Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
GAU_8/GAU356
Théophile GAUTIER
POÉSIES NOUVELLES, POÉSIES INÉDITES ET POÉSIES POSTHUMES
édition Maurice Dreyfous
1831-1872
LA PERLE DU RIALTO
PREMIER ACTE
PERSONNAGES
GEORGES D'ELCY. ARCHIBALD SINCLAIR. FANNY. LAURE.
A Paris chez Georges d'Elcy. Le théâtre représente un salon.
SCÈNE PREMIÈRE
GEORGES, ARCHIBALD SINCLAIR, FANNY, LAURE
(Les deux femmes sont masquées.)
UNE VOIX, à la cantonnade.
On n'entre pas !
FANNY.
Si fait, | l'on entre, nigaud ; place 6+6 a
Pour Laura, pour Fanny, | rats de première classe, 6+6 a
Marquises de Bréda, | Duchesses du Helder, 6+6 b
Et pour leur sigisbé, | sir Archibald Sinclair. 6+6 b
LAURA, à Georges.
5 As-tu peur que tout vif | Mardi-gras ne t'emporte, 6+6 a
Que tu couches ton groom | au travers de ta porte ? 6+6 a
SINCLAIR.
Georges, veux-tu venir | au bal de l'Opéra ? 6+6 b
LAURA.
Jusques au déjeuner | le souper durera. 6+6 b
SINCLAIR.
Elle a, je t'en préviens, | quand le matin arrive, 6+6 a
10 Le rhum sentimental | et la truffe expansive. 6+6 a
GEORGES.
Je préfère rester. |
FANNY.
Fi, le jeune Caton ! 6+6 b
GEORGES.
Je me sens mal en train. |
FANNY.
Mets un nez de carton, 6+6 b
Il n'est rien de meilleur | pour la mélancolie. 6+6 a
SINCLAIR.
Viens, nous rirons.
LAURA.
Je suis | notoirement jolie, 6+6 a
15 Et tu ne risques pas | de voir au démasqué 6+6 b
Un front, d'un millésime | impossible marqué. 6+6 b
GEORGES.
Je le sais.
FANNY.
Quand on lance | au plafond une assiette 6+6 a
L'assiette du plafond | redescend castagnette ; 6+6 a
J'y jetterai la mienne | et je te servirai 6+6 b
20 Au dessert, sur la nappe, | un Jaleo… cambré ! 6+6 b
GEORGES.
Merci du Jaleo. |
LAURA.
Quelle vertu tigresse ! 6+6 a
SINCLAIR.
Mais tu fais le huitième | aux sept sages de Grèce ! 6+6 a
FANNY.
Poussière, souviens-toi | qu'on est en carnaval, 6+6 b
Et que du bal sorti, | l'homme retourne au bal ! 6+6 b
SINCLAIR.
Folle !
FANNY.
25 Rentrer la nuit, | se coucher quand on danse, 6+6 a
Ah ! quelle barbarie | et quelle décadence ! 6+6 a
LAURA.
Georges, tu baisses.
GEORGES.
Non, | je remonte.
FANNY.
Je crains 6+6 b
Mon lion, qu'on ne t'ait | coupé griffes et crins, 6+6 b
Et que, piteusement, | tu n'aimes en cachette 6+6 a
30 Une pensionnaire | ou bien une grisette ! 6+6 a
Où donc est-il passé | ce charmant compagnon 6+6 b
Qui jamais au plaisir | n'avait répondu : non, 6+6 b
Et les soirs de début | dirigeant la cabale 6+6 a
Se prélassait si fier | dans la loge infernale ; 6+6 a
35 Cet élégant pilier | du café Tortoni, 6+6 b
Ce gentlemen rider | de la Croix de Berny, 6+6 b
Qu'Edward et Robinson, | que tant d'audace effraie, 6+6 a
N'ont jamais distancé | dans la course de haie ; 6+6 a
Ce moderne Don Juan | que nul n'égalera, 6+6 b
40 Méduse des maris, | amour de l'Opéra, 6+6 b
Qui jetait pour mouchoir | des cornets de dragées 6+6 a
Aux vertus du ballet | en espalier rangées !… 6+6 a
Regarde ton habit | à la mode d'hier, 6+6 b
Toi le Brummel français | dont Chevreul était fier, 6+6 b
45 Et ce gilet gothique, | image de ton âme, 6+6 a
Qui te signe bourgeois | et prêt à prendre femme ! 6+6 a
Ta cravate mal mise | a des plis pleins d'aveux, 6+6 b
Et l'on t'accuse au club, | de bagues en cheveux. 6+6 b
C'en est fait ! Lovelace | est séduit par Clarisse ! 6+6 a
50 Adieu la folle vie | et le libre caprice, 6+6 a
Adieu sport, lansquenet, | cigares, fins soupers, 6+6 b
Chiens, chevaux, vie à deux | dans les petits coupés, 6+6 b
Avant-scènes, gants blancs, | bouquets, duels, intrigues ! 6+6 a
Tu vas manger le veau | qu'on garde aux fils prodigues ; 6+6 a
55 Entre nous tout lien | désormais est brisé, 6+6 b
Prends du ventre, sois chauve | et… minotaurisé ! 6+6 b
SINCLAIR.
Quel speech pour une mime | et quelle langue ingambe ! 6+6 a
Tu tournes une phrase, | ainsi qu'un rond de jambe ! 6+6 a
FANNY.
Viens, laissons mariner | sa vertu dans l'ennui ; 6+6 b
Suivez-nous, Archibald. |
SINCLAIR.
60 Non, je reste avec lui, 6+6 b
Je vous retrouverai | plus tard sous la pendule. 6+6 a
LAURA.
Mais ne vas pas tromper | mon appétit crédule. 6+6 a
SINCLAIR.
Sois sans crainte et commande | au café de Paris 6+6 b
Un homard en salade | avec quatre perdrix. 6+6 b
(Elles sortent.)
SCÈNE II
GEORGES, SINCLAIR
SINCLAIR.
65 Sans contradiction, | j'ai sur ces lèvres folles 6+6 a
Laissé jaillir ce flot | d'indiscrètes paroles : 6+6 a
Souvent, sans le savoir, | dans leur loquacité, 6+6 b
Les enfants et les fous | disent la vérité. 6+6 b
Te croirais-je, comme elle, | un Werther de boutique 6+6 a
70 Jaloux d'une Charlotte | allumant la pratique ? 6+6 a
GEORGES.
Que veux-tu dire ?
SINCLAIR.
Rien ; | sinon que Gavarni 6+6 b
Dans sa collection | eût pu mettre Fanny ; 6+6 b
Les traits lancés en l'air | parfois touchent la cible, 6+6 a
Et la femme à tout âge | est un enfant terrible, 6+6 a
75 Au milieu du salon | coiffant l'époux fâché 6+6 b
Du chapeau de l'Arthur | dans l'armoire caché. 6+6 b
GEORGES.
Tu me crois donc aussi | jouant près d'une sotte 6+6 a
A Saint-Preux et Julie, | à Werther et Lolotte ! 6+6 a
SINCLAIR.
Non pas. — Mais tu n'es plus | le Georges d'autrefois. 6+6 b
GEORGES.
80 Ne se pas ressembler | est le premier des droits. 6+6 b
L'on quitte son humeur | comme l'habit qu'on porte ; 6+6 a
Georges m'ennuyait fort, | je l'ai mis à la porte. 6+6 a
SINCLAIR.
Ce cher Georges, si bon, | si gai, si prêt à tout ! 6+6 b
S'il ne te plaisait pas, | il était de mon goût ; 6+6 b
85 J'aimais ses qualités, | j'aimais jusqu'à ses vices, 6+6 a
Belles fleurs de jeunesse, | étincelants caprices ! 6+6 a
Tu le regretteras | cet aimable vaurien, 6+6 b
Qui jouait si gros jeu, | qui se battait si bien, 6+6 b
Et laissait emporter | aux brises de Bohème 6+6 a
90 Sa vie et ses amours, | cet amusant poëme ! 6+6 a
GEORGES.
De ce fat tapageur | je me suis délivré. 6+6 b
SINCLAIR.
Ce Georges-là sera | certainement pleuré 6+6 b
Dans le monde viveur | par plus d'un et plus d'une. 6+6 a
GEORGES.
La perte n'est pas grande. |
SINCLAIR.
Est-elle blonde ou brune 6+6 a
Ta belle puritaine ? |
GEORGES.
95 Il paraît que tu tiens 6+6 b
A cette idée absurde. |
SINCLAIR.
Oui. — Dans les temps anciens, 6+6 b
Vivait une Circé | qui transformait les hommes ; 6+6 a
Son art existe encore | à l'époque où nous sommes. 6+6 a
GEORGES.
Me ranges-tu parmi | les animaux grognons 6+6 b
100 Qui d'Ulysse jadis | furent les compagnons ? 6+6 b
SINCLAIR.
Circé changeait les corps, | mais pour changer une âme 6+6 a
A défaut de sorcière | il suffit d'une femme ! 6+6 a
GEORGES.
J'ai vingt-sept ans bientôt, | âge partriarcal ; 6+6 b
Les airs évaporés | maintenant m'iraient mal. 6+6 b
105 Tu vois sous le dandy | l'homme d'État qui perce, 6+6 a
Et je vais demander | l'ambassade de Perse. 6+6 a
SINCLAIR.
Comme dans le Barbier | qui trompe-t-on ici ? 6+6 b
L'ambassade de Perse | est ton moindre souci ; 6+6 b
Allons, Georges, sois franc, | et pas de fausse honte, 6+6 a
110 Une douleur s'allège | alors qu'on la raconte ; 6+6 a
Ma curiosité | n'est que de l'intérêt ; 6+6 b
Je veux savoir ta peine | et non pas ton secret, 6+6 b
Comme le médecin | qui presse son malade. 6+6 a
GEORGES.
Mais c'est toute une histoire. |
SINCLAIR.
Use de ton Pylade 6+6 a
115 En Oreste, et sois long ; | je connais mes devoirs. 6+6 b
GEORGES.
On s'inquiète fort | de la traite des noirs, 6+6 b
Mais l'on s'occupe peu | de la traite des blanches, 6+6 a
Et ce commerce en France | a ses allures franches. 6+6 a
Comme à Constantinople, | il existe à Paris 6+6 b
120 Des bazars à fournir | un sérail de houris. 6+6 b
SINCLAIR.
Oui ; l'on peut acheter | une esclave sans faire 6+6 a
Son emplette aux marchés | de Stamboul ou du Caire. 6+6 a
GEORGES.
C'est ce que s'était dit | Lord Maddock.
SINCLAIR.
Hé qui ? Lui ? 6+6 b
Ce débauché que ronge | un monstrueux ennui, 6+6 b
125 Ce faune au pied fourchu, | duc et pair d'Angleterre ? 6+6 a
Quel lien entre vous, | et «quel est ce mystère» ? 6+6 a
GEORGES.
Dans Goya, le graveur | aux caprices hardis, 6+6 b
On voit se détacher | sur un fond de taudis 6+6 b
Près d'une atroce vieille | à l'œil d'oiseau de proie, 6+6 a
130 Une fraîche beauté, | tirant son bas de soie, 6+6 a
Avec ces mots écrits : | «Toilette de sabbat.» 6+6 b
Pour plus d'un pauvre enfant | dont la pudeur combat, 6+6 b
Par une mère au mois, | sorcière en tartan rouge, 6+6 a
Cette toilette-là | se fait au fond d'un bouge. 6+6 a
135 A l'Opéra, chaque ange | est flanqué d'un démon 6+6 b
Qui lui souffle à l'oreille | un ignoble sermon, 6+6 b
Et les gnômes hideux, | grâce aux diables femelles, 6+6 a
Trouvent, s'ils ont de l'or, | les sylphides sans ailes ! 6+6 a
SINCLAIR.
Je comprends.
GEORGES.
Lord Maddock | au diable marchandait 6+6 b
140 Un ange, — un petit rat | que sa mère vendait ! — 6+6 b
Une enfant de treize ans, | ton âge, ô Juliette, 6+6 a
Quand la première fois | au milieu d'une fête, 6+6 a
Roméo t'apparut | chez Capulet ! — Comment 6+6 b
Était sorti d'un monstre | un être si charmant, 6+6 b
145 Ce bleu myosotis | de cette mandragore, 6+6 a
De ce fumier vivant | cette perle, on l'ignore ; 6+6 a
La nature parfois, | de la difformité, 6+6 b
Comme par repentir, | fait naître la beauté. 6+6 b
Ce qu'on pouvait penser | de mieux, c'est que la vieille 6+6 a
150 Avait dans son berceau | volé cette merveille. 6+6 a
En voyant tant d'attraits | menacés par ce Lord, 6+6 b
Par ce libertin sombre, | heureux de souiller l'or, 6+6 b
Et de mettre une tache | à toute belle chose, 6+6 a
Limace qui se traîne | en bavant sur la rose, 6+6 a
155 Une pitié me prit | pour ton œuvre, ô mon Dieu ! 6+6 b
Je venais de gagner | beaucoup d'argent au jeu, 6+6 b
Et je voulus sauver, | car l'enfance est sacrée, 6+6 a
Sa candeur d'un amour | qui rappelle Caprée. 6+6 a
J'enchéris sur Maddock | de trente mille francs ; 6+6 b
160 La vieille émerveillée | ouvrit ses yeux tout grands, 6+6 b
Et je pus arriver, | grâce à ce chiffre énorme, 6+6 a
Au rocher d'Angélique | avant l'Orque difforme. 6+6 a
SINCLAIR.
Tu fis bien, et cet or | est mieux placé cent fois 6+6 b
Qu'à des souscriptions | pour les petits Chinois. 6+6 b
165 Racheter une blanche | est œuvre méritoire, 6+6 a
Quoique moins à la mode ! |… Et la fin de l'histoire ? 6+6 a
GEORGES.
Angélique est sauvée | et Roger amoureux. 6+6 b
SINCLAIR.
Un amour de vieillard ! | diable, c'est dangereux, 6+6 b
Car à trente ans, selon | le calcul ordinaire, 6+6 a
170 Quand on a vécu triple, | on est nonagénaire. 6+6 a
GEORGES.
Mon amour, quoique Dieu | me l'ait envoyé tard, 6+6 b
N'est pas, je t'en réponds, | d'allure de vieillard. 6+6 b
Jamais feux plus ardents | n'ont brûlé ma jeunesse, 6+6 a
J'ai l'étourdissement | d'une première ivresse, 6+6 a
175 Je vivrais d'un sourire | et je mourrais d'un mot ; 6+6 b
J'aime comme un enfant, | comme un fou, comme un sot ! 6+6 b
SINCLAIR.
Ces sentiments sont-ils | connus de la petite ? 6+6 a
GEORGES.
Dans un fauteuil auprès | du lit de Marguerite 6+6 a
Gœthe nous montre Faust | assis et contemplant 6+6 b
180 En silence la chambre | et le petit lit blanc. 6+6 b
Comme Faust arrêté | sur un seuil sans défense, 6+6 a
J'ai dans son sommeil pur | su respecter l'enfance, 6+6 a
Attendant le réveil | de ce cœur endormi 6+6 b
Pour ôter à l'amant | le masque de l'ami. 6+6 b
185 Jusqu'à présent Alice | en moi n'a vu qu'un frère. 6+6 a
SINCLAIR.
Tant pis ! ce précédent | à l'amour est contraire. 6+6 a
J'ai bien peur que tu sois | pour ta discrétion 6+6 b
Prématurément pris | en vénération, 6+6 b
Et que la belle enfant | qui t'eût aimé peut-être, 6+6 a
190 Dans ton fauteuil de Faust | voie un fauteuil d'ancêtre. 6+6 a
GEORGES.
J'espère bien que non. |
SINCLAIR.
Je le désire aussi. 6+6 b
Mais je n'approuve pas | ce système transi. 6+6 b
GEORGES.
Au Théâtre-Français, | voyant jouer Molière, 6+6 a
Il me vint une idée | absurde et singulière, 6+6 a
195 Quoique l'expérience | ait eu peu de succès ; 6+6 b
Je voulus me créer | comme Arnolphe une Agnès, 6+6 b
Et faire un nouvel acte | à l'École des femmes. 6+6 a
Las d'actrices, plus las | encor de grandes dames, 6+6 a
Il me plut, en dehors | du monde et de sa loi, 6+6 b
200 D'aimer un être unique | et fait pour moi — par moi. 6+6 b
SINCLAIR.
Pour un ancien roué, | la fantaisie est rare ! 6+6 a
Don Juan continuer | Arnolphe !
GEORGES.
Moins bizarre 6+6 a
Qu'on ne pense ; Don Juan, | à travers tout, poursuit 6+6 b
Et demande au hazard | l'idéal qui le fuit. 6+6 b
205 Arnolphe, à la maison, | auprès de lui l'élève 6+6 a
Les moyens sont divers, | mais c'est le même rêve : 6+6 a
Un type souhaité | hors de qui rien n'est bon. 6+6 b
Comme j'avais l'Agnès, | j'imitai le barbon. 6+6 b
SINCLAIR.
Est-elle au moins capable, | en sa candeur extrême, 6+6 a
210 De mettre au corbillon | cette tarte à la crème 6+6 a
Qui semblait détestable | à monsieur le Marquis, 6+6 b
Et qu'Arnolphe charmé | trouvait d'un goût exquis ? 6+6 b
GEORGES.
Je ne suis pas encor | tout-à-fait un Géronte 6+6 a
Et dégrader un être | ainsi m'aurait fait honte ; 6+6 a
215 Son éducation | a reçu tous mes soins ; 6+6 b
Si je l'ai fait pour moi, | comme Arnolphe, du moins 6+6 b
Je n'ai pas écrasé, | précaution infâme, 6+6 a
Sur le front de Psyché | le papillon de l'âme ! 6+6 a
J'ai voulu que son cœur | fût grand, afin qu'un jour 6+6 b
220 Avec plus de pensée | il y tînt plus d'amour, 6+6 b
Et j'ai remis les clefs | de toutes les serrures 6+6 a
A ses petites mains | qui n'en sont pas moins pures. 6+6 a
Elle lit dans Shakspear, | Raphaël et Mozart, 6+6 b
Je lui fais cultiver | le luxe comme un art, 6+6 b
225 Comme une fleur de plus | dont sa grâce est parée, 6+6 a
Et dans cette humble enfant, | de la fange tirée, 6+6 a
Dont Lord Maddock offrait | un misérable prix, 6+6 b
Pétrarque verrait Laure | et Dante Béatrix. 6+6 b
Célimène naïve, | Agnès spirituelle, 6+6 a
230 Elle est intelligente, | elle est chaste, elle est belle ! 6+6 a
SINCLAIR.
A ce monstre charmant | fait de perfections 6+6 b
Je voudrais un défaut | comme une ombre aux rayons ; 6+6 b
Quand elle est accomplie | une femme m'alarme, 6+6 a
Ce n'est pas naturel ! |
GEORGES.
O moment plein de charme 6+6 a
235 Et d'angoisse, où le cœur | palpite à se briser, 6+6 b
Quand la création | va se réaliser ! 6+6 b
Enfin Pygmalion | a fait sa Galathée, 6+6 a
Et Pandore muette | est devant Prométhée. 6+6 a
L'un a prié Vénus, | l'autre a volé le feu, 6+6 b
240 Et tous deux sont tremblants, | le mortel et le Dieu ! 6+6 b
Comme eux j'ai modelé | le rêve de mon âme, 6+6 a
Et fait une statue | où sommeille une femme ; 6+6 a
La verrai-je vivante | et rouge d'embarras 6+6 b
Quitter son piédestal | pour tomber dans mes bras ? 6+6 b
SINCLAIR.
245 Quand d'une femme il a | les traits, le marbre même 6+6 a
Est fantasque, et surtout | le marbre que l'on aime. 6+6 a
Mais ce bel idéal | que l'on ne connaît pas 6+6 b
Où donc l'as-tu caché ? | Bien loin ?
GEORGES.
Non, à deux pas. 6+6 b
Et la maison voisine | abrite sa retraite. 6+6 a
250 De son logis au mien | une porte secrète 6+6 a
Communique, que j'ai | par un ouvrier sûr, 6+6 b
Comme feu Richelieu, | fait pratiquer au mur. 6+6 b
Dans ce nid, arrangé | pour que l'amour s'y plaise, 6+6 a
Elle vit seule avec | sa gouvernante anglaise ; 6+6 a
255 On croit que ses parents | dont seule elle hérita, 6+6 b
Elle étant à Paris, | sont morts à Calcutta, 6+6 b
N'ayant pas dans ce long | et périlleux voyage 6+6 a
Osé de leur amour | risquer l'unique gage ; 6+6 a
Puis un tuteur l'a fait | sortir de pension 6+6 b
260 Pour achever ici | son éducation. 6+6 b
Seule, elle se connaît | et sait sa vraie histoire, 6+6 a
Qu'elle-même parfois | a de la peine à croire. 6+6 a
Je ne vais pas chez elle, | et, le soir, ce salon 6+6 b
Nous réunit une heure | après un jour bien long, 6+6 b
265 Et si, l'heure écoulée, | à rentrer elle hésite, 6+6 a
Et, debout sur le seuil, | prolonge sa visite, 6+6 a
Ou retourne la tête | avec un regard doux, 6+6 b
Je sens mon cœur pâmer | et trembler mes genoux ! 6+6 b
SINCLAIR.
Pour ton meilleur ami, | trois ans de défiance, 6+6 a
Ah ! c'est mal !
GEORGES.
270 J'attendais | que mon expérience 6+6 a
Fut menée à bon port, | — amour-propre d'auteur. — 6+6 b
Et puis j'étais honteux | de faire le tuteur, 6+6 b
Et je craignais d'avoir | aux yeux mauvaise grâce 6+6 a
De copier Arnolphe | ayant l'âge d'Horace. 6+6 a
275 Mais je t'aurais tout dit | bientôt, et mon aveu, 6+6 b
Tes instances n'ont fait | que l'avancer un peu. 6+6 b
Alice ce soir même | a seize ans ; son œil brille, 6+6 a
Son front rêve ; hier enfant, | aujourd'hui jeune fille, 6+6 a
La discrète amitié, | chaste sœur de l'amour, 6+6 b
280 Se retire, et l'amant | enfin aura son tour. 6+6 b
A l'instant, pour sortir | du doute qui me tue 6+6 a
Je vais porter la flamme | au flanc de ma statue ! 6+6 a
SINCLAIR.
Adieu ; Laura, Fanny, | m'attendent au foyer ; 6+6 b
Laura doit avoir faim | et Fanny s'ennuyer, 6+6 b
285 Sur la table déjà | le homard se prélasse 6+6 a
Et le vin trop frappé | se morfond dans la glace ; 6+6 a
Je m'en vais. — Bonne chance ! | au sortir du festin 6+6 b
Je reviendrai tantôt | pour savoir ton destin. 6+6 b
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