Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
GAU_2/GAU83
Théophile GAUTIER
La comédie de la mort
1838
NOTRE-DAME
I
Las de ce calme plat où d'avance faes, 6+6 a
Comme une eau qui s'endort, croupissent nos années ; 6+6 a
Las d'étouffer ma vie en un salon étroit, 6+6 b
Avec de jeunes fats et des femmes frivoles, 6+6 c
5 Échangeant sans profit de banales paroles ; 6+6 c
Las de toucher toujours mon horizon du doigt. 6+6 b
Pour me refaire au grand et me rélargir l'âme, 6+6 a
Ton livre dans ma poche, aux tours de Notre-Dame ; 6+6 a
Je suis allé souvent, Victor, 8 b
10 A huit heures, l'été, quand le soleil se couche, 6+6 c
Et que son disque fauve, au bord des toits qu'il touche, 6+6 c
Flotte comme un gros ballon d'or. 8 b
Tout chatoie et reluit ; le peintre et le poëte 6+6 a
Trouvent là des couleurs pour charger leur palette, 6+6 a
15 Et des tableaux ardents à vous brûler les yeux ; 6+6 b
Ce ne sont que saphirs, cornalines, opales, 6+6 c
Tons à faire trouver Rubens et Titien pâles ; 6+6 c
Ithuriel répand son écrin dans les cieux. 6+6 b
Cathédrales de brume aux arches fantastiques ; 6+6 a
20 Montagnes de vapeurs, colonnades, portiques, 6+6 a
Par la glace de l'eau doublés, 8 b
La brise qui s'en joue et déchire leurs franges, 6+6 c
Imprime, en les roulant, mille formes étranges 6+6 c
Aux nuages échevelés. 8 b
25 Comme, pour son bonsoir, d'une plus riche teinte, 6+6 a
Le jour qui fuit revêt la cathédrale sainte, 6+6 a
Ébauchée à grands traits à l'horizon de feu ; 6+6 b
Et les jumelles tours, ces cantiques de pierre, 6+6 c
Semblent les deux grands bras que la ville en prière, 6+6 c
30 Avant de s'endormir, élève vers son Dieu. 6+6 b
Ainsi que sa patronne, à sa tête gothique, 6+6 a
La vieille église attache une gloire mystique 6+6 a
Faite avec les splendeurs du soir ; 8 b
Les roses des vitraux, en rouges étincelles, 6+6 c
35 S'écaillent brusquement, et comme des prunelles, 6+6 c
S'ouvrent toutes rondes pour voir. 8 b
La nef épanouie, entre ses côtes minces, 6+6 a
Semble un crabe géant faisant mouvoir ses pinces, 6+6 a
Une araignée énorme, ainsi que des réseaux, 6+6 b
40 Jetant au front des tours, au flanc noir des murailles, 6+6 c
En fils aériens, en délicates mailles, 6+6 c
Ses tulles de granit, ses dentelles d'arceaux. 6+6 b
Aux losanges de plomb du vitrail diaphane, 6+6 a
Plus frais que les jardins d'Alcine ou de Morgane, 6+6 a
45 Sous un chaud baiser de soleil, 8 b
Bizarrement peuplés de monstres héraldiques, 6+6 c
Éclosent tout d'un coup cent parterres magiques 6+6 c
Aux fleurs d'azur et de vermeil. 8 b
Légendes d'autrefois, merveilleuses histoires 6+6 a
50 Écrites dans la pierre, enfers et purgatoires, 6+6 a
Dévotement taillés par de naïfs ciseaux ; 6+6 b
Piédestaux du portail, qui pleurent leurs statues, 6+6 c
Par les hommes et non par le temps abattues, 6+6 c
Licornes, loups-garous, chimériques oiseaux, 6+6 b
55 Dogues hurlant au bout des gouttières ; tarasques, 6+6 a
Guivres et basilics, dragons et nains fantasques, 6+6 a
Chevaliers vainqueurs de géants, 8 b
Faisceaux de piliers lourds, gerbes de colonnettes, 6+6 c
Myriades de saints roulés en collerettes, 6+6 c
60 Autour des trois porches béants. 8 b
Lancettes, pendentifs, ogives, trèfles grêles 6+6 a
Où l'arabesque folle accroche ses dentelles 6+6 a
Et son orfèvrerie, ouvrée à grand travail ; 6+6 b
Pignons troués à jour, flèches déchiquees, 6+6 c
65 Aiguilles de corbeaux et d'anges surmones, 6+6 c
La cathédrale luit comme un bijou d'émail ! 6+6 b
II
Mais qu'est-ce que cela ? lorsque l'on a dans l'ombre 6+6 a
Suivi l'escalier svelte aux spirales sans nombre 6+6 a
Et qu'on revoit enfin le bleu, 8 b
70 Le vide par-dessus et par-dessous l'abîme, 6+6 c
Une crainte vous prend, un vertige sublime 6+6 c
A se sentir si près de Dieu ! 8 b
Ainsi que sous l'oiseau qui s'y perche, une branche 6+6 a
Sous vos pieds qu'elle fuit, la tour frissonne et penche, 6+6 a
75 Le ciel ivre chancelle et valse autour de vous ; 6+6 b
L'abîme ouvre sa gueule, et l'esprit du vertige, 6+6 c
Vous fouettant de son aile en ricanant voltige 6+6 c
Et fait au front des tours trembler les garde-fous, 6+6 b
Les combles anguleux, avec leurs girouettes, 6+6 a
80 Découpent, en passant, d'étranges silhouettes 6+6 a
Au fond de votre œil ébloui, 8 b
Et dans le gouffre immense où le corbeau tournoie, 6+6 c
Bête apocalyptique, en se tordant aboie, 6+6 c
Paris éclatant, inoui ! 8 b
85 Oh ! le cœur vous en bat, dominer de ce faîte, 6+6 a
Soi, chétif et petit, une ville ainsi faite ; 6+6 a
Pouvoir, d'un seul regard, embrasser ce grand tout, 6+6 b
Debout, là-haut, plus près du ciel que de la terre, 6+6 c
Comme l'aigle planant, voir au sein du cratère, 6+6 c
90 Loin, bien loin, la fumée et la lave qui bout ! 6+6 b
De la rampe, où le vent, par les trèfles arabes, 6+6 a
En se jouant, redit les dernières syllabes 6+6 a
De l'hosanna du séraphin ; 8 b
Voir s'agiter là-bas, parmi les brumes vagues, 6+6 c
95 Cette mer de maisons dont les toits sont les vagues ; 6+6 c
L'entendre murmurer sans fin ; 8 b
Que c'est grand ! que c'est beau ! les frêles chemies, 6+6 a
De leurs turbans fumeux en tout temps couronnées, 6+6 a
Sur le ciel de safran tracent leurs profils noirs, 6+6 b
100 Et la lumière oblique, aux arêtes hardies, 6+6 c
Jetant de tous côtés de riches incendies 6+6 c
Dans la moire du fleuve enchâsse cent miroirs. 6+6 b
Comme en un bal joyeux, un sein de jeune fille, 6+6 a
Aux lueurs des flambeaux s'illumine et scintille 6+6 a
105 Sous les bijoux et les atours ; 8 b
Aux lueurs du couchant, l'eau s'allume, et la Seine 6+6 c
Berce plus de joyaux, certes, que jamais reine 6+6 c
N'en porte à son col les grands jours. 8 b
Des aiguilles, des tours, des coupoles, des dômes 6+6 a
110 Dont les fronts ardoisés luisent comme des heaumes, 6+6 a
Des murs écartelés d'ombre et de clair, des toits 6+6 b
De toutes les couleurs, des résilles de rues, 6+6 c
Des palais étouffés, où, comme des verrues, 6+6 c
S'accrochent des étaux et des bouges étroits ! 6+6 b
115 Ici, là, devant vous, derrière, à droite, à gauche, 6+6 a
Des maisons ! des maisons ! le soir vous en ébauche 6+6 a
Cent mille avec un trait de feu ! 8 b
Sous le même horizon, Tyr, Babylone et Rome, 6+6 c
Prodigieux amas, chaos fait de main d'homme, 6+6 c
120 Qu'on pourrait croire fait par Dieu ! 8 b
III
Et cependant, si beau que soit, ô Notre-Dame, 6+6 a
Paris ainsi vêtu de sa robe de flamme, 6+6 a
Il ne l'est seulement que du haut de tes tours. 6+6 b
Quand on est descendu tout se métamorphose, 6+6 c
125 Tout s'affaisse et s'éteint, plus rien de grandiose, 6+6 c
Plus rien, excepté toi, qu'on admire toujours. 6+6 b
Car les anges du ciel, du reflet de leurs ailes, 6+6 a
Dorent de tes murs noirs les ombres solennelles, 6+6 a
Et le Seigneur habite en toi. 8 b
130 Monde de poésie, en ce monde de prose, 6+6 c
A ta vue, on se sent battre au cœur quelque chose ; 6+6 c
L'on est pieux et plein de foi ! 8 b
Aux caresses du soir, dont l'or te damasquine, 6+6 a
Quand tu brilles au fond de ta place mesquine, 6+6 a
135 Comme sous un dais pourpre un immense ostensoir ; 6+6 b
A regarder d'en bas ce sublime spectacle, 6+6 c
On croit qu'entre tes tours, par un soudain miracle, 6+6 c
Dans le triangle saint Dieu se va faire voir. 6+6 b
Comme nos monuments à tournure bourgeoise 6+6 a
140 Se font petits devant ta majesté gauloise, 6+6 a
Gigantesque sœur de Babel, 8 b
Près de toi, tout là-haut, nul dôme, nulle aiguille, 6+6 c
Les faîtes les plus fiers ne vont qu'à ta cheville, 6+6 c
Et, ton vieux chef heurte le ciel. 8 b
145 Qui pourrait préférer, dans son goût pédantesque, 6+6 a
Aux plis graves et droits de ta robe Dantesque, 6+6 a
Ces pauvres ordres grecs qui se meurent de froid, 6+6 b
Ces panthéons bâtards, décalqués dans l'école, 6+6 c
Antique friperie empruntée à Vignole, 6+6 c
150 Et, dont aucun dehors ne sait se tenir droit. 6+6 b
O vous ! maçons du siècle, architectes athées, 6+6 a
Cervelles, dans un moule uniforme jees, 6+6 a
Gens de la règle et du compas ; 8 b
Bâtissez des boudoirs pour des agents de change, 6+6 c
155 Et des huttes de plâtre à des hommes de fange ; 6+6 c
Mais des maisons pour Dieu, non pas ! 8 b
Parmi les palais neufs, les portiques profanes, 6+6 a
Les parthénons coquets, églises courtisanes, 6+6 a
Avec leurs frontons grecs sur leurs piliers latins, 6+6 b
160 Les maisons sans pudeur de la ville païenne ; 6+6 c
On dirait, à te voir, Notre-Dame chrétienne, 6+6 c
Une matrone chaste au milieu de catins ! 6+6 b
mètre profils métriques : 8, 6+6
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