Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
GAU_5/GAU194
Théophile GAUTIER
POÉSIES DIVERSES, 1833-1838
Tome premier
édition Maurice Dreyfous
1833-1838
LA CHANSON DE MIGNON
Ange de poésie,ô vierge blanche et blonde, 6+6 a
Tu me veux donc quitteret courir par le monde ? 6+6 a
Toi qui, voyant passerdu seuil de la maison 6+6 b
Les nuages du soirsur le rouge horizon, 6+6 b
5 Contente d'admirerleurs beaux reflets de cuivre, 6+6 a
Ne t'es jamais surpriseà les désirer suivre ; 6+6 a
Toi, même au ciel d'été,par le jour le plus bleu, 6+6 b
Frileuse Cendrillon,tapie au coin du feu, 6+6 b
Quel grand désir te prend,ô ma folle hirondelle ! 6+6 a
10 D'abandonner le nidet de déployer l'aile ? 6+6 a
Ah ! restons tous les deuxprès du foyer assis, 6+6 b
Restons ; je te ferai,petite, des récits, 6+6 b
Des contes merveilleux,à tenir ton oreille 6+6 a
Ouverte avec ton œiltout le temps de la veille. 6+6 a
15 Le vent râle et se plaintcomme un agonisant ; 6+6 b
Le dogue réveilléhurle au bruit du passant ; 6+6 b
Il fait froid : c'est l'hiver ;la grêle à grand bruit fouette 6+6 a
Les carreaux palpitants ;la rauque girouette 6+6 a
Comme un hibou criailleau bord du toit pointu. 6+6 b
veux-tu donc aller ?
20 O mon mtre, sais-tu 6+6 b
La chanson que Mignonchante à Wilhelm dans Gœthe ? 6+6 a
«Ne la connais-tu pasla terre du poëte, 6+6 a
La terre du soleil le citron mûrit, 6+6 b
l'orange aux tons d'ordans les feuilles sourit ? 6+6 b
25 C'est là, mtre, c'est làqu'il faut mourir et vivre, 6+6 a
C'est là qu'il faut aller,c'est là qu'il me faut suivre. 6+6 a
«Restons, enfant, restons :ce beau ciel toujours bleu, 6+6 b
Cette terre sans ombreet ce soleil de feu, 6+6 b
Brûleraient la peau blancheet ta chair diaphane. 6+6 a
30 La pâle violetteau vent d'été se fane ; 6+6 a
Il lui faut la roséeet le gazon épais, 6+6 b
L'ombre de quelque saule,au bord d'un ruisseau frais ; 6+6 b
C'est une fleur du Nord,et telle est sa nature. 6+6 a
Fille du Nord comme elle,ô frêle créature ! 6+6 a
35 Que ferais-tu là-bassur le sol étranger ? 6+6 b
Ah ! la patrie est belleet l'on perd à changer. 6+6 b
Crois-moi, garde ton rêve.
«Italie ! Italie ! 6+6 a
Si riche et si dorée,oh ! comme ils t'ont salie ! 6+6 a
Les pieds des nationsont battu tes chemins ; 6+6 b
40 Leur contact a limétes vieux angles romains, 6+6 b
Les faux dilettantis'érigeant en artistes, 6+6 a
Les riches ennuyéset les rimeurs touristes, 6+6 a
Les petits lords Byronsfondent de toutes parts 6+6 b
Sur ton cadavre à terre,ô mère des Césars ! 6+6 b
45 Ils s'en vont mesurantla colonne et l'arcade ; 6+6 a
L'un se pâme au rocheret l'autre à la cascade : 6+6 a
Ce sont, à chaque pas,des admirations, 6+6 b
Des yeux levés en l'airet des contorsions. 6+6 b
Au moindre bloc informeet dévoré de mousse, 6+6 a
50 Au moindre pan de mur le lentisque pousse, 6+6 a
On pleure d'aise, on tombeen des ravissements, 6+6 b
A faire de pitiérire les monuments. 6+6 b
L'un avec son lorgnon,collant le nez aux fresques, 6+6 a
Tâche de trouver beauxtes damnés gigantesques, 6+6 a
55 O pauvre Michel-Ange,et cherche en son cahier 6+6 b
Pour savoir si c'est làqu'il doit s'extasier ; 6+6 b
L'autre, plus amateurde ruines antiques, 6+6 a
Ne rêve que frontons,corniches et portiques, 6+6 a
Baise chaque pavéde la Via-Lata, 6+6 b
60 Ne croit qu'en Jupiteret jure par Vesta. 6+6 b
De mots italiensfardant leurs rimes blêmes, 6+6 a
Ceux-ci vont arrangeantleur voyage en poëmes, 6+6 a
Et sur de grands tableauxfont de petits sonnets : 6+6 b
Artistes et dandys,roturiers, baronnets, 6+6 b
65 Chacun te tire aux dents,belle Italie antique, 6+6 a
Afin de remporterun pan de ta tunique ! 6+6 a
«Restons, car au retouron court risque souvent 6+6 b
De ne retrouver plusson vieux père vivant, 6+6 b
Et votre chien vous mord,ne sachant plus conntre 6+6 a
70 Dans l'étranger brunicelui qui fut son mtre : 6+6 a
Les cœurs qui vous étaientouverts se sont fermés, 6+6 b
D'autres en ont la clef,et, dans vos mieux aimés, 6+6 b
Il ne reste de vousqu'un vain nom qui s'efface. 6+6 a
Lorsque vous revenezvous n'avez plus de place : 6+6 a
75 Le monde vous viviezs'est arrangé sans vous, 6+6 b
Et l'on a divisévotre part entre tous. 6+6 b
Vous êtes comme un mortqu'on croit au cimetière, 6+6 a
Et qui, rompant un soirle linceul et la bière, 6+6 a
Retourne à sa maisoncroyant trouver encor 6+6 b
80 Sa femme tout en pleurset son coffre plein d'or ; 6+6 b
Mais sa femme a déjàcomblé la place vide, 6+6 a
Et son or est aux mainsd'un héritier avide ; 6+6 a
Ses amis sont changés,en sorte que le mort, 6+6 b
Voyant qu'il a mal faitet qu'il est dans son tort, 6+6 b
85 Ne demandera plusqu'à rentrer sous la terre 6+6 a
Pour dormir sans réveildans son lit solitaire. 6+6 a
C'est le monde. Le cœurde l'homme est plein d'oubli : 6+6 b
C'est une eau qui remueet ne garde aucun pli. 6+6 b
L'herbe pousse moins viteaux pierres de la tombe 6+6 a
90 Qu'un autre amour dans l'âme,et la larme qui tombe 6+6 a
N'est pas séchée encor,que la bouche sourit, 6+6 b
Et qu'aux pages du cœurun autre nom s'écrit. 6+6 b
«Restons pour être aimés,et pour qu'on se souvienne 6+6 a
Que nous sommes au monde ;il n'est amour qui tienne 6+6 a
95 Contre une longue absence :oh ! malheur aux absents ! 6+6 b
Les absents sont des mortset, comme eux, impuissants. 6+6 b
Dès qu'aux yeux bien aimésvotre vue est ravie, 6+6 a
Rien ne reste de vousqui prouve votre vie ; 6+6 a
Dès que l'on n'entend plusle son de votre voix, 6+6 b
100 Que l'on ne peut sentirle toucher de vos doigts, 6+6 b
Vous êtes mort ; vos traitsse troublent et s'effacent 6+6 a
Au fond de la mémoire,et d'autres les remplacent. 6+6 a
Pour qu'on lui soit fidèleil faut que le ramier 6+6 b
Ne quitte pas le nidet vive au colombier. 6+6 b
105 Restons au colombier.Après tout, notre France 6+6 a
Vaut bien ton Italie,et, comme dans Florence, 6+6 a
Rome, Naple ou Venise,on peut trouver ici 6+6 b
De beaux palais à voiret des tableaux aussi. 6+6 b
Nous avons des donjons,de vieilles cathédrales 6+6 a
110 Aussi haut que Saint-Pierreélevant leurs spirales ; 6+6 a
Notre-Dame tendantses deux grands bras en croix, 6+6 b
Saint-Severin dardantsa flèche entre les toits, 6+6 b
Et la Sainte-Chapelleaux minarets mauresques, 6+6 a
Et Saint-Jacques hurlantsous ses monstres grotesques ; 6+6 a
115 Nous avons de grands boiset des oiseaux chanteurs, 6+6 b
Des fleurs embaumant l'airde divines senteurs, 6+6 b
Des ruisseaux babillardsdans de belles prairies, 6+6 a
l'on peut suivre en paixses chères rêveries ; 6+6 a
Nous avons, nous aussi,des fruits blonds comme miel, 6+6 b
120 Des archipels d'argentaux flots de notre ciel, 6+6 b
Et ce qui ne se trouveen aucun lieu du monde, 6+6 a
Ce qui vaut mieux que tout,ô belle vagabonde, 6+6 a
Le foyer domestique,ineffable en douceurs, 6+6 b
Avec la mère au coinet les petites sœurs, 6+6 b
125 Et le chat familierqui se joue et se roule, 6+6 a
Et, pour hâter le tempsquand goutte à goutte il coule, 6+6 a
Quelques anciens amiscausant de vers et d'art, 6+6 b
Qui viennent de bonne heureet ne s'en vont que tard.» 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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