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| = césure
GAU_5/GAU178
Théophile GAUTIER
POÉSIES DIVERSES, 1833-1838
Tome premier
édition Maurice Dreyfous
1833-1838
LE TRIOMPHE DE PÉTRARQUE
A LOUIS BOULANGER
Il faisait nuit dans moi, nuit sans lune, nuit sombre ; 6+6 a
Je marchais en aveugle et tâtant le chemin, 6+6 b
Les deux bras en avant, le long des murs, dans l'ombre. 6+6 a
Mon conducteur céleste avait quitté ma main ; 6+6 b
5 J'avais beau me tourner vers l'étoile polaire, 6+6 c
Un nuage éteignait ses prunelles d'or fin. 6+6 b
La bella, la diva, celle qui m'a su plaire, 6+6 c
La noble dame à qui j'ai donné mon amour, 6+6 a
Hélas ! m'avait ô son appui tutélaire. 6+6 c
10 Béatrix dans les cieux avait fui sans retour, 6+6 a
Et moi, resté tout seul au seuil du purgatoire, 6+6 b
Je ne pouvais voler aux lieux d'où vient le jour. 6+6 a
A coup sûr tu n'auras aucune peine à croire 6+6 b
Quel deuil j'avais au cœur et quel chagrin amer 6+6 c
15 D'être ainsi confi dans la demeure noire. 6+6 b
Sur ma tête pesait la coupole de fer, 6+6 c
Et je sentais partout, comme une mer glae, 6+6 a
Autour de mon essor prendre et se durcir l'air. 6+6 c
Mes efforts étaient vains, et ma triste pene, 6+6 a
20 Comme fait dans sa cage un captif impuissant, 6+6 b
Fouettait le mur d'airain de son aile brie. 6+6 a
Je montai l'escalier d'un pas lourd et pesant, 6+6 b
Et, quand s'ouvrit la porte, un torrent de lumière 6+6 c
M'inonda de splendeur, tel qu'un flot jaillissant. 6+6 b
25 Sur mon œil ébloui palpitait ma paupière 6+6 c
Comme une aile d'oiseau quand il va pour voler ; 6+6 a
On m'eut pris, à me voir, pour un homme de pierre. 6+6 c
Je demeurai longtemps sans pouvoir te parler, 6+6 a
Plongeant mes yeux ravis au fond de ta peinture 6+6 b
30 Qu'un rayon de soleil faisait étinceler. 6+6 a
Comme sur un balcon, une riche tenture 6+6 b
Pendait du haut du ciel, un beau ton d'outremer 6+6 c
Plus vif que nul saphir dans l'écrin de nature. 6+6 b
Quelques nuages chauds, sous les frissons de l'air, 6+6 c
35 Se crêpaient mollement et faisaient une frange 6+6 a
Aussi blonde que l'or au manteau de l'éther. 6+6 c
Sur le sable éclatant, plus jaune que l'orange, 6+6 a
Les grands pins balançant leur large parasol 6+6 b
Avec l'ombre agitaient leur silhouette étrange. 6+6 a
40 Une grêle de fleurs jonchait partout le sol, 6+6 b
Et l'on eût dit, au bout de leurs tiges pliantes, 6+6 c
Des papillons peureux suspendus dans leur vol. 6+6 b
Sous leurs robes d'azur aux lignes ondoyantes, 6+6 c
Le ciel et l'horizon dans un baiser charmant 6+6 a
45 Fondaient avec amour leurs lèvres souriantes. 6+6 c
Le printemps parfumé, beau comme un jeune amant, 6+6 a
Avec ses bras de lis environnant la terre, 6+6 b
Aux avances des fleurs répondait doucement. 6+6 a
Afin de célébrer le solennel mystère, 6+6 b
50 La nature avait mis son plus riche manteau, 6+6 c
Les éléments joyeux faisaient trêve à leur guerre. 6+6 b
O miracle de l'art ! ô puissance du beau ! 6+6 c
Je sentais dans mon cœur se redresser mon âme 6+6 a
Comme au troisième jour le Christ dans son tombeau. 6+6 c
55 L'ombre se dissipait. La belle et noble dame, 6+6 a
Tendant ses blanches mains du fond des cieux ouverts, 6+6 b
M'engageait à monter par l'escalier de flamme. 6+6 a
Les bouvreuils réjouis sifflaient leurs plus beaux airs ; 6+6 b
Tout riait, tout chantait, tout palpitait des ailes, 6+6 c
60 Et les échos charmés disaient des fins de vers. 6+6 b
Beau cygne italien, roi des amours fidèles, 6+6 c
Poëte aux rimes d'or, dont le chant triste et doux 6+6 a
Semble un roucoulement de blanches tourterelles ; 6+6 c
Figure à l'air pensif, et toujours à genoux, 6+6 a
65 Les mains jointes devant ton idole muette, 6+6 b
Te voilà donc vivante et revenue à nous ! 6+6 a
Je te reconnais bien ; oui, c'est bien toi, poëte ; 6+6 b
Le camail écarlate encadre ton front pur 6+6 c
Et marque austèrement l'ovale de ta tête. 6+6 b
70 Tes yeux semblent chercher dans le fluide azur 6+6 c
Les yeux clairs et luisants de ta mtresse blonde, 6+6 a
Pour en faire un soleil qui rende l'autre obscur. 6+6 c
Car tu n'as qu'une idée et qu'un amour au monde ; 6+6 a
Tout l'univers pour toi pivote sur un nom. 6+6 b
75 Et le reste n'est rien que boue et fange immonde. 6+6 a
Sous le laurier mystique et le divin rayon, 6+6 b
Tu t'avances tr par l'éclatant quadrige, 6+6 c
Entre la rêverie et l'inspiration. 6+6 b
Un chœur harmonieux autour de toi voltige : 6+6 c
80 C'est la chaste Uranie avec son globe bleu, 6+6 a
Penchant son front rêveur comme un lis sur sa tige ; 6+6 c
Euterpe, Polymnie, un sein nu, l'œil en feu ; 6+6 a
C'est Clio, belle et simple en son manteau sévère ; 6+6 b
Tout le sacré troupeau qui te suit comme un dieu. 6+6 a
85 Les Grâces, dénouant leur ceinture légère, 6+6 b
Dansent derrière toi, sur le char triomphal ; 6+6 c
A l'égal d'un César le monde te révère. 6+6 b
A ta suite l'on voit l'orgueilleux cardinal, 6+6 c
Comme un pavot qui brille à travers l'or des gerbes, 6+6 a
90 D'écarlate et d'hermine inonder son cheval. 6+6 c
Rien n'y manque… Seigneurs blasonnés et superbes, 6+6 a
Prêtres, marchands, soldats, professeurs, écoliers, 6+6 b
Les vieillards tout chenus, et les pages imberbes ; 6+6 a
De beaux jeunes garçons et de blonds écuyers 6+6 b
95 Soufflent allégrement aux bouches des trompettes, 6+6 c
Et suspendent leurs bras aux crins blancs des coursiers, 6+6 b
Sur le devant du char les filles les mieux faites, 6+6 c
Les plus charmantes fleurs du jardin de beauté, 6+6 a
Font de leurs doigts de lis pleuvoir les violettes. 6+6 c
100 Tu viens du Capitole où César est monté. 6+6 a
Cependant tu n'as pas, ô bon François Pétrarque, 6+6 b
Mis pour ceinture au monde un fleuve ensanglanté. 6+6 a
Tu n'as pas, de tes dents, pour y laisser ta marque, 6+6 b
Comme un enfant mauvais, mordu ta ville au sein. 6+6 c
105 Tu n'as jamais flatté ni peuple ni monarque. 6+6 b
Jamais on ne te vit, en guise de tocsin, 6+6 c
Sur l'Italie en feu faire hurler tes rimes ; 6+6 a
Ton rôle fut toujours pacifique et serein. 6+6 c
Loin des cités, l'auberge et l'atelier des crimes, 6+6 a
110 Tu regardes, couché sous les grands lauriers verts, 6+6 b
Des Alpes tout là-bas bleuir les hautes cimes ; 6+6 a
Et, penchant tes doux yeux sur la source aux flots clairs 6+6 b
Où flotte un blanc reflet de la robe de Laure, 6+6 c
Avec les rossignols tu gazouilles des vers. 6+6 b
115 Car toujours dans ton cœur vibre un écho sonore, 6+6 c
Et toujours sur ta bouche on entend palpiter 6+6 a
Quelque nid de sonnets éclos ou près d'éclore. 6+6 c
Rêveur harmonieux, tu fais bien de chanter : 6+6 a
C'est là le seul devoir que Dieu donne aux poëtes, 6+6 b
120 Et le monde à genoux les devrait écouter. 6+6 a
Lorsqu'Amphion chantait, du creux de leurs retraites 6+6 b
Les tigres tachetés et les grands lions roux 6+6 c
Sortaient en balançant leurs monstrueuses têtes ; 6+6 b
Les dragons s'en venaient, d'un air timide et doux, 6+6 c
125 De leur langue d'azur lécher ses pieds d'ivoire, 6+6 a
Et les vents suspendaient leur vol et leur courroux. 6+6 c
Faire sortir les ours de leur caverne noire, 6+6 a
En agneaux caressants transformer les lions, 6+6 b
O poëtes ! voi la véritable gloire ; 6+6 a
130 Et non pas de pousser à des rébellions 6+6 b
Tous ces mauvais instincts, bêtes fauves de l'âme, 6+6 c
Que l'on déchaîne au jour des révolutions. 6+6 b
Sur l'autel idéal entretenez la flamme, 6+6 c
Guidez le peuple au bien par le chemin du beau, 6+6 a
135 Par l'admiration et l'amour de la femme. 6+6 c
Comme un vase d'albâtre où l'on cache un flambeau, 6+6 a
Mettez l'idée au fond de la forme sculptée, 6+6 b
Et d'une lampe ardente éclairez le tombeau. 6+6 a
Que votre douce voix, de Dieu même écoue, 6+6 b
140 Au milieu du combat jetant des mots de paix, 6+6 c
Fasse tomber les flots de la foule irrie. 6+6 b
Que votre poésie, aux vers calmes et frais, 6+6 c
Soit pour les cœurs souffrants comme ces cours d'eau vive 6+6 a
Où vont boire les cerfs dans l'ombre des forêts. 6+6 c
145 Faites de la musique avec la voix plaintive 6+6 a
De la création et de l'humanité, 6+6 b
De l'homme dans la ville et du flot sur la rive. 6+6 a
Puis, comme un beau symbole, un grand peintre van 6+6 b
Vous représentera dans une immense toile, 6+6 c
150 Sur un char triomphal par un peuple escorté : 6+6 b
Et vous aurez au front la couronne et l'étoile ! 6+6 c
mètre profil métrique : 6+6
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