Métrique en Ligne
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Charles GILL
Le Cap Éternité
1919
LE CAP ÉTERNITÉ
Chant IV
Le Silence et l’Oubli
Un vent faible soufflait après l’âpre tempête. 6+6 a
J’aperçus, en doublant le dangereux rocher, 6+6 b
Deux anges qui tournaient au-dessus de ma tête ; 6+6 a
Peu à peu, je les vis du canot s’approcher. 6+6 b
5 L’un tenait son index en croix avec sa lèvre. 6+6 a
Bien qu’il trahît l’ardeur d’une mystique fièvre, 6+6 a
Son regard tourmenté pour l’âme était muet ; 6+6 a
En vain j’y voulus lire un suprême langage, 6+6 b
Comme en ceux des mortels dont la lèvre se tait. 6+6 a
10 Un fugitif sourire effleura son visage, 6+6 b
Quand de ses yeux ardents j’affrontai le reflet, 6+6 a
Au bleu rayonnement de l’antique veilleuse. 6+6 b
Son aile lunulée et double rappelait 6+6 a
Du tremblant papillon l’aile silencieuse, 6+6 b
15 Par son brillant velours et son vol indécis 6+6 a
Plein de grâce légère et de souple élégance. 6+6 b
À son geste, à ses yeux, à son vol j’ai compris 6+6 a
Que ce frère de l’ombre était le doux Silence. 6+6 b
L’autre levait son front serein vers l’Infini. 6+6 a
20 Le calme auréolait sa figure impassible, 6+6 b
Et pourtant la pitié divine était visible 6+6 b
Sur la sombre grandeur de ce masque bruni 6+6 a
Par le hâle éternel de l’empire nocturne, 6+6 a
Ou par quelque soleil depuis longtemps éteint. 6+6 b
25 Il portait à son pied le signe de Saturne, 6+6 a
Ce vieux dispensateur du temps et du destin, 6+6 b
Comme s’il eût voulu mépriser ce qui dure. 6+6 a
Du puissant albatros il avait l’envergure ; 6+6 a
Lent et mystérieux et grave, il descendait 6+6 a
30 Au fixe déploiement de ses ailes royales ; 6+6 b
Son large vol plané décrivait des spirales. 6+6 b
Impénétrable et froid, son regard se perdait 6+6 a
Plus loin que la pensée et plus loin que les astres. 6+6 a
Alors je me suis dit que l’effroi des désastres 6+6 a
35 Allait dans le passé rester enseveli, 6+6 a
Car j’avais reconnu le bienfaisant Oubli. 6+6 a
Mon cœur a murmuré tout bas dans ma poitrine : 6+6 a
— Bons esprits qui venez des grands cieux inconnus, 6+6 b
Dans ma nuit sans repos soyez les bienvenus ; 6+6 b
40 Au malheureux errant versez la paix divine ! 6+6 a
Le Silence ploya son aile de velours, 6+6 a
Et, précédant l’Oubli, comme il le fait toujours, 6+6 a
Il vint dans mon canot s’installer à la proue. 6+6 a
Mais l’Oubli près de moi sur la poupe s’assit ; 6+6 b
45 De ma tempe glacée il approcha sa joue. 6+6 a
Sur mon front douloureux que ridait le souci, 6+6 b
L’ange daigna poser ses lèvres éternelles, 6+6 a
Puis il m’enveloppa dans l’ombre de ses ailes. 6+6 a
Son âme m’envahit, et je sentis enfin, 6+6 a
50 Aux célestes frissons de ce baiser divin, 6+6 a
La paix de l’Infini dans mon être descendre. 6+6 a
L’Oubli se redressa debout derrière moi ; 6+6 b
Je vis son envergure immense au vent se tendre, 6+6 a
Et dans le noir néant plonger son regard froid. 6+6 b
55 Le doux Silence ouvrit ses ailes veloutées 6+6 a
Et le canot glissa sur le gouffre, sans bruit, 6+6 b
Cependant que le souffle apaisé de la nuit 6+6 b
Caressait doucement ses voiles enchantées. 6+6 a
Ainsi je remontais le fleuve de la Mort, 6+6 a
60 À l’étrange pilote abandonnant mon sort. 6+6 a
Le Silence imposa son règne aux bruits du monde 6+6 a
Dont mon âme évoquait encore les échos : 6+6 b
Clameurs, bourdonnement de la haine qui gronde, 6+6 a
Vils affronts de l’envie et cruauté des mots, 6+6 b
65 Tout s’est évanoui dans une paix profonde. 6+6 a
Et l’aile de l’Oubli sur la poupe dressé, 6+6 a
Empêchant mon regard d’observer en arrière 6+6 b
Le sillage d’argent par l’écorce tracé, 6+6 a
Cachait en même temps les lointains du passé. 6+6 a
70 L’Oubli tendit son aile au seuil du noir mystère ; 6+6 b
Du chemin déjà fait je perdis le parcours, 6+6 a
Et je ne vis plus rien dans le recul des jours : 6+6 a
Le remords s’endormit au fond de ma mémoire. 6+6 a
L’Oubli sur mon passé tendit son aile noire, 6+6 a
75 Tendit son aile noire entre l’ombre et mes yeux ! 6+6 a
Ô bienfaisant retour des heureuses années ! 6+6 b
J’ai scruté sans faiblir la loi des destinées, 6+6 b
Et j’ai levé le front sans crainte vers les cieux. 6+6 a
Devant le souvenir l’ange étendit son aile ! 6+6 a
80 Tout s’est évanoui, remords, chagrin, rancœur : 6+6 b
J’ai senti le pardon céleste dans mon cœur, 6+6 b
Et le souffle de Dieu dans mon âme immortelle. 6+6 a
Ainsi je remontais le fleuve de la Mort, 6+6 a
Au sublime pilote abandonnant mon sort. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite de strophes
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