Métrique en Ligne
GAU_5/GAU184
Théophile GAUTIER
POÉSIES DIVERSES, 1833-1838
Tome premier
édition Maurice Dreyfous
1833-1838
APRÈS LE BAL
Adieu, puisqu'il le faut, adieu, belle nuit blanche, 6+6 a
Nuit d'argent, plus sereine et plus douce qu'un jour ! 6+6 b
Ton page noir est là, qui, le poing sur la hanche, 6+6 a
Tient ton cheval en bride et t'attend dans la cour. 6+6 b
5 Aurora, dans le ciel que brunissaient tes voiles, 6+6 a
Entr'ouvre ses rideaux avec ses doigts rosés ; 6+6 b
O nuit, sous ton manteau tout parsemé d'étoiles, 6+6 a
Cache tes bras de nacre au vent froid exposés. 6+6 b
Le bal s'en va finir. Renouez, heures brunes, 6+6 a
10 Sur vos fronts parfumés vos longs cheveux de jais. 6+6 b
N'entendez-vous pas l'aube aux rumeurs importunes 6+6 a
Oui halète à la porte et souffle son air frais ? 6+6 b
Le bal est enterré. Cavaliers et danseuses, 6+6 a
Sur la tombe du bal jetez à pleines mains 6+6 b
15 Vos colliers défilés, vos parures soyeuses, 6+6 a
Vos blancs camélias et vos pâles jasmins. 6+6 b
Maintenant c'est le jour. La veille après le rêve ; 6+6 a
La prose après les vers : c'est le vide et l'ennui ; 6+6 b
C'est une bulle encor qui dans les mains nous crève, 6+6 a
20 C'est le plus triste jour de tous, c'est aujourd'hui. 6+6 b
O Temps ! que nous voulons tuer et qui nous tues, 6+6 a
Vieux porte-faux, pourquoi vas-tu traînant le pied, 6+6 b
D'un pas lourd et boiteux, comme vont les tortues, 6+6 a
Quand sur nos fronts blêmis le spleen anglais s'assied ? 6+6 b
25 Et lorsque le bonheur nous chante sa fanfare, 6+6 a
Vieillard malicieux, dis-moi, pourquoi cours-tu 6+6 b
Comme devant les chiens court un cerf qui s'effare, 6+6 a
Comme un cheval que fouille un éperon pointu ? 6+6 b
Hier, j'étais heureux. J'étais ! Mot doux et triste ! 6+6 a
30 Le bonheur est l'éclair qui fuit sans revenir. 6+6 b
Hélas ! et pour ne pas oublier qu'il existe, 6+6 a
Il le faut embaumer avec le souvenir. 6+6 b
J'étais ; je ne suis plus ; toute la vie humaine 6+6 a
Résumée en deux mots, de l'onde et puis du vent. 6+6 b
35 Mon Dieu ! n'est-il donc pas de chemin qui ramène 6+6 a
Au bonheur d'autrefois regretté si souvent ? 6+6 b
Derrière nous le sol se crevasse et s'effondre. 6+6 a
Nul ne peut retourner. Comme un maigre troupeau 6+6 b
Que l'on mène au boucher, ne pouvant plus le tondre, 6+6 a
40 La vieille Mob nous pousse à grand train au tombeau. 6+6 b
Certe, en mes jeunes ans, plus d'un bal doit éclore, 6+6 a
Plein d'or et de flambeaux, de parfums et de bruit, 6+6 b
Et mon cœur effeuillé peut refleurir encore ; 6+6 a
Mais ce ne sera pas mon bal de l'autre nuit. 6+6 b
45 Car j'étais avec toi. Tous deux seuls dans la foule, 6+6 a
Nous faisant dans notre âme une chaste oasis, 6+6 b
Et, comme deux enfants au bord d'une eau qui coule, 6+6 a
Voyant onder le bal, l'un contre l'autre assis. 6+6 b
Je ne pouvais savoir, sous le satin du masque, 6+6 a
50 De quelle passion ta figure vivait, 6+6 b
Et ma pensée, au vol amoureux et fantasque, 6+6 a
Réalisait en toi tout ce qu'elle rêvait. 6+6 b
Je nuançais ton front des pâleurs de l'agate, 6+6 a
Je posais sur ta bouche un sourire charmant, 6+6 b
55 Et sur ta joue en fleur la pourpre délicate 6+6 a
Qu'en s'envolant au ciel laisse un baiser d'amant. 6+6 b
Et peut-être qu'au fond de ta noire prunelle 6+6 a
Une larme brillait au lieu d'éclair joyeux, 6+6 b
Et, comme sous la terre une onde qui ruisselle, 6+6 a
60 S'écoulait sous le masque invisible à mes yeux. 6+6 b
Peut-être que l'ennui tordait ta lèvre aride, 6+6 a
Et que chaque baiser avait mis sur ta peau, 6+6 b
Au lieu de marque rose, une tache livide 6+6 a
Comme on en voit aux corps qui sont dans le tombeau. 6+6 b
65 Car si la face humaine est difficile à lire, 6+6 a
Si déjà le front nu ment à la passion, 6+6 b
Qu'est-ce donc, quand le masque est double ? Comment dire 6+6 a
Si vraiment la pensée est sœur de l'action ? 6+6 b
Et cependant, malgré cette pensée amère, 6+6 a
70 Tu m'as laissé, cher bal, un souvenir charmant ; 6+6 b
Jamais rêvé d'été, jamais blonde chimère, 6+6 a
Ne m'ont entre leurs bras bercé plus mollement. 6+6 b
Je crois entendre encor tes rumeurs étouffées, 6+6 a
Et voir devant mes yeux, sous ta blanche lueur, 6+6 b
75 Comme au sortir du bain, les péris et les fées, 6+6 a
Luire des seins d'argent et des cols en sueur. 6+6 b
Et je sens sur ma bouche une amoureuse haleine, 6+6 a
Passer et repasser comme une aile d'oiseau, 6+6 b
Plus suave en odeur que n'est la marjolaine 6+6 a
80 Ou le muguet des bois au temps du renouveau. 6+6 b
O nuit ! aimable nuit ! sœur de Luna la blonde, 6+6 a
Je ne veux plus servir qu'une déesse au ciel, 6+6 b
Endormeuse des maux et des soucis du monde ; 6+6 a
J'apporte à ta chapelle un pavot et du miel. 6+6 b
85 Nuit, mère des festins, mère de l'allégresse, 6+6 a
Toi qui prêtes le pan de ton voile à l'Amour, 6+6 b
Fais-moi, sous ton manteau, voir encor ma maîtresse, 6+6 a
Et je brise l'autel d'Apollo dieu du jour. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite périodique
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