Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
FRA_2/FRA36
Anatole FRANCE
IDYLLES ET LÉGENDES
1896
La Part de Madeleine
L'ombre versait au flanc | des monts sa paix bénie, 6+6 a
Le chemin était bleu, | le feuillage était noir, 6+6 b
Et les palmiers tremblaient | d'amour au vent du soir. 6+6 b
L'enfant de Magdala, | la fleur de Béthanie, 6+6 a
5 Gémissait dans la pourpre | et l'azur des coussins. 6+6 a
Le grand épervier d'or | des femmes étrangères 6+6 b
Agrafait sur son front | les étoffes légères ; 6+6 b
La myrrhe tiédissait | dans l'ombre de ses seins ; 6+6 a
Ses doigts, où les parfums | des jeunes chevelures 6+6 a
10 Avaient laissé leur âme | et s'exhalaient encor 6+6 b
Autour du scarabée | et des talismans d'or, 6+6 b
Gardaient des souvenirs | pareils à des brûlures. 6+6 a
Or elle haïssait | ce corps qui lui fut cher ; 6+6 a
Tous les baisers reçus | lui revenaient aux lèvres 6+6 b
15 Avec l'âcre saveur | des dégoûts et des fièvres. 6+6 b
Madeleine était triste | et souffrait dans sa chair ; 6+6 a
Et ses lèvres, ainsi | qu'une grenade mûre, 6+6 a
Entr'ouvrant leur rubis | sous la fraîcheur du ciel, 6+6 b
L'abeille des regrets | y mit son âcre miel, 6+6 b
20 Et le vent qui passait | recueillit ce murmure : 6+6 a
« J'avais soif, et j'ai ceint | mon front d'amour fleuri ; 6+6 a
J'ai pris la bonne part | des choses de ce monde, 6+6 b
Et cependant, mon Dieu, | ma tristesse est profonde, 6+6 b
Et voici que mon cœur | est comme un puits tari ! 6+6 a
25 « Mon âme est comparable | à la citerne vide 6+6 a
Sur qui le chamelier | ne penche plus son front ; 6+6 b
Et l'amour des meilleurs | d'entre ceux qui mourront 6+6 b
Est tombé goutte à goutte | au fond du gouffre avide. 6+6 a
« Je n'ai bu que la soif | aux lèvres des amants : 6+6 a
30 Ils sont faits de limon, | tous les fils de la mère ; 6+6 b
La fleur de leurs baisers | laisse une cendre amère, 6+6 b
L'étreinte de leurs bras | est un choc d'ossements. 6+6 a
« Je brisais malgré moi | l'argile de leur chaîne. 6+6 a
Seigneur ! Seigneur ! ce qui | n'est plus ne fut jamais ! 6+6 b
35 Leurs souvenirs étaient | des morts que j'embaumais 6+6 b
Et qui n'exhalaient plus | qu'à peine un peu de haine. 6+6 a
« Et je criais, voyant | mon espoir achevé : 6+6 a
« Pleureuses, allumez | l'encens devant ma porte, 6+6 b
« Apprêtez un drap d'or : | la Madeleine est morte, 6+6 b
40 « Car étant la Chercheuse | elle n'a pas trouvé ! » 6+6 a
« Et j'ouvrais de nouveau | mes bras comme des palmes ; 6+6 a
J'étendais mes bras nus | tout parfumés d'amour, 6+6 b
Pour qu'une âme vivante | y vînt dormir un jour, 6+6 b
Et je rêvais encor | les vastes amours calmes ! 6+6 a
45 « Le Silence entendit | ma voix, qui soupirait 6+6 a
Disant : « La perle dort | dans le secret des ondes ; 6+6 b
« Or je veux me baigner | dans des amours profondes 6+6 b
« Comme tes belles eaux, | lac de Génésareth ! 6+6 a
« Que votre chaste haleine | à mon souffle se mêle, 6+6 a
50 « Tranquilles fleurs des eaux, | afin que le baiser 6+6 b
« Que sur le front élu | ma lèvre ira poser, 6+6 b
« Calme comme la mort, | soit infini comme elle ! » 6+6 a
« Telle je soupirais | au bord du lac natal, 6+6 a
Mais sur mes flancs blessés | une mauvaise flamme, 6+6 b
55 Rebelle, dévorait | ma chair avec mon âme, 6+6 b
Et voici que je meurs | sur mon lit de santal. 6+6 a
« Pourtant, j'accepte encor | la part de Madeleine 6+6 a
J'avais choisi l'amour | et j'avais eu raison. 6+6 b
Comme Marthe, ma sœur, | qui garda la maison, 6+6 b
60 Je n'aurai point pesé | la farine ou la laine ; 6+6 a
« La jarre, au ventre lourd | d'olives ou de vin, 6+6 a
Dans les soins du cellier | n'aura point clos ma vie ; 6+6 b
Mais ma part, je le sais, | ne peut m'être ravie, 6+6 b
Et je l'emporterai | dans l'inconnu divin ! » 6+6 a
65 Elle dit : le reflet | des choses éternelles 6+6 a
L'illumina d'horreur | et d'épouvantement. 6+6 b
Alors elle se tut | et pleura longuement : 6+6 b
Une âme flottait vague | au fond de ses prunelles. 6+6 a
Or, Jésus, celui-là | qui chassait le Démon 6+6 a
70 Et qui, s'étant assis | au bord de la fontaine, 6+6 b
But dans l'urne de grès | de la Samaritaine, 6+6 b
Soupait ce même soir | au logis de Simon. 6+6 a
Vers ce foyer, ce toit | fumant entre les branches, 6+6 a
Madeleine tendit, | humble, ses belles mains ; 6+6 b
75 Et l'on aurait pu voir | des pensers plus qu'humains 6+6 b
Rayonner sur son front | comme des lueurs blanches. 6+6 a
La tristesse rendait | plus belle sa beauté ; 6+6 a
Ses regards au ciel bleu | creusaient un clair sillage, 6+6 b
Et ses longs cils mouillés | étaient comme un feuillage 6+6 b
80 Dans du soleil, après | la pluie, un jour d'été. 6+6 a
L'enfant de Magdala, | la fleur de Béthanie, 6+6 a
S'en alla vers Jésus | qu'on a nommé le Christ, 6+6 b
Et parfuma ses pieds | ainsi qu'il est écrit. 6+6 b
Et la terre connut | la tendresse infinie. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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