Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
FRA_2/FRA34
Anatole FRANCE
IDYLLES ET LÉGENDES
1896
L'Adieu
J'entrai jusques au fond d'une église, le soir 6+6 a
Du jour triste où le prêtre étend un voile noir 6+6 a
Sur les images d'or de ce bois salutaire 6+6 b
Où vint s'offrir au Ciel la rançon de la terre. 6+6 b
5 Un diacre en blanc surplis veillait son Dieu mort, seul. 6+6 a
Courbé devant l'autel que couvrait un linceul. 6+6 a
C'était le vendredi de la Semaine sainte, 6+6 b
Et les femmes glissaient dans la lugubre enceinte. 6+6 b
Sur les frissons de soie et les bruits argentins 6+6 a
10 Roulaient les voix de l'orgue et les versets latins. 6+6 a
Or je vis celle-là qui tient ma destinée. 6+6 b
Elle était à genoux, mollement inclinée ; 6+6 b
Son front se renversait au poids des cheveux lourds, 6+6 a
Ses mains longues pendaient sur les plis du velours, 6+6 a
15 Et les lampes tremblaient dans la nef ténébreuse 6+6 b
Sur la belle pâleur de sa joue un peu creuse. 6+6 b
Je fus d'abord surpris de la voir en ce lieu, 6+6 a
Car elle était bien loin de vivre selon Dieu. 6+6 a
J'étais à son côté, frôlant sa jupe sombre. 6+6 b
20 Mais rien ne l'avertit de ce qu'était cette ombre. 6+6 b
Et ceci me frappa que dans ses grands yeux clairs 6+6 a
Je n'avais jamais vu de si brillants éclairs, 6+6 a
Je n'avais jamais vu de larmes si brûlantes. 6+6 b
Ni de regards si beaux, ni d'extases si lentes. 6+6 b
25 Tant un heureux lien de célestes effrois 6+6 a
L'attachait au Dieu pâle étendu sur la croix, 6+6 a
Tant sa narine ouverte à la divine haleine 6+6 b
S'enivrait de l'encens dont l'église était pleine ! 6+6 b
Que l'âme de la femme est prompte à s'embraser ! 6+6 a
30 — Sa bouche était en fleur comme pour un baiser, 6+6 a
Son être palpitait d'une invisible étreinte. 6+6 b
C'est pourquoi je fus pris de tristesse et de crainte : 6+6 b
Je vis que désormais ce cœur m'était fermé 6+6 a
Et qu'il se repentait de m'avoir trop aimé ; 6+6 a
35 Que ce sein inondé par la Grâce féconde 6+6 b
Se haussait du dégoût des choses de ce monde. 6+6 b
Alors, pleurant sur moi, je reconnus, pensif, 6+6 a
Que tu m'avais repris cette femme, ô beau Juif, 6+6 a
Roi, dont l'épine a ceint la chevelure rousse ! 6+6 b
40 Ton âme était profonde et ta voix était douce ; 6+6 b
Les femmes t'écoutaient parler au bord des puits, 6+6 a
Les femmes parfumaient tes cheveux ; et depuis 6+6 a
Elles ont allumé sur ton front l'auréole. 6+6 b
Dieu de la vierge sage et de la vierge folle ! 6+6 b
45 C'est écrit : pour jamais toi seul achèveras 6+6 a
Les plus belles amours qu'on essaye en nos bras ; 6+6 a
Toute femme qui pleure est déjà ton épouse ; 6+6 b
Tous les cheveux mordus sous notre dent jalouse 6+6 b
S'en iront à leur tour essuyer tes pieds nus ; 6+6 a
50 Dégageant de nos bras leurs flancs mal retenus, 6+6 a
Jusqu'à la fin des temps toutes nos Madeleines 6+6 b
Verseront à tes pieds leurs urnes encor pleines. 6+6 b
Christ ! elle a délaissé mon âme pour ton Ciel, 6+6 a
Et c'est pour te prier que ta bouche est de miel ! 6+6 a
55 Adieu ! coupe sacrée où je ne dois plus boire, 6+6 b
Rose mystique éclose au crucifix d'ivoire ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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