Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
GAU_5/GAU193
Théophile GAUTIER
POÉSIES DIVERSES, 1833-1838
Tome premier
édition Maurice Dreyfous
1833-1838
PENSÉE DE MINUIT
Une minute encor,madame, et cette année, 6+6 a
Commencée avec vous,avec vous terminée, 6+6 a
 Ne sera plus qu'un souvenir. 8 b
Minuit : voilà son glasque la pendule sonne, 6+6 c
5 Elle s'en est alléeen un lieu d' personne 6+6 c
 Ne peut la faire revenir : 8 b
Quelque part, loin, bien loin,par delà les étoiles. 6+6 a
Dans un pays sans nom,ombreux et plein de voiles. 6+6 a
 Sur le bord du néant jeté ; 8 b
10 Limbes de l'impalpable,invisible royaume 6+6 c
va ce qui n'a pasde corps ni de fantôme, 6+6 c
 Ce qui n'est rien ayant été ; 8 b
va le son, vale souffle, va la flamme, 6+6 a
La vision qu'en rêveon peoit avec l'âme, 6+6 a
15  L'amour de notre cœur chassé ; 8 b
La pensée inconnueéclose en notre tête ; 6+6 c
L'ombre qu'en s'y mirantdans la glace on projette ; 6+6 c
 Le présent qui se fait passé ; 8 b
Un à-compte d'un anpris sur les ans qu'à vivre 6+6 a
20 Dieu veut bien nous prêter ;une feuille du livre 6+6 a
 Tournée avec le doigt du temps ; 8 b
Une scène nouvelleà rajouter au drame, 6+6 c
Un chapitre de plusau roman dont la trame 6+6 c
 S'embrouille d'instants en instants ; 8 b
25 Un autre pas de faitdans cette route morne, 6+6 a
De la vie et du temps,dont la dernière borne, 6+6 a
 Proche ou lointaine, est un tombeau ; 8 b
l'on ne peut poserle pied qu'il ne s'enfonce ; 6+6 c
de votre bonheurtoujours à chaque ronce 6+6 c
30  Derrière vous reste un lambeau. 8 b
Du haut de cette annéeavec labeur gravie, 6+6 a
Me tournant vers ce moiqui n'est plus dans ma vie 6+6 a
 Qu'un souvenir presque effacé, 8 b
Avant qu'il ne se plongeau sein de l'ombre noire, 6+6 c
35 Je contemple un moment,des yeux de la mémoire, 6+6 c
 Le vaste horizon du passé. 8 b
Ainsi le voyageur,du haut de la colline, 6+6 a
Avant que tout à faitle versant qui s'incline 6+6 a
 Ne les dérobe à son regard, 8 b
40 Jette un dernier coup d'œilsur les campagnes bleues 6+6 c
Qu'il vient de parcourir,comptant combien de lieues 6+6 c
 Il a fait depuis son départ. 8 b
Mes ans évanouisà mes pieds se déploient 6+6 a
Comme une plaine obscure quelques points chatoient 6+6 a
45  D'un rayon de soleil frappés : 8 b
Sur les plans éloignésqu'un brouillard d'oubli cache, 6+6 c
Une époque, un détailnettement se détache 6+6 c
 Et revit à mes yeux trompés. 8 b
Ce qui fut moi jadism'appart : silhouette 6+6 a
50 Qui ne ressemble plusau moi qu'elle répète ; 6+6 a
 Portrait sans modèle aujourd'hui ; 8 b
Spectre dont le cadavreest vivant ; ombre morte 6+6 c
Que le passé ravitau présent qu'il emporte ; 6+6 c
 Reflet dont le corps s'est enfui. 8 b
55 J'hésite en me voyantdevant moi repartre, 6+6 a
Hélas ! et j'ai souventpeine à me reconntre 6+6 a
Sous ma figure d'autrefois. 8 b
Comme un homme qu'on mettout à coup en présence 6+6 c
De quelque ancien amidont l'âge et dont l'absence 6+6 c
60  Ont changé les traits et la voix. 8 b
Tant de choses depuispar cette pauvre tête, 6+6 a
Ont passé ! dans cette âmeet ce cœur de poëte, 6+6 a
 Comme dans l'aire des aiglons, 8 b
Tant d'œuvres que couval'aile de ma pensée 6+6 c
65 Se débattent, heurtantleur coquille brisée 6+6 c
 Avec leurs ongles déjà longs ! 8 b
Je ne suis plus le même :âme et corps, tout diffère ; 6+6 a
Hors le nom, rien de moin'est resté ; mais qu'y faire ? 6+6 a
 Marcher en avant, oublier. 8 b
70 On ne peut sur le tempsreprendre une minute, 6+6 c
Ni faire remonterun grain après sa chute 6+6 c
 Au fond du fatal sablier. 8 b
La tête de l'enfantn'est plus dans cette tête 6+6 a
Maigre, décolorée,ainsi que me l'ont faite 6+6 a
75  L'étude austère et les soucis. 8 b
Vous n'en trouveriez riensur ce front qui médite 6+6 c
Et dont quelque tourmenteintérieure agite 6+6 c
 Comme deux serpents les sourcils. 8 b
Ma joue était sans plis,toute rose, et ma lèvre 6+6 a
80 Aux coins toujours arquésriait ; jamais la fièvre 6+6 a
 N'en avait noirci le corail. 8 b
Mes yeux, vierges de pleurs,avaient des étincelles 6+6 c
Qu'ils n'ont plus maintenant,et leurs claires prunelles 6+6 c
 Doublaient le ciel dans leur émail. 8 b
85 Mon cœur avait mon âge,il ignorait la vie ; 6+6 a
Aucune illusion,amèrement ravie, 6+6 a
 Jeune, ne l'avait rendu vieux ; 8 b
Il s'épanouissaità toute chose belle, 6+6 c
Et, dans cette existenceencor pour lui nouvelle, 6+6 c
90  Le mal était bien, le bien mieux. 8 b
Ma poésie, enfantà la grâce ingénue, 6+6 a
Les cheveux dénoués,sans corset, jambe nue, 6+6 a
 Un brin de folle avoine en main, 8 b
Avec son collier fuitde perles de rosée, 6+6 c
95 Sa robe prismatiqueau soleil irisée, 6+6 c
 Allait chantant par le chemin. 8 b
Et puis l'âge est venuqui donne la science, 6+6 a
J'ai lu Werther, René,son frère d'alliance ; 6+6 a
 Ces livres, vrais poisons du cœur, 8 b
100 Qui déflorent la vieet nous dégtent d'elle, 6+6 c
Dont chaque mot vous porteune atteinte mortelle ; 6+6 c
 Byron et son don Juan moqueur. 8 b
Ce fut un dur réveil :ayant vu que les songes 6+6 a
Dont je m'étais bercén'étaient que des mensonges, 6+6 a
105  Les croyances, des hochets creux, 8 b
Je cherchai la gangrèneau fond de tout, et, comme 6+6 c
Je la trouvai toujours,je pris en haine l'homme, 6+6 c
 Et je devins bien malheureux. 8 b
La pensée et la formeont passé comme un rêve. 6+6 a
110 Mais que fait donc le tempsde ce qu'il nous enlève ? 6+6 a
 Dans quel coin du chaos met-il 8 b
Ces aspects oubliéscomme l'habit qu'on change, 6+6 c
Tous ces moi du même homme ?et quel royaume étrange 6+6 c
 Leur sert de patrie ou d'exil ? 8 b
115 Dieu seul peut le savoir ;c'est un profond mystère ; 6+6 a
Nous le saurons peut-êtreà la fin, car la terre 6+6 a
 Que la pioche jette au cercueil 8 b
Avec sa sombre voixexplique bien des choses ; 6+6 c
Des effets, dans la tombe,on comprend mieux les causes. 6+6 c
120  L'éternité commence au seuil. 8 b
L'on voit… Mais veuillez bienme pardonner, madame, 6+6 a
De vous entretenirde tout cela. Mon âme, 6+6 a
 Ainsi qu'un vase trop rempli, 8 b
Déborde, laissant choirmille vagues pensées, 6+6 c
125 Et ces ressouvenirsd'illusions passées 6+6 c
 Rembrunissent mon front pâli. 8 b
Eh ! que vous fait cela,dites-vous, tête folle, 6+6 a
De vous inquiéterd'une ombre qui s'envole ? 6+6 a
 Pourquoi donc vouloir retenir, 8 b
130 Comme un enfant mutin,sa mère par la robe, 6+6 c
Ce passé qui s'en va ?De ce qu'il vous dérobe 6+6 c
 Consolez-vous par l'avenir. 8 b
Regardez ; devant vousl'horizon est immense. 6+6 a
C'est l'aube de la vie,et votre jour commence ; 6+6 a
135  Le ciel est bleu, le soleil luit. 8 b
La route de ce mondeest pour vous une allée, 6+6 c
Comme celle d'un parc,pleine d'ombre et sablée : 6+6 c
 Marchez le temps vous conduit. 8 b
Que voulez-vous de plus ?tout vous rit, l'on vous aime. 6+6 a
140 Oh ! vous avez raison,je me le dis moi-même, 6+6 a
 L'avenir devrait m'être cher ; 8 b
Mais c'est en vain, hélas !que votre voix m'exhorte ; 6+6 c
Je rêve, et mon baiserà votre front avorte, 6+6 c
 Et je me sens le cœur amer. 8 b
mètre profils métriques : 8, 6+6
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