Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
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F = "e" féminin
| = césure
GIL_1/GIL12
Charles GILL
Le Cap Éternité
1919
LE CAP ÉTERNITÉ
Chant XI
Vers la Cîme
Combien d’heures, hélas ! trop brèves, sont passées, 6+6 a
Pendant que jusqu’à Dieu s’élevaient nos penes, 6+6 a
Et que, dans le repos du jour silencieux, 6+6 a
J’enivrais de grandeur mon esprit et mes yeux ! 6+6 a
5 Le soleil au zénith couronnait sa carrière. 6+6 a
Mon rapide aviron troubla la pure 6+6 b
De l’onde chatoyante où jouait la lumière, 6+6 a
Et j’atteignis bientôt le Cap Éternité. 6+6 b
Dans l’anse où les cailloux éboulés forment chaîne, 6+6 a
10 Le rocher moins abrupt me permit d’aborder 6+6 b
Près d’un torrent que j’entendais déjà gronder. 4+4+4 b
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
J’ai l’orgueil de gravir la cime souveraine. 6+6 a
Je veux escalader le fier dominateur, 6+6 a
Je veux aller baigner mon front dans ses nuages, 6+6 b
15 Côtoyer son abîme, éprouver ses orages, 6+6 b
Et, plus près de l’azur, m’enivrer de grandeur. 6+6 a
J’hésite, en parcourant du regard l’âpre pente ; 6+6 a
Mais le lit du torrent m’indiquant un chemin, 6+6 b
J’aventure mes pas au revers du ravin 6+6 b
20 Qui, le long du flanc roide, obliquement serpente. 6+6 a
Le torrent, par endroits, sur le roc vertical 6+6 a
Brise sa nappe d’eau qui tombe en cascatelle ; 6+6 b
Plus loin, du drap la l’écluse naturelle 6+6 b
Sous le dôme des pins retient son frais cristal. 6+6 a
25 Le torrent me conduit à mi-chemin du faîte. 6+6 a
Contre la forêt vierge il me faut batailler : 6+6 b
Là, grimpant au bouleau quand l’obstacle m’arrête, 6+6 a
Ici, me cramponnant au souple coudrier. 6+6 b
Et, quoique sans péril, la lutte est belle et rude, 6+6 a
30 Plus je m’engage avant dans cette solitude. 6+6 a
Il me faut contourner d’énormes rochers roux 6+6 a
Que, de loin, j’avais pris pour de simples cailloux ; 6+6 a
Les buissons épineux où mon pas s’enchevêtre, 6+6 a
Les bocages touffus de l’érable et du hêtre, 6+6 a
35 M’avaient paru d’en bas un tapis de gazon. 6+6 a
Toute une virginale et simple floraison 6+6 a
Étale ses couleurs sous l’épaisse ramure. 6+6 a
Je cueille le bluet, la noisette, la mure, 6+6 a
Et certain petit fruit rouge et délicieux 6+6 a
40 Qui croît en abondance au milieu de la mousse. 6+6 b
Ô pins harmonieux, comme votre ombre est douce ! 6+6 b
Je dîne en un palais où dîneraient les dieux : 6+6 a
Ma nappe immaculée est un fragment de marbre, 6+6 a
Mon cellier est un lac endormi sous les bois, 6+6 b
45 Et l’écorce argentée est la coupe où je bois. 6+6 b
Un rêve musical frissonne dans un arbre 6+6 a
Où d’invisibles chœurs gazouillent un concert. 6+6 a
Dans ma coupe d’écorce, au ruisseau qui murmure, 6+6 b
Une dernière fois je puise l’onde pure, 6+6 b
50 Et, convive poli, quand finit le dessert, 6+6 a
Je bois à mon hôtesse, à la grande Nature. 6+6 b
Le souci d’arriver abrège mon repos. 6+6 a
Je reprends, maintenant plus fort et plus dispos, 6+6 a
À même la forêt l’interminable lutte, 6+6 a
55 Car déjà le soleil penche vers son déclin, 6+6 b
Et je crains que la nuit ne m’arrête en chemin. 6+6 b
Je me hâte ; l’écho sonore répercute 6+6 a
Tantôt le craquement des branches sous mes pas, 6+6 a
Tantôt le bruit plus sourd d’une pierre ébrane. 6+6 b
60 Il me semble parfois que je n’atteindrai pas 6+6 a
La cime toute bleue et de pins dentee, 6+6 b
Qui toujours se dérobe et parait au regard 6+6 c
Toujours de plus en plus hautaine et recue. 6+6 b
L’heure rapide passe ; et je songe : « Il est tard ! 6+6 c
65 Je suis bien las !… Pourtant, ô cime inaccessible, 6+6 a
Ce qui dépend de nous en ce monde, est possible !… 6+6 a
Tu fuis ! En m’épuisant, vers toi je suis monté ; 6+6 a
Ma force m’abandonne, et tu fuis à mesure ; 6+6 b
Mais, ô cime orgueilleuse, il est dans ma nature 6+6 b
70 Un pouvoir en réserve, et c’est la volonté ! » 6+6 a
La dure ascension de nouveau recommence : 6+6 a
Je grimpe de biais le long du flanc immense, 6+6 a
Harassé, haletant, et m’aidant de mes bras 6+6 a
Quand d’un plan vertical j’entreprends l’escalade, 6+6 b
75 Ou que des arbres morts l’inextricable amas 6+6 a
Se dresse devant moi comme une barricade. 6+6 b
Partout, le blanc bouleau, le tremble, le sapin, 6+6 a
Et l’érable sacré, le hêtre, l’épinette, 6+6 b
Et le vieux chêne aussi mêlent leur silhouette 6+6 b
80 Que, çà et là, domine un gigantesque pin… 6+6 a
Le soleil flamboyant vers l’horizon s’incline ; 6+6 a
Voici bientôt venir la minute divine 6+6 a
Où tout va se parer de son poudroiement d’or. 6+6 a
Tout se tait dans les cieux. J’approche de la cime, 6+6 b
85 Et mes pas, les premiers, foulent ce lieu sublime ! 6+6 b
Deux mamelons boisés m’en séparent encor : 6+6 a
Je vole à son assaut ; enfin, je vais l’atteindre !… 6+6 a
J’y parviens ! Il est temps, car le jour va s’éteindre. 6+6 a
Mais autour du sommet se dresse un vert rempart : 6+6 a
90 La couronne des pins, des cèdres et des ormes, 6+6 b
À ses fleurons altiers arrête mon regard. 6+6 a
Sur le granit poli des chauves plate-formes, 6+6 b
Par mon ombre vers l’Est loin de moi précédé, 6+6 a
Je cours vers un plateau rugueux et dénu 6+6 a
95 D’où rien ne rétrécit le solennel espace. 6+6 a
Le vaste écartement de l’angle que j’embrasse 6+6 a
Entraîne ma pensée au seuil de l’Infini. 6+6 a
Sous les rayons dorés, les montagnes sereines 6+6 b
Jusques à l’horizon développent leurs chaînes 6+6 b
100 Dont l’orgueilleux profil enfin s’est aplani, 6+6 a
Et, ruban satiné, s’allonge sous la nue, 6+6 a
Comme pour défiler, au fond de l’étendue, 6+6 a
Devant le sceptre d’or de quelque majesté 6+6 a
Régnant sur la lumière et sur l’immensité. 6+6 a
105 Serait-ce une féerique illusion des choses ? 6+6 a
Ou bien, dans le recul des solitudes roses, 6+6 a
Par delà l’Océan des monts échelonnés, 6+6 a
Les sommets glorieux se sont-ils prosternés ? 6+6 a
Devant tant de grandeur, la main de Dieu m’écrase. 6+6 a
110 J’entre en communion dans cet immense amour 6+6 b
Qui monte de la terre au soleil qui l’embrase. 6+6 a
Je suis pris du vertige où défaille le jour ; 6+6 b
J’éprouve la splendeur de sa brève agonie. 6+6 a
Parmi les frissons d’or de la limpidité, 6+6 b
115 Mes sens extasiés vibrent en harmonie 6+6 a
Avec la chatoyante et magique beau 6+6 b
De tout ce que le cœur par les yeux peut comprendre ! 6+6 a
Et comme sur le monde où la nuit va descendre, 6+6 a
Dans mon être attendri passe un tressaillement. 6+6 a
120 Aux suprêmes rayons de la mourante flamme 6+6 b
En moi je sens pâlir la lumière de l’âme, 6+6 b
Et je tombe à genoux près de l’escarpement. 6+6 a
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