Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
GAU_3/GAU107
Théophile GAUTIER
ALBERTUS OU L'ÂME ET LE PÉCHÉ
1833
ALBERTUS OU L'ÂME ET LE PÉCHÉ
légende théologique
You shall see anon. 'Tis a knavish
piece of work
HAMLET III, 2.
I
Sur le bord d'un canal profond dont les eaux vertes 6+6 a
Dorment, de nénufars et de bateaux couvertes, 6+6 a
Avec ses toits aigus, ses immenses greniers, 6+6 b
Ses tours au front d'ardoise où nichent les cigognes, 6+6 c
5 Ses cabarets bruyants qui regorgent d'ivrognes, 6+6 c
Est un vieux bourg flamand tel que les peint teniers. 6+6 b
— Vous reconnaissez-vous ? — tenez, voilà le saule, 6+6 d
De ses cheveux blafards inondant son épaule 6+6 d
Comme une fille au bain ; l'église et son clocher, 6+6 e
10 L'étang où des canards se pavane l'escadre ; 6+6 f
Il ne manque vraiment au tableau que le cadre 6+6 f
Avec le clou pour l'accrocher. 8 e
II
Confort et far-niente ! — toute une poésie 6+6 a
De calme et de bien-être, à donner fantaisie 6+6 a
15 De s'en aller là-bas être flamand ; d'avoir 6+6 b
La pipe culottée et la cruche à fleurs peintes, 6+6 c
Le vidrecome large à tenir quatre pintes, 6+6 c
Comme en ont les buveurs de Brauwer, et le soir 6+6 b
Près du poêle qui siffle et qui détonne, au centre 6+6 d
20 D'un brouillard de tabac, les deux mains sur le ventre, 6+6 d
Suivre une idée en l'air, dormir ou digérer, 6+6 e
Chanter un vieux refrain, porter quelque rasade, 6+6 f
Au fond d'un de ces chauds intérieurs, qu'Ostade 6+6 f
D'un jour si doux sait éclairer ! 8 e
III
25 À vous faire oublier, à vous, peintre et poëte, 6+6 a
Ce pays enchanté dont la mignon de Goethe, 6+6 a
Frileuse, se souvient, et parle à son Wilhem ; 6+6 b
Ce pays du soleil où les citrons mûrissent, 6+6 c
Où de nouveaux jasmins toujours s'épanouissent : 6+6 c
30 Naples pour Amsterdam, le lorrain pour Berghem ; 6+6 b
À vous faire donner pour ces murs verts de mousses 6+6 d
Où Rembrandt, au milieu de ces ténèbres rousses, 6+6 d
Fait luire quelque Faust en son costume ancien, 6+6 e
Les beaux palais de marbre aux blanches colonnades, 6+6 f
35 Les femmes au teint brun, les molles sérénades, 6+6 f
Et tout l'azur vénitien ! 8 e
IV
Dans ce bourg autrefois vivait, dit la chronique, 6+6 a
Une méchante femme ayant nom Véronique ; 6+6 a
Chacun la redoutait, et répétait tout bas 6+6 b
40 Qu'on avait entendu des murmures étranges 6+6 c
Autour de sa demeure, et que de mauvais anges 6+6 c
Venaient pendant la nuit y prendre leurs ébats. 6+6 b
— C'étaient des bruits sans nom inconnus à l'oreille, 6+6 d
Comme la voix d'un mort qu'en sa tombe réveille 6+6 d
45 Une évocation ; de sourds vagissements 6+6 e
Sortant de dessous terre, et des rumeurs lointaines, 6+6 f
Des chants, des cris, des pleurs, des cliquetis de chaînes, 6+6 f
D'épouvantables hurlements. 8 e
V
Même dame Gertrude avait un jour d'orage 6+6 a
50 Vu de ses propres yeux, du milieu d'un nuage, 6+6 a
À cheval sur la foudre un démon noir sortir, 6+6 b
Traverser le ciel rouge, et dans la cheminée, 6+6 c
De bleuâtres vapeurs soudain environnée, 6+6 c
La tête la première en hurlant s'engloutir. 6+6 b
55 La grange du fermier Justus Van Eyck s'embrase 6+6 d
Sans qu'on puisse l'éteindre, et par sa chute écrase, 6+6 d
Avalanche de feu, quatre des travailleurs. 6+6 e
Des gens dignes de foi jurent que Véronique 6+6 f
Se trouvait là, riant d'un rire sardonique, 6+6 f
60 Et grommelant des mots railleurs ! 8 e
VI
La femme du brasseur Cornelis met au monde, 6+6 a
Avant terme, un enfant couvert d'un poil immonde, 6+6 a
Et si laid que son père eût voulu le voir mort. 6+6 b
— On dit que Véronique avait sur l'accouchée 6+6 c
65 Depuis ce temps malade, et dans son lit couchée, 6+6 c
Par un mystère noir jeté ce mauvais sort. 6+6 b
Au reste, tous ces bruits, son air sauvage et louche 6+6 d
Les justifiait bien. — œil vert, profonde bouche, 6+6 d
Dents noires, front coupé de rides, doigts noueux, 6+6 e
70 Dos voûté, pied tortu sous une jambe torse, 6+6 f
Voix rauque, âme plus laide encor que son écorce, 6+6 f
Le diable n'est pas plus hideux. 8 e
VII
Cette vieille sorcière habitait une hutte, 6+6 a
Accroupie au penchant d'un maigre tertre, en butte 6+6 a
75 L'été comme l'hiver au choc des quatre vents ; 6+6 b
Le chardon aux longs dards, l'ortie et le lierre 6+6 c
S'étendent à l'entour en nappe irrégulière ; 6+6 c
L'herbe y pend à foison ses panaches mouvants, 6+6 b
Par les fentes du toit, par les brèches des voûtes 6+6 d
80 Sans obstacle passant, la pluie à larges gouttes 6+6 d
Inonde les planchers moisis et vermoulus. 6+6 e
À peine si l'on voit dans toute la croisée 6+6 f
Une vitre sur trois qui ne soit pas brisée, 6+6 f
Et la porte ne ferme plus. 8 e
VIII
85 La limace baveuse argente la muraille 6+6 a
Dont la pierre se gerce et dont l'enduit s'éraille ; 6+6 a
Les lézards verts et gris se logent dans les trous, 6+6 b
Et l'on entend le soir sur une note haute 6+6 c
Coasser tout auprès la grenouille qui saute, 6+6 c
90 Et râler aigrement les crapauds à l'œil roux. 6+6 b
— Aussi, pendant les soirs d'hiver, la nuit venue, 6+6 d
Surtout quand du croissant une ouateuse nue 6+6 d
Emmaillotte la corne en un flot de vapeur, 6+6 e
Personne, — non pas même Eisenbach le ministre, — 6+6 f
95 N'ose passer devant ce repaire sinistre 6+6 f
Sans trembler et blêmir de peur. 8 e
IX
De ces dehors riants l'intérieur est digne : 6+6 a
Un pandémonium ! Où sur la même ligne, 6+6 a
Se heurtent mille objets fantasquement mêlés. 6+6 b
100 — Maigres chauves-souris aux diaphanes ailes, 6+6 c
Se cramponnant au mur de leurs quatre ongles frêles, 6+6 c
Bouteilles sans goulot, plats de terre fêlés, 6+6 b
Crocodiles, serpents empaillés, plantes rares, 6+6 d
Alambics contournés en spirales bizarres, 6+6 d
105 Vieux manuscrits ouverts sur un fauteuil bancal, 6+6 e
Fœtus mal conservés saisissant d'une lieue 6+6 f
L'odorat, et collant leur face jaune et bleue 6+6 f
Contre le verre du bocal ! 8 e
X
Véritable sabbat de couleurs et de formes, 6+6 a
110 Où la cruche hydropique, avec ses flancs énormes, 6+6 a
Semble un hippopotame, et la fiole au grand cou, 6+6 b
L'ibis égyptien au bord du sarcophage 6+6 c
De quelque pharaon ou d'un ancien roi mage ; 6+6 c
Ivresse d'opium et vision de fou, 6+6 b
115 Où les récipients, matras, siphons et pompes, 6+6 d
Allongés en phallus ou tortillés en trompes, 6+6 d
Prennent l'air d'éléphants et de rhinocéros, 6+6 e
Où les monstres tracés autour du zodiaque, 6+6 f
Portant écrit au front leur nom en syriaque, 6+6 f
120 Dansent entre eux des boléros ! 8 e
XI
Poudreux entassement de machines baroques 6+6 a
Dont l'œil ne peut saisir les contours équivoques, 6+6 a
Et de bouquins, sans titre en langage chrétien ! 6+6 b
Tohu-bohu ! Chaos où tout fait la grimace, 6+6 c
125 Se déforme, se tord, et prend une autre face ; 6+6 c
Glace vue à l'envers où l'on ne connaît rien, 6+6 b
Car tout est transposé. Le rouge y devient fauve, 6+6 d
Le blanc noir, le noir bleu ; jamais sous une alcôve 6+6 d
Smarra n'a dessiné de fantômes plus laids. 6+6 e
130 C'est la réalité des contes fantastiques, 6+6 f
C'est le type vivant des songes drôlatiques ; 6+6 f
C'est Hoffmann, et c'est Rabelais ! 8 e
XII
Pour rendre le tableau complet, au bord des planches 6+6 a
Quelques têtes de morts vous apparaissent blanches, 6+6 a
135 Avec leurs crânes nus, avec leurs grandes dents, 6+6 b
Et leurs nez faits en trèfle et leurs orbites vides 6+6 c
Qui semblent vous couver de leurs regards avides. 6+6 c
Un squelette debout et les deux bras pendants, 6+6 b
Au gré du jour qui passe au treillis de ses côtes, 6+6 d
140 Que du sépulcre à peine ont désertés les hôtes, 6+6 d
Jette son ombre au mur en linéaments droits. 6+6 e
En entrant là, Satan, bien qu'il soit hérétique, 6+6 f
D'épouvante glacé, comme un bon catholique 6+6 f
Ferait le signe de la croix. 8 e
XIII
145 Et pourtant cet enfer est un ciel pour l'artiste. 6+6 a
Teniers à cette source a pris son alchimiste, 6+6 a
Callot bien des motifs de sa tentation ; 6+6 b
Goethe a tiré de là la scène tout entière 6+6 c
Où Méphistophélès mène chez la sorcière 6+6 c
150 Faust, qui veut rajeunir, boire la potion. 6+6 b
— L'illustre baronnet sir Walter Scott lui-même 6+6 d
(Jedediah Cleishbotham) y puisa plus d'un thème. 6+6 d
— Ce type qu'il répète infatigablement, 6+6 e
Meg de Guy Mannering, ressemble à s'y méprendre 6+6 f
155 À notre Véronique, — il n'a fait que la prendre 6+6 f
Et déguiser le vêtement. 8 e
XIV
Le plaid bariolé de tartan et la toque 6+6 a
Dissimulent la jupe et le béguin à coque. 6+6 a
L'écosse a remplacé la Flandre ; — voilà tout. 6+6 b
160 Ensuite il m'a volé, l'infâme plagiaire, 6+6 c
Cette description (voyez son antiquaire), 6+6 c
Le chat noir, — Marius sur ces restes debout ! — 6+6 b
Et mille autres détails. Je le jurerais presque, 6+6 d
Celui que fit l'hymen du sublime au grotesque, 6+6 d
165 Créa Bug, Han, Cromwell, notre-dame, Hernani, 6+6 e
Dans cette hutte même a ciselé ces masques 6+6 f
Que l'on croirait, à voir leurs galbes si fantasques, 6+6 f
De Benvenuto Cellini. 8 e
XV
Le matou dont il est parlé dans l'autre strophe 6+6 a
170 Était le bisaïeul de Murr, ce philosophe, 6+6 a
Dont l'histoire enlacée à celle de Kreissler 6+6 b
M'a fait plus d'une fois oublier que la bûche 6+6 c
Prenait en s'éteignant sa robe de peluche, 6+6 c
Et que minuit sonnait et que c'était l'hiver. 6+6 b
175 Mon pauvre Childebrand à l'amitié si franche, 6+6 d
Le meilleur cœur de chat et l'âme la plus blanche 6+6 d
Qui se puissent trouver sous des poils aussi noirs, 6+6 e
Cet ami dont la mort m'a causé tant de peine, 6+6 f
Que depuis ce temps-là j'ai pris la vie en haine, 6+6 f
180 Était aussi l'un de ses hoirs. 8 e
XVI
Ce digne chat était du reste l'être unique 6+6 a
Admis dans ce repaire, et pour qui Véronique 6+6 a
Eût de l'affection ; — peut-être bien aussi 6+6 b
Était-il seul au monde à l'aimer ; — vieille, laide 6+6 c
185 Et pauvre, qui l'eût fait ? C'est un mal sans remède ; 6+6 c
Ceux qu'on hait sont méchants, et l'on s'excuse ainsi. 6+6 b
— Il fait nuit, tout se tait ; une lumière rouge, 6+6 d
Intermittente, oscille aux vitrages du bouge ; 6+6 d
— Notre matou, couché sur le fauteuil boiteux, 6+6 e
190 Regarde d'un air grave et plein d'intelligence 6+6 f
La vieille qui s'agite et qui fait diligence 6+6 f
Pour quelque mystère honteux ; 8 e
XVII
Ou bien, frottant sa patte à sa moustache raide, 6+6 a
Lustre son poil soyeux comme l'hermine, à l'aide 6+6 a
195 De sa langue âpre et dure, et frileux, pour dormir 6+6 b
Entre les deux chenets, près des tisons, en boule, 6+6 c
La tête sous la queue artistement se roule. 6+6 c
— La bise cependant continue à gémir, 6+6 b
L'orfraie aux sifflements rauques de la tempête 6+6 d
200 Mêle ses cris ; le toit craque, la bûche pète, 6+6 d
La flamme tourbillonne, et dans un grand chaudron, 6+6 e
Sous des flocons d'écume, une eau puante et noire 6+6 f
Danse en accompagnant de son bruit la bouilloire 6+6 f
Et le matou qui fait ron ron. 8 e
XVIII
205 Minuit est le moment voulu pour l'œuvre inique ; 6+6 a
Minuit sonne. — aussitôt l'infâme Véronique 6+6 a
Trace de sa baguette un rond sur le plancher, 6+6 b
Et se place au milieu ; — des milliers de fantômes 6+6 c
Hors du cercle magique, ainsi que des atomes 6+6 c
210 Qu'un rayon de soleil dans l'ombre vient chercher, 6+6 b
Tremblent, points lumineux sur la tenture noire. 6+6 d
— La vieille cependant murmure son grimoire, 6+6 d
Pousse des cris aigus, dit des mots dont le son, 6+6 e
Pareil au bruit que font les marteaux d'une forge, 6+6 f
215 Vous écorche l'oreille et vous prend à la gorge 6+6 f
Comme une mauvaise boisson. 8 e
XIX
Mais ce n'est pas là tout, — pour finir le mystère, 6+6 a
Elle jette un par un ses vêtements à terre 6+6 a
Et se met toute nue ; — oh ! C'était effrayant ! — 6+6 b
220 Le squelette blanchi dont la bise se joue, 6+6 c
Et qui depuis six mois fait aux corbeaux la moue 6+6 c
Du haut d'une potence, est un objet riant, 6+6 b
Près de cette carcasse aux mamelles arides, 6+6 d
Au ventre jaune et plat, coupé de larges rides, 6+6 d
225 Aux bras rouges pareils à des bras de homard. 6+6 e
horror ! Horror ! Horror ! comme dirait Shakspeare, 6+6 f
— Une chose sans nom, — impossible à décrire, 6+6 f
Un idéal de cauchemar ! 8 e
XX
Dans le creux de sa main elle prend cette eau brune 6+6 a
230 Et s'en frotte trois fois la gorge. — non, aucune 6+6 a
Langue humaine ne peut conter exactement 6+6 b
Ce qui se fit alors ! — cette mamelle flasque, 6+6 c
Qui s'en allait au vent comme s'en va la basque 6+6 c
D'un vieil habit râpé, miraculeusement 6+6 b
235 Se gonfle et s'arrondit ; — le nuage de hâle 6+6 d
Se dissipe : on dirait une boule d'opale 6+6 d
Coupée en deux, à voir sa forme et sa blancheur. 6+6 e
Le sang en fils d'azur y court, la vie y brille 6+6 f
De manière à pouvoir, même avec une fille 6+6 f
240 De quinze ans, lutter de fraîcheur. 8 e
XXI
Elle se frotte l'œil et puis toute la face ; 6+6 a
— La rose y reparaît, le moindre pli s'efface, 6+6 a
Comme les plis de l'eau quand le vent est tombé ; 6+6 b
L'émail luit dans sa bouche, une vive étincelle, 6+6 c
245 Un diamant de feu nage dans sa prunelle ; 6+6 c
Ses cheveux sont de jais, son corps n'est plus courbé. 6+6 b
— Elle est belle à présent, mais belle à faire envie. 6+6 d
Plus d'un beau cavalier exposerait sa vie 6+6 d
Seulement pour toucher sa main du bout du doigt, 6+6 e
250 Et l'on ne songe pas, en voyant cette tête 6+6 f
Si charmante, ce corps, cette taille parfaite, 6+6 f
À quels moyens elle les doit. 8 e
XXII
Une perle d'amour ! — de longs yeux en amande 6+6 a
Parfois d'une douceur tout à fait allemande, 6+6 a
255 Parfois illuminés d'un éclair espagnol ; 6+6 b
Deux beaux miroirs de jais, à vous donner l'envie 6+6 c
De vous y regarder pendant toute la vie, 6+6 c
— Un son de voix plus doux qu'un chant de rossignol ; 6+6 b
Sontag et Malibran, dont chaque note vibre, 6+6 d
260 Et dans le cœur se noue à quelque intime fibre ; 6+6 d
La malice de Puck, la grâce d'Ariel, 6+6 e
Une bouche mutine où la petite moue 6+6 f
D'Esmeralda se mêle au sourire et se joue ; 6+6 f
— Un miracle, un rêve du ciel ! — 8 e
XXIII
265 Lecteur, sans hyperbole elle était vraiment belle, 6+6 a
— Très-belle ! — c'est-à-dire elle paraissait telle, 6+6 a
Et c'est la même chose. — il suffit que les yeux 6+6 b
Soient trompés, et toujours ils le sont quand on aime. 6+6 c
— Le bonheur qui nous vient d'un mensonge est le même 6+6 c
270 Que s'il était prouvé par l'algèbre. — être heureux, 6+6 b
Qu'est-ce ? Sinon le croire et caresser son rêve, 6+6 d
Priant Dieu qu'ici-bas jamais il ne s'achève ; 6+6 d
Car la foi seule peut nous faire voir le ciel 6+6 e
Dans l'exil de la vie, et ce désert du monde 6+6 f
275 Où la félicité sur le néant se fonde, 6+6 f
Et le malheur sur le réel. 8 e
XXIV
La flamme qui dormait s'éveille ; — Véronique 6+6 a
Sort du cercle, revêt une blanche tunique, 6+6 a
Une robe de pourpre, — au lieu du béguin noir 6+6 b
280 Qu'elle portait avant, sur sa tête elle place 6+6 c
Un chaperon d'hermine, et, prenant une glace, 6+6 c
S'y mire plusieurs fois et sourit de se voir. 6+6 b
La lune en ce moment, par une déchirure 6+6 d
De nuage, dardait sa clarté faible et pure ; 6+6 d
285 — La porte était ouverte, en sorte qu'on pouvait 6+6 e
Du dehors distinguer le dedans, et sans doute 6+6 f
Si quelqu'un à cette heure eût passé sur la route, 6+6 f
Il aurait pensé qu'il rêvait. 8 e
XXV
Véronique, du bout de sa baguette touche 6+6 a
290 Le matou qui lui lance un regard faux et louche, 6+6 a
Et se roule à ses pieds en faisant le gros dos ; 6+6 b
Tourne trois fois en rond, fait des signes mystiques, 6+6 c
Et prononce tout bas des mots cabalistiques : 6+6 c
— Spectacle à vous figer la moelle dans les os ! — 6+6 b
295 À la place du chat paraît un beau jeune homme, 6+6 d
Nez aquilin, front haut, moustache noire, comme 6+6 d
La jeune fille en voit dans ses songes d'amour. 6+6 e
— Avec son manteau rouge et son pourpoint de soie, 6+6 f
Sa dague de Tolède au pommeau qui chatoie, 6+6 f
300 Vraiment il était fait au tour ! 8 e
XXVI
— C'est bien, dit Véronique, en tendant sa main blanche 6+6 a
Au jeune cavalier qui, le poing sur la hanche, 6+6 a
En silence attendait ; — Don Juan, conduisez-moi. 6+6 b
— Juan s'inclina. — madame, où faut-il qu'on vous mène ? 6+6 c
305 La dame se pencha sur son oreille ; à peine 6+6 c
Deux syllabes, — Don Juan comprit. — holà donc ! toi, 6+6 b
Leporello, dit-il d'une voix haute et claire, 6+6 d
Madame veut sortir, prends une torche, éclaire 6+6 d
Madame. — à l'instant même une cire à la main 6+6 e
310 Leporello paraît amenant la voiture ; 6+6 f
Ils y montent, — le fouet claque, le cocher jure, 6+6 f
Et les voilà sur le chemin. 8 e
XXVII
Mais quel chemin encor ? — c'est un profond mystère. 6+6 a
— Il faisait nuit ; d'ailleurs, dans ce lieu solitaire 6+6 a
315 Qui diable eût pu les voir ? — personne ; tout dormait ; 6+6 b
La lune avait bandé ses yeux bleus d'un nuage 6+6 c
De peur d'être indiscrète. — au terme du voyage, 6+6 c
Sans que nul se doutât de ce qu'elle enfermait, 6+6 b
La voiture parvint. — pas un seul grain de boue 6+6 d
320 À ses larges panneaux armoriés ; — la roue, 6+6 d
Comme si les cailloux eussent été doublés 6+6 e
De soie et de velours, roulait muette et sourde 6+6 f
À travers champs, toujours tout droit, et si peu lourde 6+6 f
Qu'elle ne couchait pas les blés ! 8 e
XXVIII
325 Pour le présent, la scène est transportée à Leyde. 6+6 a
— Ce singe enjuponné, cette sorcière laide 6+6 a
À faire à Belzébuth tourner les deux talons ; 6+6 b
— Jeune et belle à présent, vivante poésie, 6+6 c
Trésor de grâces, fait sécher de jalousie 6+6 c
330 Sous leurs vertugadins chamarrés de galons, 6+6 b
Leurs bonnets à carcasse élevés de six toises, 6+6 d
Les beautés à la mode et les Vénus bourgeoises 6+6 d
De l'endroit ; — le salon de Dame Barbara 6+6 e
Von Altenhorff, — celui de la comtesse anglaise 6+6 f
335 Cécilia Wilmot est vide ; on est à l'aise 6+6 f
Chez la landgrave de Gotha ! 8 e
XXIX
Jeunes et vieux, — robins en perruque poudrée, 6+6 a
Fats portant autour d'eux une atmosphère ambrée ; 6+6 a
Militaires en beaux uniformes, traînant 6+6 b
340 Sur le parquet sonore une épée incongrue ; 6+6 c
Peintres, musiciens, — tout le monde se rue 6+6 c
Chez l'étrangère, et bien qu'il soit peu convenant, 6+6 b
Au dire d'une vieille et méchante bégueule, 6+6 d
D'accaparer ainsi les hommes pour soi seule, 6+6 d
345 Surtout lorsque l'on n'a qu'un minois chiffonné 6+6 e
Et la beauté du diable, — on s'y portait ; — l'unique 6+6 f
Entretien de la ville était sur Véronique : 6+6 f
Jamais nom ne fut plus prôné ! 8 e
XXX
C'était un engouement, un délire, une rage, 6+6 a
350 Des battements de mains, des bravos, un tapage, 6+6 a
Quand elle paraissait, à ne s'entendre pas. 6+6 b
— Jamais dilettanti n'ont du fond de leurs loges 6+6 c
Sur la prima dona fait pleuvoir plus d'éloges, 6+6 c
De bouquets et de vers, certes, qu'à chaque pas 6+6 b
355 La belle Véronique — aux bals, dans les théâtres, 6+6 d
Partout, — n'en recevait des mein hers idolâtres. 6+6 d
— Les poëtes faisaient des sonnets sur ses yeux 6+6 e
Et l'appelaient — soleil ou lune — en acrostiches ; 6+6 f
Les peintres barbouillaient son image, — et les riches 6+6 f
360 Se ruinaient à qui mieux mieux. 8 e
XXXI
Elle donnait le ton, et, reine de la mode, 6+6 a
Elle était adorée ainsi qu'une pagode ; 6+6 a
— Personne n'eût osé la contredire en rien : — 6+6 b
La forme des chapeaux, et la coupe des manches, 6+6 c
365 Lequel fait mieux, des fleurs ou bien des plumes blanches ? 6+6 c
Quelle parure sied ? — quelle couleur va bien ? 6+6 b
S'il faut mettre du rouge ou non (question grave ! ) 6+6 d
Elle décidait tout. — la femme du margrave 6+6 d
Tielemanus Van Horn, la fille du vieux duc, 6+6 e
370 Avaient beau protester par leur mise hérétique, 6+6 f
— À peine voyait-on dans leur salon gothique 6+6 f
Un laid sigisbeo caduc. 8 e
XXXII
Young fût devenu gai, le pleureur Héraclite, 6+6 a
S'essuyant l'œil, eût ri plus fort que Démocrite 6+6 a
375 Au spectacle plaisant des efforts que faisaient 6+6 b
Les dames de l'endroit, Iris courtes et grasses, 6+6 c
Pour s'habiller comme elle et copier ses grâces ; 6+6 c
— Des ingénuités dont les moindres pesaient 6+6 b
Trois ou quatre quintaux ; — des faces rubicondes 6+6 d
380 Avec des fleurs, des nœuds de rubans, et des blondes, 6+6 d
— Des montagnes de chair à la Rubens, — au lieu 6+6 e
De bons velours d'Utrecht, de brocards à ramages, 6+6 f
Portant de fins tissus, des gazes, des nuages ! 6+6 f
Quel travestissement, bon dieu ! 8 e
XXXIII
385 Notre héroïne au reste était toujours charmante, 6+6 a
Parée ou non, — avec son voile, avec sa mante, 6+6 a
En bonnet, en chapeau, — de toutes les façons ! 6+6 b
— Tout sur elle vivait. — les plis semblaient comprendre 6+6 c
Quand il fallait flotter et quand il fallait pendre ; 6+6 c
390 La soie intelligente arrêtait ses frissons, 6+6 b
Ou les continuait gazouillant ses louanges ; 6+6 d
— Une brise à propos faisait onder ses franges, 6+6 d
Ses plumes palpitaient ainsi que des oiseaux 6+6 e
Qui vont prendre l'essor et qui battent des ailes ; 6+6 f
395 — Une invisible main soutenait ses dentelles 6+6 f
Et se jouait dans leurs réseaux. 8 e
XXXIV
La moindre chose, un rien, elle était bien coiffée ; — 6+6 a
Chaque bout de ruban, chaque fleur était fée ; 6+6 a
Tout ce qui la touchait devenait précieux ; 6+6 b
400 Tout était de bon goût, et (qualité bien rare) 6+6 c
Quel que fût son habit, galant, riche ou bizarre, 6+6 c
On n'apercevait qu'elle, — elle seule, — ses yeux 6+6 b
Faisaient des diamants pâlir les étincelles. 6+6 d
Les perles de ses dents paraissaient les plus belles, 6+6 d
405 La blancheur de sa peau ternissait le satin. 6+6 e
disinvolture, esprit lutin, grâce câline, — 6+6 f
Tour à tour Camargo, Manon Lescaut, Philine, 6+6 f
Une ravissante catin ! 8 e
XXXV
— Le conseiller aulique Hans et Meister Philippe 6+6 a
410 Pour elle avaient laissé le genièvre et la pipe ; 6+6 a
— C'était vraiment plaisir de voir ces bons flamands, 6+6 b
Types complets, — gros, courts, la face réjouie, 6+6 c
Négligeant leur tulipe enfin épanouie, 6+6 c
Transformés en dandys, et faire les charmants 6+6 b
415 Auprès de la diva. — les femmes et les mères 6+6 d
Ne lui ménageaient pas les critiques amères, 6+6 d
Mais elle allait toujours son train, — sans en perdre un, 6+6 e
Et, s'inquiétant peu de ce vain caquetage, 6+6 f
Accueillait tout le monde et recevait l'hommage 6+6 f
420 Et les rixdales de chacun. 8 e
XXXVI
Deux mois sont écoulés. — capricieuse reine, 6+6 a
Ce jour-là Véronique avait une migraine, 6+6 a
Ou prétendait l'avoir, et ne recevait pas. 6+6 b
Les courtisans faisaient en grand nombre antichambre. 6+6 c
425 — Dans un riche boudoir où des pastilles d'ambre 6+6 c
Jettent un doux parfum, où tous les bruits de pas 6+6 b
Sur de beaux tapis turcs, comme sur l'herbe, meurent, 6+6 d
Où le timbre qui chante et les bûches qui pleurent 6+6 d
Troublent seuls le silence avec leurs grêles voix. 6+6 e
430 Notre belle, — en peignoir du matin, pâle et blanche 6+6 f
Comme une perle, — au bord d'un guéridon se penche 6+6 f
Froissant un papier sous ses doigts. 8 e
XXXVII
Elle boude ! — mon dieu, qu'une femme qui boude 6+6 a
A de grâces ! La main sous le menton, le coude, 6+6 a
435 Tel qu'un arceau de jaspe, appuyé mollement 6+6 b
Sur un genou, — le corps qui s'affaisse et se ploie, 6+6 c
Ainsi qu'un bouton d'or qu'une goutte d'eau noie ; 6+6 c
— Les cheveux débouclés qui cachent par moment 6+6 b
Ou laissent voir, selon que le zéphyr s'en joue, 6+6 d
440 Ou que les doigts mutins les peignent, une joue 6+6 d
Transparente et nacrée, un front veiné d'azur, 6+6 e
Comme dans les jardins font les branches des arbres, 6+6 f
De leurs réseaux voilant ou découvrant les marbres 6+6 f
Debout sous leur ombrage obscur. 8 e
XXXVIII
445 Qui cause ce chagrin ? En se levant, s'est-elle 6+6 a
Dans sa glace trouvée ou vieillie ou moins belle ? 6+6 a
— A-t-elle découvert dans ses boucles de jais 6+6 b
Un pâle fil d'argent ? à ses dents une tache ? 6+6 c
Les deux bouts du ruban, sous la main qui l'attache 6+6 c
450 Seraient-ils donc trop courts pour son corps plus épais ? 6+6 b
— Cette robe attendue et sur laquelle on compte 6+6 d
Pour enlever à miss Wilmot le cœur du comte, 6+6 d
S'est-elle déchirée ou fripée en chemin ? 6+6 e
Son épagneul est-il malade ? — quelque fièvre, 6+6 f
455 Après trois nuits de bal, a-t-elle de sa lèvre 6+6 f
Décoloré le pur carmin ? 8 e
XXXIX
Son œil est-il moins vif, son col moins blanc ? l'ovale 6+6 a
De son visage grec moins pur ? — quelque rivale, 6+6 a
Avec plus de jeunesse ou plus de diamants, 6+6 b
460 A-t-elle au dernier raoût fait tourner plus de têtes ? 6+6 c
Non, — elle est bien toujours la déesse des fêtes ; — 6+6 c
Tout ploie à ses genoux. — hier, l'un de ses amants 6+6 b
Pris d'un beau désespoir, la voyant infidèle, 6+6 d
S'est jeté dans le Rhin ; — et ce matin, pour elle, 6+6 d
465 Ludwig De Siegendorff en duel s'est battu ; 6+6 e
Son adversaire est mort, — lui blessé ; — voilà certe 6+6 f
Un beau succès ! — tout Leyde est en l'air et disserte. 6+6 f
Pourquoi donc ce front abattu ? 8 e
XL
Pourquoi donc ces sourcils qui tremblent et se plissent ? 6+6 a
470 Ces longs cils noirs baissés où quelques larmes glissent, 6+6 a
Qui palpitent jetant sur le satin des chairs 6+6 b
Une auréole brune, une ombre veloutée, 6+6 c
Comme Lawrence en peint ? — cette gorge agitée 6+6 c
Dans sa prison de crêpe et sous les réseaux clairs 6+6 b
475 Ondant comme la neige au vent d'une tempête ? 6+6 d
Quelle pensée étrange à cette folle tête 6+6 d
Donne un air si rêveur ? — est-ce le souvenir 6+6 e
De son premier amour et de ses jours d'enfance ? 6+6 f
— Regret d'avoir perdu cette belle innocence ? 6+6 f
480 — Est-ce la peur de l'avenir ? 8 e
XLI
Ce n'est pas cela, non ; — elle est trop corrompue 6+6 a
Pour ne pas oublier, et la chaîne est rompue 6+6 a
Qui liait son présent à son passé. — d'ailleurs, 6+6 b
Je ne crois pas qu'elle ait dans un pli de son âme 6+6 c
485 Un de ces souvenirs qui, dans tout cœur de femme, 6+6 c
Si dépravé qu'il soit, restent des jours meilleurs, 6+6 b
Et se gardent sans tache au fond de sa mémoire, 6+6 d
Comme fait une perle au creux d'une onde noire. 6+6 d
— Ce n'est qu'une coquette, elle n'a pas aimé : 6+6 e
490 Le bal, un souper fin, quelque soirée à rendre, 6+6 f
Le plaisir l'étourdit, et l'empêche d'entendre 6+6 f
La voix de son cœur comprimé. 8 e
XLII
Voici le fait : — la veille on jouait au théâtre 6+6 a
Le Don Juan de Mozart. Avec sa cour folâtre 6+6 a
495 De jeunes merveilleux, papillons de boudoir, 6+6 b
Dont quelque Staub De Leyde a découpé les ailes, 6+6 c
Véronique était là, le pôle des prunelles, 6+6 c
Coquetant dans sa loge et radieuse à voir. 6+6 b
— Les femmes sous leur fard pâlissaient de colère, 6+6 d
500 Et se mordaient la lèvre ; — elle, sûre de plaire, 6+6 d
Comme le paon sa queue, ouvrait son éventail, 6+6 e
Parlait, riait tout haut, laissait choir sa lorgnette, 6+6 f
Ôtait son gant, faisait sentir sa cassolette, 6+6 f
Ou chatoyer son riche émail. 8 e
XLIII
505 Les acteurs avaient beau s'évertuer en scène, 6+6 a
Filer les plus beaux sons, ils y perdaient leur peine. 6+6 a
— En vain Leporello pas à pas suivait Juan ; 6+6 b
En vain le commandeur faisait tonner ses bottes, 6+6 c
Zerline gazouillait jouant avec les notes, 6+6 c
510 Dona Anna pleurait. — ils auraient bien un an 6+6 b
Continué ce jeu sans que l'on y prît garde : 6+6 d
— Le parterre est distrait, — l'on cause, l'on regarde, 6+6 d
Mais d'un autre côté ; — sous les binocles d'or 6+6 e
Braqués au même point le désir étincelle ; 6+6 f
515 Véronique sourit ; — le bonheur d'être belle 6+6 f
La fait dix fois plus belle encor. 8 e
XLIV
Seul un homme debout auprès d'une colonne, 6+6 a
Sans que ce grand fracas le dérange ou l'étonne, 6+6 a
À la scène oubliée attachant son regard, 6+6 b
520 Dans une extase sainte enivre ses oreilles. 6+6 c
De ces accords profonds, de ces hautes merveilles 6+6 c
Qui font luire ton nom entre tous, — ô Mozart ! — 6+6 b
Ton génie avait pris le sien, et de ses ailes 6+6 d
Le poussait par delà les sphères éternelles. 6+6 d
525 L'heure, le lieu, le monde, il ne savait plus rien, 6+6 e
Il s'était fait musique, et son cœur en mesure 6+6 f
Palpitait et chantait avec une voix pure, 6+6 f
Et lui seul te comprenait bien. 8 e
XLV
Tout au plus dans l'entr'acte avait-il sur la belle 6+6 a
530 Jeté l'œil, froidement, et sans que sa prunelle 6+6 a
S'allumât, comme si le regard contre un mur 6+6 b
Eût été se briser. — pourtant, comme une balle, 6+6 c
Cette oeillade d'un bout à l'autre de la salle, 6+6 c
Au cœur de Véronique arrivant d'un vol sûr, 6+6 b
535 Y fit sans le vouloir une blessure grave, 6+6 d
— Une blessure à mort. — ainsi l'on voit un brave 6+6 d
Être tué sans gloire à l'angle d'un buisson 6+6 e
Par le coup de fusil tiré sur quelque lièvre, 6+6 f
Par la tuile qui tombe, ou mourir de la fièvre 6+6 f
540 En revenant dans sa maison. 8 e
XLVI
Celle qui, jusqu'alors comme la salamandre, 6+6 a
Froide au milieu des feux, daignait à peine rendre 6+6 a
Pour une passion un caprice en retour, 6+6 b
Et se faisait un jeu (c'est le plaisir des femmes) 6+6 c
545 De torturer les cœurs et de damner les âmes, 6+6 c
Celle qui sans pitié se jouait d'un amour, 6+6 b
Comme un enfant cruel de son hochet qu'il casse 6+6 d
Et rejette bien loin aussitôt qu'il le lasse, 6+6 d
Souffre aujourd'hui les maux qu'elle causait hier : 6+6 e
550 Elle faisait aimer, et maintenant elle aime ! 6+6 f
L'oiseleur à la fin s'est englué lui-même ; 6+6 f
Il est vaincu ce cœur si fier ! 8 e
XLVII
C'est le train de la vie et de la destinée ; 6+6 a
Quand au timbre fatal l'heure est enfin sonnée, 6+6 a
555 Nul ne peut retarder sa défaite d'un jour. 6+6 b
— Quelle vertu qu'on ait, ou qu'on fuie ou qu'on reste, 6+6 c
Tout cède à ce pouvoir infernal ou céleste : 6+6 c
On ne saurait tromper ni son sort ni l'amour. 6+6 b
— Amour, joie et fléau du monde, — douce peine, 6+6 d
560 Misère qu'on regrette et de charmes si pleine ; 6+6 d
— Rire qui touche aux pleurs, — souci pâle et charmant, 6+6 e
Mal que l'on veut avoir ; — paradis, — enfer, — songe 6+6 f
Commencé dans le ciel, que sur terre on prolonge, 6+6 f
Mystérieux enchantement ! 8 e
XLVIII
565 Poignante volupté, — plaisir qui fait peut-être 6+6 a
L'homme l'égal de Dieu ! Qui ne veut vous connaître 6+6 a
S'il ne vous a connu, moments délicieux, 6+6 b
Et si longs et si courts qui valent une vie, 6+6 c
Et que voudrait payer l'ange qui les envie 6+6 c
570 De son éternité de bonheur dans les cieux ! — 6+6 b
Mer de félicité, — ravissement, — extase, 6+6 d
Dont ne saurait donner l'idée aucune phrase 6+6 d
Soit en vers soit en prose ! — heures du rendez-vous, 6+6 e
Belles nuits sans sommeils, râles, sanglots d'ivresse, 6+6 f
575 Soupirs, mots inconnus qu'étouffe une caresse, 6+6 f
Baisers enragés, désirs fous ! 8 e
XLIX
Amour ! Le seul péché qui vaille qu'on se damne, 6+6 a
— En vain dans ses sermons le prêtre te condamne ; 6+6 a
En vain dans son fauteuil, besicles sur le nez, 6+6 b
580 La maman te dépeint comme un monstre à sa fille, 6+6 c
— En vain Orgon jaloux ferme sa porte, et grille 6+6 c
Ses fenêtres. — en vain dans leurs livres mort-nés, 6+6 b
Contre toi longuement les moralistes crient, 6+6 d
En vain de ton pouvoir les coquettes se rient ; — 6+6 d
585 La novice à ton nom fait un signe de croix ; 6+6 e
Jeune ou vieux, laid ou beau, teint vermeil ou teint blême, 6+6 f
Anglais, français, païen ou chrétien, — chacun aime 6+6 f
Au moins dans sa vie une fois. 8 e
L
Moi, ce fut l'an passé que cette frénésie 6+6 a
590 Me vint d'être amoureux. — adieu, la poésie ! 6+6 a
Je n'avais pas assez de temps pour l'employer 6+6 b
À compasser des mots : — adorer mon idole, 6+6 c
La parer, admirer sa chevelure folle, 6+6 c
Mer d'ébène où ma main aimait à se noyer ; 6+6 b
595 L'entendre respirer, la voir vivre, sourire 6+6 d
Quand elle souriait, m'enivrer d'elle, lire 6+6 d
Ses désirs dans ses yeux ; sur son front endormi 6+6 e
Guetter ses rêves ; boire à sa bouche de rose 6+6 f
Son souffle en un baiser, — je ne fis autre chose 6+6 f
600 Pendant quatre mois et demi. 8 e
LI
Sans cela l'univers aurait eu mon poëme 6+6 a
En mil huit cent vingt-neuf, et beaucoup plus tôt même ; 6+6 a
Mais, comme je l'ai dit, je n'avais pas le temps 6+6 b
D'enfiler dans un vers des mots, comme des perles 6+6 c
605 Dans un cordon. — j'allais ouïr siffler les merles 6+6 c
Avec elle aux grands bois ; — l'on était au printemps. 6+6 b
Elle, comme un enfant, courait dans la rosée 6+6 d
Après les papillons, et la jambe arrosée 6+6 d
D'une pluie argentée, allait chantant toujours ; 6+6 e
610 Chaque fleur sous ses pas inclinait son ombrelle. 6+6 f
— Moi, je la regardais ; — la nature était belle, 6+6 f
Et riait comme nos amours. 8 e
LII
Mai dans le gazon vert faisait rougir la fraise : 6+6 a
— Dès qu'elle en trouvait une, heureuse et sautant d'aise, 6+6 a
615 Elle accourait bien vite et voulait partager ; 6+6 b
Moi, je ne voulais pas ; — c'était une bataille ! 6+6 c
D'un bras j'emprisonnais ses deux bras et sa taille, 6+6 c
Et de mon autre main je la faisais manger. 6+6 b
Elle me résistait d'abord, mais, bientôt lasse 6+6 d
620 D'une lutte inégale, elle demandait grâce, 6+6 d
Promettant de payer en baisers sa rançon. 6+6 e
— Alors, comme un oiseau dont on ouvre la cage, 6+6 f
Elle prenait son vol et fuyait, la sauvage, 6+6 f
Se cacher derrière un buisson. 8 e
LIII
625 Et puis je l'entendais rire sous la feuillée 6+6 a
De me tromper ainsi. — quelque abeille éveillée 6+6 a
Sortant d'une clochette, un lézard, un faucheux, 6+6 b
Arpentant son col blanc avec ses pattes grêles, 6+6 c
Une chenille prise aux plis de ses dentelles, 6+6 c
630 La ramenait bientôt poussant des cris affreux. 6+6 b
— Elle cachait son front contre moi, toute blanche ; 6+6 d
Tressaillant quand le vent remuait une branche, 6+6 d
Ses beaux seins effarés, au tic tac de son cœur 6+6 e
Tremblaient et palpitaient comme deux tourterelles 6+6 f
635 Surprises dans le nid, qui font un grand bruit d'ailes 6+6 f
Entre les doigts de l'oiseleur. 8 e
LIV
Tout en la rassurant, d'une main aguerrie 6+6 a
Je saisissais le monstre, et de sa peur guérie 6+6 a
Elle recommençait à rire, et s'asseyait 6+6 b
640 Sur un de mes genoux se moquant d'elle-même, 6+6 c
Et m'embrassait disant : — mon dieu, comme je l'aime ! 6+6 c
Puis le baiser rendu, rêveuse, elle appuyait 6+6 b
Sa tête à mon épaule, et fermait sa paupière 6+6 d
Comme pour s'endormir. — un long jet de lumière, 6+6 d
645 Traversant les rameaux, dorait son front charmant ; 6+6 e
— Le rossignol chantait et perlait ses roulades, 6+6 f
Un vent tout parfumé, sous les vertes arcades 6+6 f
Soupirait langoureusement. 8 e
LV
Nous ne nous disions rien, et nous avions l'air triste, 6+6 a
650 Et pourtant, ô mon dieu ! Si le bonheur existe 6+6 a
Quelque part ici-bas, nous étions bien heureux. 6+6 b
— Qu'eût servi de parler ? — sur nos lèvres pressées 6+6 c
Nous arrêtions les mots, nous savions les pensées ; 6+6 c
Nous n'avions qu'un esprit, qu'une seule âme à deux. 6+6 b
655 — Comme emparadisés dans les bras l'un de l'autre, 6+6 d
Nous ne concevions pas d'autre ciel que le nôtre. 6+6 d
Nos artères, nos cœurs vibraient à l'unisson ; 6+6 e
Dans les ravissements d'une extase profonde, 6+6 f
Nous avions oublié l'existence du monde, 6+6 f
660 Nos yeux étaient notre horizon. 8 e
LVI
Tout ce bonheur n'est plus. Qui l'aurait dit ? Nous sommes 6+6 a
Comme des étrangers l'un pour l'autre ; les hommes 6+6 a
Sont ainsi ; — leur toujours ne passe pas six mois. — 6+6 b
L'amour s'en est allé, Dieu sait où ; — ma princesse, 6+6 c
665 Comme un beau papillon qui s'enfuit et ne laisse 6+6 c
Qu'une poussière rouge et bleue au bout des doigts. 6+6 b
Pour ne plus revenir a déployé son aile, 6+6 d
Ne laissant dans mon cœur, plus que le sien fidèle, 6+6 d
Que doutes du présent et souvenirs amers. 6+6 e
670 Que voulez-vous ? — la vie est une chose étrange ; 6+6 f
En ce temps-là j'aimais, et maintenant j'arrange 6+6 f
Mes beaux amours en méchants vers. 8 e
LVII
Bénévole lecteur, c'est toute mon histoire 6+6 a
Fidèlement contée, autant que ma mémoire, 6+6 a
675 Registre mal en ordre, a pu me rappeler 6+6 b
Ces riens qui furent tout, dont l'amour se compose 6+6 c
Et dont on rit ensuite. — excusez cette pause : 6+6 c
La bulle que j'avais pris plaisir à souffler, 6+6 b
Et qui flottait en l'air des feux du prisme teinte, 6+6 d
680 En une goutte d'eau tout à coup s'est éteinte ; 6+6 d
Elle s'était crevée au coin d'un toit pointu. 6+6 e
— En heurtant le réel, ma riante chimère 6+6 f
S'est brisée, et je n'aime à présent que ma mère ; 6+6 f
Tout autre amour en moi s'est tu. 8 e
LVIII
685 Excepté cependant le tien, ô poésie, 6+6 a
Qui parles toujours haut dans une âme choisie ! 6+6 a
— Poésie, ô bel ange à l'auréole d'or, 6+6 b
Qui, passant d'un soleil ou d'un monde dans l'autre 6+6 c
Sans crainte de salir tes pieds blancs sur le nôtre, 6+6 c
690 Dans notre nuit suspends un moment ton essor, 6+6 b
Nous dis des mots tout bas, et du bout de ton aile 6+6 d
Sèches nos pleurs amers ; — et toi, sa sœur jumelle, 6+6 d
Peinture, la rivale et l'égale de Dieu, 6+6 e
Déception sublime, admirable imposture, 6+6 f
695 Qui redonnes la vie et doubles la nature, 6+6 f
Je ne vous ai pas dit adieu ! 8 e
LIX
— Revenons au sujet. — le jeune enthousiaste 6+6 a
Était beau cavalier, et certe une plus chaste 6+6 a
Que Véronique eût pu s'enamourer de lui. 6+6 b
700 Avant d'aller plus loin, il serait bon peut-être 6+6 c
D'esquisser son portrait. — le dehors fait connaître 6+6 c
Le dedans. — un soleil étranger avait lui 6+6 b
Sur sa tête et doré d'une couche de hâle 6+6 d
Sa peau d'italien naturellement pâle. 6+6 d
705 Ses cheveux, sous ses doigts, en désordre jetés, 6+6 e
Tombaient autour d'un front que Gall avec extase 6+6 f
Aurait palpé six mois, et qu'il eût pris pour base 6+6 f
D'une douzaine de traités. 8 e
LX
Un front impérial d'artiste et de poëte, 6+6 a
710 Occupant à lui seul la moitié de la tête, 6+6 a
Large et plein, se courbant sous l'inspiration, 6+6 b
Qui cache en chaque ride avant l'âge creusée 6+6 c
Un espoir surhumain, une grande pensée, 6+6 c
Et porte écrit ces mots : — force et conviction. — 6+6 b
715 Le reste du visage à ce front grandiose 6+6 d
Répondait. — cependant il avait quelque chose 6+6 d
Qui déplaisait à voir, et, quoique sans défaut, 6+6 e
On l'aurait souhaité différent. — l'ironie, 6+6 f
Le sarcasme y brillait plutôt que le génie ; 6+6 f
720 Le bas semblait railler le haut. 8 e
LXI
Cet ensemble faisait l'effet le plus étrange ; 6+6 a
C'était comme un démon se tordant sous un ange, 6+6 a
Un enfer sous un ciel. — quoiqu'il eût de beaux yeux, 6+6 b
De longs sourcils d'ébène effilés vers la tempe, 6+6 c
725 Se glissant sur la peau comme un serpent qui rampe, 6+6 c
Une frange de cils palpitants et soyeux, 6+6 b
Son regard de lion et la fauve étincelle 6+6 d
Qui jaillissait parfois du fond de sa prunelle 6+6 d
Vous faisaient frissonner et pâlir malgré vous. 6+6 e
730 — Les plus hardis auraient abaissé la paupière 6+6 f
Devant cet œil méduse à vous changer en pierre, 6+6 f
Qu'il s'efforçait de rendre doux. 8 e
LXII
Sur sa lèvre sévère à chaque coin ombrée 6+6 a
D'une fine moustache élégamment cirée 6+6 a
735 Un sourire moqueur quelquefois se posait ; 6+6 b
Mais son expression la plus habituelle 6+6 c
Était un grand dédain. — vainement notre belle, 6+6 c
L'ayant revu depuis dans le monde, faisait 6+6 b
Tout ce qu'une coquette en pareil cas peut faire 6+6 d
740 Pour en grossir sa cour : — chose extraordinaire ! 6+6 d
Rien ne put entamer ce cœur de diamant. 6+6 e
Coups d'œil sous l'éventail, soupirs, minauderies, 6+6 f
Aveux à mots couverts, vives agaceries, 6+6 f
— Elle échoua totalement ! 8 e
LXIII
745 Ce n'était pas un homme à se laisser surprendre 6+6 a
Aux lacs que Véronique essayait de lui tendre. 6+6 a
— Le grand aigle à la glu, qui retient le moineau, 6+6 b
Laisse à peine une plume ; — une mouche étourdie 6+6 c
À la toile en un coin par l'araignée ourdie 6+6 c
750 Se prend l'aile, la guêpe emporte le réseau ; 6+6 b
Gulliver d'un seul coup rompt les chaînes de soie 6+6 d
Des lilliputiens. Une si belle proie 6+6 d
Valait bien cependant qu'on y prît peine ; aussi, 6+6 e
Excepté de lui dire en propres mots : je t'aime, 6+6 f
755 Elle essaya de tout ; — mais lui, toujours le même, 6+6 f
N'en prit aucunement souci. 8 e
LXIV
C'était là le motif qui faisait que sa porte 6+6 a
Était fermée à tous. En effet, eh ! Qu'importe 6+6 a
À son cœur occupé cette cour qui la suit ? 6+6 b
760 Ces beaux fils, ces dandys qui l'enchantaient naguères 6+6 c
Lui semblent maintenant ou guindés ou vulgaires ; 6+6 c
Leurs madrigaux musqués la fatiguent ; le bruit 6+6 b
Et le jour lui font mal ; tout l'excède et l'ennuie. 6+6 d
Sur sa petite main son front penche et s'appuie, 6+6 d
765 Son bras potelé pend au bord de son fauteuil, 6+6 e
La pauvre enfant ! Voyez, sa joue est toute pâle. 6+6 f
Le dépit a changé ses roses en opale, 6+6 f
Une larme luit à son œil. 8 e
LXV
Le papier que la belle, avec un air d'angoisse, 6+6 a
770 Dans sa petite main aux ongles roses froisse, 6+6 a
Indubitablement est un billet d'amour, 6+6 b
— Un vélin azuré qui par toute la chambre 6+6 c
Jette une fashionable et suave odeur d'ambre. 6+6 c
— Je m'y connais ; — pourtant l'écriture et le tour 6+6 b
775 Ont quelque chose en soi qui trahissent la femme. 6+6 d
— Est-ce un billet surpris de rivale, ou la dame 6+6 d
Pour son compte écrit-elle à quelque jeune beau ? 6+6 e
Le fait paraît prouvé par cette tache noire 6+6 f
Au bout de ce doigt blanc, et par cette écritoire 6+6 f
780 Et cette plume de corbeau. 8 e
LXVI
Tout à coup, relevant comme un oiseau sa tête 6+6 a
Et poussant en arrière une boucle défaite, 6+6 a
Elle quitta sa pose indolente, et se prit, 6+6 b
Avant de demander la bougie et d'y mettre 6+6 c
785 La cire et le cachet, à relire sa lettre 6+6 c
Tout bas, — comme ayant peur que l'écho la comprît. 6+6 b
— Je ne l'enverrai pas, elle est trop mal écrite, 6+6 d
Dit-elle déchirant la feuille ; elle mérite, 6+6 d
Comme celle d'hier, d'être jetée au feu. 6+6 e
790 — Il faisait un grand froid, la flamme était ardente ; 6+6 f
Le papier se tordit comme un damné du Dante 6+6 f
En dardant un jet de gaz bleu, 8 e
LXVII
Et disparut-pendant que brûle cette feuille, 6+6 a
L'enfant en prend une autre, un instant se recueille 6+6 a
795 Et commence. — sa main rapide en son essor, 6+6 b
Comme un cheval de course à New-Market, à peine 6+6 c
Effleure le papier, — la page est toute pleine 6+6 c
Que l'encre aux premiers mots n'est pas figée encor : 6+6 b
— Don Juan ! — le chapeau bas, Don Juan devant la dame 6+6 d
800 Est debout. — Véronique agitée, une flamme 6+6 d
Aux prunelles : — portez le billet que voici 6+6 e
Au signor Albertus. — le peintre qui demeure 6+6 f
Hôtel du singe-vert ? — lui-même, et dans une heure 6+6 f
Au plus tard, Juan, soyez ici. 8 e
LXVIII
805 Albertus, je n'ai pas besoin de vous le dire, 6+6 a
Est le fin cortejo que je viens de décrire 6+6 a
Quelques stances plus haut. — c'était un homme d'art, 6+6 b
Aimant tout à la fois d'un amour fanatique 6+6 c
La peinture et les vers autant que la musique. 6+6 c
810 Il n'eût pas su lequel, de Dante ou de Mozart, 6+6 b
Dieu lui laissant le choix, il eût souhaité d'être. 6+6 d
Mais moi qui le connais comme lui, mieux peut-être, 6+6 d
Je crois en vérité qu'il eût dit : — Raphaël ! 6+6 e
Car entre ces trois sœurs égales en mérite 6+6 f
815 Dans le fond la peinture était sa favorite 6+6 f
Et son talent le plus réel. 8 e
LXIX
Il voyait l'univers comme un tripot infâme ; 6+6 a
— Pour son opinion sur l'homme et sur la femme, 6+6 a
C'était celle d'Hamlet, — il n'aurait pas donné 6+6 b
820 Quatre maravédis des deux. — la créature 6+6 c
Le réjouissait peu, si ce n'est en peinture. 6+6 c
— S'étant toujours enquis, depuis qu'il était né, 6+6 b
Du pourquoi, du comment, il était pessimiste 6+6 d
Comme l'est un vieillard, partant plus souvent triste 6+6 d
825 Qu'autre chose, et l'amour n'était qu'un nom pour lui. 6+6 e
Quoique bien jeune encor, depuis longues années 6+6 f
Il n'y pouvait plus croire ; aussi dans ses journées, 6+6 f
Sonnaient bien des heures d'ennui. 8 e
LXX
Il prenait cependant son mal en patience. 6+6 a
830 — C'est un très-grand fléau qu'une grande science ; 6+6 a
Elle change un bambin en Géronte ; elle fait 6+6 b
Que, dès les premiers pas dans la vie, on ne trouve, 6+6 c
Novice, rien de neuf dans ce que l'on éprouve. 6+6 c
Lorsque la cause vient, d'avance on sait l'effet ; 6+6 b
835 L'existence vous pèse et tout vous paraît fade. 6+6 d
— Le piment est sans goût pour un palais malade. 6+6 d
Un odorat blasé sent à peine l'éther : 6+6 e
L'amour n'est plus qu'un spasme, et la gloire un mot vide, 6+6 f
Comme un citron pressé le cœur devient aride. 6+6 f
840 Don Juan arrive après Werther. 8 e
LXXI
Notre héros avait, comme Ève sa grand'mère 6+6 a
Poussé par le serpent, mordu la pomme amère, 6+6 a
Il voulait être dieu. — quand il se vit tout nu, 6+6 b
Et possédant à fond la science de l'homme, 6+6 c
845 Il désira mourir. — il n'osa pas ; mais, comme 6+6 c
On s'ennuie à marcher dans un sentier connu, 6+6 b
Il tenta de s'ouvrir une nouvelle route. 6+6 d
Le monde qu'il rêvait, le trouva-t-il ? — j'en doute. 6+6 d
En cherchant il avait usé les passions, 6+6 e
850 Levé le coin du voile et regardé derrière. 6+6 f
— À vingt ans l'on pouvait le clouer dans sa bière, 6+6 f
Cadavre sans illusions. 8 e
LXXII
Malheur, malheur à qui dans cette mer profonde 6+6 a
Du cœur de l'homme jette imprudemment la sonde ! 6+6 a
855 Car le plomb bien souvent, au lieu de sable d'or, 6+6 b
De coquilles de nacre aux beaux reflets de moire, 6+6 c
N'apporte sur le pont que boue infecte et noire. 6+6 c
— Oh ! Si je pouvais vivre une autre vie encor ! 6+6 b
Certes, je n'irais pas fouiller dans chaque chose 6+6 d
860 Comme j'ai fait. — qu'importe après tout que la cause 6+6 d
Soit triste, si l'effet qu'elle produit est doux ? 6+6 e
— Jouissons, faisons-nous un bonheur de surface ; 6+6 f
Un beau masque vaut mieux qu'une vilaine face. 6+6 f
— Pourquoi l'arracher, pauvres fous ? 8 e
LXXIII
865 Si de sa destinée il eût été l'arbitre, 6+6 a
Il eût, vous croyez bien, sauté plus d'un chapitre 6+6 a
Du roman de la vie, et passé tout d'abord 6+6 b
À la conclusion de cette sotte histoire. 6+6 c
— Incertain s'il devait nier, douter ou croire, 6+6 c
870 Ou demander le mot de l'énigme à la mort, 6+6 b
Comme un duvet au vent, avec indifférence 6+6 d
Il laissait au hasard aller son existence 6+6 d
— Les choses d'ici-bas l'inquiétaient fort peu, 6+6 e
Et celles de là-haut encor moins. — pour son âme, 6+6 f
875 Je vous dirai, dussé-je encourir votre blâme, 6+6 f
Qu'il n'y croyait pas plus qu'en Dieu. 8 e
LXXIV
Il était ainsi fait. — singulière nature ! 6+6 a
Son âme, qu'il niait, cependant était pure ; 6+6 a
— Il voulait le néant et n'aurait rien gagné 6+6 b
880 À la suppression de l'enfer. — homme étrange ! 6+6 c
Il avait les vertus dont il riait, et l'ange 6+6 c
Qui là-haut sur son livre écrivait indigné 6+6 b
Une grosse hérésie, un sophisme damnable, 6+6 d
Venant à l'action, le trouvait moins coupable, 6+6 d
885 Et pesant dans sa main le bien avec le mal, 6+6 e
Pour cette fois encor retenait l'anathème. 6+6 f
— Une larme tombée à l'endroit du blasphème 6+6 f
L'effaçait du feuillet fatal. 8 e
LXXV
La décoration change. — pour le quart d'heure 6+6 a
890 Nous sommes à l'hôtel du singe-vert, demeure 6+6 a
Du signor Albertus, et dans son atelier. 6+6 b
Savez-vous ce que c'est que l'atelier d'un peintre, 6+6 c
Lecteur bourgeois ? — un jour discret tombant du cintre 6+6 c
Y donne à chaque chose un aspect singulier. 6+6 b
895 C'est comme ces tableaux de Rembrandt, où la toile 6+6 d
Laisse à travers le noir luire une blanche étoile. 6+6 d
— Au milieu de la salle, auprès du chevalet, 6+6 e
Sous le rayon brillant où vient valser l'atome, 6+6 f
Se dresse un mannequin qu'on croirait un fantôme ; 6+6 f
900 Tout est clair-obscur et reflet. 8 e
LXXVI
L'ombre dans chaque coin s'entasse plus profonde 6+6 a
Que sous les vieux arceaux d'une nef. — c'est un monde, 6+6 a
Un univers à part qui ne ressemble en rien 6+6 b
À notre monde à nous ; — un monde fantastique, 6+6 c
905 Où tout parle aux regards, où tout est poétique, 6+6 c
Où l'art moderne brille à côté de l'ancien ; 6+6 b
— Le beau de chaque époque et de chaque contrée, 6+6 d
Feuille d'échantillon, du livre déchirée ; 6+6 d
Armes, meubles, dessins, plâtres, marbres, tableaux, 6+6 e
910 Giotto, Cimabué, Ghirlandaio, que sais-je ? 6+6 f
Reynolds près de Hemskerk, Watteau près de corrége, 6+6 f
Pérugin entre deux Vanloos. 8 e
LXXVII
Laques, pots du Japon, magots et porcelaines, 6+6 a
Pagodes toutes d'or et de clochettes pleines, 6+6 a
915 Beaux éventails de Chine, à décrire trop longs, 6+6 b
— Cuchillos, kriss malais à lames ondulées, 6+6 c
Kandjiars, yataghans aux gaînes ciselées, 6+6 c
Arquebuses à mèche, espingoles, tromblons, 6+6 b
Heaumes et corselets, masses d'armes, rondaches, 6+6 d
920 Faussés, criblés à jour, rouillés, rongés de taches, 6+6 d
Mille objets-bons à rien, admirables à voir ; 6+6 e
Caftans orientaux, pourpoints du moyen-âge, 6+6 f
Rebecs, psaltérions, instruments hors d'usage, 6+6 f
Un antre, un musée, un boudoir ! 8 e
LXXVIII
925 Autour du mur beaucoup de toiles accrochées, 6+6 a
Blanches pour la plupart, les autres ébauchées, 6+6 a
Un chaos de couleurs ne vivant qu'à demi. 6+6 b
— La Lénore à cheval, Macbeth et les sorcières, 6+6 c
Les infants de Lara, Marguerite en prières, 6+6 c
930 Des portraits esquissés, des études parmi 6+6 b
Lesquelles, dans son cadre, une de jeune fille, 6+6 d
Claire sur un fond brun, se détache et scintille, 6+6 d
Belle à ne savoir pas de quel nom l'appeler, 6+6 e
Péri, fée ou sylphide, être charmant et frêle, 6+6 f
935 Ange du ciel à qui l'on aurait coupé l'aile 6+6 f
Pour l'empêcher de s'envoler. 8 e
LXXIX
On aurait dit, à voir cette tête inclinée, 6+6 a
Et son expression pensive et résignée, 6+6 a
Une mater dei d'après Masaccio. 6+6 b
940 — Ce n'était qu'un portrait d'une maîtresse ancienne. 6+6 c
La plus et mieux aimée, une vénitienne, 6+6 c
Qu'en sa gondole un soir, sur le Canaleio, 6+6 b
Un bravo poignarda. — le mari de la belle 6+6 d
Avait monté ce coup, la sachant infidèle 6+6 d
945 — C'est un roman entier que cette histoire-là. — 6+6 e
Albertus vint au corps, leva l'étoffe noire, 6+6 f
Ébaucha ce portrait qu'il finit de mémoire, 6+6 f
Et puis jamais n'en reparla. 8 e
LXXX
Seulement quand ses yeux rencontraient cette toile, 6+6 a
950 Qu'aux regards étrangers cachait un épais voile, 6+6 a
Une larme furtive essuyée aussitôt 6+6 b
S'y formait ; un soupir du fond de sa poitrine 6+6 c
S'exhalait sourdement et gonflait sa narine. 6+6 c
Il fronçait les sourcils, mais il ne disait mot. 6+6 b
955 — À Venise, un anglais osa faire des offres : 6+6 d
Pour avoir ce chef-d'œuvre il eût vidé ses coffres ; 6+6 d
Mais c'était profaner — il santo ritratto, 6+6 e
Et comme obstinément il grossissait la somme, 6+6 f
Albertus furieux voulut noyer son homme 6+6 f
960 En bas du pont de Rialto. 8 e
LXXXI
Albertus travaillait. — c'était un paysage. 6+6 a
Salvator eût signé cette selve selvagge. 6+6 a
— Au premier plan des rocs, — au second les donjons 6+6 b
D'un château dentelant de ses flèches aiguës 6+6 c
965 Un ciel ensanglanté, semé d'îles de nues. 6+6 c
— Les grands chênes pliaient comme de faibles joncs, 6+6 b
Les feuilles tournoyaient en l'air ; l'herbe flétrie, 6+6 d
Comme les flots hurlants d'une mer en furie, 6+6 d
Ondait sous la rafale, et de nombreux éclairs 6+6 e
970 De reflets rougeoyants incendiaient les cimes 6+6 f
Des pins échevelés, penchés sur les abîmes 6+6 f
Comme sur le puits des enfers. 8 e
LXXXII
On entra. — c'était Juan. — une lumière bleue 6+6 a
Éclaira l'atelier, et quoiqu'il n'eût ni queue, 6+6 a
975 Ni cornes, ni pied-bot, — quoiqu'il ne sentît pas 6+6 b
Le soufre ou le bitume, à son regard oblique, 6+6 c
À sa lèvre que crispe un rire sardonique, 6+6 c
À son geste anguleux, à sa voix, à son pas, 6+6 b
Tout homme un peu prudent aurait couru bien vite 6+6 d
980 À sa bible et vous l'eût aspergé d'eau bénite. 6+6 d
— Albertus n'en fit rien ; — il ne le voyait point ; 6+6 e
Son âme avec ses yeux était à sa peinture. 6+6 f
— Signor, c'est un billet, dit le diable-Mercure 6+6 f
En le tirant par son pourpoint. 8 e
LXXXIII
985 Notre artiste l'ouvrit ; cherchant la signature 6+6 a
Et ne la trouvant pas : — infâme créature ! 6+6 a
Dit-il entre ses dents. — irez-vous ? — oui, j'irai. 6+6 b
— Quand ? Reprit Juan d'un ton doucereux. — tout à l'heure. 6+6 c
— Vive Dieu ! C'est parler. La signora demeure 6+6 c
990 À quatre pas d'ici ; je vous y conduirai. 6+6 b
— C'est bien, dit Albertus, décrochant son épée, 6+6 d
Un André Ferrara, — fine lame, trempée 6+6 d
Du sang de maints vaillants. — je suis à vous. Pietro ! 6+6 e
Une tête hâlée apparut à la porte 6+6 f
995 Et dit : — che vuoi, signor ? — Vite que l'on m'apporte 6+6 f
Ma cape avec mon sombrero. 8 e
LXXXIV
Le temps de compter trois il revient. — la toilette 6+6 a
Du jeune cavalier en un instant fut faite, 6+6 a
Et, le valet ayant approché le miroir, 6+6 b
1000 Il sourit, — et parut fort content de lui-même, 6+6 c
Mais tout à coup son teint, de pâle devint blême ; 6+6 c
Il avait (le vit-il ou bien crut-il le voir ? ), 6+6 b
Il avait vu bouger dans son cadre la tête 6+6 d
De la vénitienne, et sa bouche muette 6+6 d
1005 Remuer et s'ouvrir comme voulant parler. 6+6 e
— Eh bien ! Signor, fit Juan. — povera, dit l'artiste 6+6 f
Caressant le portrait d'un regard doux et triste, 6+6 f
Il est trop tard pour reculer. 8 e
LXXXV
Ils sortirent tous deux. — la ville était déserte. 6+6 a
1010 À peine çà et là quelque croisée ouverte, 6+6 a
La pluie à fils pressés hachait le ciel obscur ; 6+6 b
Un vent de nord faisait, ainsi que des mouettes 6+6 c
Par un gros temps, crier toutes les girouettes. 6+6 c
Un ivrogne attardé passait battant le mur, 6+6 b
1015 Une fille de joie attendait sur la borne. 6+6 d
— Albertus suivait Juan silencieux et morne ; 6+6 d
Certe, il n'avait ni l'air ni le pas d'un galant. 6+6 e
— Un larron qu'un prévôt conduit à la potence, 6+6 f
Un écolier qui va subir sa pénitence, 6+6 f
1020 Ne marchent pas d'un pied plus lent. 8 e
LXXXVI
Il eût pu retourner chez lui, — mais l'aventure 6+6 a
Était réellement bizarre et de nature 6+6 a
À piquer jusqu'au vif la curiosité ; 6+6 b
Aussi notre héros voulut-il la poursuivre. 6+6 c
1025 L'on arrive. — Don Juan prend le marteau de cuivre 6+6 c
D'une poterne et frappe avec autorité. 6+6 b
Des yeux noirs, des fronts blancs, sous les vitres flamboient, 6+6 d
La maison s'illumine, et des lueurs tournoient 6+6 d
Aux flancs sombres des murs. — de palier en palier 6+6 b
1030 La lumière descend, — la porte en bronze s'ouvre, 6+6 e
L'intérieur splendide et vaste se découvre 6+6 e
À l'œil du jeune cavalier. 8 b
LXXXVII
Un petit négrillon qui tenait une torche 6+6 a
De cire parfumée, attendait sous le porche. 6+6 a
1035 Sa livrée écarlate, avec des galons d'or, 6+6 b
Était riche et galante. — allons, dit Juan, beau page 6+6 c
Conduisez ce seigneur par le secret passage. 6+6 c
Albertus le suivit. — au bout d'un corridor 6+6 b
Une courtine rouge à demi relevée 6+6 d
1040 Se referme sur lui ; — flairant son arrivée, 6+6 d
Deux grands lévriers blancs, couchés sur le tapis, 6+6 e
Hument l'air autour d'eux, lèvent leur longue tête, 6+6 f
Poussent entre leurs dents une plainte inquiète, 6+6 f
Et puis retombent assoupis. 8 e
LXXXVIII
1045 D'honneur, vous eussiez dit un boudoir de duchesse, 6+6 a
Tout s'y trouvait : — comfort, élégance et richesse. 6+6 a
— Sur un beau guéridon de bois de citronnier 6+6 b
Brillait, comme une étoile, une lampe d'albâtre 6+6 c
Qui jetait par la chambre un jour doux et bleuâtre. 6+6 c
1050 — Des perles, de la soie, un coffre à clous d'acier, 6+6 b
De blondes sépias, de fraîches aquarelles, 6+6 d
Des albums, des écrans aux découpures frêles, 6+6 d
La dernière revue et le nouveau roman, 6+6 e
Un masque noir brisé, — mille riens fashionables, 6+6 f
1055 Pêle-mêle jetés, jonchaient fauteuils et tables ; 6+6 f
— C'était un désordre charmant ! 8 e
LXXXIX
Notre innamorata, couchée autant qu'assise 6+6 a
Sur un moelleux divan, jeta, comme surprise, 6+6 a
Un petit cri d'enfant, quand Albertus entra ; 6+6 b
1060 Puis, — prenant d'un coup d'œil les conseils de la glace, 6+6 c
Refit bouffer sa manche et remit à leur place 6+6 c
Quelques rubans mutins. — jamais la signora 6+6 b
N'avait été mieux mise ; elle était adorable, 6+6 d
En état d'amener une recrue au diable, 6+6 d
1065 Autant que femme au monde, et même plus ; — ses yeux 6+6 e
Noirs et brillants avaient, sous leurs longues paupières, 6+6 f
Tant de morbidezza, son geste et ses manières 6+6 f
Un abandon si gracieux ! 8 e
XC
Albertus un instant crut voir sa vénitienne 6+6 a
1070 — La coiffure bizarre ornée à l'italienne 6+6 a
De grosses boules d'or et de sequins percés, 6+6 b
Le collier de corail, la croix et l'amulette, 6+6 c
Les touffes de rubans et toute la toilette ; 6+6 c
La peau couleur d'orange, aux tons chauds et foncés, 6+6 b
1075 L'expression rêveuse et l'attitude molle, 6+6 d
Le regard tout pareil et la même parole : 6+6 d
Elle lui ressemblait à faire illusion. 6+6 e
— Connaissant Albertus et son humeur fantasque, 6+6 f
La sorcière avait cru devoir prendre ce masque 6+6 f
1080 Pour contenter sa passion. 8 e
XCI
Véronique sonna. — la portière dorée 6+6 a
S'entr'ouvrit. — revêtu d'une riche livrée, 6+6 a
Un petit page entra qui portait des plateaux, 6+6 b
— Un vrai page flamand, tête blonde et rosée, 6+6 c
1085 Comme celle qu'on voit au terburg du musée. 6+6 c
— Il posa sur la table et flacons et gâteaux, 6+6 b
Plaça l'argenterie, et la vaisselle plate, 6+6 d
Versa de haut le vin dans les verres à patte, 6+6 d
Salua nos galants et puis s'éloigna d'eux. 6+6 e
1090 — C'était un vin du Rhin dont la robe vermeille 6+6 f
Jaunissait de vieillesse, un vin mis en bouteille 6+6 f
Au moins depuis un siècle ‒ ou deux ! 8 e
XCII
Il luisait comme l'or au fond du vidrecome ; 6+6 a
— Un seul verre eût suffi pour étourdir un homme : 6+6 a
1095 Albertus au second s'acheva de griser. 6+6 b
— À son œil fasciné chaque objet était double, 6+6 c
Tout flottait sans contour dans une vapeur trouble ; 6+6 c
Le plancher ondulait, les murs semblaient valser. 6+6 b
— La belle avait jeté toute honte en arrière, 6+6 d
1100 Et, donnant à ses feux une libre carrière, 6+6 d
De ses bras convulsifs lui faisait un collier, 6+6 b
Se collait à son corps avec délire et fièvre, 6+6 e
Le prenait par la tête et jusque sur sa lèvre 6+6 e
Tâchait de le faire plier. 8 b
XCIII
1105 Albertus n'était pas de glace ni de pierre : 6+6 a
— Quand même il l'eût été, sous la noire paupière 6+6 a
De la dame brillait un soleil dont le feu 6+6 b
Eût animé la pierre et fait fondre la glace : 6+6 c
— Un ange, un saint du ciel, pour être à cette place, 6+6 c
1110 Eussent vendu leur stalle au paradis de Dieu. 6+6 b
— Oh ! Dit-il, mon cœur brûle à cette étrange flamme 6+6 d
Qui dans ton œil rayonne, et je vendrais mon âme 6+6 d
Pour t'avoir à moi seul tout entière et toujours. 6+6 e
— Un seul mot de ta bouche à la vie éternelle 6+6 f
1115 Me ferait renoncer. — l'éternité vaut-elle 6+6 f
Une minute de tes jours ! 8 e
XCIV
— Est-ce bien vrai cela ? Reprit la Véronique 6+6 a
Le sourire à la bouche et d'un air ironique, 6+6 a
Et répéteriez-vous ce que vous avez dit ? 6+6 b
1120 — Que pour vous posséder je donnerais mon âme 6+6 c
Au diable, si le diable en voulait, oui, madame, 6+6 c
Je l'ai dit. — eh bien ! Donc, à jamais sois maudit, 6+6 b
Cria l'ange gardien d'Albertus. Je te laisse, 6+6 d
Car tu n'es plus à Dieu. — le peintre en son ivresse 6+6 d
1125 N'entendit pas la voix, et l'ange remonta. 6+6 e
— Un nuage de soufre emplit la chambre, un rire 6+6 f
De Méphistophélès, que l'on ne peut décrire, 6+6 f
Tout à coup dans l'air éclata. 8 e
XCV
Comme ceux d'une orfraie ou d'un hibou dans l'ombre, 6+6 a
1130 Les yeux de Véronique un instant d'un feu sombre 6+6 a
Brillèrent ; — cependant Albertus n'en vit rien, 6+6 b
Certes, s'il l'avait vu, quel que fût son courage, 6+6 c
À leur expression égarée et sauvage, 6+6 c
Il se serait signé de peur, — car c'était bien 6+6 b
1135 Un regard exprimant un mal irrémédiable, 6+6 d
Un regard de damné demandant l'heure au diable. 6+6 d
— On y lisait : — toujours, jamais, éternité. 6+6 e
C'était vraiment horrible. — une prunelle d'homme, 6+6 f
À de pareils éclairs, mourrait et fondrait comme 6+6 f
1140 Fond le bitume au feu jeté. 8 e
XCVI
Et ses lèvres tremblaient. — on eût dit qu'un blasphême 6+6 a
Allait s'en échapper, quand tout à coup : — je t'aime ! 6+6 a
Dit-elle bondissant comme un tigre en fureur. 6+6 b
Mais sais-tu ce que c'est que l'amour d'une femme ? 6+6 c
1145 En demandant le mien, as-tu sondé ton âme ? 6+6 c
As-tu bien calculé les forces de ton cœur ? 6+6 b
Que te sens-tu dans toi de puissant et de large 6+6 d
À porter sans plier une pareille charge ? 6+6 d
Toujours ! Songes-y bien, d'un éternel amour 6+6 e
1150 Il n'est dans l'univers qu'un seul être capable, 6+6 f
Et cet être, c'est Dieu, — car il est immuable ; 6+6 f
L'homme d'un jour n'aime qu'un jour. 8 e
XCVII
Dans le fond du boudoir un rayon de la lampe 6+6 a
Qui, sur les murs dorés, vague et bleuâtre rampe 6+6 a
1155 Derrière les rideaux, tirés discrètement, 6+6 b
Fait deviner un lit. — Albertus, sans mot dire 6+6 c
(c'était bien répondu), de ce côté l'attire, 6+6 c
Sur le bord de ce lit la pousse doucement… 6+6 b
C'est ici que s'arrête en son style pudique, 6+6 d
1160 Tout rouge d'embarras, le narrateur classique 6+6 d
— Que ne fait-on pas dire à cet honnête point ? 6+6 e
Jamais comme immoral Basile ne le biffe, 6+6 f
Et dans un roman chaste il est l'hiéroglyphe 6+6 f
De ce qui ne l'est guère ou point. 8 e
XCVIII
1165 Moi qui ne suis pas prude, et qui n'ai pas de gaze 6+6 a
Ni de feuille de vigne à coller à ma phrase, 6+6 a
Je ne passerai rien. — les dames qui liront 6+6 b
Cette histoire morale auront de l'indulgence 6+6 c
Pour quelques chauds détails. — les plus sages, je pense, 6+6 c
1170 Les verront sans rougir, et les autres crieront. 6+6 b
D'ailleurs, — et j'en préviens les mères de familles, 6+6 d
Ce que j'écris n'est pas pour les petites filles 6+6 d
Dont on coupe le pain en tartines. — mes vers 6+6 e
Sont des vers de jeune homme et non un catéchisme. 6+6 f
1175 Je ne les châtre pas, — dans leur décent cynisme 6+6 f
Ils s'en vont droit ou de travers, 8 e
XCIX
Peu m'importe, selon que dame poésie, 6+6 a
Leur maîtresse absolue, en a la fantaisie, 6+6 a
Et, chastes comme Adam avant d'avoir péché, 6+6 b
1180 Ils marchent librement dans leur nudité sainte, 6+6 c
Enfants purs de tout vice et laissant voir sans crainte 6+6 c
Ce qu'un monde hypocrite avec soin tient caché. 6+6 b
— Je ne suis pas de ceux dont une gorge nue, 6+6 d
Un jupon un peu court, font détourner la vue. — 6+6 d
1185 Mon œil plutôt qu'ailleurs ne s'arrête pas là, 6+6 e
— Pourquoi donc tant crier sur l'œuvre des artistes ? 6+6 f
Ce qu'ils font est sacré ! — messieurs les rigoristes, 6+6 f
N'y verriez-vous donc que cela ? 8 e
C
— Le peintre avait coupé le corset. — Véronique 6+6 a
1190 N'avait sur son beau corps pour vêtement unique 6+6 a
Qu'une toile de Flandre ; — un nuage de lin 6+6 b
De l'air tramé ; — du vent, une brume de gaze 6+6 c
Laissant sous ses réseaux courir l'œil en extase : 6+6 c
— Tout ce que vous pourrez imaginer de fin. 6+6 b
1195 Albertus eut bientôt brisé ce rempart frêle, 6+6 d
Et dans un tour de main déshabillé la belle. 6+6 d
— Il eut tort, c'est gâter soi-même son plaisir, 6+6 e
C'est tuer son amour et lui creuser sa tombe, 6+6 f
Hélas ! Car bien souvent avec le voile tombe 6+6 f
1200 L'illusion et le désir. 8 e
CI
Il n'en fut pas ainsi. — la dame était si belle 6+6 a
Qu'un saint du paradis se fût damné pour elle. 6+6 a
— Un poëte amoureux n'aurait pas inventé 6+6 b
D'idéal plus parfait. — ô nature ! Nature ! 6+6 c
1205 Devant ton œuvre, à toi, qu'est-ce que la peinture ? 6+6 c
Qu'est-ce que Raphaël, ce roi de la beauté ? 6+6 b
Qu'est-ce que le Corrége et le Guide et giorgione, 6+6 d
Titien, et tous ces noms qu'un siècle à l'autre prône ? 6+6 d
Ô Raphaël ! Crois-moi, jette là tes crayons ; 6+6 e
1210 Ta palette, ô Titien ! — Dieu seul est le grand maître, 6+6 f
Il garde son secret et nul ne le pénètre, 6+6 f
Et vainement nous l'essayons. 8 e
CII
Oh ! Le tableau charmant ! — toute honteuse, et rouge 6+6 a
Comme une fraise en mai, sur sa gorge qui bouge, 6+6 a
1215 Elle penche la tête et croise les deux bras. 6+6 b
— Avec son air mutin, et sa petite moue, 6+6 c
Ses longs cils palpitants qui caressent sa joue, 6+6 c
Sa peau plus brune encor sous la blancheur des draps ; 6+6 b
Avec ses grands cheveux aux naturelles boucles, 6+6 d
1220 Ses yeux étincelants comme des escarboucles, 6+6 d
Son col blond et doré, sa bouche de corail, 6+6 e
Son pied de Cendrillon et sa jambe divine, 6+6 f
Et ce que l'ombre cache et ce que l'on devine, 6+6 f
Seule elle valait un sérail. — 8 e
CIII
1225 Les rideaux sont tombés : — des rires frénétiques, 6+6 a
Des cris de volupté, des râles extatiques, 6+6 a
De longs soupirs mourants, des sanglots et des pleurs : 6+6 b
idolo del mio cuor, anima mia, mon ange, 6+6 c
Ma vie, — et tous les mots de ce langage étrange 6+6 c
1230 Que l'amour délirant invente en ses fureurs, 6+6 b
Voilà ce qu'on entend. — l'alcôve est au pillage, 6+6 d
Le lit tremble et se plaint, le plaisir devient rage ; 6+6 d
— Ce ne sont que baisers et mouvements lascifs ; 6+6 e
Les bras autour des corps se crispent et se tordent, 6+6 f
1235 L'œil s'allume, les dents s'entre-choquent et mordent, 6+6 f
Les seins bondissent convulsifs. 8 e
CIV
La lampe grésilla. — dans le fond de l'alcôve 6+6 a
Passa, comme l'éclair, un jour sanglant et fauve ; 6+6 a
Ce ne fut qu'un instant, mais Albertus put voir 6+6 b
1240 Véronique, la peau d'ardents sillons marbrée, 6+6 c
Pâle comme une morte, et si défigurée 6+6 c
Que le frisson le prit ; — puis tout redevint noir. — 6+6 b
La sorcière colla sa bouche sur la bouche 6+6 d
Du jeune cavalier, et de nouveau la couche 6+6 d
1245 Sous des élans d'amour en gémissant plia. 6+6 e
— Minuit sonna. — le timbre au bruit sourd de la grêle 6+6 f
Qui cinglait les carreaux joignit son fausset grêle, 6+6 f
Le hibou du donjon cria. — 8 e
CV
Tout à coup, sous ses doigts, ô prodige à confondre 6+6 a
1250 La plus haute raison ! Albertus sentit fondre 6+6 a
Les appas de sa belle, et s'en aller les chairs. 6+6 b
— Le prisme était brisé. — ce n'était plus la femme 6+6 c
Que tout Leyde adorait, mais une vieille infâme, 6+6 c
Sous d'épais sourcils gris roulant de gros yeux verts 6+6 b
1255 Et pour saisir sa proie, en manière de pinces, 6+6 d
De toute leur longueur ouvrant de grands bras minces. 6+6 d
— Le diable eût reculé. — de rares cheveux blancs 6+6 e
Sur son col décharné pendaient en roides mèches, 6+6 f
Ses os faisaient le gril sous ses mamelles sèches, 6+6 f
1260 Et ses côtes trouaient ses flancs. 8 e
CVI
Quand il se vit si près de cette mort vivante, 6+6 a
Tout le sang d'Albertus se figea d'épouvante ; 6+6 a
— Ses cheveux se dressaient sur son front, et ses dents 6+6 b
Choquaient à se briser ; — cependant le squelette 6+6 c
1265 À sa joue appuyant sa lèvre violette, 6+6 c
Le poursuivait partout de ses rires stridents. — 6+6 b
Dans l'ombre, au pied du lit, grouillaient d'étranges formes, 6+6 d
Incubes, cauchemars, spectres lourds et difformes 6+6 d
Un cercueil de Callot et de Goya complet ! 6+6 e
1270 Des escargots cornus sortant du joint des briques 6+6 f
Argentaient les vieux murs de baves phosphoriques ; 6+6 f
La lampe fumait et râlait. 8 e
CVII
Au lieu du lit doré, c'était un grabat sale ; 6+6 a
Au lieu du boudoir rose une petite salle 6+6 a
1275 D'un aspect misérable, où, dans un vieux châssis, 6+6 b
Frissonnaient des carreaux étoilés ; où les voûtes, 6+6 c
Vertes d'humidité, suaient à grosses gouttes, 6+6 c
Et laissaient choir leurs pleurs sur les pavés noircis. 6+6 b
— Juan, redevenu chat, jetait mille étincelles, 6+6 d
1280 Fascinait Albertus du feu de ses prunelles, 6+6 d
Et comme le barbet de Faust, l'emprisonnant 6+6 e
De magiques liens, avec sa noire queue, 6+6 f
Sur la dalle, où s'allume une lumière bleue, 6+6 f
Traçait un cercle rayonnant. 8 e
CVIII
1285 La vieille fit : — hop ! Hop ! Et par la cheminée 6+6 a
De reflets flamboyants soudain illuminée, 6+6 a
Deux manches à balais, tout bridés, tout sellés, 6+6 b
Entrèrent dans la salle avec force ruades, 6+6 c
Caracoles et sauts, voltes et pétarades, 6+6 c
1290 Ainsi que des chevaux par leur maître appelés. 6+6 b
— C'est ma jument anglaise et mon coureur arabe, 6+6 d
Dit la sorcière ouvrant ses griffes comme un crabe 6+6 d
Et flattant de la main ses balais sur le col. 6+6 e
— Un crapaud hydropique, aux longues pattes grêles, 6+6 f
1295 Tint l'étrier. — housch ! Housch ! — comme des sauterelles 6+6 f
Les deux balais prirent leur vol. 8 e
CIX
Trap ! Trap ! — ils vont, ils vont comme le vent de bise ; 6+6 a
— La terre sous leurs pieds file rayée et grise, 6+6 a
Le ciel nuageux court sur leur tête au galop ; 6+6 b
1300 À l'horizon blafard d'étranges silhouettes 6+6 c
Passent. — le moulin tourne et fait des pirouettes, 6+6 c
La lune en son plein luit rouge comme un fallot ; 6+6 b
Le donjon curieux de tous ses yeux regarde, 6+6 d
L'arbre étend ses bras noirs, — la potence hagarde 6+6 d
1305 Montre le poing et fuit emportant son pendu ; 6+6 e
Le corbeau qui croasse et flaire la charogne, 6+6 f
Fouette l'air lourdement, et de son aile cogne 6+6 f
Le front du jeune homme éperdu. 8 e
CX
Chauves-souris, hiboux, chouettes, vautours chauves, 6+6 a
1310 Grands-ducs, oiseaux de nuit aux yeux flambants et fauves, 6+6 a
Monstres de toute espèce et qu'on ne connaît pas, 6+6 b
Stryges au bec crochu, goules, larves, harpies, 6+6 c
Vampires, loups-garous, brucolaques impies, 6+6 c
Mammouths, léviathans, crocodiles, boas, 6+6 b
1315 Cela grogne, glapit, siffle, rit et babille, 6+6 d
Cela grouille, reluit, vole, rampe et sautille ; 6+6 d
Le sol en est couvert, l'air en est obscurci. 6+6 e
— Des balais haletants la course est moins rapide, 6+6 f
Et de ses doigts noueux tirant à soi la bride, 6+6 f
1320 La vieille cria : — c'est ici. 8 e
CXI
Une flamme jetant une clarté bleuâtre, 6+6 a
Comme celle du punch, éclairait le théâtre. 6+6 a
— C'était un carrefour dans le milieu d'un bois. 6+6 b
Les nécromants en robe et les sorcières nues, 6+6 c
1325 À cheval sur leurs boucs, par les quatre avenues, 6+6 c
Des quatre points du vent débouchaient à la fois. 6+6 b
Les approfondisseurs de sciences occultes, 6+6 d
Faust de tous les pays, mages de tous les cultes, 6+6 d
Zingaros basanés, et rabbins au poil roux, 6+6 e
1330 Cabalistes, devins, rêvasseurs hermétiques, 6+6 f
Noirs et faisant râler leurs soufflets asthmatiques 6+6 f
Aucun ne manque au rendez-vous. 8 e
CXII
Squelettes conservés dans les amphithéâtres, 6+6 a
Animaux empaillés, monstres, fœtus verdâtres, 6+6 a
1335 Tout humides encor de leur bain d'alcohol, 6+6 b
Culs-de-jatte, pieds-bots, montés sur des limaces, 6+6 c
Pendus tirant la langue et faisant des grimaces ; 6+6 c
Guillotinés blafards, un ruban rouge au col, 6+6 b
Soutenant d'une main leur tête chancelante ; 6+6 d
1340 — Tous les suppliciés, foule morne et sanglante, 6+6 d
Parricides manchots couverts d'un voile noir, 6+6 e
Hérétiques vêtus de tuniques soufrées, 6+6 f
Roués meurtris et bleus, noyés aux chairs marbrées ; 6+6 f
— C'était épouvantable à voir ! 8 e
CXIII
1345 Le président, assis dans une chaire noire, 6+6 a
Avec ses doigts crochus feuilletant le grimoire, 6+6 a
Épelait à rebours les noms sacrés de Dieu. 6+6 b
— Un rayon échappé de sa prunelle verte 6+6 c
Éclairait le bouquin, et sur la page ouverte 6+6 c
1350 Faisait étinceler les mots en traits de feu. 6+6 b
— Pour commencer la fête on attendait le maître, 6+6 d
On s'impatientait ; il tardait à paraître 6+6 d
Et faisait sourde oreille à l'évocation. 6+6 e
— Albertus croyait voir une queue et des cornes, 6+6 f
1355 Des pieds de bouc, des yeux tout ronds aux regards mornes 6+6 f
Une horrible apparition ! 8 e
CXIV
Enfin il arriva. — ce n'était pas un diable 6+6 a
Empoisonnant le soufre et d'aspect effroyable, 6+6 a
Un diable rococo. — c'était un élégant 6+6 b
1360 Portant l'impériale et la fine moustache, 6+6 c
Faisant sonner sa botte et siffler sa cravache 6+6 c
Ainsi qu'un merveilleux du boulevard de Gand. 6+6 b
— On eût dit qu'il sortait de voir Robert le diable 6+6 d
Ou la tentation, ou d'un raoût fashionable, 6+6 d
1365 — Boiteux comme Byron, mais pas plus ; — il eût fait 6+6 e
Avec son ton tranchant, son air aristocrate, 6+6 f
Et son talent exquis pour mettre sa cravate, 6+6 f
Dans les salons un grand effet. 8 e
CXV
Le Belzébuth dandy fit un signe, et la troupe, 6+6 a
1370 Pour ouïr le concert se réunit en groupe. 6+6 a
— Ni Ludwig Beethoven, ni Glück, ni Meyerbeer, 6+6 b
Ni Théodore Hoffmann, Hoffmann le fantastique ! 6+6 c
Ni le gros Rossini, ce roi de la musique, 6+6 c
Ni le chevalier Karl Maria de Weber, 6+6 b
1375 À coup sûr n'auraient pu, malgré tout leur génie, 6+6 d
Inventer et noter la grande symphonie 6+6 d
Que jouèrent d'abord les noirs dilettanti ; 6+6 e
— Boucher et Bériot, Paganini lui-même, 6+6 f
N'eussent pas su broder un plus étrange thème 6+6 f
1380 De plus brillants pizzicati. 8 e
CXVI
Les virtuoses font, sous leurs doigts secs et grêles, 6+6 a
Des stradivarius grincer les chanterelles ; 6+6 a
La corde semble avoir une âme dans sa voix. 6+6 b
Le tam-tam caverneux, comme un tonnerre gronde ; 6+6 c
1385 Un lutin jovial, gonflant sa face ronde, 6+6 c
Sonne burlesquement de deux cors à la fois. 6+6 b
Celui-ci frappe un gril, et cet autre en goguettes 6+6 d
Prend pour tambour son ventre et deux os pour baguettes. 6+6 d
Quatre petits démons, sous un archet de fer, 6+6 e
1390 Font ronfler et mugir quatre basses géantes. 6+6 f
Un gras soprano tord ses mâchoires béantes. 6+6 f
C'est un charivari d'enfer ! 8 e
CXVII
Le concerto fini, les danses commencèrent. 6+6 a
Les mains avec les mains en chaîne s'enlacèrent. 6+6 a
1395 Dans le grand fauteuil noir le diable se plaça 6+6 b
Et donna le signal. — hurrah ! Hurrah ! La ronde 6+6 c
Fouillant du pied le sol, hurlante et furibonde, 6+6 c
Comme un cheval sans frein au galop se lança. 6+6 b
Pour ne rien voir, le ciel ferma ses yeux d'étoiles, 6+6 d
1400 Et la lune prenant deux nuages pour voiles, 6+6 d
Toute blanche de peur de l'horizon s'enfuit. — 6+6 e
L'eau s'arrêta troublée, et les échos eux-mêmes 6+6 f
Se turent, n'osant pas répéter les blasphèmes 6+6 f
Qu'ils entendirent cette nuit ! 8 e
CXVIII
1405 On eût cru voir tourner et flamboyer dans l'ombre 6+6 a
Les signes monstrueux d'un zodiaque sombre ; 6+6 a
L'hippopotame lourd, Falstaff à quatre pieds, 6+6 b
Se dressait gauchement sur ses pattes massives 6+6 c
Et s'épanouissait en gambades lascives. 6+6 c
1410 — Le cul-de-jatte, avec ses moignons estropiés, 6+6 b
Sautait comme un crapaud, et les boucs, plus ingambes, 6+6 d
Battaient des entrechats, faisaient des ronds de jambes. 6+6 d
— Une tête de mort, à pattes de faucheux, 6+6 e
Trottait par terre, ainsi qu'une araignée énorme. 6+6 f
1415 Dans tous les coins grouillait quelque chose d'informe ; 6+6 f
— Des vers rayaient le sol gâcheux. — 8 e
CXIX
La chevelure au vent, la joue en feu, les femmes 6+6 a
Tordaient leurs membres nus en postures infâmes ; 6+6 a
Arétin eût rougi. — des baisers furieux 6+6 b
1420 Marbraient les seins meurtris et les épaules blanches ; 6+6 c
Des doigts noirs et velus se crispaient sur les hanches : 6+6 c
On entendait un bruit de chocs luxurieux. 6+6 b
— Les prunelles jetaient des éclairs électriques, 6+6 d
Les bouches se fondaient en étreintes lubriques : 6+6 d
1425 — C'étaient des rires fous, des cris, des râlements ! 6+6 e
Non, Sodome jamais, jamais sa sœur immonde, 6+6 f
N'effrayèrent le ciel, ne souillèrent le monde 6+6 f
De plus hideux accouplements. 8 e
CXX
Le diable éternua. — pour un nez fashionable 6+6 a
1430 L'odeur de l'assemblée était insoutenable. 6+6 a
— Dieu vous bénisse, dit Albertus poliment. 6+6 b
— À peine eut-il lâché le saint nom, que fantômes, 6+6 c
Sorcières et sorciers, monstres follets et gnomes, 6+6 c
Tout disparut en l'air comme un enchantement. 6+6 b
1435 — Il sentit plein d'effroi des griffes acérées, 6+6 d
Des dents qui se plongeaient dans ses chairs lacérées ; 6+6 d
Il cria ; mais son cri ne fut point entendu… 6+6 e
Et des contadini le matin, près de Rome, 6+6 f
Sur la voie Appia trouvèrent un corps d'homme, 6+6 f
1440 Les reins cassés, le col tordu. 8 e
CXXI
— Joyeux comme un enfant à la fin de son thème, 6+6 a
Me voici donc au bout de ce moral poëme ! 6+6 a
En êtes-vous aussi content que moi, lecteur ? 6+6 b
En vain depuis deux mois, pour clore ce volume, 6+6 c
1445 Mes doigts faisaient grincer et galoper la plume ; 6+6 c
Le sujet paresseux marchait avec lenteur. 6+6 b
Se berçant à loisir sur leurs ailes vermeilles, 6+6 d
Les strophes se groupaient comme un essaim d'abeilles 6+6 d
Ou picoraient sans ordre aux sureaux du chemin. 6+6 e
1450 — Les chiffres grossissaient. La page sur la page 6+6 f
Se couchait moite encore, et moi, perdant courage, 6+6 f
Je me disais toujours : — demain ! 8 e
CXXII
— Ce poëme homérique et sans égal au monde 6+6 a
Offre une allégorie admirable et profonde ; 6+6 a
1455 Mais, — pour sucer la moelle il faut qu'on brise l'os, 6+6 b
Pour savourer l'odeur il faut ouvrir le vase, 6+6 c
Du tableau que l'on cache il faut tirer la gaze, 6+6 c
Lever, le bal fini, le masque aux dominos. 6+6 b
— J'aurais pu clairement expliquer chaque chose, 6+6 d
1460 Clouer à chaque mot une savante glose. — 6+6 d
Je vous crois, cher lecteur, assez spirituel 6+6 e
Pour me comprendre. — ainsi, bonsoir. — fermez la porte, 6+6 f
Donnez-moi la pincette, et dites qu'on m'apporte 6+6 f
Un tome de Pantagruel. 8 e
mètre profils métriques : 8, 6+6
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