés : 6+6 b
Soyez à l'avenir | des citoyens armés ! 6+6 b
265 Artistes renommés, | dont les œuvres puissantes 6+6 a
Émeuvent à leur gré | les foules frémissantes, 6+6 a
Vous, les prêtres du Beau, | vous qui, dans votre main, 6+6 b
Pétrissez, façonnez | l'âme du genre humain, 6+6 b
L'avenir vous impose | une tâche bien grave ; 6+6 a
270 Car il faut que votre art, | en traits de flamme, grave 6+6 a
Par le marbre, la toile, | enfin, par tous moyens, 6+6 b
De nouvelles vertus | au cœur des citoyens. 6+6 b
Par là splendeur du Beau | relevez leurs pensées, 6+6 a
Vers de vils intérêts | trop souvent rabaissées ; 6+6 a
275 Inspirez-leur le goût | du sévère et du grand, 6+6 b
Qui rend l'homme, aux étroits | calculs, indifférent, 6+6 b
Et dans leur âme molle, | entre vos mains pétrie, 6+6 a
Gravez au plus profond | l'amour de la patrie ! 6+6 a
Et l'art, par vos travaux | ennobli, prendra rang 6+6 b
280 Parmi ce que le monde | enferme de plus grand ! 6+6 b
Surtout, rappelez-vous | que l'art est seul le maître 6+6 a
Et que c'est au public | profane à se soumettre ; 6+6 a
A ses grossiers penchants | résistez, courageux ; 6+6 b
Ne lui montrez jamais | de ces tableaux fangeux 6+6 b
285 Qui, dans le fond de l'âme | exerçant leurs ravages, 6+6 a
Réveillent les instincts | ignobles et sauvages, 6+6 a
Corrompent dans les cœurs | les semences du bien, 6+6 b
Pourrissent par degrés | l'homme et le citoyen, 6+6 b
Et, calcul odieux | ou coupable imprudence, 6+6 a
290 Des peuples dépravés | hâtent la décadence ! 6+6 a
Et ne me dites pas | que la moralité 6+6 b
Doit être indifférente | à la pure beauté, 6+6 b
Que l'art doit être libre, | et qu'en cherchant l'utile, 6+6 a
Son brillant idéal | s'altère et se mutile ! 6+6 a
295 L'art tient à la vertu | par un secret lien ; 6+6 b
Car on l'a dit : le beau, | c'est la splendeur du bien ! 6+6 b
Ah ! craignaient-ils, par là, | d'altérer leur génie, 6+6 a
Ces artistes divins | de la Grèce bénie, 6+6 a
Quand ils haussaient leur art | aux sublimes sommets 6+6 b
300 Que vous visez toujours | sans y toucher jamais ? 6+6 b
Non ! cet art qu'ils servaient | avec idolâtrie, 6+6 a
Ils l'ont mis, noble offrande, | aux pieds de la patrie ; 6+6 a
Et le beau, pour eux tous, | ne fut qu'un sûr moyen 6+6 b
D'élever, d'ennoblir | l'âme du citoyen ! 6+6 b
305 Artistes ! vous pouvez | les imiter sans crainte ! 6+6 a
Et votre œuvre, marquée | à cette double empreinte 6+6 a
De vertu généreuse | et de pure beauté, 6+6 b
Passera, rayonnante, | à l'immortalité ! 6+6 b
Et vous, femmes ! et vous ! | à cette œuvre vitale, 6+6 a
310 La résurrection | de la terre natale, 6+6 a
N'apporterez-vous pas, | pour la mener au but, 6+6 b
De vos dons naturels | le précieux tribut ? 6+6 b
Aveugle qui ne voit | en vous une puissance ! 6+6 a
L'homme, dans votre sein | recevant la naissance, 6+6 a
315 Nourri de votre lait, | bercé sur vos genoux, 6+6 b
Vous appartient : sur lui | vous pouvez plus que nous ! 6+6 b
Femmes ! de nos foyers | séduisantes sirènes, 6+6 a
Partout vous vouliez, être | et vous étiez les reines ; 6+6 a
Et vous vous composiez | une félicité 6+6 b
320 Des hommages flatteurs | qu'attire la beauté. 6+6 b
Mais, dans l'heure sinistre | où la patrie expire, 6+6 a
Honte à qui songe encore | à ce frivole empire ! 6+6 a
Car de nouveaux devoirs, | un rôle noble et saint 6+6 b
S'offre au cœur généreux | qui bat dans votre sein : 6+6 b
325 C'est celui de panser | d'une main attendrie 6+6 a
La blessure qui saigne | au flanc de la patrie, 6+6 a
D'employer vos pouvoirs | de mères et de sœurs 6+6 b
A lui trouver partout | de vaillants défenseurs ! 6+6 b
D'abord, que votre cœur | aille de-préférence 6+6 a
330 A ceux que vous saurez | dignes fils de la France ! 6+6 a
Croyez-moi : votre amour, | ce trésor précieux, 6+6 b
Ne doit point enrichir | de vils ambitieux, 6+6 b
Ni les fades héros | de la mode frivole : 6+6 a
Quand on le gagne ainsi, | femmes, on vous le vole ! 6+6 a
335 Il appartient de droit | aux hommes généreux 6+6 b
Qui pour le pays seul | vivent, et non pour eux ! 6+6 b
Et ne redoutez rien | d'une telle alliance : 6+6 a
Ils savent bien aimer, | ces cœurs pleins de vaillance ! 6+6 a
Jeunes mères, plus tard, | voyez dans votre enfant 6+6 b
340 Non ce vivant hochet | que, d'un air triomphant, 6+6 b
Vous étalez partout | dans des flots de dentelle, 6+6 a
Mais un futur soutien | de la Mère immortelle ; 6+6 a
Et que, sur vos genoux, | votre voix au doux son 6+6 b
Lui donne, du devoir, | la première leçon ! 6+6 b
345 Né l'aimez pas pour vous : | aimez-le pour la France ! 6+6 a
Et, quand vous caressez | une chère espérance, 6+6 a
Au lieu de lui forger | quelque avenir brillant, 6+6 b
Rêvez d'en faire un homme, | un citoyen vaillant ! 6+6 b
Oui ! vous tous, qui voulez | l’œuvre de délivrance, 6+6 a
350 Déversez votre cœur | dans le cœur de la France ! 6+6 a
Dans ses veines, alors, | le sang rouge affluera, 6+6 b
Et notre chère morte | avant peu renaîtra ! 6+6 b
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