Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
GAU_8/GAU292
Théophile GAUTIER
POÉSIES NOUVELLES, POÉSIES INÉDITES ET POÉSIES POSTHUMES
édition Maurice Dreyfous
1831-1872
PERPLEXITÉ
J'ai donné ma parole. | — Allez, fermez la porte ; 6+6 a
Attachez-moi les pieds | de peur que je ne sorte, 6+6 a
Et dites qu'on me donne | une tasse de thé. 6+6 a
S'il vient un créancier, | — vous les devez connaître, — 6+6 b
5 Il le faut avec soin | jeter par la fenêtre, 6+6 b
Car je veux aujourd'hui | rêver en liberté. 6+6 a
Si quelque femme vient, | petit pied, main petite, 6+6 c
Qu'elle s'appelle Anna, | Lisette ou Marguerite, 6+6 c
Ouvrez : — Qui fermerait | sa porte à la beauté ? 6+6 a
10 Chastes muses, — ô vous | qui savez toutes choses, 6+6 a
Ce qui fait l'incarnat | des vierges et des roses, 6+6 a
Ce qui fait la pâleur | des lis et des amants ; 6+6 a
Vous qui savez de quoi | les petits enfants rêvent, 6+6 b
Quel sens ont les soupirs | qui dans les bois s'élèvent, 6+6 b
15 Et cent mille secrets | on ne peut plus charmants ; 6+6 a
O muses ! — savez-vous | ce que je m'en vais dire ? 6+6 a
Je n'ai ni violon, | ni guitare, ni lyre, 6+6 a
Et n'entends pas grand'chose | au style des romans ; 6+6 a
Et cependant il faut, | car l'éditeur y compte, 6+6 b
20 Tirer de ma cervelle | une ballade, un conte, 6+6 b
Je ne sais quoi de beau, | de neuf et de galant. 6+6 a
Ce sont des doigts d'ivoire, | et de beaux ongles roses, 6+6 a
Qui froissent ces feuillets, | dans les heures moroses 6+6 a
Où le temps ennuyé | chemine d'un pied lent. 6+6 a
25 C'est dans votre boudoir, | ô lectrice adorable, 6+6 b
Sur un beau guéridon | de citron ou d'érable, 6+6 b
Qu'ira ce que j'écris, | et j'y songe en tremblant, 6+6 a
Car vous avez le goût | dédaigneux et superbe, 6+6 a
Et vous trouvez fort bien | le chardon dans la gerbe 6+6 a
30 Au milieu des bluets | et des coquelicots. 6+6 a
Madame, — excusez-moi, | je ne suis pas poëte ; 6+6 b
Mon nom n'est pas de ceux | qu'un siècle à l'autre jette, 6+6 b
Et qui dans tous les cœurs | éveillent les échos. 6+6 a
Hélas ! — Je voudrais bien | vous conter une histoire, 6+6 c
35 Comme vous les aimez, | — bien terrible et bien noire, — 6+6 c
Avec enlèvements, | duels et quiproquos ; 6+6 a
Une intrigue d'amour, | charmante et romanesque, 6+6 a
Où j'aurais, nuançant | ma phrase pittoresque, 6+6 a
Pris sa pourpre à la rose, | et leur azur aux cieux, 6+6 a
40 Au marbre de Paros, | sa candeur virginale, 6+6 b
Leur neige aux Apennins, | son reflet à l'opale, 6+6 b
A l'ambre son parfum | faible et délicieux ; 6+6 a
Où j'aurais, pour parer | ma frêle créature, 6+6 c
Prodiguement vidé | l'écrin de la nature, 6+6 c
45 Et créé deux soleils | pour lui faire des yeux. 6+6 a
Je ne sais pas d'histoire | et n'ai pas de maîtresse, 6+6 a
— Pas même un conte bleu, | — pas même une duchesse, 6+6 a
Je n'ai pas voyagé, | — que vous dirai-je donc ? 6+6 a
Si le diable venait, | en vérité, madame, 6+6 b
50 Pour un conte inédit | je lui vendrais mon âme : 6+6 b
Ma faute est, je l'avoue, | indigne de pardon. 6+6 a
Eh quoi ? pas un seul mot ! | — pas une seule phrase ! 6+6 c
Par l'eau de Castalie | et l'aile de Pégase, 6+6 c
Clio, tu me paîras | un si lâche abandon ! 6+6 a
55 Le menton dans la main, | les talons dans la braise, 6+6 a
Je suis là, l'œil en l'air, | renversé sur ma chaise, 6+6 a
J'ai bien tout ce qu'il faut, | — la plume et le papier, — 6+6 a
Il ne me manque rien, | — presque rien, — une idée ! — 6+6 b
Mon brouillon, de dessins | a la marge brodée : 6+6 b
60 Ariel aujourd'hui | se fait longtemps prier. 6+6 a
Ainsi qu'au bord d'un puits | un pigeon qui veut boire, 6+6 c
Ma muse tord son col | aux beaux reflets de moire, 6+6 c
Et n'ose pas tremper | son bec dans l'encrier. 6+6 a
— Je n'imagine rien | de sublime et de rare, 6+6 a
65 Sinon : — c'est une femme | avec une guitare, 6+6 a
Et puis un cavalier | penché sur un fauteuil. 6+6 a
Vous le voyez fort bien | sans que je vous le dise. — 6+6 b
Quand on a regardé, | quel besoin qu'on me lise ? 6+6 b
Au burin du graveur | je soumets mon orgueil. 6+6 a
70 Mais peut-être — après tout — | me faut-il rendre grâce, 6+6 c
Car j'aurais pu, suivant | nos auteurs à la trace, 6+6 c
De galantes horreurs | tacher ce frais recueil. 6+6 a
Songez-y ; — j'aurais pu | faire, avec jalousie, 6+6 a
Très-convenablement | rimer Andalousie, 6+6 a
75 Et vous cribler le cœur | à grands coups de stylet : 6+6 a
J'aurais pu vous mener | à Venise en gondole, 6+6 b
Depuis le masque noir | jusqu'à la barcarolle, 6+6 b
Déployer à vos yeux | le bagage complet ; 6+6 a
Et les jurons du temps, | et la couleur locale, 6+6 c
80 Je vous épargne tout ; | — ô faveur sans égale. — 6+6 c
Sur ce je vous salue, | et suis votre valet. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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