Métrique en Ligne
GAU_5/GAU198
Théophile GAUTIER
POÉSIES DIVERSES, 1833-1838
Tome premier
édition Maurice Dreyfous
1833-1838
DÉDAIN
Une pitié me prend quand à part moi je songe 6+6 a
A cette ambition terrible qui nous ronge 6+6 a
De faire parmi tous reluire notre nom, 6+6 b
De ne voir s'élever par-dessus nous personne, 6+6 c
5 D'avoir vivant encor le nimbe et la couronne, 6+6 c
D'être salué grand comme Gœthe ou Byron. 6+6 b
Les peintres jusqu'au soir courbés sur leurs palettes, 6+6 a
Les amphions frappant leurs claviers, les poëtes, 6+6 a
Tous les blêmes rêveurs, tous les croyants de l'art, 6+6 b
10 Dans ces noms éclatants et saints sur tous les autres, 6+6 c
Prennent un nom pour Dieu, dont ils se font apôtres, 6+6 c
Un de vos noms, Shakspear, Michel-Ange ou Mozart ! 6+6 b
C'est là le grand souci qui tous, tant que nous sommes, 6+6 a
Dans cet âge mauvais, austères jeunes hommes, 6+6 a
15 Nous fait le teint livide et nous cave les yeux ; 6+6 b
La passion du beau nous tient et nous tourmente, 6+6 c
La sève sans issue au fond de nous fermente, 6+6 c
Et de ceux d'aujourd'hui bien peu deviendront vieux. 6+6 b
De ces frêles enfants, la terreur de leur mère, 6+6 a
20 Qui s'épuisent en vain à suivre leur chimère, 6+6 a
Combien déjà sont morts ! combien encor mourront ! 6+6 b
Combien au beau moment, gloire, ô froide statue, 6+6 c
Gloire que nous aimons et dont l'amour nous tue, 6+6 c
Pâles, sur ton épaule ont incliné le front ! 6+6 b
25 Ah ! chercher sans trouver et suer sur un livre, 6+6 a
Travailler, oublier d'être heureux et de vivre ; 6+6 a
Ne pas avoir une heure à dormir au soleil, 6+6 b
A courir dans les bois sans arrière-pensée ; 6+6 c
Gémir d'une minute au plaisir dépensée, 6+6 c
30 Et faner dans sa fleur son beau printemps vermeil ! 6+6 b
Jeter son âme au vent et semer sans qu'on sache 6+6 a
Si le grain sortira du sillon qui le cache, 6+6 a
Et si jamais l'été dorera le blé vert ; 6+6 b
Faire comme ces vieux qui vont plantant des arbres, 6+6 c
35 Entassant des trésors et rassemblant des marbres, 6+6 c
Sans songer qu'un tombeau sous leurs pieds est ouvert ! 6+6 b
Et pourtant chacun n'a que sa vie en ce monde, 6+6 a
Et pourtant du cercueil la nuit est bien profonde ; 6+6 a
Ni lune, ni soleil : c'est un sommeil bien long ; 6+6 b
40 Le lit est dur et froid ; les larmes que l'on verse, 6+6 c
La terre les boit vite, et pas une ne perce, 6+6 c
Pour arriver à vous, le suaire et le plomb. 6+6 b
Dieu nous comble de biens, notre mère Nature 6+6 a
Rit amoureusement à chaque créature ; 6+6 a
45 Le spectacle du ciel est admirable à voir ; 6+6 b
La nuit a des splendeurs qui n'ont pas de pareilles ; 6+6 c
Des vents tout parfumés nous chantent aux oreilles : 6+6 c
Vivre est doux, et pour vivre il ne faut que vouloir. 6+6 b
Pourquoi ne vouloir pas ? Pourquoi ? pour que l'on dise 6+6 a
50 Quand vous passez : «C'est lui !» Pour que dans une église, 6+6 a
Saint-Denis, Westminster, sous un pavé noirci, 6+6 b
On vous couche à côté de rois que le ver mange, 6+6 c
N'ayant pour vous pleurer qu'une figure d'ange 6+6 c
Et cette inscription : «Un grand homme est ici 6+6 b
55 En vérité c'est tout. — O néant ! ô folie ! 6+6 a
Vouloir qu'on se souvienne alors que tout oublie. 6+6 a
Vouloir l'éternité lorsque l'on n'a qu'un jour ! 6+6 b
Rêver, chercher le beau, fonder une mémoire, 6+6 c
Et forger un par un les rayons de sa gloire, 6+6 c
60 Comme si tout cela valait un mot d'amour ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite périodique
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