Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
GAU_5/GAU189
Théophile GAUTIER
POÉSIES DIVERSES, 1833-1838
Tome premier
édition Maurice Dreyfous
1833-1838
A UN JEUNE TRIBUN
Ami, vous avez beau,dans votre austérité, 6+6 a
N'estimer chaque objetque par l'utilité, 6+6 a
Demander tout d'abordà quoi tendent les choses 6+6 b
Et les analyserdans leurs fins et leurs causes ; 6+6 b
5 Vous avez beau vouloirvers ce pôle commun 6+6 a
Comme l'aiguille au nordfaire tourner chacun ; 6+6 a
Il est dans la nature,il est de belles choses, 6+6 b
Des rossignols oisifs,de paresseuses roses, 6+6 b
Des poëtes rêveurset des musiciens 6+6 a
10 Qui s'inquiètent peud'être bons citoyens, 6+6 a
Qui vivent au hasardet n'ont d'autre maxime, 6+6 b
Sinon que tout est bienpourvu qu'on ait la rime, 6+6 b
Et que les oiseaux bleus,penchant leurs cols pensifs, 6+6 a
Écoutent le récitde leurs amours naïfs. 6+6 a
15 Il est de ces espritsqu'une façon de phrase, 6+6 b
Un certain choix de motstient un jour en extase, 6+6 b
Qui s'enivrent de verscomme d'autres de vin 6+6 a
Et qui ne trouvent pasque l'art soit creux et vain. 6+6 a
D'autres seront éprisde la beauté du monde 6+6 b
20 Et du rayonnementde la lumière blonde ; 6+6 b
Ils resteront des moisassis devant des fleurs, 6+6 a
Tâchant de s'imprégnerde leurs vives couleurs ; 6+6 a
Un air de tête heureux,une forme de jambe, 6+6 b
Un reflet qui miroite,une flamme qui flambe, 6+6 b
25 Il ne leur faut pas pluspour les faire contents. 6+6 a
Qu'importent à ceux-làles affaires du temps 6+6 a
Et le grave soucides choses politiques ? 6+6 b
Quand ils ont vu quels plisfont vos blanches tuniques, 6+6 b
Et comment sont coupésvos cheveux blonds ou bruns, 6+6 a
30 Que leur font vos discours,magnanimes tribuns ? 6+6 a
Vos discours sont très-beaux,mais j'aime mieux des roses. 6+6 b
Les antiques Vénus,aux gracieuses poses, 6+6 b
Que l'on voit, étalantleur sainte nudité, 6+6 a
Réaliser en marbreun rêve de beauté, 6+6 a
35 Ont plus fait, à mon sens,pour le bonheur du monde, 6+6 b
Que tous ces vains travaux votre orgueil se fonde ; 6+6 b
Restez assis plutôtque de perdre vos pas. 6+6 a
Le lis ne file paset ne travaille pas ; 6+6 a
Il lui suffit d'avoirla blancheur éclatante, 6+6 b
40 Il jette son parfumet cela le contente. 6+6 b
Dans sa coupe il réserveaux voyageurs du ciel 6+6 a
Une perle de pluie,une goutte de miel, 6+6 a
Et la sylphide, au bald'Obéron invitée, 6+6 b
Se taille dans sa feuilleune robe argentée. 6+6 b
45 Qui de vous oseralui dire : Paresseux ! 6+6 a
Parce qu'il ne fait pasde chemises pour ceux 6+6 a
Qui, grelottant de froid,et les chairs toutes rouges, 6+6 b
Se cachent en hiversous la paille des bouges, 6+6 b
Et qu'il ne pétrit pasde ses doigts blancs du pain 6+6 a
50 A tous les malheureuxqui vont criant la faim ? 6+6 a
Qui donc dira cela,que toute chose belle, 6+6 b
Femme, musique ou fleur,ne porte pas en elle 6+6 b
Et son enseignementet sa moralité ? 6+6 a
Comment pourrons-nous croireà la Divinité 6+6 a
55 Si nous n'écoutons pasle rossignol qui chante, 6+6 b
Si nous n'en voyons pasune preuve touchante 6+6 b
Dans la suave odeurqu'envoie au ciel, le soir, 6+6 a
La fleur de la valléeavec son encensoir ? 6+6 a
Qui douterait de Dieudevant de belles femmes ? 6+6 b
60 Ah ! veillons sur nos cœurset fermons bien nos âmes, 6+6 b
Laissons tourner le mondeet les choses aller ; 6+6 a
Sans que nous la poussions,la terre peut rouler, 6+6 a
Et nous pouvons fort bienretirer notre épaule, 6+6 b
Sans faire choir le cielet déranger le pôle. 6+6 b
65 Se croire le pivotde la création 6+6 a
Est une erreur communeà toute ambition ; 6+6 a
L'on est persuadéqu'on est indispensable 6+6 b
Et l'on ne pèse pasle poids d'un grain de sable 6+6 b
Aux balances d'airaindes grands événements. 6+6 a
70 L'on tombe chaque jouren des étonnements 6+6 a
A voir quel peu d'écumeau torrent de l'abîme 6+6 b
Fait un homme jetéde la plus haute cime, 6+6 b
Et comme en peu de temps,pour grand qu'il ait passé, 6+6 a
Par le premier qui vienton le voit remplacé. 6+6 a
75 Nos agitationsne laissent pas de trace : 6+6 b
C'est la bulle sur l'eauqui crève et qui s'efface ; 6+6 b
En vain l'on se roidit.Toujours, d'un flot égal, 6+6 a
Le fleuve à travers toutcourt au gouffre fatal, 6+6 a
Et dans l'éternitémystérieuse et noire 6+6 b
80 Entrne ce gravierque l'on nomme l'histoire. 6+6 b
Quand votre nom seraitcreusé dans le rocher, 6+6 a
L'intarissable flotqui semble le lécher, 6+6 a
Ainsi qu'un chien soumisqui veut flatter son mtre, 6+6 b
De sa langue d'azurle fera dispartre, 6+6 b
85 Et, si profondémentqu'ait fouillé le ciseau, 6+6 a
Le rocher à coup sûrdurera moins que l'eau. 6+6 a
Et vous, mon jeune ami,tête sereine et blonde, 6+6 b
A la fleur de vos anspourquoi tenter une onde 6+6 b
Qui jamais n'a rendule vaisseau confié ? 6+6 a
90 retrouverez-vousle temps sacrifié, 6+6 a
Et ce qu'a de votre âmeemporté sur son aile 6+6 b
Des révolutionsla tempête éternelle ? 6+6 b
Pourquoi, tout en sueur,sous le soleil de plomb, 6+6 a
Le siroco soufflant,suivre un chemin si long, 6+6 a
95 Et traverser à piedce grand désert de prose, 6+6 b
Quand le ciel est d'un bleud'outremer, quand la rose 6+6 b
Offre candidementsa bouche à vos baisers, 6+6 a
A l'âge les bonheurssont tellement aisés, 6+6 a
Que c'en est un déjàd'être au monde et de vivre ? 6+6 b
100 De ses parfums ambrésle printemps vous enivre, 6+6 b
La fleur aux doux yeux bleusvous lorgne avec amour ; 6+6 a
Les oiseaux de leurs nidsvous donnent le bonjour, 6+6 a
Et la fée amoureuse,afin de vous séduire, 6+6 b
Se baigne devant vousdans la source, et fait luire 6+6 b
105 A travers les roseaux,sous le flot argentin, 6+6 a
Son épaule de nacreet son dos de satin. 6+6 a
Mais, sourd à tout celacomme un anachorète, 6+6 b
Vous foulez sans pitiéla pauvre violette ; 6+6 b
La fée en soupirantrattache ses cheveux, 6+6 a
110 Rouge d'avoir pour rienfait les premiers aveux, 6+6 a
Et reprend tristementses habits sur les branches. 6+6 b
Si vous aviez voulu,quatre licornes blanches 6+6 b
Au pays d'Avalonvous auraient emporté ; 6+6 a
Dans les tourelles d'ord'un palais enchanté 6+6 a
115 Vous auriez vu passervotre vie en doux rêves : 6+6 b
Mais non ; sur les cailloux,sur le sable des grèves, 6+6 b
Sur les éclats de verreet les tessons cassés, 6+6 a
A travers les débrisdes trônes renversés, 6+6 a
Vous avez préféré,faussant votre nature, 6+6 b
120 Pieds nus et dans la nuit,marcher à l'aventure ; 6+6 b
Vous avez oubliéles sentiers d'autrefois, 6+6 a
Et vous ne suivez plusla rêverie au bois : 6+6 a
Tout ce qui vous charmaitvous semble choses vaines ; 6+6 b
Vous fermez votre oreilleau babil des fontaines, 6+6 b
125 Et diriez volontiers :Silence ! au rossignol. 6+6 a
Le front tout soucieuxet penché vers le sol, 6+6 a
Vous passez sans répondreau gai salut des merles. 6+6 b
donc est-il ce temps vous comptiez les perles 6+6 b
Et les beaux diamantsaux éclairs diaprés 6+6 a
130 Que répand le matinsur le velours des prés ? 6+6 a
Avec un soin plus grandque pour des pierres fines, 6+6 b
Vous enleviez aux fleursles gouttes argentines ; 6+6 b
Vous preniez pour cordonun brin de ce fil blanc 6+6 a
Que la Vierge des cieuxlaisse choir en filant, 6+6 a
135 Et vous en composiez,enfantines merveilles, 6+6 b
Des colliers à trois rangset des pendants d'oreilles. 6+6 b
Quel crime ont donc commisces chers coquelicots, 6+6 a
Qui, passant leur front rougeentre les blés égaux, 6+6 a
Au revers du sillon,de leurs petites langues, 6+6 b
140 Vous faisaient autrefoisde si belles harangues ? 6+6 b
De votre négligenceils sont tout attristés 6+6 a
Et se plaignent au ventde n'être plus chantés. 6+6 a
C'est en vain que juilletles convie à sa fête ; 6+6 b
Ainsi que des vieillardsils vont courbant la tête, 6+6 b
145 Et s'ils pouvaient noircirils se mettraient en deuil. 6+6 a
Les bluets désolésont tous la larme à l'œil, 6+6 a
Car ils vous pensent mortet ne peuvent pas croire 6+6 b
Que vous ayez perdusi vite la mémoire 6+6 b
Des entretiens naïfset des charmants amours 6+6 a
150 Que vous aviez ensembleau midi des beaux jours ! 6+6 a
Ami, vous étiez faitpour chanter sous le hêtre, 6+6 b
Comme le doux bergerque Mantoue a vu ntre, 6+6 b
La blonde Amaryllisen couplets alternés. 6+6 a
De sauvages odeursvos vers tout imprégnés 6+6 a
155 Sentent le serpolet,le thym et la framboise ; 6+6 b
A vos molles chansonsle bouvreuil s'apprivoise, 6+6 b
Et, tout émerveillé,du sommeil des ormeaux 6+6 a
Descend de branche en brancheet vient sur vos pipeaux. 6+6 a
Ne faites pas sortirle tonnerre des Gracques 6+6 b
160 D'une bouche forméeaux chants élégiaques ; 6+6 b
Laissez cette besogneaux orateurs braillards, 6+6 a
Qui, le pied sur la borneet les cheveux épars, 6+6 a
Jurent à six gredins,tout grouillants de vermine, 6+6 b
Qu'ils ont vraiment sauvéRome de la ruine. 6+6 b
165 Rome se sauveratoute seule très-bien ; 6+6 a
Ses destins sont écritset nous n'y ferons rien. 6+6 a
Qui pourrait enrayerla fortune et sa roue ? 6+6 b
Que le char de l'États'enfonce dans la boue, 6+6 b
Ou, par les rangs pressésde ce bétail humain, 6+6 a
170 S'ouvre, en les écrasant,un plus large chemin, 6+6 a
Nous trouverons toujoursdans l'ombre et sur la mousse 6+6 b
Quelque petit sentier,par une pente douce, 6+6 b
Regagnant le sommetd'un coteau séparé, 6+6 a
D' l'œil se perd au fondd'un lointain azuré ; 6+6 a
175 Et nous attendrons làque notre jour arrive, 6+6 b
Voyant de haut la merse briser à la rive, 6+6 b
Et les vaisseaux là-baspalpiter sous le vent. 6+6 a
La Mort n'a pas besoinque l'on aille au-devant ; 6+6 a
Marchands, hommes de guerre,orateurs et poëtes, 6+6 b
180 La Mort, de tout cela,fait de pareils squelettes ; 6+6 b
Pour sa gerbe elle prendl'épi comme la fleur, 6+6 a
Et ne respecte rien,ni forme ni couleur ; 6+6 a
Elle va, du coupantde sa courbe faucille, 6+6 b
Jetant bas le vieillardavec la jeune fille ; 6+6 b
185 Elle fauche le champde l'un à l'autre bout, 6+6 a
Et dans son grenier noirelle serre le tout. 6+6 a
A quoi bon s'efforcerjusques à perdre haleine, 6+6 b
Courir à droite, à gauche,et prendre tant de peine, 6+6 b
Quand peut-être le fer,près de notre sillon, 6+6 a
190 Se balance et fait luireun sinistre rayon ? 6+6 a
Quelle chose est utileen ce monde nous sommes ? 6+6 b
Et, quand la vieille a misen tas ses gerbes d'hommes, 6+6 b
Qui peut dire lequelétait Napoléon 6+6 a
Ou l'obscur amoureuxdes roses du vallon ? 6+6 a
195 Qui le décidera ?L'existence est un songe 6+6 b
rien n'est sûr, sinonque le même ver ronge 6+6 b
Le corps du citoyenutile et positif 6+6 a
Et le corps du rêveuret du poëte oisif. 6+6 a
Entre la fleur qui s'ouvreet le cerveau qui pense, 6+6 b
200 Entre néant et rienquelle est la différence ? 6+6 b
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