Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
GAU_1/GAU13
Théophile GAUTIER
ÉMAUX ET CAMÉES
1872
NOSTALGIES D'OBÉLISQUES
I
L'OBÉLISQUE DE PARIS
Sur cette place je m'ennuie, 8 a
Obélisque dépareillé ; 8 b
Neige, givre, bruine et pluie 8 a
Glacent mon flanc déjà rouillé ; 8 b
5 Et ma vieille aiguille, rougie 8 a
Aux fournaises d'un ciel de feu 8 b
Prend des pâleurs de nostalgie 8 a
Dans cet air qui n'est jamais bleu. 8 b
Devant les colosses moroses 8 a
10 Et les pylônes de Luxor, 8 b
Près de mon frère aux teintes roses 8 a
Que ne suis-je debout encor, 8 b
Plongeant dans l'azur immuable 8 a
Mon pyramydion vermeil, 8 b
15 Et de mon ombre, sur le sable, 8 a
Écrivant les pas du soleil ! 8 b
Rhamsès, un jour mon bloc superbe, 8 a
Où l'éternité s'ébréchait, 8 b
Roula fauché comme un brin d'herbe, 8 a
20 Et Paris s'en fit un hochet. 8 b
La sentinelle granitique, 8 a
Gardienne des énormités, 8 b
Se dresse entre un faux temple antique 8 a
Et la chambre des députés. 8 b
25 Sur l'échafaud de Louis Seize, 8 a
Monolithe au sens aboli, 8 b
On a mis mon secret, qui pèse 8 a
Le poids de cinq mille ans d'oubli. 8 b
Les moineaux francs souillent ma tête, 8 a
30 Où s'abattaient dans leur essor 8 b
L'ibis rose et le gypaète 8 a
Au blanc plumage, aux serres d'or. 8 b
La Seine, noir égout des rues, 8 a
Fleuve immonde fait de ruisseaux, 8 b
35 Salit mon pied, que dans ses crues 8 a
Baisait le Nil, père des eaux, 8 b
Le Nil, géant à barbe blanche 8 a
Coiffé de lotus et de joncs, 8 b
Versant de son urne qui penche 8 a
40 Des crocodiles pour goujons ! 8 b
Les chars d'or étoilés de nacre 8 a
Des grands pharaons d'autrefois 8 b
Rasaient mon bloc heurté du fiacre 8 a
Emportant le dernier des rois. 8 b
45 Jadis, devant ma pierre antique, 8 a
Le pschent au front, les prêtres saints 8 b
Promenaient la bari mystique 8 a
Aux emblèmes dorés et peints ; 8 b
Mais aujourd'hui, pilier profane 8 a
50 Entre deux fontaines campé, 8 b
Je vois passer la courtisane 8 a
Se renversant dans son coupé. 8 b
Je vois, de janvier à décembre, 8 a
La procession des bourgeois, 8 b
55 Les Solons qui vont à la chambre, 8 a
Et les Arthurs qui vont au bois. 8 b
Oh ! dans cent ans quels laids squelettes 8 a
Fera ce peuple impie et fou, 8 b
Qui se couche sans bandelettes 8 a
60 Dans des cercueils que ferme un clou, 8 b
Et n'a pas même d'hypogées 8 a
A l'abri des corruptions, 8 b
Dortoirs où, par siècles rangées, 8 a
Plongent les générations ! 8 b
65 Sol sacré des hiéroglyphes 8 a
Et des secrets sacerdotaux, 8 b
Où les sphynx s'aiguisent les griffes 8 a
Sur les angles des piédestaux, 8 b
Où sous le pied sonne la crypte, 8 a
70 Où l'épervier couve son nid, 8 b
Je te pleure, ô ma vieille Égypte, 8 a
Avec des larmes de granit ! 8 b
II
L'OBÉLISQUE DE LUXOR
Je veille, unique sentinelle 8 a
De ce grand palais dévasté, 8 b
75 Dans la solitude éternelle, 8 a
En face de l'immensité. 8 b
A l'horizon que rien ne borne, 8 a
Stérile, muet, infini, 8 b
Le désert sous le soleil morne, 8 a
80 Déroule son linceul jauni. 8 b
Au-dessus de la terre nue, 8 a
Le ciel, autre désert d'azur, 8 b
Où jamais ne flotte une nue, 8 a
S'étale implacablement pur. 8 b
85 Le Nil, dont l'eau morte s'étame 8 a
D'une pellicule de plomb, 8 b
Luit, ridé par l'hippopotame, 8 a
Sous un jour mat tombant d'aplomb ; 8 b
Et les crocodiles rapaces, 8 a
90 Sur le sable en feu des îlots, 8 b
Demi-cuits dans leurs carapaces, 8 a
Se pâment avec des sanglots. 8 b
Immobile sur son pied grêle, 8 a
L'ibis, le bec dans son jabot, 8 b
95 Déchiffre au bout de quelque stèle 8 a
Le cartouche sacré de Thot. 8 b
L'hyène rit, le chacal miaule, 8 a
Et, traçant des cercles dans l'air, 8 b
L'épervier affamé piaule, 8 a
100 Noire virgule du ciel clair. 8 b
Mais ces bruits de la solitude 8 a
Sont couverts par le bâillement 8 b
Des sphinx, lassés de l'attitude 8 a
Qu'ils gardent immuablement. 8 b
105 Produit des blancs reflets du sable 8 a
Et du soleil toujours brillant, 8 b
Nul ennui ne t'est comparable, 8 a
Spleen lumineux de l'Orient ! 8 b
C'est toi qui faisais crier : Grâce ! 8 a
110 A la satiété des rois 8 b
Tombant vaincus sur leur terrasse, 8 a
Et tu m'écrases de ton poids. 8 b
Ici jamais le vent n'essuie 8 a
Une larme à l'œil sec des cieux, 8 b
115 Et le temps fatigué s'appuie 8 a
Sur les palais silencieux. 8 b
Pas un accident ne dérange 8 a
La face de l'éternité ; 8 b
L'Égypte, en ce monde où tout change, 8 a
120 Trône sur l'immobilité. 8 b
Pour compagnons et pour amies, 8 a
Quand l'ennui me prend par accès, 8 b
J'ai les fellahs et les momies 8 a
Contemporaines de Rhamsès ; 8 b
125 Je regarde un pilier qui penche, 8 a
Un vieux colosse sans profil 8 b
Et les canges à voile blanche 8 a
Montant ou descendant le Nil. 8 b
Que je voudrais comme mon frère, 8 a
130 Dans ce grand Paris transporté, 8 b
Auprès de lui, pour me distraire, 8 a
Sur une place être planté ! 8 b
Là-bas, il voit à ses sculptures 8 a
S'arrêter un peuple vivant, 8 b
135 Hiératiques écritures, 8 a
Que l'idée épelle en rêvant. 8 b
Les fontaines juxtaposées 8 a
Sur la poudre de son granit 8 b
Jettent leurs brumes irisées. 8 a
140 Il est vermeil, il rajeunit ! 8 b
Des veines roses de Syène 8 a
Comme moi cependant il sort, 8 b
Mais je reste à ma place ancienne, 8 a
Il est vivant et je suis mort ! 8 b
mètre profil métrique : 8
logo du CRISCO logo de l'université