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F = "e" féminin
| = césure
GAU_2/GAU48
Théophile GAUTIER
La comédie de la mort
1838
PORTAIL
Ne trouve pas étrange, homme du monde, artiste, 6+6 a
Qui que tu sois, de voir par un portail si triste 6+6 a
S'ouvrir fatalement ce volume nouveau. 6+6 a
Hélas ! tout monument qui dresse au ciel son faîte, 6+6 b
5 Enfonce autant les pieds qu'il élève la tête. 6+6 b
Avant de s'élancer tout clocher est caveau, 6+6 a
En bas, l'oiseau de nuit, l'ombre humide des tombes ; 6+6 c
En haut, l'or du soleil, la neige des colombes, 6+6 c
Des cloches et des chants sur chaque soliveau ; 6+6 a
10 En haut, les minarets et les rosaces frêles, 6+6 a
Où les petits oiseaux s'enchevêtrent les ailes, 6+6 a
Les anges accoudés portant des écussons ; 6+6 a
L'acanthe et le lotus ouvrant sa fleur de pierre 6+6 b
Comme un lis séraphique au jardin de lumière ; 6+6 b
15 En bas, l'arc surbaissé, les lourds piliers saxons ; 6+6 a
Les chevaliers couchés de leur long, les mains jointes, 6+6 c
Le regard sur la voûte et les deux pieds en pointes ; 6+6 c
L'eau qui suinte et tombe avec de sourds frissons. 6+6 a
Mon œuvre est ainsi faite, et sa première assise 6+6 a
20 N'est qu'une dalle étroite et d'une teinte grise 6+6 a
Avec des mots sculptés que la mousse remplit. 6+6 a
Dieu fasse qu'en passant sur cette pauvre pierre, 6+6 b
Les pieds des pèlerins n'effacent pas entière 6+6 b
Cette humble inscription et ce nom qu'on y lit. 6+6 a
25 Pâles ombres des morts, j'ai pour vos promenades, 6+6 c
Filé patiemment la pierre en colonnades ; 6+6 c
Dans mon Campo-Santo je vous ai fait un lit ! 6+6 a
Vous avez près de vous, pour compagnon fidèle, 6+6 a
Un ange qui vous fait un rideau de son aile, 6+6 a
30 Un oreiller de marbre et des robes de plomb. 6+6 a
Dans le jaspe menteur de vos tombes royales, 6+6 b
On voit s'entre-baiser les sœurs théologales 6+6 b
Avec leur auréole et leur vêtement long. 6+6 a
De beaux enfants tout nus, baissant leur torche éteinte, 6+6 c
35 Poussent autour de vous leur éternelle plainte ; 6+6 c
Un lévrier sculpté vous lèche le talon. 6+6 a
L'arabesque fantasque, après les colonnettes, 6+6 a
Enlace ses rameaux et suspend ses clochettes 6+6 a
Comme après l'espalier fait une vigne en fleur. 6+6 a
40 Aux reflets des vitraux la tombe réjouie, 6+6 b
Sous cette floraison toujours épanouie, 6+6 b
D'un air doux et charmant sourit à la douleur. 6+6 a
La mort fait la coquette et prend un ton de reine, 6+6 c
Et son front seulement sous ses cheveux d'ébène, 6+6 c
45 Comme un charme de plus garde un peu de pâleur. 6+6 a
Les émaux les plus vifs scintillent sur les armes, 6+6 a
L'albâtre s'attendrit et fond en blanches larmes ; 6+6 a
Le bronze semble avoir perdu sa dureté. 6+6 a
Dans leur lit les époux sont arrangés par couples, 6+6 b
50 Leurs têtes font ployer les coussins doux et souples, 6+6 b
Et leur beauté fleurit dans le marbre sculpté. 6+6 a
Ce ne sont que festons, dentelles et couronnes, 6+6 c
Trèfles et pendentifs et groupes de colonnes 6+6 c
Où rit la fantaisie en toute liberté. 6+6 a
55 Aussi bien qu'un tombeau, c'est un lit de parade, 6+6 a
C'est un trône, un autel, un buffet, une estrade ; 6+6 a
C'est tout ce que l'on veut selon ce qu'on y voit. 6+6 a
Mais pourtant si poussé de quelque vain caprice, 6+6 b
Dans la nef, vers minuit, par la lune propice, 6+6 b
60 Vous alliez soulever le couvercle du doigt, 6+6 a
Toujours vous trouveriez, sous cette architecture, 6+6 c
Au milieu de la fange et de la pourriture 6+6 c
Dans le suaire usé le cadavre tout droit, 6+6 a
Hideusement verdi, sans rayon de lumière, 6+6 a
65 Sans flamme intérieure illuminant la bière 6+6 a
Ainsi que l'on en voit dans les Christs aux tombeaux. 6+6 a
Entre ses maigres bras, comme une tendre épouse, 6+6 b
La mort les tient serrés sur sa couche jalouse 6+6 b
Et ne lâcherait pas un seul de leurs lambeaux. 6+6 a
70 A peine, au dernier jour, lèveront-t-ils la tête 6+6 c
Quand les cieux trembleront au cri de la trompette 6+6 c
Et qu'un vent inconnu soufflera les flambeaux. 6+6 a
Après le jugement, l'ange en faisant sa ronde 6+6 a
Retrouvera leurs os sur les débris du monde ; 6+6 a
75 Car aucun de ceux-là ne doit ressusciter. 6+6 a
Le Christ lui-même irait comme il fit au Lazare 6+6 b
Leur dire : Levez-vous ! que le sépulcre avare 6+6 b
Ne s'entr'ouvrirait pas pour les laisser monter. 6+6 a
Mes vers sont les tombeaux tout brodés de sculptures, 6+6 c
80 Ils cachent un cadavre, et sous leurs fioritures 6+6 c
Ils pleurent bien souvent en paraissant chanter. 6+6 a
Chacun est le cercueil d'une illusion morte ; 6+6 a
J'enterre là les corps que la houle m'apporte 6+6 a
Quand un de mes vaisseaux a sombré dans la mer ; 6+6 a
85 Beaux rêves avortés, ambitions déçues, 6+6 b
Souterraines ardeurs, passions sans issues, 6+6 b
Tout ce que l'existence a d'intime et d'amer. 6+6 a
L'océan tous les jours me dévore un navire, 6+6 c
Un récif, près du bord, de sa pointe déchire 6+6 c
90 Leurs flancs doublés de cuivre et leur quille de fer. 6+6 a
Combien j'en ai lancé plein d'ivresse et de joie 6+6 a
Si beaux et si coquets sous leurs flammes de soie. 6+6 a
Que jamais dans le port mes yeux ne reverront ! 6+6 a
Quels passagers charmants, têtes fraîches et rondes, 6+6 b
95 Désirs aux seins gonflés, espoirs, chimères blondes ; 6+6 b
Que d'enfants de mon cœur entassés sur le pont ! 6+6 a
Le flot a tout couvert de son linceul verdâtre, 6+6 c
Et les rougeurs de rose, et les pâleurs d'albâtre, 6+6 c
Et l'étoile et la fleur éclose à chaque front. 6+6 a
100 Le flux jette à la côte entre le corps du phoque, 6+6 a
Et les débris de mâts que la vague entre-choque, 6+6 a
Mes rêves naufragés tout gonflés et tout verts ; 6+6 a
Pour ces chercheurs d'un monde étrange et magnifique, 6+6 b
Colombs qui n'ont pas su trouver leur Amérique, 6+6 b
105 En funèbres caveaux creusez-vous, ô mes vers ! 6+6 a
Puis montez hardiment comme les cathédrales, 6+6 c
Allongez-vous en tours, tordez-vous en spirales, 6+6 c
Enfoncez vos pignons au cœur des cieux ouverts. 6+6 a
Vous, oiseaux de l'amour et de la fantaisie, 6+6 a
110 Sonnets, ô blancs ramiers du ciel de poésie, 6+6 a
Posez votre pied rose au toit de mon clocher. 6+6 a
Messagères d'avril, petites hirondelles, 6+6 b
Ne fouettez pas ainsi les vitres à coups d'ailes, 6+6 b
J'ai dans mes bas-reliefs des trous où vous nicher ; 6+6 a
115 Mes vierges vous prendront dans un pli de leur robe, 6+6 c
L'empereur tout exprès laissera choir son globe, 6+6 c
Le lotus ouvrira son cœur pour vous cacher. 6+6 a
J'ai brodé mes réseaux des dessins les plus riches, 6+6 a
Évidé mes piliers, mis des saints dans mes niches, 6+6 a
120 Posé mon buffet d'orgue et peint ma voûte en bleu. 6+6 a
J'ai prié saint Éloi de me faire un calice ; 6+6 b
Le roi mage Gaspard, pour le saint sacrifice, 6+6 b
M'a donné le cinname et le charbon de feu. 6+6 a
Le peuple est à genoux, le chapelain s'affuble 6+6 c
125 Du brocart radieux de la lourde chasuble ; 6+6 c
L'église est toute prête ; y viendrez-vous, mon Dieu ? 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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