Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
GAU_5/GAU225
Théophile GAUTIER
POÉSIES DIVERSES, 1833-1838
Tome premier
édition Maurice Dreyfous
1833-1838
LE SOMMET DE LA TOUR
Lorsque l'on veut monteraux tours des cathédrales, 6+6 a
On prend l'escalier noirqui roule ses spirales, 6+6 a
Comme un serpent de pierreau ventre d'un clocher. 6+6 a
L'on chemine d'aborddans une nuit profonde, 6+6 b
5 Sans trèfle de soleilet de lumière blonde, 6+6 b
Tâtant le mur des mains,de peur de trébucher ; 6+6 a
Car les hautes maisonsvoisines de l'église 6+6 c
Vers le pied de la tourversent leur ombre grise, 6+6 c
Qu'un rayon lumineuxne vient jamais trancher. 6+6 a
10 S'envolant tout à coup,les chouettes peureuses 6+6 a
Vous flagellent le frontde leurs ailes poudreuses, 6+6 a
Et les chauves-souriss'abattent sur vos bras : 6+6 a
Les spectres, les terreursqui hantent les ténèbres, 6+6 b
Vous frôlent en passantde leurs crêpes funèbres ; 6+6 b
15 Vous les entendez geindreet chuchoter tout bas. 6+6 a
A travers l'ombre on voitla chimère accroupie 6+6 c
Remuer, et l'échode la vte assoupie 6+6 c
Derrière votre passuscite un autre pas. 6+6 a
Vous sentez à l'épauleune pénible haleine, 6+6 a
20 Un souffle intermittent,comme d'une âme en peine 6+6 a
Qu'on aurait éveilléeet qui vous poursuivrait ; 6+6 a
Et si l'humiditéfait, des yeux de la vte, 6+6 b
Larmes du monument,tomber l'eau goutte à goutte, 6+6 b
Il semble qu'on dérangeune ombre qui pleurait. 6+6 a
25 Chaque fois que la vis,en tournant, se dérobe, 6+6 c
Sur la dernière marcheun dernier pli de robe, 6+6 c
Irritante terreur,brusquement dispart. 6+6 a
Bientôt le jour, filtrantpar les fentes étroites, 6+6 a
Sur le mur opposétrace des lignes droites, 6+6 a
30 Comme une barre d'orsur un écusson noir. 6+6 a
L'on est déjà plus hautque les toits de la ville, 6+6 b
Édifices sans nom,masse confuse et vile, 6+6 b
Et par les arceaux grisle ciel bleu se fait voir. 6+6 a
Les hiboux disparusfont place aux tourterelles, 6+6 c
35 Qui lustrent au soleille satin de leurs ailes 6+6 c
Et semblent roucoulerdes promesses d'espoir. 6+6 a
Des essaims familiersperchent sur les tarasques, 6+6 a
Et, sans se rebuterde la laideur des masques, 6+6 a
Dans chaque bouche ouverteun oiseau fait son nid. 6+6 a
40 Les guivres, les dragonset les formes étranges 6+6 b
Ne sont plus maintenantque des figures d'anges, 6+6 b
Séraphiques gardienstaillés dans le granit, 6+6 a
Qui depuis huit cents ans,pensives sentinelles, 6+6 c
Dans leurs niches de pierre,appuyés sur leurs ailes, 6+6 c
45 Montent leur factionqui jamais ne finit. 6+6 a
Vous débouchez enfinsur une plate-forme, 6+6 a
Et vous apercevez,ainsi qu'un monstre énorme, 6+6 a
La Cité grommelante,accroupie alentour. 6+6 a
Comme un requin, ouvrantses immenses mâchoires, 6+6 b
50 Elle mord l'horizonde ses mille dents noires, 6+6 b
Dont chacune est un dôme,un clocher, une tour. 6+6 a
A travers le brouillard,de ses naseaux de plâtre, 6+6 c
Elle souffle dans l'airson haleine bleuâtre, 6+6 c
Que dore par floconsun chaud reflet de jour. 6+6 a
55 Comme sur l'eau qui boutmonte et chante l'écume, 6+6 a
Sur la ville toujoursplane une ardente brume, 6+6 a
Un bourdonnement sourdfait de cent bruits confus. 6+6 a
Ce sont les tintementset les grêles volées 6+6 b
Des cloches, de leurs voixsonores ou fêlées, 6+6 b
60 Chantant à plein gosierdans leurs beffrois touffus ; 6+6 a
C'est le vent dans le cielet l'homme sur la terre ; 6+6 c
C'est le bruit des tambourset des clairons de guerre, 6+6 c
Ou des canons grondeurssonnant sur leurs affûts ; 6+6 a
C'est la rumeur des chars,dont la prompte lanterne 6+6 a
65 File comme une étoileà travers l'ombre terne, 6+6 a
Emportant un heureuxaux bras de son désir ; 6+6 a
Le soupir de la viergeau balcon accoudée, 6+6 b
Le marteau sur l'enclumeet le fait sur l'idée, 6+6 b
Le cri de la douleurou le chant du plaisir. 6+6 a
70 Dans cette symphonieau colossal orchestre, 6+6 c
Que n'écrira jamaismusicien terrestre, 6+6 c
Chaque objet fait sa noteimpossible à saisir. 6+6 a
Vous pensiez être en haut ;mais voici qu'une aiguille, 6+6 a
le ciel découpépar dentelles scintille, 6+6 a
75 Se présente soudaindevant vos pieds lassés. 6+6 a
Il faut monter encor,dans la mince tourelle, 6+6 b
L'escalier qui serpenteen spirale plus frêle, 6+6 b
Se pendant aux cramponsde loin en loin placés. 6+6 a
Le vent, d'un air moqueur,à vos oreilles siffle, 6+6 c
80 La goule étend sa griffeet la guivre renifle, 6+6 c
Le vertige alourditvos pas embarrassés. 6+6 a
Vous voyez loin de vous,comme dans des abîmes 6+6 a
S'aplanir les clocherset les plus hautes cimes, 6+6 a
Des aigles les plus fiersvous dominez l'essor. 6+6 a
85 Votre sueur se figeà votre front en nage ; 6+6 b
L'air trop vif vous étouffe :allons, enfant, courage ! 6+6 b
Vous êtes près des cieux ;allons, un pas encor ! 6+6 a
Et vous pourrez toucher,de votre main surprise, 6+6 c
L'archange colossalque fait tourner la brise, 6+6 c
90 Le saint Michel géantqui tient un glaive d'or ; 6+6 a
Et si, vous accoudantsur la rampe de marbre, 6+6 a
Qui palpite au grand vent,comme une branche d'arbre, 6+6 a
Vous dirigez en basun œil moins effrayé, 6+6 a
Vous verrez la campagneà plus de trente lieues, 6+6 b
95 Un immense horizon,bordé de franges bleues, 6+6 b
Se déroulant sous vouscomme un tapis rayé ; 6+6 a
Les carrés de blé d'or,les cultures zébrées, 6+6 c
Les plaques de gazonde troupeaux noirs tigrées ; 6+6 c
Et, dans le sainfoin rouge,un chemin blanc frayé ; 6+6 a
100 Les cités, les hameaux,nids semés dans la plaine, 6+6 a
Et, partout se groupeune famille humaine, 6+6 a
Un clocher vers le cielcomme un doigt s'allongeant. 6+6 a
Vous verrez dans le golfe,aux bras des promontoires, 6+6 b
La mer se diapreret se gaufrer de moires, 6+6 b
105 Comme un kandjiar turcdamasquiné d'argent ; 6+6 a
Les vaisseaux, alcyonsbalancés sur leurs ailes, 6+6 c
Piquer l'azur lointainde blanches étincelles 6+6 c
Et croiser en tous sensleur vol intelligent. 6+6 a
Comme un sein plein de laitgonflant leurs voiles rondes, 6+6 a
110 Sur la foi de l'aimant,ils vont chercher des mondes, 6+6 a
Des rivages nouveauxsur de nouvelles mers : 6+6 a
Dans l'Inde, de parfums,d'or et de soleil pleine, 6+6 b
Dans la Chine bizarre,aux tours de porcelaine, 6+6 b
Chimérique payspeuplé de dragons verts ; 6+6 a
115 Ou vers Otaïti,la belle fleur des ondes, 6+6 c
De ses longs cheveux noirstordant les perles blondes, 6+6 c
Comme une autre Vénus,fille des flots amers ; 6+6 a
A Ceylan, à Java,plus loin encor peut-être, 6+6 a
Dans quelque île déserteet dont on se rend mtre, 6+6 a
120 Vers une autre Amériqueéchappée à Colomb. 6+6 a
Hélas ! et vous aussi,sans crainte, ô mes pensées, 6+6 b
Livrant aux vents du cielvos ailes empressées, 6+6 b
Vous tentez un voyageaventureux et long. 6+6 a
Si la foudre et le nordrespectent vos antennes, 6+6 c
125 Des pays inconnuset des îles lointaines 6+6 c
Que rapporterez-vous ?de l'or, ou bien du plomb ?… 6+6 a
La spirale soudains'interrompt et se brise. 6+6 a
Comme celui qui monteau clocher de l'église, 6+6 a
Me voici maintenantau sommet de ma tour. 6+6 a
130 J'ai planté le drapeautout au haut de mon œuvre. 6+6 b
Ah ! que depuis longtemps,pauvre et rude manœuvre, 6+6 b
Insensible à la joie,à la vie, à l'amour, 6+6 a
Pour garder mon dessinavec ses lignes pures, 6+6 c
J'émousse mon ciseaucontre des pierres dures, 6+6 c
135 Élevant à grand'peineune assise par jour ! 6+6 a
Pendant combien de moissuis-je resté sous terre, 6+6 a
Creusant comme un mineurma fouille solitaire, 6+6 a
Et cherchant le roc vifpour mes fondations ! 6+6 a
Et pourtant le soleilriait sur la nature ; 6+6 b
140 Les fleurs faisaient l'amouret toute créature 6+6 b
Livrait sa fantaisieau vent des passions. 6+6 a
Le printemps dans les boisfaisait courir la sève, 6+6 c
Et le flot, en chantant,venait baiser la grève ; 6+6 c
Tout n'était que parfum,plaisir, joie et rayons ! 6+6 a
145 Patient architecte,avec mes mains pensives 6+6 a
Sur mes piliers trapusinclinant mes ogives, 6+6 a
Je fouillais sous l'égliseun temple souterrain. 6+6 a
Puis l'église elle-même,avec ses colonnettes, 6+6 b
Qui semble, tant elle ad'aiguilles et d'arêtes, 6+6 b
150 Un madrépore immense,un polypier marin ; 6+6 a
Et le clocher hardi,grand peuplier de pierre, 6+6 c
gazouillent, quand vientl'heure de la prière 6+6 c
Avec les blancs ramiers,des nids d'oiseaux d'airain. 6+6 a
Du haut de cette tourà grand'peine achevée, 6+6 a
155 Pourrai-je t'entrevoir,perspective rêvée, 6+6 a
Terre de Chanaan tendait mon effort ? 6+6 a
Pourrai-je apercevoirla figure du monde, 6+6 b
Les astres dans le cielaccomplissant leur ronde, 6+6 b
Et les vaisseaux quittantet regagnant le port ? 6+6 a
160 Si mon clocher passaitseulement de la tête 6+6 c
Les toits et les tuyauxde la ville, ou le fte 6+6 c
De ce donjon aiguqui du brouillard ressort ; 6+6 a
S'il était assez hautpour découvrir l'étoile 6+6 a
Que la colline bleueavec son dos me voile, 6+6 a
165 Le croissant qui s'écorneau toit de la maison ; 6+6 a
Pour voir, au ciel de smalt,les flottantes nuées 6+6 b
Par le vent du matinmollement remuées, 6+6 b
Comme un troupeau de l'airsecouer leur toison ; 6+6 a
Et la gloire, la gloire,astre et soleil de l'âme, 6+6 c
170 Dans un océan d'or,avec le globe en flamme, 6+6 c
Majestueusementmonter à l'horizon ! 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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