Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
GIL_1/GIL3
Charles GILL
Le Cap Éternité
1919
LE CAP ÉTERNITÉ
Chant II
La Cloche de Tadoussac
J’errais seul, à minuit, près de la pauvre église. 6+6 a
À la lueur de mon flambeau, je pouvais voir 6−6 b
Les bords de l’estuaire où dansait le flot noir, 6+6 b
Et le petit clocher que le temps solennise. 6+6 a
5 Quelle nuit ! Le Surouet grondait dans les bouleaux, 6+6 a
Geignait le long des murs du temple séculaire, 6+6 b
Et, fraternel, entre les croix du cimetière, 4+4+4 b
Sur les tombes sans nom égrenait des sanglots… 6+6 a
Ô fière nation sur qui la terre pèse, 6+6 a
10 Où sont tes dignes chefs et tes guerriers sans peur ? 6+6 b
Hélas ! devant ces croix, le pèlerin songeur 6+6 b
Peut se dire : — Ici gît la race Montagnaise ! 6+6 a
Elle est là tout entière : en voici le cercueil !… 6+6 a
C’était une alliée à la France fidèle. 6+6 b
15 Que les tendres bouleaux pleurent en paix sur elle, 6+6 b
Et que les sapins noirs portent longtemps son deuil ! 6+6 a
« Dongne ! dongne ! » entendit mon oreille inquiète. 6+6 a
Le salutaire airain que rien ne troublait plus 6+6 b
Dans l’évocation des saints jours révolus, 6+6 b
20 Avait jeté ce cri sonore à la tempête. 6+6 a
— Sans doute il se souvient, le bronze abandonné ; 6+6 a
Il dort, et son printemps regretté se prolonge 6+6 b
Dans les vibrations berceuses d’un beau songe, 6+6 b
Et la chanson de sa Jeunesse a résonné. 6−6 a
25 Après les temps troublés, quand vient la paix amie, 6+6 a
Les choses, comme nous, ont leur rêve éternel, 6+6 b
Pensais-je en écoutant s’envoler vers le ciel 6+6 b
Le rêve harmonieux de la cloche endormie. 6+6 a
Mais non ! sur son appui rustique elle oscillait. 6+6 a
30 Un invisible bras réglait donc cette plainte ; 6+6 b
Une douleur humaine inspirait la voix sainte : 6+6 b
Ce n’est pas en rêvant que le bronze parlait. 6+6 a
Lors j’ai crié : — Quel Montagnais dans l’ombre pleure 4+4+4 a
Le regret d’autrefois au clocher des aïeux ? 6+6 b
35 J’irai te voir sonner, sonneur mystérieux, 6+6 b
Et je saurai pourquoi tu sonnes à cette heure ! 6+6 a
J’hésitai sur le seuil du monument sacré 6+6 a
Par les rayons du ciel et par ceux de l’histoire ; 6+6 b
Mais la porte, en grinçant, démasqua la nef noire. 6+6 b
40 Démasqua la nef noire en grinçant !… et j’entrai. 6+6 a
Vainement par trois fois j’appelai. Rien ! Personne ! 6+6 a
Le silence gardait les secrets du passé. 6+6 b
Épris de l’invisible, inquiet, j’avançai 6+6 b
Dans la terreur muette où l’inconnu frissonne. 6+6 a
45 Devant l’autel par la veilleuse abandonné, 6−6 a
Veille dans son cercueil l’humble missionnaire ; 6+6 b
Son ombre plaît au Christ autant qu’une lumière ! 6+6 b
Sur ce grand souvenir je me suis incliné. 6+6 a
Était-ce lui, l’apôtre intrépide au cœur tendre, 6+6 a
50 Qui, réveillant la cloche au fond des vieux oublis, 6+6 b
Venait renouveler pour les ensevelis 6+6 b
« Le plaisir nompareil qu’ils prenoient à l’entendre » ? 6+6 a
Au charme évocateur et magique des sons, 6+6 a
Un peuple mort s’est réveillé dans ma pensée ; 4+4+4 b
55 Mon cœur a pris le deuil de sa gloire passée, 6+6 b
Que par notre silence ingrat nous offensons. 6+6 a
La cloche fit chanter l’écho des murs antiques ; 6+6 a
Et les chœurs endormis depuis le temps jadis, 6+6 b
Fervents ainsi qu’aux jours des nobles fleurs de lys, 6+6 b
60 Dans l’église déserte ont redit leurs cantiques. 6+6 a
Je t’évoquais, cloche des deuils et des adieux. 4+4+4 a
Et cloche des fiertés joyeusement sonore, 6+6 b
Saluant par ton chant virginal dans l’aurore, 6+6 b
Le chef Tacouérima toujours victorieux ! 6+6 a
65 Je t’entendais frémir d’allégresse au baptême, 6+6 a
Saluer le secret profond de l’Ostensoir, 6+6 b
Convier les croyants à l’oraison du soir. 6+6 b
Et sur les trépassés gémir l’adieu suprême. 6+6 a
Je t’évoquais, sonnant bien loin dans l’Autrefois, 6+6 a
70 Pour le retour du brave à la plage natale, 6+6 b
Pour le pêcheur perdu dans la brume automnale, 6+6 b
Et qui revient au port, appelé par ta voix. 6+6 a
Je revoyais aussi les sveltes sauvagesses, 6+6 a
Au frôlement silencieux de leurs souliers 4+4+4 b
75 S’avancer vers l’autel avec les fiers guerriers, 6+6 b
En inclinant leur front orné de noires tresses. 6+6 a
Je t’entendais encor, dominant tout le bruit 6+6 a
De la bourgade en feu, quand ton bronze tragique, 6+6 b
Parmi les hurlements de la folle panique, 6+6 b
80 Jeta les sons affreux du tocsin dans la nuit. 6+6 a
J’évoquais tes Noëls perdus… Mais la rafale 6+6 a
S’engouffrant dans la nef, éteignit mon flambeau. 6+6 b
La nuit m’enveloppa d’horreur près du tombeau, 6+6 b
Et l’aile de la Mort effleura mon front pâle. 6+6 a
85 « Dongne don ! dogne don ! » gémit l’airain plus bas 6+6 a
Dans l’épouvantement des profondes ténèbres. 6+6 b
Un frisson glacial parcourut mes vertèbres, 6+6 b
Car j’avais reconnu le rythme lent du glas. 6+6 a
Comment suis-je sorti vivant de cette tombe ? 6+6 a
90 Je ne sais quels esprits m’ont entraîné dehors, 6+6 b
Mais après tant de jours écoulés depuis lors, 6+6 b
Le tintement fatal dans ma mémoire tombe ! 6+6 a
Le souffle furibond de l’ouragan s’accrut, 6+6 a
La plainte résonna, plus lugubre et plus longue : 6+6 b
95 Dongue ! dongue-dongdon ! daïngne ! don ! dôgne-dongue ! 6+6 b
Puis l’ouragan fit trêve et la cloche se tut. 6+6 a
L’âme de Nelligan m’a prêté son génie 6+6 a
Pour clamer : Qui soupire ici des désespoirs ? 6+6 b
Cloche des âges morts sonnant à timbres noirs, 6+6 b
100 Dis-moi quelle douleur vibre en ton harmonie ! 6+6 a
Un affreux tourbillon fit rugir la forêt 6+6 a
Et les flots fracassés sur la rive écumante ; 6+6 b
Alors je crus entendre, au sein de la tourmente, 6+6 b
Une voix tristement humaine qui criait : 6+6 a
105 — Je suis l’âme qui pleure au pied de la montagne… 6+6 a
Le roi du fleuve noir… le vieillard du passé… 6+6 b
Devant l’oubli fatal mon fantôme est dressé, 6+6 b
Et le suprême adieu du destin m’accompagne ! 6+6 a
Et j’ai dit : — Descends donc à mon entendement ! 6+6 a
110 Ton verbe aérien loin de mon cœur s’envole, 6+6 b
Car je ne comprends pas si profonde parole. 6+6 b
Alors, tout près de moi, j’entendis clairement : 6+6 a
— Je suis Tacouérima, que le chagrin emporte, 6+6 a
Sur les ailes du vent, au pays montagnais ; 6+6 b
115 Je viens du souvenir où je veille à jamais, 6+6 b
Et j’ai sonné le glas de ma nation morte ! 6+6 a
mètre profil métrique : 6=6
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