Métrique en Ligne
GAU_7/GAU253
Théophile GAUTIER
ESPAÑA
édition Maurice Dreyfous
1845
ESPAÑA
EN PASSANT A VERGARA
No vaya usted a ver eso, que le dara gana de remitar.
Nous avions avec nous une jeune Espagnole, 6+6 a
A l'allure hardie, à la toilette folle, 6+6 a
Au grand front éclatant comme un marbre poli, 6+6 b
Où la réflexion n'a jamais fait un pli, 6+6 b
5 Encadré de cheveux qui venaient en désordre 6+6 a
Sur un col satiné nonchalamment se tordre ; 6+6 a
Des sourcils de velours avec de grands yeux noirs 6+6 b
Renvoyant des éclairs comme un piége à miroirs ; 6+6 b
Un rire éblouissant, épanoui, sonore, 6+6 a
10 Belle fleur de gaîté qu'un seul mot fait éclore ; 6+6 a
Des dents de jeune loup, pures comme du lait, 6+6 b
Dont l'émail insolent sans trêve étincelait ; 6+6 b
Une taille cambrée en cavale andalouse ; 6+6 a
Des pieds mignons à rendre une reine jalouse ; 6+6 a
15 Et puis sur tout cela je ne sais quoi de fou, 6+6 b
Des mouvements d'oiseau dans les poses du cou, 6+6 b
De petits airs penchés, des tournures de hanches 6+6 a
De certaines façons de porter ses mains blanches, 6+6 a
Comme dans les tableaux où le vieux Zurbaran, 6+6 b
20 Sous le nom d'une sainte, en habit sévillan, 6+6 b
Représente une dame avec des pendeloques, 6+6 a
Des plumes, du clinquant et des modes baroques. 6+6 a
Or, pendant que j'errais dans la vaste fonda, 6+6 b
Attendant qu'on servit la olla podrida, 6+6 b
25 Et que je regardais, ardent à tout connaître, 6+6 a
La cage du grillon pendue à la fenêtre, 6+6 a
Un mort passa, — partant pour le royaume noir, 6+6 b
Et comme je voulais descendre pour le voir 6+6 b
(Car sur le front des morts le rêveur cherche à lire 6+6 a
30 Ce terrible secret qu'aucun d'eux n'a pu dire), 6+6 a
L'Espagnole, posant ses doigts blancs sur mon bras, 6+6 b
Me retint et me dit : — Oh ! ne descendez pas, 6+6 b
Cela vous donnerait, à coup sûr, la nausée ! — 6+6 a
Elle jeta ces mots vaguement, sans pensée, 6+6 a
35 De cet air de dégoût mêlé d'un peu d'effroi 6+6 b
Qu'on aurait en parlant d'un reptile au corps froid. 6+6 b
Ce spectacle, effrayant pour le héros lui-même, 6+6 a
Qui fait pâlir encor le front du chartreux blême 6+6 a
Après vingt ans de jeûne et d'angoisses passés, 6+6 b
40 Un crâne sous la main, entre des murs glacés, 6+6 b
La mort n'a donc pour toi ni leçon ni tristesse ? 6+6 a
Et parce que tu bois le vin de ta jeunesse, 6+6 a
Que tes cheveux sont noirs et tes regards ardents, 6+6 b
Qu'il n'est pas une tache aux perles de tes dents, 6+6 b
45 Tu crois vivre toujours, sans qu'à ton front splendide 6+6 a
Le temps avec son ongle ose écrire une ride ? 6+6 a
Et tu méprises fort, dans ton éclat vermeil, 6+6 b
Le cadavre au teint vert qui dort le grand sommeil ? 6+6 b
Et pourtant ce débris fut le temple d'une âme ; 6+6 a
50 Ce néant a vécu ; cette lampe sans flamme, 6+6 a
Que la bouche inconnue a soufflée en passant, 6+6 b
Naguère eut le rayon qui t'éclaire à présent. — 6+6 b
Sans doute ; mais pourquoi plonger dans ces mystères ? 6+6 a
Laissons rêver les morts dans leurs lits solitaires, 6+6 a
55 En conversation avec le ver impur ! 6+6 b
A nous la vie, à nous le soleil et l'azur, 6+6 b
A nous tout ce qui chante, à nous tout ce qui brille, 6+6 a
Les courses de taureaux dans Madrid ou Séville, 6+6 a
Les pesants picadors et les légers chulos, 6+6 b
60 Les mules secouant leurs grappes de grelots, 6+6 b
Les chevaux éventrés, et le taureau qui râle 6+6 a
Fondant, l'épée au cou, sur le matador pâle ! 6+6 a
A nous la castagnette, à nous le pandéro, 6+6 b
La cachucha lascive et le gai boléro ; 6+6 b
65 Le jeu de l'éventail, le soir, aux promenades, 6+6 a
Et sous le balcon d'or les molles sérénades ! 6+6 a
Les vivants sont charmants et les morts sont affreux. — 6+6 b
Oui ; — mais le ver un jour rongera ton œil creux, 6+6 b
Et comme un fruit gâté, superbe créature, 6+6 a
70 Ton beau corps ne sera que cendre et pourriture ; 6+6 a
Et le mort outragé, se levant à demi, 6+6 b
Dira, le regard lourd d'avoir longtemps dormi : 6+6 b
— Dédaigneuse ! à ton tour tu donnes la nausée, 6+6 a
Ta figure est déjà bleue et décomposée, 6+6 a
75 Tes parfums sont changés en fétides odeurs, 6+6 b
Et tu n'es qu'un ramas d'effroyables laideurs ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite de distiques
schéma : 38((aa))
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