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12 longueur métrique
6-6 mètre
GAU_2/GAU49
Théophile GAUTIER
La comédie de la mort
1838
LA COMÉDIE DE LA MORT
LA VIE DANS LA MORT
I
C'était le jour des morts :Une froide bruine 6+6 a
Au bord du ciel rayé,comme une trame fine, 6+6 a
 Tendait ses filets gris ; 6 b
Un vent de nord sifflait ;quelques feuilles rouillées 6+6 c
5 Quittaient en frissonnantles cimes dépouillées 6+6 c
 Des ormes rabougris ; 6 b
Et chacun s'en allaitdans le grand cimetière, 6+6 a
Morne, s'agenouillersur le coin de la pierre 6+6 a
 Qui recouvre les siens, 6 b
10 Prier Dieu pour leur âme,et, par des fleurs nouvelles, 6+6 c
Remplacer en pleurantles pâles immortelles 6+6 c
 Et les bouquets anciens. 6 b
Moi, qui ne connais pascette douleur amère, 6+6 a
D'avoir couché là-basou mon père ou ma mère 6+6 a
15  Sous les gazons flétris, 6 b
Je marchais au hasard,examinant les marbres, 6+6 c
Ou, par une échappée,entre les branches d'arbres, 6+6 c
 Les dômes de Paris ; 6 b
Et, comme je voyaisbien des croix sans couronne, 6+6 a
20 Bien des fosses dont l'herbeétait haute, personne 6+6 a
 Pour prier ne venait, 6 b
Une pitié me prit,une pitié profonde 6+6 c
De ces pauvres tombeauxdélaissés, dont au monde 6+6 c
 Nul ne se souvenait. 6 b
25 Pas un seul brin de mousseà tous ces mausolées, 6+6 a
Cependant, et des nomsde veuves désolées, 6+6 a
 D'époux désespérés, 6 b
Sans qu'un gramen voilâtleurs majuscules noires 6+6 c
Étalaient hardimentleurs mensonges notoires 6+6 c
30  A tous les yeux livrés. 6 b
Ce spectacle me fitsourdre au cœur une idée 6+6 a
Dont j'ai, depuis ce temps,toujours l'âme obsédée. 6+6 a
 Si c'était vrai, les morts 6 b
Tordraient leurs bras noueuxde rage dans leur bière 6+6 c
35 Et feraient pour leverleurs couvercles de pierre 6+6 c
 D'incroyables efforts ! 6 b
Peut-être le tombeaun'est-il pas un asile 6+6 a
, sur son chevet dur,on puisse enfin tranquille 6+6 a
 Dormir l'éternité, 6 b
40 Dans un oubli profondde toute chose humaine, 6+6 c
Sans aucun sentimentde plaisir ou de peine 6+6 c
 D'être ou d'avoir été. 6 b
Peut-être n'a-t-on passommeil ! Et quand la pluie 6+6 a
Filtre jusques à vous,l'on a froid, l'on s'ennuie 6+6 a
45  Dans sa fosse tout seul. 6 b
Oh ! que l'on doit rêvertristement dans ce gîte 6+6 c
pas un mouvement,pas une onde n'agite 6+6 c
 Les plis droits du linceul ! 6 b
Peut-être aux passionsqui nous brûlaient, émue, 6+6 a
50 La cendre de nos cœursvibre encore et remue 6+6 a
 Par-delà le tombeau, 6 b
Et qu'un ressouvenirde ce monde dans l'autre, 6+6 c
D'une vie autrefoisenlacée à la nôtre, 6+6 c
 Trne quelque lambeau. 6 b
55 Ces morts abandonnéssans doute avaient des femmes, 6+6 a
Quelque chose de cheret d'intime ; des âmes 6+6 a
 Pour y verser la leur ; 6 b
S'ils étaient éveillésau fond de cette tombe, 6+6 c
jamais une larmeavec des fleurs ne tombe, 6+6 c
60  Quelle affreuse douleur ! 6 b
Sentir qu'on a passésans laisser plus de marque 6+6 a
Qu'au dos de l'océanle sillon d'une barque ; 6+6 a
 Que l'on est mort pour tous ; 6 b
Voir que vos mieux aiméssi vite vous oublient, 6+6 c
65 Et qu'un saule pleureuraux longs bras qui se plient 6+6 c
 Seul se plaigne sur vous. 6 b
Au moins, si l'on pouvait,quand la lune blafarde, 6+6 a
Ouvrant ses yeux sereinsaux cils d'argent regarde 6+6 a
 Et jette un reflet bleu 6 b
70 Autour du cimetière,entre les tombes blanches, 6+6 c
Avec le feu folletdans l'herbe et sous les branches, 6+6 c
 Se promener un peu ! 6 b
S'en revenir chez soi,dans la maison, théâtre 6+6 a
De sa première vie,et frileux, près de l'âtre, 6+6 a
75  S'asseoir dans son fauteuil, 6 b
Feuilleter ses bouquinset fouiller son pupitre 6+6 c
Jusqu'au moment l'aubeilluminant la vitre, 6+6 c
 Vous renvoie au cercueil. 6 b
Mais non ; il faut restersur son lit mortuaire, 6+6 a
80 N'ayant pour se couvrirque le lin du suaire, 6+6 a
 N'entendant aucun bruit, 6 b
Sinon le bruit du verqui se trne et chemine 6+6 c
Du côté de sa proie,ouvrant sa sourde mine, 6+6 c
 Ne voyant que la nuit. 6 b
85 Puis, s'ils étaient jaloux,les morts, tout ce que Dante 6+6 a
A placé de tourmentsdans sa spirale ardente 6+6 a
 Près des leurs seraient doux. 6 b
Amants, vous qui savezce qu'est la jalousie, 6+6 c
Ce qu'on souffre de mauxà cette frénésie, 6+6 c
90  Un cadavre jaloux ! 6 b
Impuissance et fureur !Être là, dans sa fosse, 6+6 a
Quand celle qu'on aimaitde tout son amour, fausse 6+6 a
 Aux beaux serments jurés, 6 b
En se raillant de vous,dans d'autres bras répète 6+6 c
95 Ce qu'elle vous disait,rouge et penchant la tête 6+6 c
 Avec des mots sacrés. 6 b
Et ne pouvoir venir,quelque nuit de décembre, 6+6 a
Pendant qu'elle est au bal,se tapir dans sa chambre, 6+6 a
 Et lorsque, de retour, 6 b
100 Rieuse, elle défaitau miroir sa toilette, 6+6 c
Dans le cristal profondréfléchir son squelette 6+6 c
 Et sa poitrine à jour, 6 b
Riant affreusement,d'un rire sans gencive, 6+6 a
Marbrer de baisers froidssa gorge convulsive, 6+6 a
105  Et, tenaillant sa main, 6 b
Sa main blanche et roséeavec sa main osseuse, 6+6 c
Faire râler ces motsd'une voix caverneuse 6+6 c
 Qui n'a plus rien d'humain : 6 b
«Femme, vous m'avez faitdes promesses sans nombre. 6+6 a
110 Si vous oubliez, vous,dans ma demeure sombre, 6+6 a
 Moi je me ressouviens. 6 b
Vous avez dit à l'heure la mort me vint prendre, 6+6 c
Que vous me suivriezbientôt ; lassé d'attendre, 6+6 c
 Pour vous chercher je viens !» 6 b
115 Dans un repli de moi,cette pensée étrange 6+6 a
Est là comme un cancerqui m'use et qui me mange ; 6+6 a
 Mon œil en devient creux ; 6 b
Sur mon front nuagerde nouveaux plis se fouillent, 6+6 c
De cheveux et de chairmes tempes se dépouillent, 6+6 c
120  Car ce serait affreux ! 6 b
La mort ne serait plusle remède suprême ; 6+6 a
L'homme, contre le sort,dans la tombe elle-même 6+6 a
 N'aurait pas de recours, 6 b
Et l'on ne pourrait plusse consoler de vivre, 6+6 c
125 Par l'espoir tant fêtédu calme qui doit suivre 6+6 c
 L'orage de nos jours. 6 b
II
Dans le fond de mon âme,agitant ma pensée, 6+6 a
Je restais là rêveuret la tête baissée 6+6 a
 Debout contre un tombeau. 6 b
130 C'était un marbre neuf,et sur la blanche épaule 6+6 c
D'un génie éploré,les longs cheveux d'un saule 6+6 c
 Tombaient comme un manteau. 6 b
La bise feuille à feuilleemportait la couronne 6+6 a
Dont les débris jonchaientle fût de la colonne ; 6+6 a
135  On aurait dit les pleurs 6 b
Que sur la jeune fille,au printemps moissonnée, 6+6 c
Pauvre fleur du matin,avant midi fanée, 6+6 c
 Versaient les autres fleurs. 6 b
La lune entre les ifsfaisait luire sa corne ; 6+6 a
140 De grands nuages noirscouraient sur le ciel morne 6+6 a
 Et passaient par devant ; 6 b
Les feux follets valsaientautour du cimetière, 6+6 c
Et le saule pleureursecouait sa crinière 6+6 c
 Éparpillée au vent. 6 b
145 On entendait des bruitsvenus de l'autre monde, 6+6 a
Des soupirs de terreuret d'angoisse profonde, 6+6 a
 Des voix qui demandaient 6 b
Quand donc à leurs tombeauxl'on mettrait des fleurs neuves, 6+6 c
Comment allait la terre,et pourquoi donc leurs veuves 6+6 c
150  Aussi longtemps tardaient ? 6 b
Tout à coup… j'ose à peineen croire mon oreille, 6+6 a
Sous le marbre entr'ouvert,ô terreur ! ô merveille ! 6+6 a
 J'entendis qu'on parlait. 6 b
C'était un dialogue,et, du fond de la fosse, 6+6 c
155 A la première voix,une voix aigre et fausse 6+6 c
 Par instant se mêlait. 6 b
Le froid me prit. Mes dentsd'épouvante claquèrent ; 6+6 a
Mes genoux chancelantssous moi s'entrechoquèrent. 6+6 a
 Je compris que le ver 6 b
160 Consommait son hymenavec la trépassée, 6+6 c
Éveillée en sursautdans sa couche glacée, 6+6 c
 Par cette nuit d'hiver. 6 b
LA TRÉPASSÉE.
Est-ce une illusion ?Cette nuit tant rêvée, 6+6 a
La nuit du mariageelle est donc arrivée ? 6+6 a
165  C'est le lit nuptial. 6 b
Voici l'heure l'époux,jeune et parfumé, cueille 6+6 c
La beauté de l'épouse,et sur son front effeuille 6+6 c
 L'oranger virginal. 6 b
LE VER.
Cette nuit sera longue,ô blanche trépassée, 6+6 a
170 Avec moi, pour toujours,la mort t'a fiancée ; 6+6 a
 Ton lit c'est le tombeau. 6 b
Voici l'heure le chiencontre la lune aboie, 6+6 c
le pâle vampireerre et cherche sa proie, 6+6 c
  descend le corbeau. 6 b
LA TRÉPASSÉE.
175 Mon bien-aimé, viens donc !l'heure est déjà passée 6+6 a
Oh ! tiens-moi sur ton cœur,entre tes bras pressée. 6+6 a
 J'ai bien peur, j'ai bien froid. 6 b
Réchauffe à tes baisersma bouche qui se glace. 6+6 c
Oh ! viens, je tâcheraide te faire une place 6+6 c
180  Car le lit est étroit ! 6 b
LE VER.
Cinq pieds de long sur deuxde large. La mesure 6+6 a
Est prise exactement ;cette couche est trop dure, 6+6 a
 L'époux ne viendra pas. 6 b
Il n'entend pas tes cris.Il rit dans quelque fête. 6+6 c
185 Allons, sur ton chevetrepose en paix ta tête 6+6 c
 Et recroise tes bras. 6 b
LA TRÉPASSÉE.
Quel est donc ce baiserhumide et sans haleine, 6+6 a
Cette bouche sans lèvreest-ce une bouche humaine, 6+6 a
 Est-ce un baiser vivant ? 6 b
190 O prodige ! A ma droite,à ma gauche, personne. 6+6 c
Mes os craquent d'horreur,toute ma chair frissonne 6+6 c
 Comme un tremble au grand vent. 6 b
LE VER.
Ce baiser c'est le mien :je suis le ver de terre ; 6+6 a
Je viens pour accomplirle solennel mystère. 6+6 a
195  J'entre en possession ; 6 b
Me voilà ton époux,je te serai fidèle. 6+6 c
Le hibou tout joyeuxfouettant l'air de son aile 6+6 c
 Chante notre union. 6 b
LA TRÉPASSÉE.
Oh ! si quelqu'un passaitauprès du cimetière ! 6+6 a
200 J'ai beau heurter du frontles planches de ma bière, 6+6 a
 Le couvercle est trop lourd ! 6 b
Le fossoyeur dort mieuxque les morts qu'il enterre. 6+6 a
Quel silence profond !la route est solitaire ; 6+6 a
 L'écho lui-même est sourd. 6 b
LE VER.
205 A moi tes bras d'ivoire,à moi ta gorge blanche, 6+6 a
A moi tes flancs polisavec ta belle hanche 6+6 a
 A l'ondoyant contour ; 6 b
A moi tes petits pieds,ta main douce et ta bouche, 6+6 c
Et ce premier baiserque ta pudeur farouche 6+6 c
210  Refusait à l'amour. 6 b
LA TRÉPASSÉE.
C'en est fait ! c'en est fait !Il est là ! sa morsure 6+6 a
M'ouvre au flanc une lameet profonde blessure ; 6+6 a
 Il me ronge le cœur. 6 b
Quelle torture ! O Dieu,quelle angoisse cruelle ! 6+6 c
215 Mais que faites-vous donclorsque je vous appelle, 6+6 c
 O ma mère, ô ma sœur ? 6 b
LE VER.
Dans leur âme déjàta mémoire est fanée, 6+6 a
Et pourtant sur ta fosse,ô pauvre abandonnée, 6+6 a
 L'oranger est tout frais. 6 b
220 La tenture funèbreà peine repliée, 6+6 a
Comme un songe d'hierelles t'ont oubliée, 6+6 a
 Oubliée à jamais. 6 b
LA TRÉPASSÉE.
L'herbe pousse plus viteau cœur que sur la fosse ; 6+6 a
Une pierre, une croix,le terrain qui se hausse, 6+6 a
225  Disent qu'un mort est là. 6 b
Mais quelle croix fait voirune tombe dans l'âme ! 6+6 c
Oubli ! seconde mort,néant que je réclame, 6+6 c
 Arrivez, me voilà ! 6 b
LE VER.
Console-toi.-La mortdonne la vie.-Éclose 6+6 a
230 A l'ombre d'une croixl'églantine est plus rose 6+6 a
 Et le gazon plus vert. 6 b
La racine des fleursplongera sous tes côtes ; 6+6 c
A la place tu dorsles herbes seront hautes ; 6+6 c
 Aux mains de Dieu tout sert ! 6 b
235 Un mort qu'ils réveillaientles pria de se taire ; 6+6 a
Un pâle éclair partinon du ciel mais de terre 6+6 a
 Me fit dans leurs tombeaux 6 b
Voir tous les trépasséscadavres ou squelettes, 6+6 c
Avec leurs os jaunisou leurs chairs violettes, 6+6 c
240  S'en allant par lambeaux ; 6 b
Les jeunes et les vieux,peuple du cimetière, 6+6 a
Pauvres morts oubliésn'entendant sur leur pierre 6+6 a
 Gémir que l'ouragan, 6 b
Et dévorés d'ennuidans leur froide demeure, 6+6 c
245 De leurs yeux sans regardcherchant à savoir l'heure 6+6 c
 A l'éternel cadran. 6 b
Puis tout devint obscur,et je repris ma route, 6+6 a
Pâle d'avoir tant vu,plein d'horreur et de doute, 6+6 a
 L'esprit et le corps las ; 6 b
250 Et me suivant partout,mille cloches fêlées, 6+6 c
Comme des voix de mortme jetaient par volées 6+6 c
 Les râlements du glas. 6 b
III
Et je rentrai chez moi.-De lugubres pensées 6+6 a
Tournaient devant mes yeuxsur leurs ailes glacées 6+6 a
255  Et me rasaient le front. 6 b
Comme on voit sur le soirautour des cathédrales, 6+6 c
Des essaims de corbeauxdérouler leurs spirales 6+6 c
 Et voltiger en rond. 6 b
Dans ma chambre, tremblaitune jaune lumière, 6+6 a
260 Tout prenait une formehorrible et singulière, 6+6 a
 Un aspect effrayant. 6 b
Mon lit était la bièreet ma lampe le cierge, 6+6 c
Mon manteau déployéle drap noir qu'on asperge 6+6 c
 Sous la porte en priant. 6 b
265 Dans son cadre terni,le pâle Christ d'ivoire 6+6 a
Cloué les bras en croixsur son étoffe noire, 6+6 a
 Redoublait de pâleur ; 6 b
Et comme au Golgotha,dans sa dure agonie, 6+6 c
Les muscles en reliefde sa face jaunie 6+6 c
270  Se tordaient de douleur. 6 b
Les tableaux ravivantleurs nuances éteintes 6+6 a
Aux reflets du foyerprenaient d'étranges teintes, 6+6 a
 Et, d'un air curieux, 6 b
Comme des spectateursaux loges d'un théâtre, 6+6 c
275 Vieux portraits enfumés,pastels aux tons de plâtre, 6+6 c
 Ouvraient tout grands leurs yeux. 6 b
Une tête de mortsur nature moulée 6+6 a
Se détachait en blanc,grimaçante et pelée, 6+6 a
 Sous un rayon blafard. 6 b
280 Je la vis s'avancerau bord de la console ; 6+6 c
Ses mâchoires semblaientrechercher leur parole 6+6 c
 Et ses yeux leur regard. 6 b
De ses orbites noirs manquaient les prunelles, 6+6 a
Jaillirent tout à coupde fauves étincelles 6+6 a
285  Comme d'un œil vivant. 6 b
Une haleine passapar ses dents déchaussées… 6+6 c
Les rideaux à plis droitstombaient sur les croisées ; 6+6 c
 Ce n'était pas le vent. 6 b
Faible comme ces voixque l'on entend en rêve, 6+6 a
290 Triste comme un soupirdes vagues sur la grève 6+6 a
 J'entendis une voix. 6 b
Or, comme ce jour-làj'avais vu tant de choses, 6+6 c
Tant d'effets merveilleuxdont j'ignorais les causes, 6+6 c
 J'eus moins peur cette fois. 6 b
RAPHAEL.
295 Je suis le Raphaël,le Sanzio, le grand mtre ! 6+6 a
O frère, dis-le-moi,peux-tu me reconntre 6+6 a
 Dans ce crâne hideux ? 6 b
Car je n'ai rien parmices plâtres et ces masques, 6+6 c
Tous ces crânes luisants,polis comme des casques, 6+6 c
300  Qui me distingue d'eux. 6 b
Et pourtant c'est bien moi !Moi, le divin jeune homme, 6+6 a
Le roi de la beauté,la lumière de Rome, 6+6 a
 Le Raphaël d'Urbin ! 6 b
L'enfant aux cheveux brunsqu'on voit aux galeries, 6+6 c
305 Mollement accoudé,suivre ses rêveries, 6+6 c
 La tête dans sa main. 6 b
O ma Fornarina !ma blanche bien aimée, 6+6 a
Toi qui dans un baiserpris mon âme pâmée 6+6 a
 Pour la remettre au ciel ; 6 b
310 Voilà donc ton amant,le beau peintre au nom d'ange, 6+6 c
Cette tête qui faitune grimace étrange : 6+6 c
 Eh bien, c'est Raphaël ! 6 b
Si ton ombre endormieau fond de la chapelle 6+6 a
S'éveillait et venaità ma voix qui t'appelle, 6+6 a
315  Oh ! je te ferais peur ! 6 b
Que le marbre entr'ouvertsur ta tête retombe. 6+6 c
Ne viens pas ! ne viens paset garde dans ta tombe 6+6 c
 Le rêve de ton cœur. 6 b
Analyseurs damnés,abominable race, 6+6 a
320 Hyènes qui suivezle cortège à la trace 6+6 a
 Pour déterrer le corps ; 6 b
Aurez-vous bientôt faitde déclouer les bières, 6+6 c
Pour mesurer nos oset peser nos poussières ; 6+6 c
 Laissez dormir les morts ! 6 b
325 Mes mtres, savez-vous,qui donc a pu le dire ? 6+6 a
Ce qu'on sent quand la scieavec ses dents déchire 6+6 a
 Nos lambeaux palpitants. 6 b
Savez-vous si la mortn'est pas une autre vie, 6+6 c
Et si quand leur dépouilleà la tombe est ravie 6+6 c
330  Les aïeux sont contents ? 6 b
Ah ! vous venez fouillerde vos ongles profanes 6+6 a
Nos tombeaux violés,pour y prendre nos crânes, 6+6 a
 Vous êtes bien hardis. 6 b
Ne craignez vous donc pasqu'un beau jour, pâle et blême, 6+6 c
335 Un trépassé se lèveet vous dise : Anathème ! 6+6 c
 Comme je vous le dis. 6 b
Vous imaginez donc,dans cette pourriture, 6+6 a
Surprendre les secretsde la mère nature 6+6 a
 Et le travail de Dieu ? 6 b
340 Ce n'est pas par le corpsqu'on peut comprendre l'âme. 6+6 c
Le corps n'est que l'autel,le génie est la flamme ; 6+6 c
 Vous éteignez le feu ! 6 b
O mes Enfants-Jésus !O mes brunes madones ! 6+6 a
O vous qui me devezvos plus frches couronnes, 6+6 a
345  Saintes du paradis ! 6 b
Les savants font roulermon crâne sur la terre, 6+6 c
Et vous souffrez celasans prendre le tonnerre, 6+6 c
 Sans frapper ces maudits ! 6 b
Il est donc vrai ! Le ciela perdu sa puissance. 6+6 a
350 Le Christ est mort, le sièclea pour Dieu, la science, 6+6 a
 Pour foi, la liberté. 6 b
Adieu les doux parfumsde la rose mystique ; 6+6 c
Adieu l'amour ; adieula poésie antique ; 6+6 c
 Adieu sainte beauté ! 6 b
355 Vos peintres auront beau,pour voir comme elle est faite, 6+6 a
Tourner entre leurs mainset retourner ma tête, 6+6 a
 Mon secret est à moi. 6 b
Ils copieront mes tons,ils copieront mes poses, 6+6 c
Mais il leur manquerace que j'avais, deux choses, 6+6 c
360  L'amour avec la foi ! 6 b
Dites qui d'entre vous,fils de ce siècle infâme, 6+6 a
Peut rendre saintementla beauté de la femme ; 6+6 a
 Aucun, hélas ! aucun. 6 b
Pour vos petits boudoirs,il faut des priapées ; 6+6 c
365 Qui vous jette un regard,ô mes vierges drapées, 6+6 c
 O mes saintes ! Pas un. 6 b
L'aiguille a fait son tour.Votre tâche est finie, 6+6 a
Comme un pâle vieillardle siècle à l'agonie 6+6 a
 Se lamente et se tord. 6 b
370 L'ange du jugementembouche la trompette 6+6 c
Et la voix va crier :Que justice soit faite, 6+6 c
 Le genre humain est mort ! 6 b
Je n'entendis plus rien.L'aube aux lèvres d'opale, 6+6 a
Tout endormie encor,sur le vitrage pâle 6+6 a
375  Jetait un froid rayon, 6 b
Et je vis s'envoler,comme on voit quelque orfraye, 6+6 c
Que sous l'arceau gothiqueune lueur effraye, 6+6 c
 L'étrange vision ! 6 b
LA MORT DANS LA VIE
IV
La mort est multiforme,elle change de masque 6+6 a
380 Et d'habit plus souventqu'une actrice fantasque ; 6+6 a
 Elle sait se farder, 6 b
Et ce n'est pas toujourscette maigre carcasse, 6+6 c
Qui vous montre les dentset vous fait la grimace 6+6 c
 Horrible à regarder. 6 b
385 Ses sujets ne sont pastous dans le cimetière, 6+6 a
Ils ne dorment pas toussur des chevets de pierre 6+6 a
 A l'ombre des arceaux ; 6 b
Tous ne sont pas vêtusde la pâle livrée, 6+6 c
Et la porte sur tousn'est pas encor murée 6+6 c
390  Dans la nuit des caveaux. 6 b
Il est des trépassésde diverse nature, 6+6 a
Aux uns la puanteuravec la pourriture, 6+6 a
 Le palpableant, 6 b
L'horreur et le dégt,l'ombre profonde et noire, 6+6 c
395 Et le cercueil avideentr'ouvrant sa mâchoire 6+6 c
 Comme un monstreant. 6 b
Aux autres, que l'on voitsans qu'on s'en épouvante 6+6 a
Passer et repasserdans la cité vivante 6+6 a
 Sous leur linceul de chair, 6 b
400 L'invisible néant,la mort intérieure 6+6 c
Que personne ne sait,que personne ne pleure, 6+6 c
 Même votre plus cher. 6 b
Car, lorsque l'on s'en vadans les villes funèbres 6+6 a
Visiter les tombeauxinconnus ou célèbres, 6+6 a
405  De marbre ou de gazon ; 6 b
Qu'on ait ou qu'on n'ait pasquelque paupière amie 6+6 c
Sous l'ombrage des ifsà jamais endormie, 6+6 c
 Qu'on soit en pleurs ou non, 6 b
On dit : Ceux-là sont morts.La mousse étend son voile 6+6 a
410 Sur leurs noms effacés ;le ver file sa toile 6+6 a
 Dans le trou de leurs yeux ; 6 b
Leurs cheveux ont percéles planches de la bière, 6+6 c
A côté de leurs os,leur chair tombe en poussière 6+6 c
 Sur les os des aïeux. 6 b
415 Leurs héritiers, le soir,n'ont plus peur qu'ils reviennent ; 6+6 a
C'est à peine à présentsi leurs chiens s'en souviennent. 6+6 a
 Enfumés et poudreux, 6 b
Leurs portraits adoréstrnent dans les boutiques, 6+6 c
Leurs jaloux d'autrefoisfont leurs panégyriques ; 6+6 c
420  Tout est fini pour eux. 6 b
L'ange de la douleur,sur leur tombe en prière, 6+6 a
Est seul à les pleurerde ses larmes de pierre. 6+6 a
 Comme le ver leur corps, 6 b
L'oubli ronge leur nomavec sa lune sourde ; 6+6 c
425 Ils ont pour draps de litsix pieds de terre lourde. 6+6 c
 Ils sont morts ! et bien morts ! 6 b
Et peut-être une larmeà votre âme échappée 6+6 a
Sur leur cendre, de pluieet de neige trempée, 6+6 a
 Filtre insensiblement. 6 b
430 Qui les va réjouirdans leur triste demeure ; 6+6 c
Et leur cœur desséché,comprenant qu'on les pleure, 6+6 c
 Retrouve un battement. 6 b
Mais personne ne dit,voyant un mort de l'âme : 6+6 a
Paix et repos sur toi !L'on refuse à la lame 6+6 a
435  Ce qu'on donne au fourreau ; 6 b
L'on pleure le cadavreet l'on panse la plaie, 6+6 c
L'âme se brise et meurtsans que nul s'en effraie 6+6 c
 Et lui dresse un tombeau. 6 b
Et cependant il estd'horribles agonies 6+6 a
440 Qu'on ne saura jamais ;des douleurs infinies 6+6 a
 Que l'on n'apeoit pas. 6 b
Il est plus d'une croixau calvaire de l'âme 6+6 c
Sans l'auréole d'or,et sans la blanche femme 6+6 c
 Échevelée au bas. 6 b
445 Toute âme est un sépulcre gisent mille choses ; 6+6 a
Des cadavres hideuxdans des figures roses 6+6 a
 Dorment ensevelis. 6 b
On retrouve toujoursles larmes sous le rire, 6+6 c
Les morts sous les vivants,et l'homme est à vrai dire 6+6 c
450  Une Nécropolis. 6 b
Les tombeaux déterrésdes vieilles cités mortes, 6+6 a
Les chambres et les puitsde la Thèbe aux cent portes 6+6 a
 Ne sont pas si peuplés, 6 b
On n'y rencontre pasde plus affreux squelettes, 6+6 c
455 Un plus vaste fouillisd'ossements et de têtes 6+6 c
 Aux ruines mêlés. 6 b
L'on en voit qui n'ont pasd'épitaphe à leurs tombes, 6+6 a
Et de leurs trépassésfont comme aux catacombes 6+6 a
 Un grand entassement ; 6 b
460 Dont le cœur est un champuni, sans croix ni pierres, 6+6 c
Et que l'aveugle Mortde diverses poussières 6+6 c
 Remplit confusément. 6 b
D'autres, moins oublieux,ont des caves funèbres 6+6 a
sont rangés leurs morts,comme celles des Guèbres 6+6 a
465  Ou des Égyptiens ; 6 b
Tout autour de leur cœursont debout les momies, 6+6 c
Et l'on y reconntles figures blêmies 6+6 c
 De leurs amours anciens. 6 b
Dans un pur souvenirchastement embaumée 6+6 a
470 Ils gardent au fond d'euxl'âme qu'ils ont aimée ; 6+6 a
 Triste et charmant trésor ! 6 b
La mort habite en euxau milieu de la vie ; 6+6 c
Ils s'en vont poursuivantla chère ombre ravie 6+6 c
 Qui leur sourit encor. 6 b
475 ne trouve-t-on pas,en fouillant, un squelette ? 6+6 a
Quel foyer réunitla famille complète 6+6 a
 En cercle chaque soir ? 6 b
Et quel seuil, si riantet si beau qu'il puisse être, 6+6 c
Pour ne pas revenirn'a vu sortir le mtre 6+6 c
480  Avec un manteau noir ? 6 b
Cette petite fleur,qui, toute réjouie, 6+6 a
Fait baiser au soleilsa bouche épanouie, 6+6 a
 Est fille de la mort. 6 b
En plongeant sous le sol,peut-être sa racine, 6+6 c
485 Dans quelque cendre chèrea pris l'odeur divine 6+6 c
 Qui vous charme si fort. 6 b
O fiancés d'hier,encore amants, l'alcôve 6+6 a
nichent vos amours,à quelque vieillard chauve 6+6 a
 A servi comme à vous ; 6 b
490 Avant vos doux soupirselle a redit son râle, 6+6 c
Et son souvenir mêleune odeur sépulcrale 6+6 c
 A vos parfums d'époux ! 6 b
donc poser le piedqu'on ne foule une tombe ? 6+6 a
Ah ! lorsque l'on prendraitson aile à la colombe, 6+6 a
495  Ses pieds au daim léger ; 6 b
Qu'on irait demanderau poisson sa nageoire, 6+6 c
On trouvera partoutl'hôtesse blanche et noire 6+6 c
 Prête à vous héberger. 6 b
Cessez donc, cessez donc,ô vous, les jeunes mères 6+6 a
500 Beant vos fils aux brasdes riantes chimères, 6+6 a
 De leur rêver un sort ; 6 b
Filez-leur un suaireavec le lin des langes. 6+6 c
Vos fils, fussent-ils purset beaux comme les anges, 6+6 c
 Sont condamnés à mort ! 6 b
V
505 A travers les soupirsles plaintes et le râle 6+6 a
Poursuivons jusqu'au boutla funèbre spirale 6+6 a
 De ses détours maudits. 6 b
Notre guide n'est pasVirgile le poëte, 6+6 c
La Béatrix vers nousne penche pas la tête 6+6 c
510  Du fond du paradis. 6 b
Pour guide nous avonsune vierge au teint pâle 6+6 a
Qui jamais ne reçutle baiser d'or du hâle 6+6 a
 Des lèvres du soleil. 6 b
Sa joue est sans couleuret sa bouche bleuâtre, 6+6 c
515 Le bouton de sa gorgeest blanc comme l'albâtre 6+6 c
 Au lieu d'être vermeil. 6 b
Un souffle fait pliersa taille délicate, 6+6 a
Ses bras, plus transparentsque le jaspe ou l'agate, 6+6 a
 Pendent languissamment ; 6 b
520 Sa main laisse échapperune fleur qui se fane, 6+6 c
Et, ployée à son dos,son aile diaphane 6+6 c
 Reste sans mouvement. 6 b
Plus sombres que la nuit,plus fixes que la pierre, 6+6 a
Sous leur sourcil d'ébèneet leur longue paupière 6+6 a
525  Luisent ses deux grands yeux, 6 b
Comme l'eau du Léthéqui va muette et noire, 6+6 c
Ses cheveux débordésbaignent sa chair d'ivoire 6+6 c
 A flots silencieux. 6 b
Des feuilles de ciguëavec des violettes 6+6 a
530 Se mêlent sur son frontaux blanches bandelettes, 6+6 a
 Chaste et simple ornement ; 6 b
Quant au reste, elle est nue,et l'on rit et l'on tremble 6+6 c
En la voyant venir ;car elle a tout ensemble 6+6 c
 L'air sinistre et charmant. 6 b
535 Quoiqu'elle ait mis le pieddans tous les lits du monde 6+6 a
Sous sa blanche couronneelle reste inféconde 6+6 a
 Depuis l'éternité. 6 b
L'ardent baiser s'éteintsur la lèvre fatale 6+6 c
Et personne n'a pucueillir la rose pâle 6+6 c
540  De sa virginité. 6 b
C'est par elle qu'on pleureet qu'on se désespère : 6+6 a
C'est elle qui ravitau giron de la mère 6+6 a
 Son doux et cher souci ; 6 b
C'est elle qui s'en vase coucher, la jalouse, 6+6 c
545 Entre les deux amants,et qui veut qu'on l'épouse 6+6 c
 A son tour elle aussi. 6 b
Elle est amère et douce,elle est méchante et bonne ; 6+6 a
Sur chaque front illustreelle met la couronne 6+6 a
 Sans peur ni passion. 6 b
550 Amère aux gens heureuxet douce aux misérables, 6+6 c
C'est la seule qui donneaux grands inconsolables 6+6 c
 Leur consolation. 6 b
Elle prête des litsà ceux qui, sur le monde, 6+6 a
Comme le Juif errant,font nuit et jour leur ronde 6+6 a
555  Et n'ont jamais dormi. 6 b
A tous les pariaselle ouvre son auberge, 6+6 c
 Et reçoit aussi bienla Phryné que la vierge, 6+6 c
 L'ennemi que l'ami. 6 b
Sur les pas de ce guideau visage impassible, 6+6 a
560 Nous marchons en suivantla spirale terrible 6+6 a
 Vers le but inconnu, 6 b
Par un enfer vivantsans caverne ni gouffre, 6+6 c
Sans bitume enflammé,sans mers aux flots de soufre, 6+6 c
 Sans Belzébuth cornu. 6 b
565 Voici contre un carreaucomme un reflet de lampe 6+6 a
Avec l'ombre d'un homme.Allons, montons la rampe, 6+6 a
 Approchons et voyons. 6 b
Ah ! c'est toi, docteur Faust !Dans la même posture 6+6 c
Du sorcier de Rembrandtsur la noire peinture 6+6 c
570  Aux flamboyants rayons. 6 b
Quoi ! tu n'as pas brisétes fioles d'alchimiste, 6+6 a
Et tu penches toujourston grand front chauve et triste 6+6 a
 Sur quelque manuscrit ! 6 b
Dans ton livre, aux lueursde ce soleil mystique, 6+6 c
575 Quoi ! tu cherches encorle mot cabalistique 6+6 c
 Qui fait venir l'Esprit. 6 b
Eh bien ! Scientia,ta mtresse adorée 6+6 a
A tes chastes désirss'est-elle enfin livrée ? 6+6 a
 Ou, comme au premier jour, 6 b
580 N'en es-tu qu'à baisersa robe ou sa pantoufle, 6+6 c
Ta poitrine asthmatiquea-t-elle encor du souffle 6+6 c
 Pour un soupir d'amour ? 6 b
Quel sable, quel coraila ramené ta sonde ? 6+6 a
As-tu touché le fonddes sagesses du monde ? 6+6 a
585  En puisant à ton puits, 6 b
Nous as-tu dans ton seaufait monter toute nue 6+6 c
La blanche Véritéjusqu'ici méconnue ? 6+6 c
 Arbre, sont donc tes fruits ? 6 b
FAUST.
J'ai plongé dans la mersous le dôme des ondes ; 6+6 a
590 Les grands poissons jetaientleurs ondes vagabondes 6+6 a
 Jusques au fond des eaux ; 6 b
Léviathan fouettaitl'abîme de sa queue, 6+6 c
Les Syrènes peignaientleur chevelure bleue 6+6 c
 Sur les bancs de coraux. 6 b
595 La seiche horrible à voir,le polype difforme, 6+6 a
Tendaient leurs mille bras,le caïman énorme 6+6 a
 Roulait ses gros yeux verts ; 6 b
Mais je suis remonté,car je manquais d'haleine ; 6+6 c
C'est un manteau bien lourdpour une épaule humaine 6+6 c
600  Que le manteau des mers ! 6 b
Je n'ai pu de mon puitstirer que de l'eau claire ; 6+6 a
Le Sphinx interrogécontinue à se taire ; 6+6 a
 Si chauve et si cassé, 6 b
Hélas ! j'en suis encoreà peut-être, et que sais-je ? 6+6 c
605 Et les fleurs de mon frontont fait comme une neige 6+6 c
 Aux lieux j'ai passé. 6 b
Malheureux que je suisd'avoir sans défiance 6+6 a
Mordu les pommes d'orde l'arbre de science ! 6+6 a
 La science est la mort. 6 b
610 Ni l'upa de Java,ni l'euphorbe d'Afrique, 6+6 c
Ni le mancenilierau sommeil magnétique. 6+6 c
 N'ont un poison plus fort. 6 b
Je ne crois plus à rien.J'allais, de lassitude, 6+6 a
Quand vous êtes venus,renoncer à l'étude 6+6 a
615  Et briser mes fourneaux. 6 b
Je ne sens plus en moipalpiter une fibre, 6+6 c
Et comme un balancierseulement mon cœur vibre 6+6 c
 A mouvements égaux. 6 b
Le néant ! Voilà doncce que l'on trouve au terme ! 6+6 a
620 Comme une tombe, un mort,ma cellule renferme 6+6 a
 Un cadavre vivant. 6 b
C'est pour arriver làque j'ai pris tant de peine, 6+6 c
Et que j'ai sans profit,comme on fait d'une graine, 6+6 c
 Semé mon âme au vent. 6 b
625 Un seul baiser, ô douceet blanche Marguerite, 6+6 a
Pris sur ta bouche en fleur,si frche et si petite, 6+6 a
 Vaut mieux que tout cela. 6 b
Ne cherchez pas un motqui n'est pas dans le livre ; 6+6 c
Pour savoir comme on vitn'oubliez pas de vivre. 6+6 c
630  Aimez, car tout est là ! 6 b
VI
La spirale sans findans le vide s'enfonce ; 6+6 a
Tout autour, n'attendantqu'une fausse réponse 6+6 a
 Pour vous pomper le sang, 6 b
Sur leurs grands piédestauxsemés d'hiéroglyphes, 6+6 c
635 Des Sphinx aux seins pointus,aux doigts armés de griffes, 6+6 c
 Roulent leur œil luisant. 6 b
En passant devant eux,à chaque pas l'on cogne 6+6 a
Des os demi rongés,des restes de charogne, 6+6 a
 Des crânes sonnant creux. 6 b
640 On voit de chaque trousortir des jambes raides, 6+6 c
Des apparitionsmonstrueusement laides 6+6 c
 Fendent l'air ténébreux. 6 b
C'est ici que l'énigmeest encor sans Oedipe, 6+6 a
Et qu'on attend toujoursle rayon qui dissipe 6+6 a
645  L'antique obscurité. 6 b
C'est ici que la mortpropose son problème, 6+6 c
Et que le voyageur,devant sa face blême 6+6 c
 Recule épouvanté. 6 b
Ah que de nobles cœurset que d'âmes choisies, 6+6 a
650 Vainement, à traverstoutes les poésies, 6+6 a
 Toutes les passions, 6 b
Ont poursuivi le motde la page fatale 6+6 c
Dont les os gisent làsans pierre sépulcrale 6+6 c
 Et sans inscriptions ! 6 b
655 Combien, don Juans obscurs,ont leurs listes remplies 6+6 a
Et qui cherchent encor !Que de lèvres pâlies 6+6 a
 Sous les plus doux baisers, 6 b
Et qui n'ont jamais puse joindre à leur chimère ! 6+6 c
Que de désirs au cielsont remontés de terre 6+6 c
660  Toujours inapaisés ! 6 b
Il est des écoliersqui voudraient tout conntre, 6+6 a
Et qui ne trouvent paspour valet et pour mtre 6+6 a
 De Méphistophélès. 6 b
Dans les greniers, il estdes Faust sans Marguerite 6+6 c
665 Dont l'enfer ne veut paset que Dieu déshérite ; 6+6 c
 Tous ceux-là, plaignez-les ! 6 b
Car ils souffrent un mal,hélas ! inguérissable ; 6+6 a
Ils mêlent une larmeà chaque grain de sable 6+6 a
 Que le temps laisse choir. 6 b
670 Leur cœur, comme un orfraieau fond d'une ruine, 6+6 c
Râle piteusementdans leur maigre poitrine 6+6 c
 L'hymne du désespoir. 6 b
Leur vie est comme un boisà la fin de l'automne, 6+6 a
Chaque souffle qui passearrache à leur couronne 6+6 a
675  Quelque reste de vert. 6 b
Et leurs rêves en pleurss'en vont fendant les nues, 6+6 c
Silencieux, pareilsà des files de grues 6+6 c
 Quand approche l'hiver. 6 b
Leurs tourments ne sont pointredits par le poète ; 6+6 a
680 Martyrs de la pensée,ils n'ont pas sur leur tête 6+6 a
 L'auréole qui luit ; 6 b
Par les chemins du mondeils marchent sans cortège, 6+6 c
Et sur le sol glacétombent comme la neige 6+6 c
 Qui descend dans la nuit. 6 b
685 Comme je m'en allais,ruminant ma pensée, 6+6 a
Triste, sans dire mot,sous la vte glacée, 6+6 a
 Par le sentier étroit ; 6 b
S'arrêtant tout à coup,ma compagne blafarde 6+6 c
Me dit en étendantsa main frêle : Regarde 6+6 c
690  Du côté de mon doigt. 6 b
C'était un cavalieravec un grand panache, 6+6 a
De longs cheveux bouclés,une noire moustache 6+6 a
 Et des éperons d'or ; 6 b
Il avait le manteau,la rapière et la fraise, 6+6 c
695 Ainsi qu'un raffinédu temps de Louis treize, 6+6 c
 Et semblait jeune encor. 6 b
Mais en regardant bien,je vis que sa perruque 6+6 a
Sous ses faux cheveux brunslaissait près de sa nuque 6+6 a
 Passer des cheveux blancs ; 6 b
700 Son front, pareil au frontde la mer soucieuse, 6+6 c
Se ridait à longs plis ;sa joue était si creuse 6+6 c
 Que l'on comptait ses dents. 6 b
Malgré le fard épaisdont elle était plâtrée, 6+6 a
Comme un marbre couvertd'une gaze pourprée 6+6 a
705  Sa pâleur transpeait ; 6 b
A travers le carminqui colorait sa lèvre, 6+6 c
Sous son rire d'emprunton voyait que la fièvre 6+6 c
 Chaque nuit le baisait. 6 b
Ses yeux sans mouvementsemblaient des yeux de verre 6+6 a
710 Ils n'avaient rien des yeuxd'un enfant de la terre, 6+6 a
 Ni larmes ni regard. 6 b
Diamant enchâssédans sa morne prunelle 6+6 c
Brillait d'un éclat fixe,une froide étincelle. 6+6 c
 C'était bien un vieillard ! 6 b
715 Comme l'arche d'un pontson dos faisait la vte, 6+6 a
Ses pieds endoloris,tout gonflés par la goutte. 6+6 a
 Chancelaient sous son poids. 6 b
Ses mains pâles tremblaient ;ainsi tremblent les vagues, 6+6 c
Sous les baisers du Nord,et laissaient fuir leurs bagues 6+6 c
720  Trop larges pour ses doigts. 6 b
Tout ce luxe, ce fardsur cette face creuse, 6+6 a
Formait une allianceétrange et monstrueuse. 6+6 a
 C'était plus triste à voir 6 b
Et plus laid, qu'un cercueilchez des filles de joie, 6+6 c
725 Qu'un squelette paréd'une robe de soie, 6+6 c
 Qu'une vieille au miroir. 6 b
Confiant à la nuitson amoureuse plainte, 6+6 a
Il attendait devantune fenêtre éteinte, 6+6 a
 Sous un balcon désert. 6 b
730 Nul front blanc ne venaits'appuyer au vitrage, 6+6 c
Nul soleil de beauténe montrait son visage 6+6 c
 Au fond du ciel ouvert. 6 b
Dis, que fais-tu donc là,vieillard, dans les ténèbres, 6+6 a
Par une de ces nuits les essaims funèbres 6+6 a
735  S'envolent des tombeaux ? 6 b
Que vas-tu donc cherchersi loin, si tard, à l'heure 6+6 c
l'Ange de minuitau beffroi chante et pleure 6+6 c
 Sans page et sans flambeaux ? 6 b
Tu n'as plus l'âge toutvous rit et vous accueille, 6+6 a
740 la vierge répandà vos pieds, feuille à feuille, 6+6 a
 La fleur de sa beauté. 6 b
Et ce n'est plus pour toique s'ouvrent les fenêtres ; 6+6 c
Tu n'es bon qu'à dormirauprès de tes ancêtres 6+6 c
 Sous un marbre sculpté. 6 b
745 Entends-tu le hibouqui jette ses cris aigres ? 6+6 a
Entends-tu dans les boishurler les grands loups maigres ? 6+6 a
 O vieillard sans raison ! 6 b
Rentre, c'est le moment la lune réveille 6+6 c
Le vampire blafardsur sa couche vermeille ; 6+6 c
750  Rentre dans ta maison. 6 b
Le vent moqueur a prista chanson sur son aile, 6+6 a
Personne ne t'écoute,et ta cape ruisselle 6+6 a
 Des pleurs de l'ouragan 6 b
Il ne me répond rien ;dites quel est cet homme 6+6 c
755 O mort, et savez-vousle nom dont on le nomme ! 6+6 c
 Cet homme, c'est don Juan. 6 b
VII
DON JUAN
Heureux adolescents,dont le cœur s'ouvre à peine 6+6 a
Comme une violetteà la première haleine 6+6 a
 Du printemps qui sourit, 6 b
760 Âmes couleurs de lait,frais buissons d'aubépine 6+6 c
, sous le pur rayon,dans la pluie argentine 6+6 c
 Tout gazouille et fleurit. 6 b
O vous tous qui sortezdes bras de votre mère 6+6 a
Sans conntre la vieet la science amère, 6+6 a
765  Et qui voulez savoir, 6 b
Poètes et rêveurs,plus d'une fois, sans doute, 6+6 c
Aux lisières des bois,en suivant votre route 6+6 c
 Dans la rougeur du soir, 6 b
A l'heure enchanteresse, sur le bout des branches 6+6 a
770 On voit se becqueterles tourterelles blanches 6+6 a
 Et les bouvreuils au nid, 6 b
Quand la nature lasseen s'endormant soupire, 6+6 c
Et que la feuille au ventvibre comme une lyre 6+6 c
 Après le chant fini ; 6 b
775 Quand le calme et l'oubliviennent à toutes choses 6+6 a
Et que le sylphe rentreau pavillon des roses 6+6 a
 Sous les parfums plié ; 6 b
Émus de tout cela,pleins d'ardeurs inquiètes 6+6 c
Vous avez souhaitéma liste et mes conquêtes ; 6+6 c
780  Vous m'avez envié 6 b
Les festins, les baiserssur les épaules nues, 6+6 a
Toutes ces voluptésà votre âge inconnues, 6+6 a
 Aimable et cher tourment ! 6 b
Zerbine, Elvire, Anna,mes Romaines jalouses, 6+6 c
785 Mes beaux lis d'Albion,mes brunes Andalouses, 6+6 c
 Tout mon troupeau charmant. 6 b
Et vous vous êtes ditpar la voix de vos âmes : 6+6 a
Comment faisais-tu doncpour avoir plus de femmes 6+6 a
 Que n'en a le sultan ? 6 b
790 Comment faisais-tu donc,malgré verroux et grilles, 6+6 c
Pour te glisser au litdes belles jeunes filles, 6+6 c
 Heureux, heureux don Juan ! 6 b
Conquérant oublieux,une seule de celles 6+6 a
Que tu n'inscrivais pas,une entre tes moins belles 6+6 a
795  Ta plus modeste fleur, 6 b
Oh ! combien et longtempsnous l'eussions adorée ! 6+6 c
Elle aurait embelli,dans une urne dorée, 6+6 c
 L'autel de notre cœur. 6 b
Elle aurait parfumé,cette humble paquerette 6+6 a
800 Dont sous l'herbe ton pieda fait ployer la tête, 6+6 a
 Notre pâle printemps ; 6 b
Nous l'aurions recueillie,et de nos pleurs trempée, 6+6 c
Cette étoile aux yeux bleus,dans le bal échappée 6+6 c
 A tes doigts inconstants. 6 b
805 Adorables frissonsde l'amoureuse fièvre, 6+6 a
Ramiers qui descendezdu ciel sur une lèvre, 6+6 a
 Baisers âcres et doux, 6 b
Chutes du dernier voile,et vous cascades blondes, 6+6 c
Cheveux d'or, inondantun dos brun de vos ondes 6+6 c
810  Quand vous conntrons-nous ? 6 b
Enfant, je les connaistous ces plaisirs qu'on rêve ; 6+6 a
Autour du tronc fatall'antique serpent d'Ève 6+6 a
 Ne s'est pas mieux tordu. 6 b
Aux yeux mortels, jamaisdragon à tête d'homme 6+6 c
815 N'a d'un plus vif éclatfait reluire la pomme 6+6 c
 De l'arbre défendu. 6 b
Souvent, comme des nidsde fauvettes farouches, 6+6 a
Tout prêts à s'envoler,j'ai surpris sur des bouches 6+6 a
 Des nids d'aveux tremblants, 6 b
820 J'ai serré dans mes brasde ravissants fantômes, 6+6 c
Bien des vierges en fleurm'ont versé les purs baumes 6+6 c
 De leurs calices blancs. 6 b
Pour en avoir le mot,courtisanes rusées, 6+6 a
J'ai pressé, sous le fard,vos lèvres plus usées 6+6 a
825  Que le grès des chemins. 6 b
Égouts impurs, vonttous les ruisseaux du monde, 6+6 c
J'ai plongé sous vos flots ;et toi, débauche immonde, 6+6 c
 J'ai vu tes lendemains. 6 b
J'ai vu les plus purs frontsrouler après l'orgie 6+6 a
830 Parmi les flots de vin,sur la nappe rougie ; 6+6 a
 J'ai vu les fins de bal 6 b
Et la sueur des bras,et la pâleur des têtes 6+6 c
Plus mornes que la mortsous leurs boucles défaites 6+6 c
 Au soleil matinal. 6 b
835 Comme un mineur qui suitune veine inféconde, 6+6 a
J'ai fouillé nuit et jourl'existence profonde 6+6 a
 Sans trouver le filon. 6 b
J'ai demandé la vieà l'amour qui la donne, 6+6 c
Mais vainement ; je n'aijamais aimé personne 6+6 c
840  Ayant au monde un nom. 6 b
J'ai brûlé plus d'un cœurdont j'ai foulé la cendre, 6+6 a
Mais je restai toujourscomme la Salamandre, 6+6 a
 Froid au milieu du feu. 6 b
J'avais un idéalfrais comme la rosée, 6+6 c
845 Une vision d'or,une opale irisée 6+6 c
 Par le regard de Dieu ; 6 b
Femme, comme jamaissculpteur n'en a pétrie, 6+6 a
Type réunissantCléopâtre et Marie, 6+6 a
 Grâce, pudeur, beauté ; 6 b
850 Une rose mystique, nul ver ne se cache, 6+6 c
Les ardeurs du volcanet la neige sans tache 6+6 c
 De la virginité ! 6 b
Au carrefour douteux,Y grec de Pythagore, 6+6 a
J'ai pris la branche gaucheet je chemine encore 6+6 a
855  Sans arriver jamais. 6 b
Trompeuse volupté,c'est toi que j'ai suivie, 6+6 c
Et peut-être, ô vertu !l'énigme de la vie ; 6+6 c
 C'est toi qui la savais. 6 b
Que n'ai-je, comme Faust,dans ma cellule sombre, 6+6 a
860 Contemplé sur le murla tremblante pénombre 6+6 a
 Du microcosme d'or ! 6 b
Que n'ai-je, feuilletantcabales et grimoires, 6+6 c
Auprès de mon fourneau,passé les heures noires 6+6 c
 A chercher le trésor ! 6 b
865 J'avais la tête forte,et j'aurais lu ton livre 6+6 a
Et bu ton vin amer,Science, sans être ivre 6+6 a
 Comme un jeune écolier. 6 b
J'aurais contraint Isisà relever son voile ; 6+6 c
Et du plus haut des cieuxfait descendre l'étoile 6+6 c
870  Dans mon noir atelier. 6 b
N'écoutez pas l'amourcar c'est un mauvais mtre ; 6+6 a
Aimer, c'est ignorer,et vivre c'est conntre. 6+6 a
 Apprenez, apprenez ; 6 b
Jetez et rejetezà toute heure la sonde ; 6+6 c
875 Et plongez plus avantsous cette mer profonde 6+6 c
 Que n'ont fait vos nés. 6 b
Laissez Léviathansouffler par ses narines, 6+6 a
Laissez le poids des mersau fond de vos poitrines 6+6 a
 Presser votre poumon. 6 b
880 Fouillez les noirs écueilsqu'on n'a pu reconntre, 6+6 c
Et dans son coffre d'orvous trouverez peut-être 6+6 c
 L'anneau de Salomon ! 6 b
VIII
Ainsi parla don Juan,et sous la froide vte, 6+6 a
Las, mais voulant allerjusqu'au bout de la route, 6+6 a
885  Je repris mon chemin. 6 b
Enfin je débouchaidans une plaine morne 6+6 c
Qu'un ciel en feu fermaità l'horizon sans borne, 6+6 c
 D'un cercle de carmin. 6 b
Le sol de cette plaineétait d'un blanc d'ivoire, 6+6 a
890 Un fleuve la coupaitcomme un ruban de moire 6+6 a
 Du rouge le plus vif. 6 b
Tout était ras ; ni bois,ni clocher, ni tourelle, 6+6 c
Et le vent ennuyéla balayait de l'aile 6+6 c
 Avec un ton plaintif. 6 b
895 J'imaginai d'abordque cette étrange teinte, 6+6 a
Cette couleur de sangdont cette onde était peinte, 6+6 a
 N'était qu'un vain reflet ; 6 b
Que la craie et le tufformaient ce blanc d'ivoire, 6+6 c
Mais je vis que c'était(me penchant pour y boire) 6+6 c
900  Du vrai sang qui coulait. 6 b
Je vis que d'os blanchisla terre était couverte, 6+6 a
Froide neige de morts, nulle plante verte, 6+6 a
 Nulle fleur ne germait ; 6 b
Que ce sol n'était faitque de poussière d'homme, 6+6 c
905 Et qu'un peuple à remplirThèbes, Palmyre et Rome 6+6 c
 Était là qui dormait. 6 b
Une ombre, dos vté,front penché, dans la brise 6+6 a
Passa. C'était bien LUI,la redingote grise 6+6 a
 Et le petit chapeau. 6 b
910 Un aigle d'or planaitsur sa tête sacrée, 6+6 c
Cherchant, pour s'y poser,inquiète effarée, 6+6 c
 Un bâton de drapeau. 6 b
Les squelettes tâchaientde rajuster leurs têtes, 6+6 a
Le spectre du tambouragitait ses baguettes 6+6 a
915  A son pas souverain ; 6 b
Une immense clameurvolait sur son passage, 6+6 c
Et cent mille canonslui chantaient dans l'orage 6+6 c
 Leur fanfare d'airain. 6 b
Lui ne paraissait pasentendre ce tumulte, 6+6 a
920 Et, comme un Dieu de marbre,insensible à son culte, 6+6 a
 Marchait silencieux ; 6 b
Quelquefois seulement,comme à la dérobée, 6+6 c
Pour retrouver au cielson étoile tombée 6+6 c
 Il relevait les yeux 6 b
925 Mais le ciel empourpréd'un reflet d'incendie, 6+6 a
N'avait pas une étoile,et la flamme agrandie 6+6 a
 Montait, montait toujours. 6 b
Alors, plus pâle encorqu'aux jours de Sainte-Hélène, 6+6 c
Il refermait ses brassur sa poitrine pleine 6+6 c
930  De gémissements sourds. 6 b
Quand il fut devant nous :Grand empereur, lui dis-je, 6+6 a
Ce mot mystérieuxque mon destin m'oblige 6+6 a
 A chercher ici-bas, 6 b
Ce mot perdu que Faustdemandait à son livre, 6+6 c
935 Et don Juan à l'amour,pour mourir ou pour vivre, 6+6 c
 Ne le sauriez-vous pas ? 6 b
 O malheureux enfant !dit l'ombre impériale, 6+6 a
Retourne-t'en là-haut,la bise est glaciale 6+6 a
 Et je suis tout transi. 6 b
940 Tu ne trouverais pas,sur la route, d'auberge 6+6 c
réchauffer tes pieds,car la mort seule héberge 6+6 c
 Ceux qui passent ici. 6 b
Regarde… C'en est fait.L'étoile est éclipsée, 6+6 a
Un sang noir pleut du flancde mon aigle blessée 6+6 a
945  Au milieu de son vol. 6 b
Avec les blancs floconsde la neige éternelle, 6+6 c
Du haut du ciel obscur,les plumes de son aile 6+6 c
 Descendent sur le sol. 6 b
Hélas ! je ne sauraiscontenter ton envie ; 6+6 a
950 J'ai vainement cherchéle mot de cette vie, 6+6 a
 Comme Faust et don Juan, 6 b
Je ne sais rien de plus,qu'au jour de ma naissance, 6+6 c
Et pourtant je faisaisdans ma toute-puissance, 6+6 c
 Le calme et l'ouragan. 6 b
955 Pourtant l'on me nommaitpar excellence, L'HOMME : 6+6 a
L'on portait devant moil'aigle et les faisceaux, comme 6+6 a
 Aux vieux Césars romains : 6 b
Pourtant j'avais dix roispour me tenir ma robe, 6+6 c
J'étais un Charlemagneemprisonnant le globe 6+6 c
960  Dans une de mes mains. 6 b
Je n'ai rien vu de plusdu haut de la colonne 6+6 a
ma gloire, arc-en-cieltricolore, rayonne 6+6 a
 Que vous autres d'en bas. 6 b
En vain de mon talonj'éperonnais le monde, 6+6 c
965 Toujours le bruit des campset du canon qui gronde, 6+6 c
 Des assauts, des combats. 6 b
Toujours des plats d'argentavec des clefs de villes, 6+6 a
Un concert de claironset de hurrahs serviles, 6+6 a
 Des lauriers, des discours ; 6 b
970 Un ciel noir, dont la pluieétait de la mitraille, 6+6 c
Des morts à saluersur tout champ de bataille. 6+6 c
 Ainsi passaient mes jours. 6 b
Que ton doux nom de miel,Lætitia ma mère, 6+6 a
Mentait cruellementà ma fortune amère ! 6+6 a
975  Que j'étais malheureux ! 6 b
Je promenais partoutma peine vagabonde, 6+6 c
J'avais rêvé l'empire,et la boule du monde 6+6 c
 Dans ma main sonnait creux. 6 b
Ah ! le sort des bergers,et le hêtre Tytire 6+6 a
980 Dans la chaleur du jourà l'écart se retire 6+6 a
 Et chante Amaryllis, 6 b
Le grelot qui résonneet le troupeau qui bêle, 6+6 c
Le lait pur ruisselantd'une blanche mamelle 6+6 c
 Entre des doigts de lys ! 6 b
985 Le parfum du foin vertet l'odeur de l'étable, 6+6 a
Le pain bis des pasteurs,quelques noix sur la table, 6+6 a
 Une écuelle de bois ; 6 b
Une flûte à sept trousjointe avec de la cire, 6+6 c
Et six chèvres, voilàtout ce que je désire, 6+6 c
990  Moi, le vainqueur des rois. 6 b
Une peau de moutoncouvrira mes épaules, 6+6 a
Galathée en riants'enfuira sous les saules 6+6 a
 Et je l'y poursuivrai : 6 b
Mes vers seront plus douxque la douce ambroisie, 6+6 c
995 Et Daphnis deviendrapâle de jalousie 6+6 c
 Aux airs que je jouerai. 6 b
Ah ! je veux m'en allerde mon île de Corse, 6+6 a
Par le bois dont la chèvreen passant mord l'écorce, 6+6 a
 Par le ravin profond, 6 b
1000 Le long du sentier creux chante la cigale, 6+6 c
Suivre nonchalammenten sa marche inégale 6+6 c
 Mon troupeau vagabond. 6 b
Le Sphinx est sans pitiépour quiconque se trompe, 6+6 a
Imprudent, tu veux doncqu'il t'égorge et te pompe 6+6 a
1005  Le pur sang de ton cœur ; 6 b
Le seul qui devinacette énigme funeste 6+6 c
Tua Laïus son pèreet commit un inceste : 6+6 c
 Triste prix du vainqueur ! 6 b
IX
Me voilà revenude ce voyage sombre, 6+6 a
1010 l'on n'a pour flambeauxet pour astre dans l'ombre 6+6 a
 Que les yeux du hibou ; 6 b
Comme après tout un jourde labourage, un buffle 6+6 c
S'en retourne à pas lents,morne et baissant le muffle, 6+6 c
 Je vais ployant le cou. 6 b
1015 Me voilà revenudu pays des fantômes ; 6+6 a
Mais je conserve encorloin des muets royaumes, 6+6 a
 Le teint pâle des morts. 6 b
Mon vêtement pareilau crêpe funéraire 6+6 c
Sur une urne jeté,de mon dos jusqu'à terre, 6+6 c
1020  Pend au long de mon corps. 6 b
Je sors d'entre les mainsd'une mort plus avare 6+6 a
Que celle qui veillaitau tombeau de Lazare ; 6+6 a
 Elle garde son bien : 6 b
Elle lâche le corpsmais elle retient l'âme ; 6+6 c
1025 Elle rend le flambeau,mais elle éteint la flamme, 6+6 c
 Et Christ n'y pourrait rien. 6 b
Je ne suis plus, hélas !que l'ombre de moi-même, 6+6 a
Que la tombe vivante gît tout ce que j'aime, 6+6 a
 Et je me survis seul, 6 b
1030 Je promène avec moiles dépouilles glacées 6+6 c
De mes illusions,charmantes trépassées 6+6 c
 Dont je suis le linceul. 6 b
Je suis trop jeune encor,je veux aimer et vivre, 6+6 a
O mort… et je ne puisme résoudre à te suivre 6+6 a
1035  Dans le sombre chemin ; 6 b
Je n'ai pas eu le tempsde bâtir la colonne 6+6 c
la gloire viendrasuspendre ma couronne ; 6+6 c
 O mort, reviens demain ! 6 b
Vierge aux beaux seins d'albâtre,épargne ton poëte, 6+6 a
1040 Souviens-toi que c'est moiqui le premier t'ai faite 6+6 a
 Plus belle que le jour ; 6 b
J'ai changé ton teint verten pâleur diaphane, 6+6 c
Sous de beaux cheveux noirsj'ai caché ton vieux crâne, 6+6 c
 Et je t'ai fait la cour. 6 b
1045 Laisse-moi vivre encor,je dirai tes louanges, 6+6 a
Pour orner tes palais,je sculpterai des anges, 6+6 a
 Je forgerai des croix ; 6 b
Je ferai dans l'égliseet dans le cimetière 6+6 c
Fondre le marbre en pleurset se plaindre la pierre 6+6 c
1050  Comme au tombeau des rois ! 6 b
Je te consacreraimes chansons les plus belles : 6+6 a
Pour toi j'aurai toujoursdes bouquets d'immortelles 6+6 a
 Et des fleurs sans parfum. 6 b
J'ai planté mon jardin,ô mort, avec tes arbres ; 6+6 c
1055 L'if, le buis, le cyprèsy croisent sur les marbres 6+6 c
 Leurs rameaux d'un vert brun. 6 b
J'ai dit aux belles fleurs,doux honneur du parterre, 6+6 a
Au lis majestueuxouvrant son blanc cratère, 6+6 a
 A la tulipe d'or, 6 b
1060 A la rose de maique le rossignol aime, 6+6 c
J'ai dit au dahlia,j'ai dit au chrysanthème, 6+6 c
 A bien d'autres encor. 6 b
Ne croissez pas ici !cherchez une autre terre, 6+6 a
Frais amours du printemps ;pour ce jardin austère 6+6 a
1065  Votre éclat est trop vif : 6 b
Le houx vous blesseraitde ses pointes aiguës, 6+6 c
Et vous boiriez dans l'airle poison des ciguës, 6+6 c
 L'odeur âcre de l'if. 6 b
Ne m'abandonne pas,ô ma mère, ô nature, 6+6 a
1070 Tu dois une jeunesseà toute créature, 6+6 a
 A toute âme un amour ; 6 b
Je suis jeune et je sensle froid de la vieillesse, 6+6 c
Je ne puis rien aimer.Je veux une jeunesse, 6+6 c
 N't-elle qu'un seul jour. 6 b
1075 Ne me sois pas marâtre,ô nature chérie, 6+6 a
Redonne un peu de sèveà la plante flétrie 6+6 a
 Qui ne veut pas mourir ; 6 b
Les torrents de mes yeuxont noyé sous leur pluie 6+6 a
Son bouton tout rongéque nul soleil n'essuie, 6+6 a
1080  Et qui ne peut s'ouvrir. 6 b
Air vierge, air de cristal,eau principe du monde, 6+6 a
Terre qui nourris tout,et toi flamme féconde, 6+6 a
 Rayon de l'œil de Dieu, 6 b
Ne laissez pas mourir,vous qui donnez la vie, 6+6 c
1085 La pauvre fleur qui pencheet qui n'a d'autre envie 6+6 c
 Que de fleurir un peu ! 6 b
Étoiles, qui d'en hautvoyez valser les mondes, 6+6 a
Faites pleuvoir sur moi,de vos paupières blondes, 6+6 a
 Vos pleurs de diamant ; 6 b
1090 Lune, lis de la nuit,fleur du divin parterre, 6+6 c
Verse-moi tes rayons,ô blanche solitaire, 6+6 c
 Du fond du firmament ! 6 b
Œil ouvert sans reposau milieu de l'espace, 6+6 a
Perce, soleil puissant,ce nuage qui passe ! 6+6 a
1095  Que je te voie encor ; 6 b
Aigles, vous qui fouettezle ciel à grands coups d'ailes : 6+6 c
Griffons, au vol de feu,rapides hirondelles, 6+6 c
 Prêtez-moi votre essor ! 6 b
Vents, qui prenez aux fleursleurs âmes parfumées 6+6 a
1100 Et les aveux d'amouraux bouches bien aimées, 6+6 a
 Air sauvage des monts, 6 b
Encor tout imprégnédes senteurs du mélèze, 6+6 c
Brise de l'Océan l'on respire à l'aise, 6+6 c
 Emplissez mes poumons ! 6 b
1105 Avril, pour m'y coucher,m'a fait un tapis d'herbe ; 6+6 a
Le lilas sur mon fronts'épanouit en gerbe, 6+6 a
 Nous sommes au printemps. 6 b
Prenez-moi dans vos bras,doux rêves du poëte, 6+6 c
Entre vos seins polis,posez ma pauvre tête 6+6 c
1110  Et bercez-moi longtemps. 6 b
Loin de moi, cauchemars,spectres des nuits ! Les roses, 6+6 a
Les femmes, les chansons,toutes les belles choses 6+6 a
 Et tous les beaux amours, 6 b
Voilà ce qu'il me faut.Salut, ô muse antique, 6+6 c
1115 Muse au frais laurier vert,à la blanche tunique 6+6 c
 Plus jeune tous les jours ! 6 b
Brune aux yeux de lotus,blonde à paupière noire, 6+6 a
O Grecque de Milet,sur l'escabeau d'ivoire 6+6 a
 Pose tes beaux pieds nus, 6 b
1120 Que d'un nectar vermeilla coupe se couronne ! 6+6 c
Je bois à ta beautéd'abord, blanche Théone, 6+6 c
 Puis aux dieux inconnus. 6 b
Ta gorge est plus lasciveet plus souple que l'onde ; 6+6 a
Le lait n'est pas si puret la pomme est moins ronde. 6+6 a
1125  Allons, un beau baiser, 6 b
Hâtons-nous, hâtons-nous.Notre vie, ô Théone, 6+6 c
Est un cheval ailéque le temps éperonne ; 6+6 c
 Hâtons-nous d'en user. 6 b
Chantons Io, Péan !Mais quelle est cette femme 6+6 a
1130 Si pâle sous son voile ?Ah ! c'est toi, vieille infâme, 6+6 a
 Je vois ton crâne ras ; 6 b
Je vois tes grands yeux creux,prostituée immonde, 6+6 c
Courtisane éternelleenvironnant le monde 6+6 c
 Avec tes maigres bras ! 6 b
mètre profils métriques : 6, 6+6
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